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Le pape est-il démago ?

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Charismatique et populaire, François n'hésite pas à poser les gestes qui font mouche et lancer les formules qui font le buzz ? N'en fait-il pas un peu trop ?

Loin de la langue de buis, ce commentaire de Jean Mercier (hebdomadaire « La Vie ») sur son blog « Paposcopie », ce 18 septembre :

La doxa mediatique a tranché. Le pape François est un type très bien. Six mois après son élection, les critiques qui se sont déversées par tombereaux entiers sur Benoît XVI ne sont plus qu’un vieux souvenir. Enfin, les catholiques ont un pape acceptable, ce qui ne s’était plus vu depuis 30 ans…

Et si François était un tout petit peu démago, du point de vue culturel qui est le nôtre ? L’idée me titille depuis quelques semaines… Même si je m’émerveille de la capacité de ce pape à nous parler avec une totale humanité, de son contact charnel avec la “chair du Christ” que sont les pauvres, je suis parfois gêné par sa capacité de séduction qui n’est pas sans une forme de manipulation, consciente ou non de sa part.

Je pense à sa façon de demander à ce jeune homme inconnu, qu’il appelle au téléphone, de le tutoyer. Pas de doute, c’est le genre d’anecdote qui plaît dans les rédactions de France, de Navarre et du monde entier !

Le comble dans le genre est la conférence de presse improvisée dans l’avion au retour des JMJ. Quelques mots ont déclenché une excitation sans précédent. Lorsqu’on demande au pape de se positionner sur l’homosexualité, il répond : “Qui suis-je pour juger…?”

Tout est dans le “Qui suis-je ?”. Et bien, tout simplement : il est le pape… Et c’est pour cela qu’on lui pose la question. Et pour cela que sa réponse a fait le buzz...

Si je suis en plein accord avec ce que François a dit sur l’attitude de l’Eglise face aux gays, je ne peux m’empêcher de tiquer. Sa réponse est soit une manière de ne pas assumer son état, soit une pirouette destinée à séduire la totalité de la planète médiatique par son humilité - et faire conclure à une “révolution” sur l’attitude de l’Eglise.

Le summum a été atteint dans sa fameuse lettre aux non-croyants publiée dans la Repubblica, destinée à Eugenio Scalfari. Magnifique coup médiatique. Néanmoins, lorsque le pape explique que le non-croyant peut se trouver quitte devant Dieu parce qu’il a été fidèle à sa conscience, je ne peux m’empêcher de trouver l’argumentation très faible à tous points de vue. Parce que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les tortionnaires sans foi ni loi vous disent qu’ils ont la conscience tranquille. Sans doute aurait-il fallu que le pape rentre un peu dans la complexité du sujet...

Je pense aussi à sa rhétorique contre le cléricalisme, la richesse, les chrétiens qui font la gueule, l’hypocrisie des catholiques, la banque du Vatican (“Saint Pierre n’avait pas de compte en banque”, etc...). Tout ce qu’il dit est vrai, mais flatte le côté “anti-Institution” de maints catholiques et non-croyants.

Loin de moi l’idée de réduire le pape à une sorte de bateleur qui ne nous dirait que ce que nous voulons entendre. Il a des paroles exigeantes, du genre qui empêchent de dormir, comme à Lampedusa, sur notre égoïsme. Je l’appelle même le “défibrillateur”.

Oui, le pape est démago. Peut-il en être vraiment autrement ? Les cardinaux, le 13 mars 2013, ont choisi une personnalité forte, sur un programme de reconquête de confiance en l’Eglise, à la fois de la base catholique et de l’opinion publique internationale. Un pape capable d’attirer l’attention de façon positive. Partant de cette réalité, il est normal et légitime que François joue le jeu d’une séduction tous azimuts.

Jouer le jeu, quitte à jouer avec ses interlocuteurs… Dans l’avion de l’aller à Rio, François explique qu’il a peur des journalistes et ne leur accordera pas d’interview. Au retour, il se livre à eux comme aucun pape n’avait osé le faire, pendant 1h20, répondant à toutes leurs sollicitations. Manoeuvre calculée ? Impossible de savoir. En tous cas, le succès de communication fut total : l’Eglise n’est, parait-il, plus homophobe. Bravo François ! Et tant pis pour la manipulation du “Qui suis-je ?”

De même, il ne servirait à rien de vouloir retrouver l’estime des athées, agnostiques, et les gens “de doute” sans leur dire d’emblée qu’ils sont des gens bien et que Dieu les bénit s’ils sont fidèles à leur conscience. Car s’il fallait leur expliquer qu’ils doivent éclairer celle-ci par la Révélation chrétienne, c’est-à-dire introduire des bémols et une batterie de conditions, le potentiel de sympathie serait entamé, et l’opération serait nulle.

