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Saint Ignace de Loyola (31 juillet) ou l'art de choisir sa vie

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Du Père Dominique Salin sur le site "Notre histoire avec Marie" :

SAINT IGNACE DE LOYOLA, OU L’ART DE CHOISIR SA VIE

Saint Ignace de Loyola, ou l’art de choisir sa vie
Inigo (1491-1556), qui deviendra saint Ignace de Loyola, changea radicalement de vie à la suite de la lecture de la vie de grands saints. Noble chevalier espagnol, il se dépouilla de sa fortune avant d’entreprendre sur le chemin de Jérusalem une mission qui sera celle d’une vie : « aider les âmes ». Proche ami de François-Xavier qu’il rencontra lors de ses études à Paris, il fonda avec lui et quelques autres la Compagnie de Jésus.
Père Dominique Salin, sj Professeur de théologie spirituelle au Centre Sèvres (Paris)
Père Dominique Salin, sj Professeur de théologie spirituelle au Centre Sèvres (Paris)

Neuf mois pour une nouvelle vie. Inigo est né en 1491, à Azpeitia (actuelle province de Guipúzcoa), dans une famille de la noblesse basque espagnole, peu avant que Christophe Colomb n’aborde aux Antilles. Il reçoit une éducation conforme à son rang, celle d’un chevalier. À 26 ans, il est haut fonctionnaire auprès du vice-roi de Navarre. C’est un homme de cour et un politicien au service de l’unité espagnole en train de se construire, non un militaire, contrairement à la légende souvent entretenue par les jésuites eux-mêmes. Rien n’annonce chez lui le mystique fondateur d’un ordre religieux d’un genre totalement nouveau. Il a 30 ans lorsque ses rêves de gloire sont brisés par un boulet de canon. Les Navarrais de France ont assiégé Pampelune pour récupérer la Navarre espagnole (c’est l’époque de la lutte entre François Ier et Charles Quint). La partie est perdue. Le chevalier de Loyola refuse de se rendre. Un boulet lui broie le genou. Le voilà condamné à neuf mois de convalescence au manoir familial. Neuf mois, le temps d’une nouvelle naissance. Neuf mois suffiront pour transformer l’hidalgo bouillant et calculateur en un « fol en Christ », pèlerin mendiant son pain et prédicant spirituel sur les routes d’Espagne. Neuf mois pour choisir une nouvelle vie.   

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L’éveil à la vie spirituelle. Tout commença par l’ennui. Dans l’austère manoir familial, point de ces romans de chevalerie dont raffolait Ignace. Il dut se rabattre sur des vies de saints (la Légende dorée de Jacques de Voraginevieille de deux siècles) et la Vie du Christ de Ludolphe le Chartreux. Entre les lectures, il rêvassait, des heures durant. Le déclic fut l’étonnement. Étonnement devant les mouvements qui se produisaient alors en son âme et qui échappaient à son contrôle : des alternances de plaisir et de déplaisir, de plaisir éphémère et de plaisir durable, de plaisir superficiel et de plaisir profond. Le plaisir que lui causaient d’interminables divagations sur ses thèmes donjuanistes favoris (exploits pour une certaine dame de très haute naissance) tournait, lorsque l’imagination s’épuisait, à l’amertume (il restait « sec et mécontent »). En revanche, la pensée d’imiter les exploits ascétiques des grands saints dont il était en train de lire la vie (« Ce qu’ont fait saint François et saint Dominique, pourquoi ne le ferais-je pas ?... Aller nu-pieds à Jérusalem, ne manger que des herbes… ») suscitait en lui un plaisir profond et le laissait durablement « content et allègre ». Comment comprendre cette météo intérieure ? 

