Commentaire du P. Edouard Ade (*) sur le site « Notre-Dame de l’inculturation »
« Le discours du Saint Père pour le 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Evêques, quoique non officiellement traduit dans les autres langues, a déjà fait l’objet de nombreux commentaires, surtout dans un climat de vives discussions synodales où la question de l’autonomie des conférences épiscopales revient souvent. Pour les tenants de cette ligne, le Pape vient les conforter dans leur position. Pour ceux qui craignent un émiettement ecclésial, c’est la perplexité. Le Pape serait-il en train de donner les conclusions du Synode avant la fin des travaux ? Cette forme d’interrogation ne serait pas la première, puisqu’elle a déjà été faite au sujet des Motu proprio sur la nullité en mariage, qui ont été promulgués avant la tenue de la deuxième partie synodale sur la famille. Pourquoi le Pape n’a-t-il pas attendu la fin du processus synodal pour rendre publique ces dispositions ? Est-ce le commencement de l’année de la miséricorde qui demandait cette célérité ? Il y a enfin ceux qui se disent qu’il y a dans ce discours du Pape une voie pour un nouveau départ dans la communion véritable. Devant les cris de victoire des uns, les interrogations des autres, et les lueurs d’espoir d’autres encore, les simples fidèles du Christ, vivant dans un coin perdu de l’Afrique, se demandent bien ce qui se passe. Ils veulent mieux comprendre les enjeux actuels de l’Eglise en synode.
Que met le Pape dans cette synodalité ? Y aurait-il des risques pour l’unité de l’Eglise Catholique ?
Comme souvent, dans ce genre de discussions, il y a toujours ceux qui comprennent mieux et vite plus que quiconque les intentions du Pape. On se rappelle le fameux tweet lancé par le Père Spadaro après l’intervention du Pape dans la salle synodale le 06 octobre, avant que, des jours après, la presse ne publie une lettre attribuée à un groupe de treize cardinaux et qui aurait été adressée au Pape sur l’instrumentum laboris, la nouvelle méthodologie du synode et le groupe du Rapport final. Le même Père Spadaro a fait, dans une interview sur Radio Vatican, une déclaration que les simples fidèles voudraient bien comprendre. Il affirme, au sujet du discours du Pape, ce qui suit :
« Fondamentalement, ce que nous sommes en train de vivre, ce n’est pas seulement un synode, qui a débuté en 2013 avec le fameux questionnaire, puis a passé la première étape synodale et maintenant nous vivons la seconde. Mais cela aboutira au Jubilé de la Miséricorde, et ça ne finira pas là… Il faut comprendre que nous vivons un processus ecclésial de grande ampleur. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des moments de fatigue, des blocages, des difficultés et des tensions… Mais il y a aussi la joie de construire l’histoire ensemble ». (Padre Spadaro: al Sinodo è in gioco il rapporto tra la Chiesa e il mondo)
Quand le Père Spadaro annonce que ce que nous vivons est au-delà d’un simple synode, vers quoi voudrait-il au juste nous orienter ? Vers un nouveau Concile ?
Car un « processus ecclésial de grande ampleur » ne peut être le fait d’un magistère ordinaire ni même d’un synode comme lui-même le reconnaît. Il faudrait peut-être qu’il explique à ces simples fidèles qui voudraient comprendre si dans l’histoire de l’Eglise les processus ecclésiaux de grande ampleur ont été décrétés à la manière des programmes politiques et ont été le fruit d’une « histoire construite ensemble » par les hommes, à partir d’eux-mêmes et de leurs convictions, fussent-elles théologiques. Si ce qui est en jeu actuellement est, comme il le dit dans la même interview, le rapport entre l’Eglise et le monde, cet enjeu n’est pas nouveau. Pour les temps modernes, le Concile Vatican II l’a affronté. Mais en quoi faisant ? En cherchant les réponses non à partir d’une culture moderne sécularisée mais par un authentique retour aux racines du christianisme (la Bible, les Pères de l’Eglise et la Tradition longue de l’Eglise), et en se laissant guider par l’Esprit-Saint. Rien d’une planification toute humaine, volontaire, mais un grand souffle de l’Esprit de Pentecôte, qui déjà portait les travaux théologiques mûris à l’ombre de la Croix avant le Concile (de Lubac, Congar, Guardini, Daniélou, Balthasar, Wojtyła, Couturier, etc.)
La synodalité comme dimension constitutive de l’Eglise, à laquelle le Saint-Père nous renvoie, en en précisant les niveaux depuis les Eglises particulières (Synode diocésain), en passant par les Provinces et Régions ecclésiastiques, les Conciles particuliers et de manière spéciale les Conférences Episcopales, jusqu’au niveau de l’Eglise universelle, est, comme le Pape lui-même le souligne, « un concept facile à exprimer en parole, mais pas aussi facile à mettre en pratique ». L’illustration la plus évidente de cette difficulté est ce que nous vivons actuellement avec le Synode sur la Famille.
