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Sous François, la critique de la modernité mise à l'index ?

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Paul Vaute, historien et journaliste honoraire, a rassemblé pour Belgicatho les réflexions que lui inspire la campagne incessante du pape François contre l'indietrismo. Ce terme sert à désigner la réaction contre la modernité et la défense de la tradition. Mais ne s'agit-il pas surtout d'un procédé visant à mettre au rancart, sans le dire, l'herméneutique de la continuité sur laquelle se fondaient Jean-Paul II et Benoît XVI ?

 

   "Il faut absolument être moderne": ce cri de Rimbaud hante le monde occidental, plus encore aujourd'hui qu'au temps du poète carolopolitain. Il n'est guère de grands médias qui ne s'y soient alignés. Proposer un regard critique sur ce qui paraît "en phase", "à la page", "branché", "in" y est pratiquement un acte de rébellion. Je l'ai vécu personnellement et douloureusement pendant ma carrière de journaliste professionnel. "Nous ne sommes plus le journal des vieux c… catholiques", me fut-il un jour rétorqué…

   Est-ce à présent au sein de l'Eglise et au plus haut niveau que ce philonéisme va devenir une posture obligatoire ? La question se pose en tout cas devant l'offensive en règle du Pape actuel contre ce qu'il appelle depuis quelque temps l'indietrismo, néologisme italien qu'on peut traduire – pardon, l'Académie – par "le rétrogradisme" ou "l'arriérisme". La cible, dans le discours papal, a été désignée bien avant le mot à présent servi à toutes les sauces. En 2013, par exemple, étaient pointés les "petits groupes" qui cherchent "à "récupérer" le passé perdu"[i]. Mais depuis quelque deux ans, on a affaire à un véritable leitmotiv et une insistance qui vont bien au-delà de la mise en garde contre une nostalgie déraisonnable.

   Et cela tire à boulets rouges contre tout "pas en arrière qui nous fait secte, qui vous ferme, qui vous enlève vos horizons"[ii]. Contre "la culture du "recul""[iii]. Contre le traditionalisme qui est la "mémoire morte" de ceux qui nous ont précédés, la tradition agréée étant leur vie "et cela continue"[iv]. Contre "une tentation dans la vie de l'Eglise qui te porte au restaurationisme mondain, attifé de liturgie et de théologie, mais c'est mondain"[v]. Bref, contre "le danger aujourd'hui" qui est "l'indietrismo, la réaction contre la modernité"[vi], "une attitude profondément réactionnaire" qui se répand notamment aux Etats-Unis[vii].

Certes, François sait souffler le chaud et le froid. Ses contradictions fourniraient à elles seules matière à une thèse de doctorat. On peut toujours trouver dans son corpus de quoi demeurer optimiste à l'endroit de l'actuel Souverain Pontife. Car c'est bien sous la même signature qu'a été publié, par exemple, le chapitre 6 de l'exhortation apostolique Christus vivit, intitulé "Des jeunes avec des racines", où sont dénoncées les idéologies "qui méprisent l'histoire, qui rejettent la richesse spirituelle et humaine qui a été transmise au cours des générations" afin de pouvoir régner sans partage, et tout autant "l'expérience de la discontinuité, du déracinement et de l'effondrement des certitudes de base, promue par la culture médiatique actuelle"[1]. Et qui ne souscrirait à l'avertissement, lors de l'ouverture du récent et problématique synode, contre trois tentations: "Etre une Église rigide, qui s'arme contre le monde et regarde en arrière; être une Eglise tiède, qui se soumet aux modes du monde; être une Eglise fatiguée, repliée sur elle-même" [2]

Une "révolution culturelle" théologique

   Force est cependant de constater que le discours "arriérophobe" – tant qu'on est dans les néologismes… – n'est pas équilibré par des reproches identiques contre ceux qui, loin d'aller aux racines pour s'élever vers le haut, loin d'aller de l'avant selon la ligne que la tradition nous donne – pour reprendre les images que François affectionne[3] –, s'amputent délibérément desdites racines et s'inscrivent en rupture avec les enseignements multiséculaires, jamais reniés, du magistère.

   La longue maturation de certains dogmes dans l'histoire de l'Eglise autorise-t-elle à opposer le dépôt de la foi, immuable par définition, et les développements cumulatifs de la théologie au fil des siècles [4] ? Pareille proposition revient à séparer artificiellement ce qui ne peut être qu'intimement lié. La balance, immanquablement, va pencher du côté de la dépendance aux contextes de temps et de lieu dans lesquels on se trouve. Les opérations qui nous tournent vers le passé ou vers l'avenir sont en fait jumelles. L'une et l'autre sont nécessaires pour nous libérer de l'ici et maintenant. Elles sont dès lors grippées quand l'une d'elles, et celle-là uniquement, est caricaturée comme une volonté de ne rien changer "dans la logique du "on a toujours fait ainsi" [5].

   A plusieurs reprises[6], le Pape a fait référence à un verset de l'Epître aux Hébreux où on peut lire: "Mais nous ne sommes pas de ceux qui reculent" (10:39). Un passage quelque peu sollicité puisqu'il n'est en rien rattachable à la "courageuse révolution culturelle" et à la "théologie fondamentalement contextuelle" que le Saint-Père appelle de ses vœux[7]. Dans le propos de saint Paul, il est en réalité question de la persévérance dans la foi et l'apostolat[8].

   Quand, en outre, François tonne contre "un incroyable restaurationnisme" devant les jésuites en Hongrie[9], peut-il ignorer que le mot de "restauration" fut prononcé dès 1985, non en tant que mal mais en tant que nécessité, par le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI ? Le tsunami de commentaires qui en résulta à travers le monde a bien dû arriver aux oreilles du recteur du Colegio San José à San Miguel. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi ne proposait certes pas un impossible retour à une époque antérieure. "Mais si, précisait-il, par "restauration", on entend la recherche d'un nouvel équilibre (die Suche nach einen neuen Gleichgewicht) après les exagérations d'une ouverture sans discernement au monde, après les interprétations trop positives d'un monde agnostique et athée, eh bien, alors, une "restauration" entendue en ce sens-là, c'est-à-dire un équilibre renouvelé des orientations et des valeurs à l'intérieur de la catholicité tout entière, serait tout à fait souhaitable et est du reste déjà amorcée dans l'Eglise"[10].