À suivre le récit qu’il en donna, en troisième personne, à la fin de sa vie, il fallut peu de temps à Ignace pour saisir qu’il était en train de faire l’expérience de ce qu’il appellera, à la suite de la tradition spirituelle, « la diversité des esprits qui l’agitaient, l’un du démon, l’autre de Dieu ». Ces affects qui s’imposaient à lui, qui naissaient des pensées qu’il entretenait volontairement mais qui, eux, échappaient au contrôle de sa volonté, ces affects ne venaient pas de lui. Ils ne pouvaient venir que de la source de la vie ou de l’empoisonneur diabolique. Ils devenaient indicateurs d’un chemin de vie ou d’un chemin de mort. Expérience encore grossière, mais expérience fondatrice. Ignace venait de découvrir la vie spirituelle, la vie dans l’Esprit. Désormais, ce sera à l’aune de ces affects (« consolation » ou « désolation »), qu’il évaluera les choix qui s’offriront à lui, les décisions à prendre ou à ne pas prendre. La première fut de changer de vie, de distribuer son avoir aux pauvres et de se rendre, en pèlerinage expiatoire, à Jérusalem. La Vierge Marie eut un rôle important dans le changement de vie de saint Ignace. Une nuit, il se consacre à Jésus par Marie, refuge des pécheurs. Une autre, la Vierge lui apparaît, rayonnant de lumière, tenant l’Enfant-Jésus dans ses bras. C’est ensuite à l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Montserrat, à 55 km au nord-ouest de Barcelone, en Catalogne, qu’il effectue une retraite essentielle.   

Ignace pouvait désormais choisir sa vie, avec Dieu

Manresa : « ma primitive Église ». Arrivé à Montserrat, Ignace fit sa confession générale, qui dura trois jours. Puis il déposa son épée au pied de la statue de la Vierge, troqua ses vêtements contre ceux d’un mendiant et passa la nuit devant la statue, bourdon en main, pour une veillée d’armes d’un nouveau genre. Il décida alors de rester quelques jours dans une localité voisine, Manresa. Le combat spirituel qui s’engagea alors en lui l’y retint en fait une année entière. Ce fut une année de quasi-érémitisme dans une grotte, entrecoupée de visites au monastère dominicain et de soins donnés aux malades nécessiteux de l’hospice municipal. Le mendiant s’adonna d’emblée à l’ivresse des saintes folies dont il avait lu les récits : jeûnes interminables, oraisons de sept heures d’affilée, refus de se couper les cheveux et les ongles… Très vite, d’effrayantes alternances de joie et de dépression se manifestèrent, accompagnées de violentes pulsions suicidaires. Survint un dégoût nouveau et profond pour la vie qu’il menait, et le désir de l’abandonner. Là-dessus, sans préavis, « le Seigneur voulut qu’il s’éveilla comme d’un rêve », écrira-t-il plus tard dans son autobiographie à la troisième personne, Le Récit d’un pèlerin. Il décida de ne plus revenir sur ses péchés d’antan. « À partir de ce jour, il demeura libéré de ses scrupules. » Une paix indéracinable vint alors affermir son désir de rester docile à Dieu qui l’avait instruit « comme un maître d’école ». Plus jamais, semble-t-il, Ignace ne connut de vraie désolation. 

Ainsi s’est-il éveillé peu à peu de ses rêves donquichottesques. Il avait rêvé d’une vie héroïque, tissée d’exploits ascétiques pour impressionner Dieu et les hommes, comme il avait naguère rêvé d’accomplir, en vrai chevalier, de mirifiques prouesses pour la dame de ses pensées. Mais il a expérimentalement découvert que le Seigneur n’avait rien à faire de ce genre de performances. Il a découvert surtout que la voix de Dieu en lui était articulée comme un langage – un langage souvent subtil et qui permettait de découvrir sa volonté, de la « discerner ». Ignace pouvait désormais choisir sa vie, avec Dieu.   

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Vers Jérusalem : « aider les âmes ». 
Quand il quitta Manresa, le pèlerin ne se rendait plus à Jérusalem pour expier ses péchés, mais pour vivre où Jésus avait vécu et surtout pour « aider les âmes » des pèlerins. Les aider à quoi ? À faire l’expérience bouleversante qu’il venait de faire : Dieu peut nous parler au cœur directement, personnellement. Et la grammaire de la communication avec Dieu est finalement assez simple. « Aider les âmes » : la formule reviendra constamment désormais sous la plume d’Ignace pour désigner son projet de vie et la vocation des jésuites. Dans la pratique d’Ignace et des premiers jésuites, la manière privilégiée « d’aider les âmes » sera la « conversation spirituelle », à laquelle s’adjoindront d’abord la catéchèse des enfants et des illettrés, puis la prédication. À ceux qui y sont disposés, on fera faire des « exercices spirituels ». Le service des malades pauvres dans les hospices devra toujours accompagner ces formes d’apostolat. C’est à ce programme que se tiendront les jésuites pendant les huit premières années de leur existence, avant que, par obéissance au Pape répondant à la pression des princes, Ignace n’accepte de prendre en charge des collèges et des universités. Cette forme d’apostolat dévorera très vite l’essentiel des forces. Mais jamais les jésuites n’abandonneront leurs pratiques initiales. Ignace envisageait donc de s’installer à Jérusalem pour s’y livrer à l’apostolat. Mais il découvrit sur place que les autorités turques n’autorisaient pas de séjour prolongé. La volonté de Dieu passait aussi par les aléas de la politique. Il rentra à Barcelone.   


