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La logique déconcertante de la miséricorde triomphante (5e dimanche de carême)

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Evangile : Jean, chapitre 8, vv 1-11 

Jésus s'était rendu au mont des Oliviers ; de bon matin, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu'on avait surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. » Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Quant à eux, sur cette réponse, ils s'en allaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-il donc ? Alors, personne ne t'a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Homélie du Père Joseph-Marie Verlinde (Homélies.fr(Archive 2007)

Le fil rouge de la liturgie de ce cinquième dimanche de carême, nous est donné par l’antienne d’ouverture : « Rends moi justice ô mon Dieu, soutiens ma cause contre un peuple sans foi » (Ps 42, 1). Le Seigneur a entendu la voix du psalmiste, et par la bouche du prophète Isaïe (1ère lect.), il annonce un nouvel Exode, qui arrachera définitivement son peuple à toute forme d’oppression et de violence pour l’installer sur une terre nouvelle où règneront la paix et la justice.

Nous nous doutons bien que ce n’est pas la justice des hommes qui peut nous apporter la paix : si tel était le cas, il y a longtemps qu’elle règnerait sur terre ! La justice dont il est question est celle « qui nous vient de Dieu et qui est fondée sur la foi au Christ » (2nd lect.). Non pas une foi idéologique, mais une foi concrète : « il s’agit de connaître le Christ », précise Saint Paul, c'est-à-dire de l’imiter en tous points, ce qui nous conduira inévitablement à « communier aux souffrances de sa passion », jusqu’à « reproduire en nous sa mort », si du moins nous voulons « éprouver la puissance de sa résurrection ».

Reconnaissons que spontanément, ce n’est pas « en nous » que nous reproduisons la mort du Christ, mais plutôt en l’autre, à l’image des scribes et pharisiens qui s’apprêtent à lapider la femme adultère. Personne ne nie qu’elle soit coupable, pas même Jésus ; mais en quoi la mort de cette femme viendrait-elle satisfaire à l’exigence de justice ? Ne confirmerait-elle pas tout au contraire la victoire du mal en rajoutant un meurtre à un adultère ? Que peut-on espérer de bon de l’accumulation du mal ? Bien plus : comment le Dieu vivant pourrait-il inciter à tuer ? Sa Parole ne nous parle-t-elle pas tout au contraire de son amour pour le pécheur ? Sa colère ne se porte-t-elle pas plutôt sur le péché qui détruit celui qui le commet ? Dans la Bible, l’accusateur est toujours le Satan ; ils appartiennent donc à son camp ceux qui se font son porte-parole. Aussi Jésus refuse-t-il de cautionner l’engrenage absurde de la violence aveugle.

D’ailleurs, en stricte justice, seul un juge parfaitement intègre est accrédité à prononcer une sentence de condamnation ; dès lors, que « celui d’entre vous qui est sans péché soit le premier à lui jeter la pierre ». Les interlocuteurs de Jésus reconnaissent la sagesse de cette sentence : s’ils prétendent appliquer la Loi dans toute sa rigueur, ils doivent logiquement commencer par s’y soumettre eux-mêmes. Et comme ils sont assez lucides et vrais pour ne pas prétendre être sans péché, « ils se retirent l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés ».
Mais si tout le monde s’en va, qu’en est-il alors de la justice légale ?

Certes, la Loi doit être observée et la condamnation doit être prononcée comme la justice le réclame, mais tout en laissant ouvert l’espace du pardon : telle est la leçon de cette péricope. C’est bien pourquoi l’Église récuse le recours à la peine capitale, qui se limite à une stricte application de la sanction, excluant a priori tout espoir d’un amendement ou de conversion de la part du coupable, qui auraient pu ouvrir la voie à la miséricorde. Comme le soulignait Jean-Paul II dans sa Lettre du 1er janvier 2002 : « Pas de paix sans justice ; pas de justice sans pardon ». Car l’absolutisation de la justice conduit inévitablement à faire de la Loi une idole sanguinaire qui oblige ses adorateurs à tuer au nom de Dieu.

Par son intervention, Jésus brise précisément ce cercle de violence constitué au nom de la Loi, et redonne à celle-ci sa vraie mission : avertir les égarés de la mort spirituelle qui les menace afin de les ramener sur le droit chemin.

« C’est la miséricorde que je désire et non les sacrifices. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs (Mt 9, 13) ». La justice surabondante du Royaume s’accomplit dans le pardon qui libère le pécheur de son passé, le rend à sa dignité et lui permet de reprendre sa place au sein de la communauté. En l’appelant « femme » - un nom réservé à la Vierge Marie dans le 4ème évangile - Jésus rend cette personne à elle-même en lui signifiant qu’elle existe et a du prix à ses yeux. Prolongeant l’œuvre rédemptrice qu’il a commencée en la sauvant de la violence physique, Jésus la libère également de l’étau de ses culpabilités intérieures qui l’empêchaient de se relever. Enfin le Seigneur parachève son œuvre en lui signifiant que son péché est pardonné, c’est-à-dire qu’elle est libérée également au niveau spirituel. « Va et désormais ne pèche plus » : ayant libéré le coupable des filets du mal en lui manifestant un surcroît de miséricorde, il l’invite à reprendre le bon chemin.

Une dernière question subsiste cependant : insister ainsi sur la miséricorde déployée en faveur du coupable, n’est-ce pas oublier un peu vite le tort causé à la victime ? A moins de soupçonner Notre-Seigneur d’injustice, tout porte à penser que s’il traite ainsi le coupable, il se préoccupe avec bien plus d’attention encore de la victime ? La justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû : au pécheur la miséricorde ; à la victime : la guérison, la force, la consolation. C’est parce que sur la Croix le Seigneur s’est rendu solidaire de toutes les victimes, et a pardonné en leur nom à tous les bourreaux, qu’il peut proposer désormais à tous - coupables et victimes - le remède proportionné à leur mal : aux uns le pardon, aux autres la guérison et la réconciliation, fruits de son amour victorieux.

Avons-nous intégré cette logique déconcertante de la miséricorde triomphante, ou demeurons-nous prisonniers de nos ressentiments et de nos désirs de vengeance, qui nous font passer de la position de victime à celle d’agresseur ? C’est à la lumière de l’attitude de Jésus que le verset déjà cité de la seconde lecture prend tout son sens : pour vivre dans la logique de la résurrection, c'est-à-dire dans le partage de la miséricorde, il nous faut accepter de « communier aux souffrances de la passion » du Christ, c'est-à-dire : consentir à mourir à nous-mêmes en renonçant à nos exigences de justice toute humaine. Il n’est pas d’autre chemin pour pouvoir espérer « parvenir, nous aussi, à ressusciter d’entre les morts » (1ère lect.).

« Seigneur nous le croyons, le seul “fleuve” qui puisse irriguer “les déserts et lieux arides” (1ère lect.) de nos vies, et auquel nous puissions désaltérer notre soif de justice, c’est le torrent de ta miséricorde. La seule eau vive qui puisse faire germer la semence de ta Parole pour que se lève un “monde nouveau”, c’est le pardon qui vient de toi et que nous partageons entre frères. Certes, nous sommes loin de pouvoir mettre en pratique tes enseignements et imiter ton comportement ; mais “oubliant ce qui est en arrière, et lancés en avant”, nous voulons avec l’aide de ta grâce, “poursuivre notre course, pour te saisir comme nous avons-nous-même été saisis par toi”, afin d’être couvert de ta justice, celle “qui vient de Dieu et est fondée sur la foi”. »

Père Joseph-Marie

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