   Il ne faut certes pas forcer le trait. Le contenu des encycliques, que leur nature impose d'être davantage "pensé", paraît démentir l'idée que leur auteur serait atteint de cette maladie que le philosophe français Rémi Brague a appelée "la modernite" [11]. L'évêque de Rome n'a jamais invalidé comme telle "la Tradition Apostolique, conservée dans l'Église avec l'aide de l'Esprit Saint", par laquelle "nous avons un contact vivant avec la mémoire fondatrice"[12]. Des décisions telles que celle de consacrer la Russie et l'Ukraine au Cœur Immaculé de Marie n'ont pas dû combler d'aise les théologiens de la libération!

   Mais en n'ayant de cesse, fût-ce par petites touches, de présenter ladite tradition comme une plasticine modelable à l'infini, Bergoglio s'éloigne toujours un peu plus de ses prédécesseurs. Il a été assez dit que l'interprétation de Vatican II, chez Jean-Paul II et Benoît XVI, reposait tout entière sur une herméneutique de la continuité. Les textes du Concile devaient être lus "à  l'intérieur  de  la  Tradition  de  l'Eglise"[13]. Le synode extraordinaire de 1985 fut à l'unisson, répétant que les Pères conciliaires n'avaient jamais eu la prétention d'engendrer une néo-Eglise qui romprait avec son héritage, qui annulerait Vatican I, Trente, Latran, Nicée... Sur les questions majeures, le magisterium Ecclesiae n'est pas censé varier au-delà des actualisations ou des aggiornamentos dont la fonction est de préciser les modalités par lesquelles une doctrine permanente prend corps dans une situation historique déterminée.

   Cette approche unificatrice des deux mille ans de christianisme n'est manifestement pas celle de François. Il est au contraire patent que pour lui, il n'y a pas grand-chose avant Vatican II, et que tout est au-delà. Il ne s'agit plus de lire les schémas et les décrets adoptés par l'assemblée des évêques au milieu des années '60 à la lumière du passé, mais bien à celle de l'avenir. Comprenant le Concile comme une rupture, il rejoint paradoxalement les courants les plus intégristes qu'il abhorre par ailleurs.

Couper les branches vivantes

   On a vu qu'en dépit de nombreuses concessions à l'air du temps, auquel on peut ajouter un goût immodéré pour la casuistique, le discours papal tient globalement la route sur les fondamentaux, les grandes permanences et les points non négociables de la foi catholique. Ce constat, malheureusement, ne peut guère être maintenu dès lors qu'il s'agit de passer de la théorie à la pratique, du credo réitéré à la gouvernance de l'actuel pontificat.

   N'étant ni prêtre ni religieux, j'entends bien ne pas déroger ici à la distinction, constamment rappelée mais tout aussi constamment transgressée par les uns ou les autres, entre le sacerdoce ministériel, transmis par le sacrement de l'ordre aux clercs, et la vocation séculière des laïcs. Je ne m'étendrai donc pas sur des questions intra-ecclésiales qui ne sont pas de ma compétence. Je n'ai jamais signé et je ne signerai jamais de pétition pour le diaconat féminin ou l'ordination d'hommes mariés, et pas davantage contre. Ces matières relèvent de l'autorité des successeurs de Pierre et des apôtres, étant bien entendu qu'ils porteront la responsabilité de décisions éventuellement néfastes. En revanche, il est des orientations qui me concernent parce que leur incidence peut atteindre, en bien ou en mal, la société civile tout entière. Une attitude pastorale d'accueil à l'égard des personnes homosexuelles est parfaitement louable, si on leur dit la vérité. Mais la bénédiction de couples d'hommes ou de femmes, actuellement tolérée de facto, constitue le plus mauvais des signaux dans les pays qui ont légalisé leur prétendu "mariage": c'est induire l'idée qu'il n'y a plus aucune définition impérative de ce qu'est l'union conjugale, c'est subordonner la morale aux mœurs et aux idéologies dominantes du monde occidental, et c'est aussi décourager les gays, peut-être plus nombreux qu'on ne le pense, qui s'efforcent de vivre chastement leur état.

   Je citerai le reste en vrac, sans prétendre être exhaustif, juste pour observer que tout va dans le même sens (et en m'excusant auprès des lecteurs qui ne savent déjà que trop tout cela): la constitution d'une curie romaine à l'image de son chef par la nomination de monsignori cultivant, dans le meilleur des cas, les ambiguïtés calculées; la non-élévation au cardinalat de Mgr Léonard, de loin le plus remarquable et le plus courageux de nos évêques des dernières décennies, auteur d'une œuvre théologique, philosophique et éthique de tout premier plan; la réception au Vatican de l'ex-évêque d'Evreux Jacques Gaillot, qui n'a pu être considérée que comme une réhabilitation, en dépit de positions bien avérées pour la mixité du clergé, pour le mariage des homosexuels, pour l'euthanasie… (en fait, pour tout!); la lettre chaleureuse adressée au théologien marxiste Leonardo Boff, véritable reconnaissance pour celui qui déplora la chute du communisme en Europe de l'Est et en URSS; la suppression d'un trait de plume des facilités octroyées par Jean-Paul II et Benoît XVI à la belle liturgie préconciliaire, parce que ceux qui en bénéficient le font "de manière idéologique, pour revenir en arrière"[14] (qui, quand, où… ?), et ce à l'encontre du pluralisme légitime dont bénéficient les rites orientaux ou le rite zaïrois; dernièrement, le relèvement de sa charge de l'évêque américain du diocèse de Tyler, qui compte 21 séminaristes (pour 120.000 catholiques), alors que les prélats infiniment plus nombreux dont les arbres ne portent plus aucun fruit dorment sur leurs deux oreilles… Et j'en passe…

   Sur la crise où s'enfonce la catholicité depuis les années '60 et les voies possibles pour en sortir, le cardinal Ratzinger aimait à citer l'exemple de saint Charles Borromée, archevêque de Milan (1564-1584) où il mit en œuvre les décisions du concile de Trente. Sous sa houlette fut littéralement reconstruite une Eglise alors presque en ruine. Il enseigna "à vivre d'une façon nouvelle les valeurs permanentes, compte tenu de la totalité du fait chrétien et de la totalité de l'homme". Et il n'hésita pas pour cela à supprimer un ordre religieux en déclin et distribuer ses biens à de nouvelles communautés vivantes[15]. On mesure aisément l'écart qui sépare cette action réformatrice de celle qui prévaut chez l'occupant actuel du Siège de Pierre. Ce ne sont plus les branches mortes qu'il coupe, mais les vivantes [16] !

