Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le pape a-t-il été bien avisé de se prêter au jeu risqué de l'interview ?

IMPRIMER

J'ai passé la soirée d'hier en compagnie d'excellents amis qui suivent d'assez loin les questions qui nous préoccupent sur ce blog. Toujours est-il qu'à moment donné la conversation s'est portée sur le nouveau pape et sur ses déclarations relayées dans la presse et sur les ondes. J'ai été effaré par les conclusions qu'ils en tiraient. Ainsi, François se démarquerait de Benoît XVI en ouvrant l'Eglise aux homosexuels, aux divorcés remariés et en abandonnant les positions crispées et négatives qui caractérisaient le pontificat précédent. J'ai bien peur, à les entendre, que ce ne soit la perception qui se trouve la plus répandue dans le public. La faute à qui ? Aux médias, sans doute, qui simplifient et travestissent les propos du pape jésuite, mais pas seulement : en acceptant de se prêter au jeu de l'interview, François a couru le risque de voir ses propos - parfois déconcertants - relayés, amplifiés et même déformés au point d'induire chez ceux qui les ont ainsi reçus l'impression que le pape rompait une fois pour toutes avec le discours tenu précédemment par l'Eglise, par Benoît XVI en particulier. Il sera sans doute bien difficile de détromper les uns et les autres d'autant que cette compréhension du message convient parfaitement à la mentalité ambiante qui se voit ainsi confortée dans son rejet du catholicisme "traditionnel". C'est pourquoi l'analyse à laquelle s'est livré Massimo Introvigne et que notre amie de "Benoît-et-moi" a pris la peine de traduire nous semble venir bien à propos.

Le programme de François. Partir de la foi

Massimo Introvigne http://www.lanuovabq.it/  21-09-2013 - traduit sur Benoît-et-moi

Quand en 2010 Benoît XVI accorda une longue interviewe au journaliste Peter Seewald, dont un passage immédiatement repris par les journaux semblait ouvrir à l'utilisation des anticonceptionnels dans des circonstances particulières, le Pape Ratzinger fit préciser par la salle de presse du Vatican que les interviewes ne sont pas Magistère. Implicitement, le Pape François fait la même chose au début de la longue interviewe recueillie par son confrère jésuite, le Père Spadaro, quand il dénonce sa grande difficulté par rapport à ce genre littéraire particulier. Et, à propos de sa plus célèbre conversation avec la presse - celle sur le vol de retour des JMJ de Rio de Janeiro - il affirme aujourd'hui que "je ne me suis pas reconnu moi-même quand j'ai répondu aux journalistes qui m'ont posé des questions".

On pourrait s'arrêter là, et faire remarquer à ceux qui - sincèrement, ou par malice - cherchent des virages ou des révolutions dans l'interviewe du Pontife au Père Spadaro, que c'est le Pape lui-même qui nous invite à prendre une interviewe pour ce qu'elle est, et qui fait à plusieurs reprise référence dans la conversation à des textes du Magistère - pas seulement le sien, depuis les documents de Vatican II jusqu'au catéchisme de l'Eglise catholique - comme au lieu où les fidèles peuvent trouver un traitement systématique et adéquat de la doctrine.

L'interviewe, toutefois, ne peut pas être considérée comme négligeable. Avec son écho médiatique planétaire, elle est un grand évènement sociologique. 

Si elle n'est pas le lieu approprié où chercher un enseignement systématique et magistériel sur le sujet de la foi et de la morale - et ceux qui l'interpréteraient ainsi se tromperaient - c'est pourtant un instrument utile pour comprendre la "mens" et le programme pastoral et de gouvernement du Pape.

Et, pour tirer de cet instrument ce qu'objectivement il contient, l'interviewe doit être lue en entier. Les phrases isolées se prêtent à tout type d'équivoque, et parfois, de manipulation. (...)

