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Jean-Paul Ier, prototype de la nouvelle évangélisation ?

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Renzo Allegri, sur ZENIT.ORG, interviewe Marco Roncalli, auteur d'une biographie consacrée à Jean-Paul Ier (Traduction d’Hélène Ginabat) :

« J’ai eu la chance et la joie de découvrir un homme d’une incroyable épaisseur spirituelle » déclare l’auteur d’une imposante biographie sur Jean-Paul Ier. Il cite cette prière d’Albino Luciani enfant : « Je n’ai pas fait d’études, je suis pauvre, mais je désire te connaître ».

Août, septembre et octobre évoquent trois événements importants liés à la vie de celui qui est désormais connu comme « le pape au sourire » : le 34ème anniversaire de son élection sur le Siège de Pierre, le 26 août, celui de sa mort inattendue, le 28 septembre, et le centenaire de sa naissance le 17 octobre. Rencontre de Renzo Allegri avec l’auteur.

Zenit – Pourquoi Albino Luciani ?

Marco Roncalli – Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, je me suis retrouvé devant un fait singulier : un pape qui avait régné seulement 33 jours, un temps extrêmement bref pour avoir pu faire des choses importantes, mais qui avait malgré tout laissé parmi les croyants une fascination extraordinaire. (...) Mais j’ai eu la chance et la joie de découvrir un homme d’une incroyable épaisseur spirituelle.

Qui étaient les parents d’Albino Luciani ?

Albino était l’ainé de Giovanni Luciani et Bortola Tancon, un couple très pauvre et très éprouvé par la vie. Jean, veuf à quarante ans, avait eu cinq enfants d’un premier mariage : 3 fils, morts en bas âge et deux filles sourdes-muettes, qui furent confiées à des parents. A onze ans, il avait commencé à émigrer pour le travail et était resté dans différents pays en Europe et même en Amérique. Les difficultés et les souffrances avaient endurci son cœur : il militait dans le parti socialiste et avait oublié la foi de ses pères.

Bortola, 31 ans, avait passé elle aussi une partie de son existence loin de chez elle pour chercher du travail. Elle a connu Giovanni à Venise, où elle était femme de chambre et ils se sont mariés en 1911. Bortola était très croyante, pratiquante, pieuse et elle réussit, par sa bonté, à ramener son mari à la pratique religieuse. (...)

Que sait-on d’Albino Luciani enfant ?

Dès son enfance, il a dû affronter des situations de vie difficiles qui ont laissé des signes profonds dans son âme. Il a pratiquement grandi sans son père. En 1913, quand Albino avait un an, son père était en Argentine. Il est rentré pour la guerre de 1915-1918 et il est reparti après. C’est sa mère qui l’a élevé et éduqué et qui a transmis les valeurs chrétiennes à son fils. « Ma mère a été ma première maîtresse de catéchisme » aimait-il rappeler.Les années de la guerre furent particulièrement dures dans cette partie du Veneto. Le frère d’Albino, Edoardo, racontait : « Il n’y avait que de l’herbe et les racines des plantes à faire cuire… De temps en temps, un morceau de pain fait de son et de sciure d’arbre… ». Albino, de constitution frêle, a porté toute sa vie les conséquences de ces années de misère. Il racontait lui-même être allé au sanatorium, avoir été hospitalisé huit fois et avoir subi quatre interventions chirurgicales.

Quel genre de classes a-t-il suivies ?

L’école élémentaire dans son pays natal, puis il est entré au séminaire. A l’école il travaillait bien. Il aimait lire et le curé ainsi que d’autres prêtres l’ont aidé en lui prêtant des livres. Il avait une grande facilité d’écriture. On a conservé une prière qu’il a écrite lorsqu’il était au cours élémentaire; elle est importante parce qu’elle révèle son style clair et concret, qui le caractérisera plus tard quand il sera adulte.