   Sans la moindre crainte de se contredire, le promoteur d'une "Eglise synodale" fait aisément fi de toute collégialité quand il s'agit de mettre au pas ou de marginaliser ses opposants. Il redécouvre alors les avantages d'un fonctionnement pyramidal et monarchique de l'institution. Quant au pourfendeur des passéistes, il en est lui-même un autre, à sa manière, simplement avec un positionnement différent sur la ligne du temps. Il rétropédale à bien des égards, mais en s'arrêtant à quelque cinquante ans en arrière, nous ramenant à l'Eglise de Paul VI et d'Agostino Casaroli au Vatican, de Pedro Arrupe à la tête des jésuites et du "cardinal contestataire" Suenens à Malines, du Catéchisme hollandais et du refus d'Humanae vitae

   Plus flagrante encore est la contradiction entre les objurgations adressées aux Occidentaux et les propos beaucoup moins critiques, voire les encouragements, destinés aux peuples d'autres cultures et civilisations. Le récent discours de Marseille [17] est topique à cet égard. Passons sur l'appel à "un sursaut de conscience" face au phénomène migratoire et aux drames réels qu'il suscite en Méditerranée, mettant notre continent moralement en demeure d'"assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d'entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable". L'exhortation serait plus audible si elle n'était pas muette sur les responsabilités des dirigeants des pays d'origine, qui ne sont quand même pas pour rien dans la décision de tant de leurs ressortissants de s'en aller à tout prix. Elle serait aussi plus crédible si elle ne faisait pas mine d'ignorer qu'au total, les pays de l'Union européenne ont accordé une protection (statut de réfugié, statut humanitaire, protection subsidiaire) à quelque 384.200 personnes en 2022, que 2,93 millions de premiers titres de séjour y ont été délivrés en 2021, et que les personnes nées en dehors de l'UE y représentent près de 9 % de la population totale [18]. On peut toujours rêver mieux, soit. Mais une véritable pierre d'achoppement apparaît dans la distinction que le Pape opère entre l'intégration des migrants, "difficile, mais clairvoyante", qui "prépare l'avenir", et leur assimilation, "qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes". De cette proposition, dont on ne voit guère de quel modèle elle pourrait se réclamer si ce n'est celui d'un communautarisme à la libanaise, il ressort surtout que l'indietrismo n'est plus crossé mais bien béni quand il est le fait d'arrivants venus du Sud avec la volonté de ne tourner en aucun cas le dos à leur passé et de se préserver ainsi de la modernité des sociétés du Nord.

   Telles sont pour l'essentiel les composantes de la révolution bergoglienne qui, dans l'immédiat, risque de s'emballer plutôt que l'inverse, la mort de Benoît XVI ayant donné les coudées encore plus franches à un Pontife qui sait, en outre, n'avoir plus beaucoup de temps devant lui.

Le "progrès", cette vieille marotte

   Pour répondre aux dérives vaticanes, ou à tout le moins s'en prémunir intellectuellement, il faut remontrer à la source de l'idéologie du "progrès". Car c'est bien elle qui opère ici, d'autant plus redoutable qu'aux yeux du tout-venant, elle paraît aller de soi.

   La Renaissance et plus encore les XVIIIe et XIXe siècles ont vu triompher parmi les classes instruites la conception de l'avenir en tant que but et accomplissement, de l'histoire comme chemin de la perfection. On pouvait et devait s'en remettre au développement technique et industriel, croissant selon un temps orienté et continu. Avec le "Du passé faisons table rase" proclamé par l'Internationale, hymne d'innombrables organisations socialistes et communistes, le dogme nouveau est passé aux masses laborieuses déchristianisées. La Première Guerre mondiale et la découverte par les civilisations qu'elles sont mortelles (Valéry) ont quelque peu altéré le processus, mais sans enrayer la marche. Le progressisme ne devait pas être que matériel: il fallait en étendre les bénéfices jusqu'à la vie quotidienne, la morale et la religion. Les valeurs traditionnelles devaient être d'autant plus déconstruites qu'elles étaient un frein à l'avènement de l'âge de la consommation dont le capitalisme contemporain avait besoin. Les bohèmes, les zazous, les hippies… ont été ses alliés objectifs et certains ont d'ailleurs rejoint par la suite les yuppies les plus efficaces. Un même fil rouge relie le zapping amoureux, la société du gaspillage et les modes éphémères de l'art moderne. Quand on a une vie intérieure intense, on n'a pas besoin de changer de Smartphone tous les six mois. Le "Jouissez sans entrave" de mai 68 était l'ami caché du "Consommez sans entrave" qui retentissait au temps des Trente Glorieuses [19].

   S'il faut juger une époque par ses vedettes, les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale n'en manquent pas d'édifiantes. Donald Spoto, un des biographes de James Dean, fait de celui-ci un "homme naturel", "sans passé, sans identité, sans diplôme ni foyer" [20]. Par sa façon choquante et déviante de chanter et de se comporter sur scène, Elvis Presley est devenu "l'indice du passage d'un ordre ancien à un ordre nouveau, d'une révolution en cours"[21]. "Avant Elvis, il n'y avait rien!", dira John Lennon [22]. On a pu en cela comparer le rocker à Van Gogh et à la manière dont la peinture de ce dernier s'inscrivait dans le basculement de la tradition aux temps nouveaux.

   La saga de la princesse Diana se prête à la même grille de lecture. Dans une étude sur la starification de la princesse de Galles, Hélène Duccini observe que biographes et presse people l'ont représentée avec une belle unanimité comme "un type de femme affranchie d'une morale traditionnelle oppressive"[23], en rupture avec les usages monarchiques, en phase avec la société individualiste et libertaire. Comme Presley et comme Van Gogh, elle s'est attiré les foudres de l'establishment tout en devenant l'icône des "esprits modernes" [24].

   Dans les champs de la politique, de l'économie ou des questions sociétales comme dans celui de la culture, les personnages les plus volontiers mis en valeur sont ceux qui peuvent être présentés assez systématiquement comme des précurseurs, des innovateurs, des révolutionnaires, des facteurs de changement, rompant avec un ordre ancien et ses codes dominants pour promouvoir l'idée qu'"un autre monde est possible". La présentation de l'histoire comme lutte récurrente et victorieuse du renouveau contre l'existant a ainsi colonisé depuis belle lurette nos manuels scolaires [25]. Il ne s'agit pas ici simplement d'inciter à œuvrer pour un mieux ou un moins mauvais, ce qui est un devoir pour chacun de nous en tout temps, mais d'opérer un changement de paradigme tel que nous cessons d'être des héritiers pour naître en utopie.