De façon compréhensible - le Pontife aurait pu s'y attendre - la presse mondiale ignore les nombreuses pages de l'interviewe consacrées à l'art, à la musique - où François disserte avec une compétence inattendue sur les différents interprètes de Richard Wagner, privilégiant Wilhelm Fürtwangler (1886-1954), pas spécialement un musicien de gauche, au point qu'il fut inséré par le régime national-socialiste dans la liste de ses "artistes fondamentaux" -, à la littérature, aux jésuites, et (chose plus sérieuse), à la théologie, pour se rencontrer exclusivement sur la seule réplique relative aux divorcés remariés et aux homosexuels. A dire la vérité, il y a bien quelque traditionaliste pour critiquer aussi la réponse assez expéditive sur la Messe traditionnelle - le Pape juge prudente la décision de Benoît XVI, qu'il réduit à en concéder la célébration à ceux qui en ressentent le besoin, mais demande qu'elle ne soit pas instrumentalisée par ceux qui refusent le Concile - toutefois la grande majorité des commentaires se concentre sur les thèmes moraux.

Du point de vue - strictement humain et sociologique - du calcul préventif de l'impact que la réponse sur les homosexuels et les divorcés pouvait avoir sur les médias et sur leurs lecteurs, la forme de communication choisie se prête à plus d'une réserve quant à sa prudence. Il n'est donc pas obligatoire d'en apprécier le contexte: mais il faut au moins l'entendre. François annonce - il l'avait fait en privé lors de plusieurs rencontres récentes - qu'il ne s'agit pas de retards ou d'équivoques, et qu'effectivement, tout en étant conscient qu'il sera critiqué pour cela, il n'a pas l'intention de parler beaucoup "des questions liées à l'avortement, au mariage homosexuel, et à l'utilisation des méthodes contraceptives. Et même, il lui semble que beaucoup en parlent trop.

Pourquoi ce choix, qui certes laisse beaucoup de gens perplexes? Le Pape explique son programme: dans un monde très éloigné de la foi, il préfère repartir de la première annonce. L'annonce des choses élémentaires : que Jésus-Christ est Dieu, et qu'il est venu pour notre salut, qu'il offre à tous sa miséricorde, que se convertir est possible, que la conversion n'est pas un effort individuel mais passe toujours par l'Eglise...

Benoît XVI avait dit à Lisbonne le 11 mars 2010: "Souvent, nous nous préoccupons des conséquences sociales, culturelles et politiques de la foi, donnant pour acquis que la foi existe, ce qui est malheureusement de moins en moins réaliste". Le programme de François est de se préoccuper en premier "qu'il y ait la foi", l'annoncer à travers le visage miséricordieux du Seigneur qui offre son pardon à tous, y compris les homosexuels "qui cherchent Dieu", les femmes qui ont avorté - mais qui, dit le Pape, "se sont suffisamment repenties", les divorcés remariés. Sans rigorisme, a suggéré le Pontife, mais aussi sans "laxisme". Non pas que l'annonce morale ne fasse pas partie du message chrétien, ni que - François le précise - il pense changer la doctrine: "l'avis de l'Eglise [sur la vie et la famille], on le connaît, et je suis fils de l'Eglise". Mais l'enseignement moral, pour le Pape, vient après l'annonce du salut à travers la miséricorde de Dieu. Inverser l'ordre des facteurs, partir de la morale pour remonter à la foi, n'est selon François plus possible aujourd'hui. Et même, "l'édifice moral de l'Eglise lui-même risque de tomber comme un château de cartes.

Toutes les stratégies pastorales et de communication ont leurs qualités et leurs défauts, elles ouvrent des possibilités de mission et comportent des risques. Ce n'est certes pas manquer de respect au Pape que de souligner aussi les risques, graves, en un moment où dans plusieurs pays - y compris l'Italie, avec la loi contre l'homophobie - pour mettre l'Eglise aux marges de la société, l'attaque part de la morale. Le laïcisme attaque la morale pour détruire la foi. C'est l'adversaire qui a choisi ce terrain de bataille: d'abord l'attaque à la morale, puis à la foi.