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De Barcelone à Paris : le temps des études. 
Une prise de conscience s’était opérée en lui pendant son année de pèlerinage : il était religieusement inculte, il ne savait pas le latin. Comment parler de Dieu et de la vie spirituelle sans un minimum de bagage ? L’Inquisition ne lui permettrait jamais de se livrer à l’apostolat spirituel sans être dûment diplômé et autorisé. Une nouvelle étape s’ouvrit alors, qui devait durer onze années. À 33 ans, Ignace se mit au latin avec les écoliers de Barcelone. Deux ans plus tard, il partait pour l’université d’Alcalá de Henares (près de Madrid), où il resta un an ; puis à Salamanque (León) où il passa aussi un an. En 1528, il partit pour l’université de Paris, où il resta sept ans, jusqu’à l’obtention d’une maîtrise en 1535. Il avait 44 ans ! Au long de ses années d’études à Paris, se rassembla peu à peu autour d’Ignace un groupe international d’étudiants séduits par sa personnalité et sa spiritualité ; parmi eux, François-Xavier. Mûrit ainsi le projet de former un groupe de « prêtres réformés » vivant dans la pauvreté, de se rendre à Jérusalem et de « dépenser leur vie pour être utiles aux âmes » ; et s’il n’était pas possible de rester à Jérusalem, ils iraient à Rome se mettre à la disposition du Vicaire du Christ pour qu’il les emploie « là où il jugerait que ce serait davantage à la gloire de Dieu et plus utile aux âmes ». Sept premiers compagnons, dont deux Navarrais, trois Espagnols, un Savoyard et un Portugais, firent ensemble les  vœux de pauvreté et de chasteté à la chapelle Saint-Denis sur la colline de Montmartre (Paris), à la fin de la messe célébrée par Pierre Favre, le 15 août 1534.


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Rome : la « petite Compagnie ». Les études de tous étant achevées, le petit groupe se retrouva à Rome en 1539. L’accès à Jérusalem était désormais interdit par les Turcs. Les « pauvres prêtres pèlerins », comme on les appelait, se mirent à la disposition du Pape. Ils étaient onze. Le 27 septembre 1540 (la plupart étaient déjà dispersés, à commencer par François-Xavier), le Pape Paul III promulgua la bulle de fondation du nouvel ordre religieux, Regimini militantis Ecclesiae (Pour le gouvernement de l'Église militante). Dix ans plus tard, le 21 juillet 1550, Jules III approuvait définitivement les jésuites par la bulle Exposcit Debitum (Le devoir impose). La Compagnie de Jésus, innovation scandaleuse pour beaucoup, était dispensée de chanter l’office au chœur, cinq fois par jour, pour être plus libre et plus mobile dans l’apostolat. Le chœur des jésuites, c’est le monde ; ils doivent pouvoir « chercher et trouver Dieu en toutes choses ». Dès le 22 avril 1541, Ignace, malgré ses refus réitérés, est élu Supérieur. Il sera le premier. Il gouvernera la Compagnie quinze années durant. À sa mort, le 31 juillet 1556 à Rome (Italie) des suites d’une maladie, la Compagnie comptait un millier de membres, sur tous les continents. Le pèlerin s’était fixé à Rome, mais le relais avait été transmis. Le pèlerinage continuait. 

À 30 ans, Ignace avait reconstruit sa vie. Il l’avait fait sur des bases entièrement neuves pour lui, et qui tenaient autant à Dieu qu’à son génie propre. Il a progressivement découvert qu’il était appelé à annoncer le Royaume de Dieu dans les cœurs (« aider les âmes ») en faisant partager à d’autres l’expérience précisément qui lui avait permis de s’éveiller, de découvrir sa vraie vocation, ce que Dieu voulait pour lui ! Les fameux Exercices spirituels sont une manière privilégiée de choisir sa vie avec Dieu, comme l’avait fait Ignace.

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