   François n'est-il pas devenu aujourd'hui le pendant religieux des rêveurs et des songe-creux que les déconvenues du XXe siècle n'ont pas dissuadé de croire en la Cité idéale ? Il peut certes épingler çà et là nombre d'erreurs chez ces derniers, mais il ne les atteint pas dans leurs fondements. Ses dits et contredits à cet égard ne sont pas sans évoquer ceux d'un Beethoven qui, tout en tenant Napoléon pour un usurpateur, un traître à la Révolution et un oppresseur des peuples, dédicaça sa Symphonie héroïque au général Bonaparte et sous-titra L'Empereur son cinquième concerto pour piano et orchestre. Nombre de contemporains mirent ces gestes sur le compte d'un opportunisme ou d'une forme de paradoxe ironique. Mais il en existe une autre explication, plus philosophique. A l'instar de Hegel, le compositeur aurait vu dans le vainqueur d'Iéna, tout en le détestant, le Weltgeist, l'esprit du monde chevauchant à travers l'histoire. Et de cet esprit, l'élu dans l'ordre musical ne pouvait être aux yeux de Ludwig van Beethoven que… Ludwig van Beethoven lui-même. Ainsi pouvait-il y avoir une équivalence entre l'un et l'autre de ces hommes transformateurs du monde, l'un par l'art de la guerre et de la domination politique, l'autre par celui de la musique.

   François ambitionne-t-il d'incarner au plan spirituel le Weltgeist d'une ère où la démocratie, sortie de son lit initial – un mode de désignation des dirigeants de la commune, de la province, de l'Etat… –, s'est emparée de toutes les dimensions de la vie, de l'école à la famille, de l'entreprise à la science, de l'information aux arts, de l'éthique aux Eglises…?

"Regarde d'où tu viens"

   Nul besoin de se livrer à une exégèse approfondie pour mesurer tout l'écart qui sépare des Ecritures ce modèle de la vox populi toute puissante, du changement comme valeur en soi et des rétroviseurs interdits parce que le monde contemporain serait nécessairement ascendant, en marche vers les lendemains qui chantent. "Interroge donc les anciens âges, qui t'ont précédé depuis le jour où Dieu créa l'homme sur la terre", prescrit le Deutéronome (4:32). Oui, le passé peut nous fournir des exemples inspirants. Moïse, vers la fin de sa vie, invite les enfants d'Israël à la sagesse qui s'acquiert en méditant les expériences et les enseignements du passé. Les temps changent ? Certes, mais la nature humaine demeure finalement identique à ce qu'elle a été. C'est bien pourquoi le geste esthétique du potier du néolithique ancien qui, il y a des milliers d'années, lissait la surface de son vase en terre cuite pour y souligner les motifs gravés, nous émeut toujours. "Rappelle-toi les jours d'autrefois, considère les années, d'âge en âge. Interroge ton père, qu'il te l'apprenne; tes anciens, qu'ils te le disent" (Dt., 32:7).

   Même le bouleversement le plus radical dans l'histoire de l'humanité, qui est la Nouvelle Alliance formée par le Christ, n'implique nulle tabula rasa: "N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Car je vous le dis en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l'i ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé" (Matthieu, 5:17-18). Et nous avons vu plus haut comment, pour justifier ce qu'il faut bien appeler sa fuite en avant, le 265e successeur de saint Pierre doit se livrer à une interprétation plus que discutable des paroles de saint Paul sur la foi persévérante.

   Du point de vue spirituel, le récit biblique n'est certes ni statique, ni cyclique. L'humanité y suit une trajectoire, de sa Création à son accomplissement en passant par la chute et la Rédemption. Sous l'influence de la christianisation, l'histoire est devenue linéaire dans la conscience occidentale. Elle a cessé d'être "l'éternel recommencement" que professaient les Grecs antiques. C'est en se sécularisant que l'idée de progrès, comme beaucoup d'autres, est devenue folle. Les idéologies qui ont conduit l'humanité aux pires catastrophes s'en sont toutes réclamées, sans aucune exception. On ne rappelle pas assez que Hitler faisait de la victoire de la meilleure race "la condition préalable de tout progrès humain"[26].

   Comme il arrive souvent, la Révélation et la sagesse des nations se rejoignent. "Si tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi, et regarde d'où tu viens", dit un proverbe africain. Est-il responsable de refuser d'élargir nos horizons à l'antériorité quand tant de périls nous mettent sous les yeux la finitude de notre Terre ? Nul ne peut exclure que par l'effet des effondrements démographiques, d'une apocalypse nucléaire ou des destructions infligées à la nature, la fin de l'aventure humaine puisse un jour se profiler à l'horizon. Il est bien temps d'écouter ceux dont les "bons esprits" se gaussèrent tant parce qu'ils refusaient de suivre le mouvement des grands systèmes rationalistes, scientistes, libéraux ou collectivistes portés par la philosophie des temps modernes, et ce dès avant qu'ils soient discrédités par leurs concrétisations à visage inhumain.

   Les idéologies ne font assurément plus guère recette, mais elles n'ont pas non plus été relevées. Ne restent que les terreaux d'irrésolution péremptoire, d'antidogmatisme, d'indifférence ou d'incroyance sur lesquels elles avaient germé. Il n'y a plus à construire, mais on n'a jamais autant déconstruit. Comme si, du solve et coagula alchimique et maçonnique ("dissous et coagule"), ne devait demeurer que le solve. Toutes les enquêtes d'opinion l'attestent avec une concordance rare: le credo politique, social, philosophique, religieux, esthétique dominant du monde occidental, c'est de ne pas en avoir hormis la vulgate démocratique, les droits de l'homme – ou plutôt de tous les genres d'humains – et quelques autres vaches sacrées. Le déclin des certitudes, le culte de l'autonomie individuelle, la conformation du vrai, du bien et du beau aux moules successifs formé par l'opinion majoritaire et versatile … caractérisent "l'homme-masse" décrit par José Ortega y Gasset et Marcel De Corte dès le milieu du XXè siècle, époque où on vit même un Bertrand Russell, qui faisait profession d'agnosticisme, voire d'athéisme, s'inquiéter devant la montée du relativisme et la propension à déprécier l'idée de vérité [27].