Le Pape François pense ne pas devoir accepter ce choix du terrain de combat, fait par d'autres. Il renverse le terrain de combat, et parle d'autre chose: il annonce la compassion et la miséricorde, au monde, il montre Jésus-Christ miséricordieux et crucifié, il invite chacun à commencer par se jeter à ses pieds.

De nombreuses enquêtes sociologiques le confirment : ils sont nombreux, dans le monde entier, à se laisser toucher par cet appel du Pape François. D'autres - peut-être plus engagés sur le front de la bataille pour la vie et la famille - sont mis en difficulté par ce choix du Pape, et se sentent mal à l'aise.

Manifester, avec respect, ce malaise, est normal: cela ne signifie pas ne pas aimer et ne pas suivre le Pape. Une réflexion sur le malaise peut même devenir bonne culture et bonne politique. Le malaise, au contraire, devient stérile, quand il s'épuise dans le bavardage, dans la continuelle polémique, dans l'abandon de la bonne habitude de lire les discours et les homélies du Pape, de même que de prendre de chaque pape que Dieu donne à son Eglise ce qui est vraiment essentiel dans son Magistère.

Dans le cas de François, le cœur du Magistère est l'invite à "sortir" et à annoncer la foi à ceux qui ne vont pas à l'Eglise. Une foi dont le Pape nous annoncera plus rarement que ses prédécesseurs - il nous en avertit d'emblée de façon explicite, et il serait erroné de faire semblant de ne pas avoir entendu, ou de masquer une affirmation claire du Pape sous des affirmations cosmétiques - les conséquences morale relativement à la vie et à la famille. Mais ces conséquences morales, il n'interdit certes pas aux épiscopats nationaux et aux laïcs de les tirer de la foi selon logique et doctrine. Non seulement il en a donné l'exemple à Buenos Aires, quand, comme archevêque, il attribuait même à "l'envie du démon" la loi argentine sur le mariage homosexuelle, mais comme Pape, il a à plusieurs reprises invité les évêques des différents pays et les mouvements laïcs, à prendre leur responsabilité.

Nul ne pourrait légitimement invoquer les choix pastoraux et la stratégie d'annonce du Pape pour se soustraire à ces responsabilités. Mais nous ferions tous bien de refléchir sur la façon dont François nous demande de collaborer aussi à l'annonce aux plus lointains de la grâce salvifique et miséricordieuse du Seigneur. "Sortir" et chercher ceux qui aujourd'hui sont loin de l'Eglise, ou ceux qui, dans l'Eglise, se sont assoupis ou endormis - certes sans négliger d'autres thèmes - est une tâche que le Pape n'indique pas qu'à ceux qui ont du temps libre, ou ne sont pas trop distraits par autre chose. Il l'indique à tous, et à ce cœur profond de ce magistère, nous sommes tous appelés à adhérer avec conviction.

Commentaires

  • Tristes commentaires ce matin, à la sortie de la messe dominicale : le mal est fait, la « pagaille » annoncée déjà lors des JMJ de Rio est là. Les propos chocs du pape lancés dans l'opinion via les revues jésuites divisent les chrétiens pratiquants. Il ne fallait pas être grand clerc pour s’y attendre. Les « progressistes » exultent : « on a gagné », les intégristes ricanent : « on vous l’avait bien dit » et ceux qui peinent à jeter des ponts dans une Eglise divisée contemplent la ruine de leurs efforts.

    Au fait, sauf pour fustiger la « bête noire » (les traditionalistes), ce n’est pas en pensant aux chrétiens que François s’exprime d’abord, mais au « monde » ou plus exactement au « premier monde » avec sa religion et sa morale séculariste : exactement comme Paul VI lors de la clôture du concile Vatican II (extraits): « La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n'a pas eu lieu…un courant d'affection et d'admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Une sympathie sans bornes pour les hommes l'a envahi tout entier. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme…Au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain : ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies ».

    Mais en regardant dans son rétroviseur, le pape François n’aperçoit-il rien entre 1965 et 2013 ? De l’histoire de Vatican II, il y a aussi une leçon à tirer : l’utopie ne fait pas souvent bon ménage avec le réel.

Les commentaires sont fermés.