Le pape est donc d’une cohérence redoutable. Il faut bien mettre les gens - notamment ceux qui font la doxa médiatique - dans sa poche avant de solliciter leur ouverture du coeur sur des questions cruciales. Voilà pourquoi je suis en faveur de la démagogie papale. Au moins au début du pontificat.

Souvenons ici que Bergoglio vient “de l’autre bout de la terre”, et plus particulièrement de l’Argentine, un pays dont la culture est marquée par le populisme. Sans surprise, il est normal que le pape profile sa reconquête des périphéries existentielles en s’appuyant sur cette culture. D’autant que cette stratégie populiste s’appuie sur du vrai, du tangible. On n’est pas dans une pure “com”. Le pape séduit seulement par des discours choc, mais des gestes concrets et des ruptures réelles (dans la simplicité de vie).

Comme on dit en Angleterre : “He can talk the talk, but also walk the walk”. C’est à dire : le pape n’est pas quelqu’un qui se contente de bien causer, il trace la route et la fait jusqu’au bout, regagnant une crédibilité que l’homme de la rue ne reconnaissait pas à son prédécesseur.

Autre chose qui renforce le profil de leader populiste de François : son côté légèrement autocratique. Personne ne s’est ému outre mesure lorsque le pape a décidé de supprimer la prime généralement dévolue aux employés du Vatican suite à son élection, ni sur la manière cavalière selon laquelle il a décidé de canoniser Jean XXIII, sans le miracle qui aurait été nécessaire, au mépris des règles en vigueur.

On pourrait épiloguer aussi sur la façon dont il a décidé de rompre avec la tradition du lavement des pieds liturgique à Saint Pierre de Rome, avec 12 prêtres symbolisant les apôtres, à savoir le mémorial de l’institution du sacerdoce par le Christ, pour le transférer à la prison (incluant des femmes). C’est très fort, car le pape “réouvre” le geste du Christ sous l’angle prophétique, ce qui m’a beaucoup touché personnellement. Mais il aurait été normal qu’un pape tout neuf (depuis quinze jours) s’explique sur cette rupture. Des commentateurs ont alors souligné le risque de l’arbitraire en matière liturgique … (A partir de là, tous nos curés sont fondés à interpréter à leur guise le missel romain).

Bergoglio, en dépit de sa réputation de “pape ouvert” - par opposition à "l’obscurantiste" Benoît XVI ! - était connu, comme évêque de Buenos Aires, pour n’en faire qu’à sa tête. Comme le fait remarquer Andrea Gagliarducci dans un article, il gère désormais les choses de façon directe, peu collégiale, en ayant tendance à court-circuiter les médiations... (voir mon analyse sur sa communication qui va dans ce sens)

Quelques exemples. Les cardinaux qui vont se retrouver pour plancher sur l’avenir de l’Eglise début octobre à Rome ont été choisis par lui et ne réfèreront qu’à lui. Même chose pour le nettoyage de la Banque du Vatican, ou l’audit financier et administratif. On peut comprendre que le pape ne souhaite pas que des collaborateurs “bien intentionnés” étouffent les scandales découverts en route. Mais la vérité est qu’il impose un pouvoir régalien disparu lors de la fin de règne de Jean Paul II, et sous Benoit XVI.

Dans son article, Gagliarducci se penche sur les récentes nominations du pape. Il souligne qu’il a passé outre la loi écrite selon laquelle un secrétaire d’Etat doit être un cardinal, et le secrétaire général de l’Etat du Vatican, un archevêque. La question n’est pas de savoir si le pape a tort ou raison, mais de constater qu’il prend des libertés avec le code.. “La réforme se fait par palliers, mais François occupe la tour de contrôle, et tout le monde suit. Cela montrerait qu’écouter les gens n’implique pas un mode décisionnel collégial”. Il est ainsi question que la Secrétairerie d’Etat se trouve déchargée d’un certain nombre de dossiers qui passeraient sur le bureau du pape, et qu’elle se recentre sur sa mission diplomatico-étatique, perdant une grande partie du pouvoir gagné sous Benoît XVI.

Gentiment mais sûrement autocrate, François tient fermement les manettes. Qui s’en plaindrait vraiment ? Dans les spéculations de l’avant Conclave, de nombreux observateurs confiaient que l’Eglise avait besoin d’un pape à poigne. Le “Panzer kardinal” Ratzinger avait été trop gentil avec les méchants, et la chienlit avait prévalu. Il nous fallait une sorte de nouveau Pie XI capable de faire “peur” à ceux, qui, au Vatican, voulaient que rien ne change. Mâtiné de François d’Assise, nous l’avons donc. L’Esprit Saint fera le reste.

Ici : Le pape est-il démago ?

...Et pour paraphraser Gamaliel « Si cela vient des hommes, cela disparaîtra de soi-même, si cela vient de Dieu, cela continuera et nous n'y pourrons rien ". ( Ac. 5, 34). JPSC 

Lire aussi : François est un génie de la "communication"

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