   Ce façonnement des mentalités et des attitudes explique la guerre incessante faite aux "préjugés", de Voltaire à nos jours. Ceux-ci peuvent pourtant se réclamer, dans la longue durée, d'une accumulation d'expériences au moins comparable à celle du savoir scientifique. Ce n'est souvent qu'après bien des tâtonnements et des emprunts de voies sans issue qu'une façon de vivre ou de penser a fini par l'emporter, non par convention arbitraire mais comme étant la plus adéquate et le demeurant aussi longtemps que l'environnement ne changeait pas. En ce sens, Hippolyte Taine pouvait affirmer, non sans prémonition, que "si dans une société les principaux préjugés disparaissaient tout d'un coup, l'homme, privé du legs précieux que lui a transmis la sagesse des siècles, retomberait subitement à l'état sauvage et redeviendrait ce qu'il fut d'abord, je veux dire un loup inquiet, affamé, vagabond et poursuivi". A lire, sous la plume de l'historien bientôt bicentenaire, cet inventaire des "pratiques, jadis inconnues et lentement établies" qui "composent la civilisation des âmes", on ne mesurera que trop à quel point l'hypothèse d'une régression possible n'était pas gratuite: "Ne pas manger de chair humaine, ne pas tuer les vieillards inutiles ou incommodes, ne pas exposer, vendre ou tuer les enfants dont on n'a que faire, être le seul mari d'une seule femme, avoir horreur de l'inceste et des mœurs contre nature, être le propriétaire unique et reconnu d'un champ distinct, écouter les voix supérieures de la pudeur, de l'humanité, de l'honneur, de la conscience" [28]...

Et l'espoir changea de camp

   Il ne manque heureusement pas d'indices d'un possible retournement, même s'il faudra du temps au gros des politiciens, des médias et des ecclésiastiques pour en prendre la pleine mesure. Le schéma narratif toujours dominant pour l'heure est celui qui fait voir dans les réformistes et les révolutionnaires les vrais moteurs d'une évolution souhaitable à laquelle leurs adversaires, réactionnaires et contre-révolutionnaires, tentèrent en vain de faire barrage avant de tomber dans les oubliettes. Mais combien de fois nos novateurs ne se sont-ils pas révélés maîtres dans l'art de récupérer les thèmes de leurs adversaires ? La limitation des pouvoirs de l'Etat, l'autonomie des régions et des localités, la reconnaissance du rôle des associations et des corps intermédiaires, l'écologie culturelle, la distinction des ordres temporel et spirituel… appartiennent à l'héritage de ceux qui, au XIXe siècle et en phase avec le magistère, entendaient pourfendre 1789.

   Nos contemporains les plus sensibles, parfois jusqu'à l'excès, au péril écologique sont bien souvent des urbains, des déracinés en perte de mémoire qui veulent retrouver des racines. Dites-leur que "la terre, elle, ne ment pas" et ils vous approuveront chaleureusement, ne sachant pas pour la plupart que cette phrase écrite par Emmanuel Berl fut prononcée par… Philippe Pétain! Il n'y a par contre guère de doutes sur le plein ancrage de nos actuels partis verts dans le progressisme ambiant et sur leur conception à géométrie variable du respect de la vie.

   Mais n'est-ce pas en humant l'air du temps qu'un Cédric Klapisch, avec le film Ce qui nous lie (2017), illustre à travers une fratrie de vignerons bourguignons l'importance de la transmission et de la lignée, avec la volonté de diffuser ce message: ce qui nous lie nous libère ? A l'égard des positions que Rome anathémise aujourd'hui comme "réactionnaires", l'historien italien Franco Venturi, spécialiste des Lumières, faisait preuve de plus de compréhension: "Une idée, écrivait-il, qui apparaît comme regardant en arrière dans le temps, se remodelant sur le passé, semblant préférer ce qui a été, et écartant ce qui sera – une telle idée, dont la fonction est vouée à être négative, constitue-t-elle réellement une utopie, un facteur retardateur dans le développement économique et social ? Ou ne représente-t-elle pas plutôt, au moins parfois, un acte consistant à reculer pour mieux sauter [en français dans le texte], autrement dit une tentative fructueuse de préserver les aspects les plus précieux du passé afin de les transmettre  au futur ?[29]. Si la politique nous apparaît bien souvent comme le règne de l'immanence, elle ne peut éviter de s'inscrire dans une historicité où le plus lointain passé, l'actualité et le futur incertain sont présents dans leur totalité à chaque moment. Charles de Gaulle l'exprima un jour à sa manière, à propos de l'Allemagne, en déclarant sans rire: "Il y a mille ans que je dis cela" [30].

   "Les hommes qui viennent vont rejeter ce que nous aimons, le morceau de bois, le brin d'herbe", affirma à un journaliste Georges Brassens, cité par René Fallet, à propos de sa chanson Le grand Pan, où l'éternelle querelle des anciens et des modernes est tranchée à l'avantage des premiers. Réécoutons ce couplet où, depuis que
"Se touchant le crâne en criant: j'ai trouvé
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement
Chasser les dieux du firmament
",
l'homme ne cesse de faire un carnage de lui-même et de la nature. A un âge où l'âme était accordée "au pire des minus" en a succédé un nouveau où "la tombe est hélas la dernière demeure". Face aux avocats des admirables sociétés futures où "le grand Pan est mort", le faux Christ du poète chanteur descend du calvaire en disant:
"Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types
J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste
",
ce qui n'est décidément pas de saison [31].

   Bien sûr, tout ce qui précède doit se comprendre sans confusion du fond et la forme. On peut s'inscrire en faux contre les avant-gardes ecclésiales sans être pour autant nostalgique du temps pas si lointain – c'était encore le cas sous Pie XII – où le Pape se déplaçait sur sa seda gestatotia, encadré d'éventails géants en plumes d'autruche, escorté par des cardinaux portant l'habit cérémoniel, la capa magna, avec sa traîne de six mètres de long. Il n'y a pas davantage lieu de déplorer que la cour pontificale préconciliaire a disparu avec ses familles nobles, son camérier secret de cape et d'épée porteur de la Rose d'or, ses maîtres portiers de la verge rouge, gardiens de la croix papale, en soutane et ceinture de soie violette, etc... Paul VI et ses successeurs ont "sobrifié" l'étiquette romaine. François a fait un pas de plus en élisant domicile à la résidence Sainte-Marthe, construite sous Jean-Paul II pour les visiteurs du Saint-Siège et le collège des cardinaux. Ces dépouillements successifs ont certainement fait perdre aux médias beaucoup en termes d'images pittoresques, mais si des catholiques de tradition s'en offusquent, c'est qu'ils confondent l'habit et le moine.

   Il convient de même de distinguer le champ largement ouvert des initiatives pastorales et l'immuabilité des enseignements fondamentaux. Mgr Léonard, qui a tenu bon pour défendre ceux-ci contre vents et marées, a été le premier ou un des premiers à organiser des retraites pour les divorcés remariés, qui étaient l'occasion de les sensibiliser au sens du jeûne eucharistique qui leur est imposé. A l'ombre de l'Eglise, la fermeté des principes s'est toujours conjuguée avec la compréhension pour des faiblesses individuelles. Parfois trop.