Le n° 12 de Lumen Gentium, en définissant le sensus fidei, parle de la totalité des fidèles du Christ qui, ayant reçu l’onction du Saint (cf. 1 Jn 2,20.27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier que possède le peuple saint, se manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi lorsque « des évêques jusqu’aux derniers fidèles laïcs » apportent un consentement universel aux vérités concernant la foi et les mœurs. Cette infaillibilité dans l’acte de croire du peuple sacerdotal est précisément ce qui est aujourd’hui mis à rude épreuve quand quelques théologiens, pasteurs et fidèles laïcs de certaines Eglises particulières cherchent à prendre en otage l’ensemble du peuple de Dieu sur des questions de première importance doctrinale et morale. On comprend dès lors qu’une interprétation adéquate de LG 12 ne pourra se faire que dans la lumière des Chapitres I et V de cette constitution dogmatique sur l’Eglise. Il n’y a pas de véritable sensus fidei sans une pleine adhésion au mystère de l’Eglise, qui ne peut être réduite à une réalité sociologique comme la notion de « peuple » (Chapitre II) ou même de « famille » (Ecclesia in Africa) peut le laisser entendre. Il n’y a pas non plus de véritable sensus fidei là où les fidèles du Christ n’ont pas pris la pleine mesure de l’appel universel à la sainteté (Chapitre V).
Dans le processus synodal en cours, avons-nous vraiment écouté le Peuple de Dieu ? L’instrumentum laboris du Synode en cours ne l’atteste pas suffisamment. Est-ce que les pasteurs des Eglises particulières sont réellement en train d’être écoutés ? Il faudra certainement attendre le texte final du Synode, accessible dans toutes les langues du Synode, et sa soumission au vote pour le dire.
Les grandes divergences qui sont observées dans les débats du Synode pourraient permettre à l’ensemble du collège épiscopal, et plus spécialement au collège cardinalice, d’aider l’Evêque de Rome qui se comprend lui-même comme « un baptisé parmi les baptisés et un évêque parmi les évêques, et qui est appelé en même temps à guider l’Eglise de Rome qui préside dans l’amour toutes les Eglises », à préciser clairement dans un esprit collégial les domaines qui peuvent être laissés au discernement des Eglises particulières. Il ne nous semble pas – et cet avis est partagé par beaucoup de fidèles du Christ qui sont en profonde communion avec le successeur de Pierre – qu’une question doctrinale grave comme celle du lien entre les sacrements, et cette autre question anthropologique tout aussi grave que celle de la nature de l’humain sorti des mains de Dieu (homme et femme, il les créa) soient laissées au seul discernement des Eglises particulières.
Il n’est pas possible de dire que la décentralisation réclamée ici soit uniquement pastorale, sans lien avec la doctrine et l’anthropologie théologique qui lui est attachée. Si un « processus ecclésial de grande ampleur » doit être mené ici, il ne pourrait se faire ni par le Magistère ordinaire – le Pape même refuse de jouer un tel rôle – ni même par des délégués des Conférences nationales ou régionales, mais par l’ensemble du collège épiscopal, à moins que tous les fidèles du Christ, depuis les évêques jusqu’au dernier fidèle, aient clairement énoncé – dans un consensus universel – que l’évangile nous autorise à donner la communion aux divorcés remariés civils et à unir sacramentellement les homosexuels, ou à reconnaître des valeurs positives dans ces états. Si le Christ n’a jamais réduit un pécheur à son péché – l’Eglise non plus –, il n’a jamais dit qu’il y a des « valeurs positives » dans des états de péché (cf. Relatio Synodi de la 3ème assemblée extraordinaire, Lineamenta etInstrumentum laboris de la XIVème assemblée ordinaire du Synode des Evêques). L’Eglise ne doit pas le dire non plus.
Le discours du Pape pour le 50ème anniversaire de l’institution du Synode des Evêques, loin de confirmer ceux qui rêvent d’un changement de doctrine sous couvert de créativité pastorale, ou d’exercice majeur de la miséricorde, loin de constituer un désaveu pour ceux qui se battent pour l’unité de la doctrine et pour l’unité de l’Eglise, appelle non seulement à une compréhension plus profonde de la papauté mais aussi de la place des Eglises particulières dans la communion ecclésiale et de la responsabilité de chaque fidèle du Christ, non seulement marqué de l’onction, mais aussi vivant de l’onction, devant le dépôt de la foi et de la Sainte Tradition de l’Eglise. Dans une Eglise qui se voudrait sacrement de salut pour les nations où, « tout en invoquant participation, solidarité et transparence dans l’administration de la chose publique », « le destin de populations entières est remis entre les mains avides de groupes restreints de pouvoir » (Pape François), la synodalité ne devra pas être vécue par procuration ou confisquée par des lobbys et des groupes de pression dans l’Eglise. Les Pasteurs doivent véritablement être à l’écoute du peuple vraiment croyant. Un tel peuple ne pourrait se dire « de Dieu » et tourner le dos à la Croix du Christ et à la nécessaire conversion qu’elle exige de tous, depuis les évêques jusqu’au dernier des fidèles du Christ. Seule une Eglise en conversion permanente est véritablement synodale. »
Ref. Seule une Eglise en conversion permanente est synodale
(*) EDOUARD ADE, né en 1960, est prêtre de l'Archidiocèse de Cotonou (Bénin). Docteur en sociologie à Paris V - Sorbonne (1988), il reçoit sa formation initiale en théologie à Sébikotane (Sénégal) puis à la Casa Balthasar et à l'Université Pontificale de la Grégorienne. Responsable du Centre d'inculturation du Sillon Noir à Cotonou, il enseigne au Grand Séminaire St Gall de Ouidah et à la Section africaine de l'Institut Pontifical Jean-Paul II.
JPSC