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Gleeden, l'adultère low cost

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Lu sur FIGAROVOX/HUMEUR

Lancé en 2009, le site Gleeden, spécialisé dans les rencontres adultérines, représente selon Théophane Le Méné la dérive de notre société vers un nouvel ordre social et économique ultralibéral :

Quand le marché se met au service de nos instincts les plus primaires, que ne peut-il inventer sinon quelque chose qui se heurte violemment à ce que George Orwell appelait la common decency, une notion que l'on pourrait traduire par une certaine sensibilité universelle à ce qui est honnêtement convenable ou pas. Depuis 2009, Gleeden, un site spécialisé dans les rencontres adultérines sévit sur la toile et inonde désormais de sa publicité la moindre station de métro au point qu'il est devenu impossible de s'extraire de la fournaise parisienne sans se voir infliger des slogans qui prennent la forme d'ode à l'infidélité: «Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari?», «Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité», «Restez fidèles… à vos désirs!», «Etre fidèle à deux hommes, c'est être deux fois plus fidèle», «Cette année, essayez au moins d'être fidèle à votre amant», «Contrairement à l'antidépresseur, l'amant ne coûte rien à la sécu» ou encore «Les vacances, c'est toujours l'occasion d'aller voir ailleurs».

On interdit l'idée d'amour et on aime l'idée de l'interdit. Et on laisse grandes ouvertes les portes au « tyran Eros » jusqu'à flirter avec les passions les plus terribles.

De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer un procédé publicitaire faisant la part belle à une attitude qui - et peu importe le principe qui dicte ce sentiment - révulse naturellement tout un chacun. Car personne ne peut être sincèrement indifférent à la vérité, que celle-ci s'exprime dans un rapport à l'autre ou dans un rapport aux choses et plus encore dans un rapport à la connaissance. C'est d'ailleurs la leçon d'Augustin quand il écrit: «J'ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient tromper, mais personne qui voulait se faire tromper». Mais en admettant par une contorsion de l'esprit qui insulte sa nature même, que cet argument n'en soit pas un, il y a plus grave encore.

En réduisant la fidélité à un facteur d'oppression et en transformant la transgression en un projet d'émancipation, on renonce là à ce qu'il y a pourtant de plus libre, vrai et gratuit au profit de ce qu'il y a de plus aliénant, faux et payant. En d'autres termes, on interdit l'idée d'amour et on aime l'idée de l'interdit. Et on laisse grandes ouvertes les portes au «tyran Eros» jusqu'à flirter avec les passions les plus terribles. Car la transgression est un processus qui ne peut connaître de limites en soi.

Plus encore, ce concept numérisé et monétisé s'inscrit dans une logique néolibérale qui ne saurait échapper aux lecteurs d' Hayek, selon qui chacun doit être «libre de produire, de vendre ou d'acheter tout ce qui est susceptible d'être produit ou vendu», fût-ce au prix de l'équilibre d'une famille dont on sait que le plus grand prédateur est justement l'adultère. Ce marché qui voudrait que l'homme s'adapte à lui et qui s'attaque donc à tous les fondements du lien social entravant cette adaptation, l'écrivain Michel Houellebecq l'a décrit dans son roman Extension du domaine de la lutte où le nouvel ordre économique s'étend désormais aux relations humaines dans leur quête d'amour et de sexualité débridée. Qu'est-ce donc alors que Gleeden sinon un énième cheval de Troie d'un nouvel ordre économique et sexuel prêt à vendre père et mère, comme l'exprime au sens propre et figuré la locution?

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