   Mais la fidélité au message bimillénaire ne peut aller sans la fidélité aux structures même, certes faites de mains d'hommes et donc imparfaites, qui ont permis sa transmission et ont, du même coup, contribué à l'épanouissement de notre civilisation. Opposer l'Evangile et l'Eglise-institution, battre constamment la coulpe de nos ancêtres sans tenir compte des contextes et des univers mentaux où ils ont œuvré témoignent d'un singulier aveuglement. Comme l'observait Julien Freund, "chaque fois que le christianisme a essayé de prendre un nouveau tournant, sous l'influence ou non d'ordres religieux nouveaux, il a la plupart du temps préconisé le retour aux formes primitives et évangéliques, mais chaque fois aussi, la transition une fois achevée, il est revenu à l'institution". Vivre dans la pleine conformité aux préceptes évangéliques est un idéal dont ne se sont rapprochés que quelques individus remarquables, béatifiés ou canonisés pour un certain nombre. A vue humaine, on ne peut attendre d'une société tout entière qu'elle s’élève à une telle hauteur. Aussi la religion, dans laquelle la foi se "matérialise", n'est-elle pas moins authentique pour autant. "En effet, poursuit le philosophe et sociologue, la foi est faible quand elle n'arrive pas à supporter la tension avec le monde ordinaire" [32]

Des racines et des ailes

   En un mot comme en cent, au foisonnement des dialectiques de l'"après" et de l'"avant" ou du "progrès" et de la "réaction", il faut opposer la complémentarité de la statique et de la dynamique. "Les enfants doivent obtenir deux choses de leurs parents: des racines et des ailes", disait Goethe [33]. Sans racines, on se perd. Sans ailes, on se sclérose. Et nous avons au moins un exemple de la réalisation, certes toujours imparfaite et non reproductible telle quelle, d'un tel équilibre.

   Rémi Brague n'est pas seul, même si le slogan est provocateur, à avoir préconisé un "retour au Moyen Age" – culturellement s'entend [34]. La possibilité même d'un tel transfert d'inspiration enjambant les époques est illustrée par les retours à l'Antiquité opérés lors de la renaissance carolingienne, puis de celle qui se diffusa aux XVe et XVIe siècles, la seconde toutefois minée déjà, comme rappelé plus haut, par les germes des idéologies du mouvement. On peut renouer le passé sans l'embaumer, lui demeurer fidèle sans s'y asservir. Encore faudra-t-il au préalable diffuser largement la réfutation du poncif d'un monde médiéval immobile et d'un mode de vie resté identique. Qu'il s'agisse de l'organisation du travail, de l'outillage, de la domestication des animaux, de l'habitat, des règles monastiques, de la trêve de Dieu, de la réglementation des métiers, des libertés communales, des courants artistiques romans ou gothiques…, le temps des cathédrales fut un temps de création, de hardiesse, de novations dans tous les champs d'activités [35], tout en préservant en lui les caractéristiques et les idéaux essentiels de la chrétienté.

   A côté de l'universalisme dans l'espace, observait Jean Guitton, il y a l'universalisme dans le temps. Alors que l'altérité géographique est amplement valorisée, pourquoi serait-il inconvenant de rechercher ce qui, venu du fond des âges, mérite la continuité ? Un regard bienveillant sur le passé ne conduit pas nécessairement à être passéiste. Il conduit à être moderne, mais intelligemment. A oser dire que la société et a fortiori le moi n'ont pas toujours raison contre l'autorité; que la vulgarité, même au nom de l'irrévérence, n'a aucun droit; que si une révolte s'impose, c'est celle de la modération contre l'utopie et la démesure.

   Je terminerai en rappelant, pour ceux à qui ces distinguos ne sont pas familiers, qu'un catholique cohérent n'a pas à discuter les propos du Pape quand celui-ci joue pleinement son rôle: la transmission du dépôt de la foi et des enseignements éthiques et sociaux qui en découlent, avec les actualisations que l'époque exige, sans en affecter le noyau dur. Il en va ainsi pour les rappels relatifs aux devoirs envers les plus déshérités, à l'accueil lucide de l'étranger, au respect de la nature, à la protection de la vie humaine de la conception à la mort… Hors de ce cadre, il n'y a place, dans le meilleur des cas, que pour des hypothèses, des considérations subjectives, des empiétements sur le champ temporel dont l'autonomie est pourtant un des plus grands cadeaux de la tradition chrétienne à la civilisation.

   Le Saint-Père n'est  pas et ne peut pas être un ayatollah. C'est pourquoi, s'agissant de l'enjeu traité ici, je dis non à François. Je zappe quand le successeur de Pierre s'efface derrière Jorge Mario Bergoglio, ce vieux péroniste qui n'a rien compris à la philosophie conservatrice. Foin de la neofilia et vive l'indietrismo!

PAUL VAUTE

[i] Discours au Conseil épiscopal latino-américain (Celam), Rio de Janeiro, 28 juillet 2013.

[ii] Discours au Congrès mondial sur l'éducation, 1 juin 2022.

[iii] Messe au Commonwealth Stadium à Edmonton (Canada), 26 juillet 2022.

[iv] Conférence de presse aérienne, 29 juillet 2022.

[v] Discours aux membres de l'Association italienne des enseignants et experts de liturgie, 1 sept. 2022.

[vi] Rencontre avec des jésuites à Budapest, 29 avril 2023.

[vii] Rencontre avec des jésuites à Lisbonne, 5 août 2023.

[1] Exhortation apostolique post-synodale Christus vivit, 2019, n. 181, 216.

[2] Ouverture de l'assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, homélie, 4 oct. 2023, n. 3.

[3] Il cite notamment Gustav Mahler: "La tradition est la garantie de l’avenir", pour suggérer qu'il faut "puiser aux racines pour aller de l’avant" (Discours au Congrès mondial sur l'éducation, 1er juin 2022).

[4] Motu proprio Ad theologiam promovendam, 1 nov. 2023.

[5] Messe au Commonwealth Stadium à Edmonton, op. cit.

[6] Rencontre avec des jésuites à Budapest, op. cit.; Messe au Commonwealth Stadium à Edmonton, op. cit.; "Des âmes rétrécies", méditation matinale en la chapelle de la maison Sainte-Marthe, 27 janv. 2017…

[7] Motu proprio Ad theologiam…,  op. cit., 4.

[8] La traduction que donne l'Ecole biblique de Jérusalem du passage cité est: "Pour nous, nous ne sommes pas des hommes de dérobade" (éd. 1955).

[9] Op. cit.

[10] Entretien sur la foi, avec Vittorio Messori, trad. de l'italien, Paris, Fayard, 1985, p. 40.