« Seigneur, toi qui sais tout et qui peux tout, aide-moi à vivre. Je suis encore un jeune garçon, je n’ai pas fait d’études, je suis pauvre, mais je désire te connaître. Maintenant je ne sais pas vraiment qui tu es et je ne sais pas si je t’aime, mais j’aime le Pater noster, j’aime beaucoup l’Ave Maria, je prie pour les défunts de ma famille et pour mes proches. Aide-moi à comprendre… Je suis ton Albino. Amen ».

Quand a-t-il décidé de devenir prêtre ?

Sa vocation a éclos spontanément, quand il était encore enfant. Il semble qu’il ait désiré devenir frère franciscain ou jésuite. Mais le curé lui a conseillé le séminaire où il pouvait étudier et discerner, lorsqu’il aurait plus de maturité, de poursuivre ou non en vue du sacerdoce. A onze ans, il est entré au séminaire de Feltre. Evêque, il écrira : « Quand nous nous appelons mutuellement, entre hommes, l’appel est très clair… Quand Dieu appelle, c’est différent : il n’y a rien d’écrit ni de fort ou de très évident : c’est un léger murmure, à voix basse, un « pianissimo » qui effleure l’âme ».

Dans la pratique, il a toujours vécu loin du monde réel.

Mais il a toujours été attentif à ce qui se passait dans le monde réel. Même au séminaire, à travers les professeurs, arrivaient les idées politiques, religieuses et culturelles dont on débattait à cette époque. Albino Luciani était comme une éponge. Il écoutait, pensait, élaborait. Et surtout, il lisait. Pas seulement des livres à caractère religieux, mais surtout des livres de littérature qu’on ne trouvait pas toujours au séminaire et qui n’y étaient pas bien vus non plus. Quand il avait un peu d’argent, il les achetait en les commandant directement chez l’éditeur, sinon il se les faisait prêter. Pendant les années du lycée surtout, il a lu des livres de Molière, Verne, Walter Scott, Mark Twain, Dickens,  Dostoievski, Tolstoï, Pouchkine, Camus, Silone, Péguy, Bernanos, Claudel, Pascal, Erasme, Montaigne, Chesterton, Goethe, Pétrarque, Eliot, Trilussa, Goldoni, Papini, Freud, Darwin, Haine, Nietzsche, Marx, Lénine, etc. Il a consacré ses mois d’été à mettre en ordre la vieille bibliothèque paroissiale de son village dont les livres s’entassaient dans le grenier du presbytère. Il a rédigé les fiches de plus de 1200 volumes, en indiquant pour chacune d’elles l’auteur, le titre, le lieu et la date d’édition, suivis d’une courte synthèse du contenu et d’une appréciation synthétique, réalisant ainsi un manuscrit volumineux de cent pages qui est encore conservé.

Il avait donc aussi une extraordinaire culture profane ?

Certainement. Il est difficile d’imaginer qu’il ait pu trouver tous ces livres au séminaire. Mais dans sa passion effrénée pour la lecture, il cherchait partout et cette passion effrénée a provoqué en lui une grave crise intérieure qui mit en sérieux danger sa vocation. C’est un frère capucin qui confessait alors au séminaire, saint Léopold Mandic, qui l’a aidé à surmonter ce moment difficile. Les conseils de ce saint furent providentiels pour le jeune Luciani qui, à partir de là, a gardé toute sa vie une photo du père Léopold dans son portefeuille, à côté de celle de sa mère. Le jeune Luciani ne s’intéressait pas seulement à la littérature, mais aussi au cinéma, à l’art, au journalisme. Il aimait écrire et dirigeait aussi un petit journal, démontrant dès cette époque les qualités de clarté et de synthèse qui le distingueront plus tard dans ses livres. (...)

Et après le séminaire ?

Marco Roncalli - Il a été ordonné prêtre à 23 ans. Il a travaillé pendant deux ans dans la paroisse pour aider le curé, exerçant « ce menu apostolat parmi les gens que j’aimais tellement », disait-il. Puis il est retourné au séminaire comme enseignant et vice-directeur. Ce furent pour lui dix années supplémentaires de séminaire, de 1937 à 1947.

