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Refondation cruciale de la famille Saint-Jean

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De Céline Hoyeau sur le site du journal La Croix :

Les Frères de Saint-Jean optent pour une complète refondation

Au terme de son chapitre général, qui s’est achevé vendredi 1er novembre, la communauté Saint-Jean a voté une réforme de ses statuts et acté que son fondateur, le père Marie-Dominique Philippe, ne peut en aucun cas être considéré comme une référence spirituelle.

L’accès aux archives des dominicains a permis de découvrir qu’il avait été condamné par Rome en 1957 pour avoir couvert les abus commis par son frère Thomas Philippe.

Il y a encore quelques mois, le mot était reçu très négativement. C’est pourtant bel et bien à une refondation que les Frères de Saint-Jean se sont engagés, au terme de la deuxième session de leur chapitre général, qui s’est refermé vendredi 1er novembre à Saint-Jodard (Loire).

Les frères de Saint-Jean veulent la vérité sur leur histoire

« Nous ne voulons plus faire du père Marie-Dominique Philippe le référent de notre formation (…). Nous ne pouvons plus le considérer comme maître de vie spirituelle », affirment-ils dans une déclaration publiée mardi 5 novembre, achevant de déboulonner la statue de leur fondateur, révéré jusqu’à la révélation, en 2013, des abus spirituels et sexuels dont il s’est rendu coupable. « Les écailles sont tombées, on sort de l’image d’un père providentiel », témoigne un frère présent au chapitre, tandis qu’un autre salue « le chapitre le plus important de l’histoire de notre communauté depuis sa fondation ».

Révision des règles de vie

Dans ce texte adopté à plus des deux-tiers au terme d’un travail collectif de dix jours, les Frères de Saint-Jean ont décidé très concrètement de réviser leur règle de vie et leurs constitutions, d’appeler au sens critique dans la lecture des écrits de leur fondateur, de retirer de tous les couvents et lieux publics ses photographies, et, au fond, de revisiter tout leur patrimoine spirituel.

Autrement dit, de faire la distinction entre le « fondateur historique » et le « charisme de l’institut lui-même qui seul est discerné et approuvé par l’Église », selon les préconisations de Mgr José Rodriguez Carballo, le secrétaire de la Congrégation pour la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique qu’ils avaient invités durant le chapitre.

27 frères auteurs d’abus

En 2016, ce dernier leur avait demandé de s’atteler à clarifier leur rapport au père Philippe. Le documentaire d’Arte donnant la parole à des victimes, en mars 2019, avait provoqué un électrochoc dans ce processus de conscientisation.

La première session du chapitre général, en mai dernier, avait enfoncé un nouveau clou, la commission sur les abus mise en place dans la communauté faisant état de 27 frères auteurs d’abus. Au cours de cette deuxième session, des témoignages internes à la communauté, illustrant notamment comment certains frères ont pu reproduire le modèle du fondateur déviant, ont provoqué un nouvel électrochoc et confirmé la prise de conscience non pas d’une fragilité passagère, mais d’un système d’abus mis en place dès les origines.

« Les défauts de sa doctrine publique »

« Nous avions connaissance de l’enseignement extérieur, la doctrine publique, du père Marie-Dominique Philippe, explique le prieur général, le frère François-Xavier Cazali. Mais à travers les témoignages des victimes, nous avons découvert un deuxième niveau de discours choquant dont nous n’avions pas idée, qu’il distillait dans le cadre de la direction spirituelle et qui a paralysé la conscience et autorisé une auto justification des abuseurs. Ils se sont crus au-dessus de la morale commune. C’est quand on découvre les témoignages des abus, et ce qu’ils révèlent de doctrine cachée du père Philippe, qu’on voit apparaître les défauts de sa doctrine publique ».

Une doctrine qui trouve ses racines dans le contexte des années 1950. Les participants au chapitre général ont découvert avec stupéfaction tout un pan de leur histoire. S’ils savaient que le frère de Marie-Dominique Philippe, le père Thomas, inspirateur de l’Arche de Jean Vanier, avait été condamné par Rome en 1956, manifestement pour abus sexuels sur des religieuses, ils étaient loin de s’imaginer que leur fondateur avait été condamné lui aussi l’année suivante, pour avoir couvert les agissements de son frère. Tout comme leur sœur, Mère Cécile, abbesse de Bouvines, et leur oncle, autorité morale de la famille Philippe, le père Dehau !

Une commission interdisciplinaire

L’accès aux archives des dominicains, l’ordre auquel appartenaient Thomas et Marie-Dominique jusqu’à leur mort, a révélé que Thomas Philippe avait été suspendu de tout ministère public. Interdiction qui ne fut jamais levée par Rome, ce qui ne l’empêcha pas de reprendre par la suite ses activités sacerdotales en toute impunité. Les frères Philippe mettaient alors cette condamnation sur le compte de divergences doctrinales avec le couvent dominicain du Saulchoir.

Pour mieux comprendre ce péché des origines, la communauté va mettre en place une commission interdisciplinaire, qui travaillera à la fois sur les plans historique, théologique et psychologique.

Un travail monumental les attend. Le mode de fonctionnement du père Marie-Dominique Philippe a notamment eu des incidences sur leur mode de gouvernement - organisé pour laisser le « père » au centre. Le chapitre a ainsi voté une décentralisation, qui conférera plus d’autonomie aux provinces régionales (États-Unis, Afrique…), notamment en matière de formation. La formation sera aussi réformée.

« On ne mesure pas encore toutes les conséquences de ce chapitre fondateur. Pendant neuf ans, on a cherché à soigner le cancer à dose homéopathique, aujourd’hui, c’est une amputation pour sauver le corps », salue le père Barthélémy Port, curé de Sainte-Cécile à Boulogne-Billancourt.

Si beaucoup comme lui saluent le « courage » du chapitre, d’autres ne manqueront pas d’être déstabilisés. Certaines résistances se sont déjà exprimées. « Je comprends très bien, souligne le frère Cazali, que ce soit difficile pour des frères, qui découvrent de l’extérieur ces décisions sans avoir participé au chapitre. Nous avons un travail à faire pour permettre à toute la communauté d’entrer dans ce mouvement. »

« Des frères peuvent se sentir atteints par les abus qui jettent un discrédit sur l’ensemble de la Communauté », reconnaît la déclaration du chapitre, ajoutant que « les premières victimes d’abus sont celles qui ont subi des agissements scandaleux ». Aussi, « quand les conditions seront réunies », une célébration liturgique de demande de pardon à l’égard des victimes sera organisée « en concertation » avec celles-ci.

Ce chapitre aura certainement des conséquences bien au-delà de la seule Famille Saint-Jean. Les dominicains devront notamment s’expliquer sur la manière dont ils ont laissé les frères Philippe participer à la fondation de deux communautés importantes, l’Arche et Saint-Jean.

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« Un fondateur historique n’est pas nécessairement un fondateur charismatique »

Sr Noëlle Hausman, théologienne, directrice de la revue Vies consacrées

« Ce qui est en cours, ce n’est pas un chemin glorieux – « nous, les sauveurs du monde » -, mais bien un chemin d’humilité, de repentance, et d’écoute, de docilité enfin acquise à l’Esprit Saint qui parle dans l’Église. La famille Saint-Jean est en train d’opérer un très grand revirement qui est plein d’avenir. Les frères vont tracer des routes que d’autres doivent aussi suivre, en particulier dans l’Église de France. La lettre que Mgr Carballo leur a adressée trace des jalons pour tout le monde : un fondateur historique n’est pas nécessairement un fondateur charismatique. »

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