[11] Rémi BRAGUE, Modérément moderne. Les temps modernes ou l'invention d'une supercherie (1999-2013), rééd., Paris, Flammarion (coll. "Champs essais"), 2016.

[12] Lettre encyclique Lumen fidei, 2013, 40.

[13] Notamment Jean-Paul II dans la lettre  apostolique Novo  millennio  ineunte, 6 janv. 2001, n. 57.

[14] Rencontre avec des jésuites à Budapest, op. cit.

[15] Entretien sur la foi, op. cit., pp. 41-42, n. *.

[16] Voir entre autres "Au son de la miséricorde: le pontificat des purges: dix ans de défenestrations", http://www.belgicatho.be/archive/2023/11/20/au-son-de-la-misericorde-le-pontificat-des-purges-dix-ans-de-6471921.html.

[17] Discours à la session conclusive des Rencontres méditerranéennes, 23 sept. 2023.

[18] Commission européenne, Statistiques sur la migration vers l'Europe, https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr#:~:text=962%20200%20demandes%2C%20dont%20881,%2C%20avant%20la%20COVID%2D19.

[19] Luc Ferry a largement fait le tour du sujet dans La révolution de l'amour. Pour une spiritualité laïque, Paris, Plon, 2010.

[20] Cité in Gabriel SEGRÉ, Fans de… Sociologie des nouveaux cultes contemporains,  Paris, Armand Colin, 2014, p. 139.

[21] Ibid., p. 103.

[22] Cité in ibid., p. 118.

[23] Cité in ibid., p. 138.

[24] Ibid., pp. 103-104.

[25] Cfr pour l'enseignement secondaire flamand depuis les années 1990 Bert VANHULLE, ""Waar gaat de geschiedenis naartoe ?" Mogelijkheden tot een narratieve analyse van naoorlogse Vlaamse geschiedleerboeken", dans Bijdragen tot de Eigentijdse Geschiedenis, n° 16, Brussel, nov. 2005, pp. 133-175 (154).

[26] Cité in Rémi BRAGUE, op. cit., II, 7, "Réaction sur le progrès". L'ensemble du chapitre éclaire mon propos.

[27] Bertrand RUSSELL, Histoire de la philosophie occidentale, 1945, liv. 3.

[28] Hippolyte TAINE, Les origines de la France contemporaine, I: L'Ancien Régime, 1876, liv. 3e, ch. 3.

[29] Cité in Abbott GLEASON, "Solzhenitsyn and the Slavophiles", dans The Yale Review. A National Quarterly, vol. LXV, n° 1, New Haven (Connecticut, US), oct. 1975, pp. 61-70 (70).

[30] Cité in Jacques CHABAN-DELMAS, Charles de Gaulle (1980), rééd., Paris, Paris Match édition°1 – Cogedipresse, 1990,  p. 19.

[31] Georges BRASSENS, Le grand Pan, 1964. La citation de René Fallet dans la notice de l'album 8. Les copains d'abord, Philips.

[32] Cité in Jean-François CHEMAIN, Ces idées chrétiennes qui ont bouleversé le monde, Perpignan, Artège, 2023, Conclusion.

[33] Cité par Benoît XVI en inaugurant la Domus Australia, le centre australien d'accueil des pèlerins à Rome, 20 oct. 2011.

[34] Rémi BRAGUE, Le propre de l'homme. Sur une légitimité menacée, Paris, Flammarion, 2013, pp. 186-189.

[35] Toutes les pages de Régine PERNOUD, Jean GIMPEL et Raymond DELATOUCHE, Le Moyen Age pour quoi faire ?, Paris, Stock, 1986, seraient à citer ici. Elles ont été confirmées plus récemment, dans le cadre français, par Jean-Marc MORICEAU, Terres mouvantes. Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation (1150-1850), Paris, Fayard (coll. "Nouvelles études historiques"), 2002.

Commentaires

  • Fantastique! Un condensé magistral et une analyse tout en profondeur de la situation de l'Eglise et des errements de celui qui la gouverne.

  • Félicitations, cher Monsieur Vaute.
    L'effet d'une belle plume, d'une belle culture et d'une belle intelligence.
    Comme vous avez raison de dénoncer les caricatures de l'ancien et du moderne, d'insister sur l'équilibre necessaire entre stabilité et mobilité dans l'Eglise et dans la société . Sans ignorer que la recherche de l'equilibre est dynamique, quand le fléau de la balance penche tantôt trop à gauche, les ailes, tantôt trop à droite, les racines.
    Les aléas de l'exégèse biblique et de la théologie sont une bonne illustration de la question, tantôt avec la condamnattion du P. Lagrange ou des P. Congar et de Lubac, tantôt apres leur réhabilitation, tantôt avant les renouveaux liturgique, biblique, patristique, tantôt après, tantôt dedans.
    L'historien que vous êtes néo-scholastique suarézien, et d'un essentialisme, tantôt dans le renouveau de la phenoménologie existentialiste selon J.L. Chrétien, J.L. Marion etc...
    L'historien que vous êtes n'en ignore rien.

  • D'une part, pourquoi continuer à employer cette expression : "l'herméneutique de la continuité", alors que cette expression est erronée, et alors que la véritable expression est : "l'herméneutique du renouveau dans la continuité" ?

    Une herméneutique du renouveau dans la continuité n'est pas du tout la même chose qu'une herméneutique de la continuité, et celle-ci est contradictoire ou irréaliste, compte tenu de l'ampleur de la rupture philosophique et théologique, apparue dans l'entre deux guerres, qui a inspiré le Concile Vatican II !

    D'autre part, le moins que l'on puisse dire est que Jean-Paul II et Benoît XVI étaient plutôt philo-modernes ad extra en matière religieuse, d'où le dialogue interconfessionnel oecuméniste et le dialogue interreligieux inclusiviste, et plutôt anti-modernes ad intra en matière morale, d'où Veritatis splendor et Evangelium vitae.

    C'est cette ambivalence, pour ne pas dire cette incohérence, qui vole en éclats sous Francois, non seulement à cause de François lui-même, mais aussi à cause des contradictions internes, caractéristiques de la même ambivalence, qui ont commencé à se manifester dès le pontificat de Paul VI, d'où une chose aussi amusante, en un sens, que la proximité dans le temps entre la publication d'Humanae vitae en 1968 et la participation de représentants de l'Eglise catholique à la réunion interreligieuse de Kyoto, en 1970...

  • Jean-Paul II et Benoît XVI étaient POUR l'anthropologie chrétienne personnaliste, l'ecclésiologie catholique oecuméniste, la pneumatologie chrétienne inclusiviste et la politologie catholique intégraliste qui ont commencé ou continué à s'affirmer dans les années 1930 et que nous devons notamment, respectivement, à Mounier, à Congar, à de Lubac et à Maritain.