C’était les années de la Seconde guerre mondiale, des années difficiles, dramatiques, surtout pour l’Italie. Il les a vécues intensément, s’engageant aussi dans des activités à l’extérieur du séminaire. Il a réussi, pendant ces années-là, à obtenir summa cum laude un diplôme en théologie, à l’Université grégorienne à Rome. Mais il étudiait surtout les événements qui étaient en train de se dérouler dans le monde, la vie des hommes qui étaient en dehors du séminaire et pour lesquels il préparait les guides spirituels de l’avenir.

Puis, en 1947, ce fut le temps de l’action. Ce fut un moment difficile parce que c’est précisément à cette époque qu’il a eu de graves problèmes de santé et qu’il a dû entrer au sanatorium. Mais ses supérieurs le tenaient en grande estime et il fut nommé alors pro-vicaire du diocèse, puis vicaire général et, en 1958, évêque de Vittorio Veneto.

Il prit, comme devise de son blason, le mot « Humilitas » qu’il expliquait ainsi : « Je suis la poussière pure et pauvre ; dans cette poussière, le Seigneur a inscrit la dignité épiscopale de l’illustre diocèse de Vittorio Veneto ». Il n’a jamais eu une grande considération de lui-même. Il écrivait : « Certains évêques ressemblent à des aigles qui planent, avec des documents magistraux de haut niveau ; moi, j’appartiens à la catégorie des troglodytes qui piaillent sur la dernière branche de l’arbre ». (...) 

Luciani se montre un vrai pasteur, qui refuse de se laisser mettre dans les cases des stéréotypes habituels de « conservateur » ou « progressiste ». Il était ferme sur la doctrine et les principes, mais plein de compréhension pour la fragilité humaine, proche des problèmes concrets des familles. (...) 

 

Compréhensif, disponible, ouvert, mais aussi intraitable sur la rigueur doctrinale et la discipline. Il a redit l’impossibilité de concilier christianisme et marxisme. Il a condamné les abus de ceux qui voulaient faire du concile « une arme pour désobéir, un prétexte pour légitimer toutes les « bizarreries » qui leur passent par la tête ». Il a toujours été dur avec les mouvements catholiques de la dissension. A Venise, comme cardinal, quand les étudiants universitaires de la Fédération universitaire catholique italienne (FUCI) se rangèrent du côté du « non » à l’abrogation de la loi sur le divorce, il a dissout l’association.

 

Si Luciani avait eu un pontificat plus long, quels changements, selon vous, aurait-il réalisé à l’intérieur de l’Eglise ?

Pendant les 33 jours de son pontificat, il a continué de se comporter dans la simplicité la plus absolue, comme il l’avait toujours fait. (...) Ses premières paroles aux cardinaux furent : « Qu’avez-vous fait ? Que Dieu vous pardonne ». (...)

Il est le premier pape à avoir demandé de parler à la foule la première fois qu’il est apparu à la loggia de Saint-Pierre, ce qui était interdit par le maître des cérémonies pontificales, Virgilio Noè ; il a refusé le couronnement, la tiare, comme Paul VI, et la sedia gestatoria, sur laquelle on l’a parfois obligé de s’asseoir lors d’audiences générales. Pour parler plus spontanément, il laissait de côté les textes officiels, ce qui ne manquait pas d’alarmer les milieux de la curie romaine et de la diplomatie. Au cours des audiences, pour donner des leçons d’humanité, il invitait les enfants à dialoguer avec lui comme lorsqu’il était à Vittorio Veneto et à Venise.

 

Ces 33 jours ont suffi pour créer un changement de climat imprévisible dans l’Eglise. Bannissant toute forme de rhétorique, ils ont montré, par des paroles et par des gestes, la beauté du christianisme. S’il avait eu un long pontificat, il aurait certainement laissé un signe fort et incomparable. (...)

 

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