    En quoi donc cette position de principe wojtylienne et ratzingérienne, en faveur de ces quatre courants, qui ont inspiré l'avant-Concile de bien des théologiens anti-pacelliens, sous Pie XII, et le Concile puis l'après-Concile, au moins jusqu'à la démission de Benoît XVI début 2013, a-elle fait de Jean-Paul II et de Benoît XVI des papes anti-modernes d'une manière cohérente et conséquente, c'est-à-dire non seulement en matière morale, mais aussi en matière religieuse ?

    Eh bien, voyez-vous, en presque rien !

    En tout cas, face à UN SEUL document courageux, Dominus Iesus (2000), on trouve des centaines de textes de Jean-Paul II et de Benoît XVI qui sont d'inspiration interconfessionnellement ou interreligieusement correcte typiquement philo-moderne !

    Quand certains vont-ils enfin commencer à ouvrir les yeux sur le caractère équivoque du courant conciliaire conservateur, et sur le fait que ce caractère équivoque est aujourd'hui "dépassé" par la dynamique inclusiviste, périphériste et synodaliste souvent permise, sinon toujours voulue, par le pape François, depuis mars 2013 ?

  • Pour ajouter un élément, ou plutôt pour compléter ce qui a été brillamment exposé, on peut remarquer l'évolution du rapport entre le progressisme moral et le bien-être matériel.
    Pendant quelques dizaines d'années, effacement des valeurs traditionnelles et consommation sans entraves sont certes allés de pair (avec une causalité s'effectuant d'ailleurs dans les deux sens). Mais depuis un certain temps, il est devenu clair que, alors que le libertarisme ne cesse d'être davantage sacralisé, nous ne sommes plus poussés vers une amélioration de notre vie quotidienne.
    Ruine des Etats, insécurité galopante, ravage des services de santé, annonce de nourriture à base d'insectes, pénurie énergétique, déficit des systèmes de pension, expansion d'une solitude déprimante, tel est l'horizon actuel. En prime, des pouvoirs tentaculaires s'attaquent à nos libertés et la généralisation des affrontements militaires semble inarrêtable.
    Difficile de ne pas voir que la fuite en avant moderniste a détruit la poule aux oeufs d'or : la cupidité des uns et la servilité insouciante des autres ont emporté tous les garde-fous.
    On se souvient de l'apostrophe churchillienne : "Vous avez préféré le déshonneur à la guerre ; vous aurez le déshonneur et la guerre." L'interpellation qu'encourt notre époque, c'est : "Vous avez préféré l'apostasie à la restriction de la jouissance ; vous aurez l'apostasie et la fin de la jouissance."

  • Merci aux différents intervenants. Même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, le parti de l'intelligence, autant qu'il est possible, se trouve bien ici ! Pour ne pas trop ajouter à mon texte déjà long, je signalerai seulement à M. Yzern que je n'ai jamais qualifié Jean-Paul II et Benoît XVI de "papes antimodernes". Ils ne l'étaient pas et ce n'est pas non plus cette attitude que je préconise dans mes domaines de compétence. Sous l'intertitre "Des racines et des ailes", je crois avoir indiqué que la critique de la modernité, telle que je la comprends, ne conduit pas à être passéiste. Il s'agit, comme d'autres parmi lesquels Rémi Brague l'ont suggéré avant moi et avec beaucoup plus de brio, d'"être moderne, mais intelligemment". Sans trop jouer sur les mots, si je reprends le concept d'"herméneutique de la continuité" à propos de l'avant-dernier et de l'antépénultième papes, c'est parce qu'ils sont arrivés après une époque totalement immergée, obnubilée par les "renouveaux" de tout genre (même le Renouveau charismatique s'est désigné comme tel, alors qu'il a été considéré très généralement comme "conservateur" - hélas on fait difficilement l'économie des étiquettes, si insatisfaisantes soient-elles). Mon exemple, mais non mon modèle - car il n'y a pas de cité chrétienne idéale -, c'est l'équilibre médiéval, toujours imparfait comme tout ce qui est humain, entre tradition et changement. La réforme grégorienne eut-elle été possible dans une société totalement figée comme le furent l'Inde et la Chine traditionnelles ? Le pape Pie X, qui a condamné le modernisme, est aussi celui qui a introduit des réformes audacieuses comme la communion fréquente. Je ne fais que constater. Je ne crois pas être compétent pour approuver ou non.

  • Bonjour et merci,

    Ce qui suit est peut-être en partie erroné, mais est exprimé à toutes fins utiles.

    D'une part, le néo-catholicisme, notamment post-blondélien, est au catholicisme ce que le néo-protestantisme, notamment post-harnackien, est au protestantisme : un mouvement d'auto-contournement, d'auto-déconstruction, d'auto-dépassement ou d'auto-destitution qui peut finir par devenir quasiment suicidaire, au préjudice de la poursuite du respect effectif des dogmes catholiques et des vertus chrétiennes, au sein même de l'Eglise catholique.

    D'autre part, c'est précisément parce que la dynamique conciliaire et libérale, de Jean XXIII à Benoît XVI inclus, a été une dynamique de conciliation ou de réconciliation avec la modernité qu'elle a rendu possible la relative cécité de bien des clercs et des laïcs, qui n'ont pas bien vu, dès mars 2013, que la dynamique inclusive et synodale de François est "carrément", mais d'une manière pas très "carrée", une dynamique de conformation ou de subordination à la post-modernité,

    - non seulement ad extra, dans l'ordre du croire humain en Dieu, dans un domaine dans lequel Jean-Paul II a été le premier pape post-modernisateur du catholicisme (cf. le dialogue interreligieux),

    - mais aussi ad intra, dans l'ordre de l'agir chrétien dans l'Eglise, dans un domaine dans lequel François est vraiment le premier pape qui "flexibilise" autant la morale chrétienne et les sacrements de l'Eglise (cf. Amoris laetitia).

    A partir de là, reprenons un instant le nom d'une célèbre émission de radio, sur RTL : stop ou encore ? Stop ou encore, au contact d'une véritable escroquerie en bande organisée, qui se manifeste à ciel ouvert et en temps réel, sous nos yeux grands ouverts, encore plus depuis 2012-2013 que depuis 1962-1963, ce qui n'est pas peu dire,

    - non seulement à cause de ce qu'ont été les années 1960-1970, sur le plan liturgique comme sur le plan pastoral,

    - mais aussi du fait de ce qu'ont été les années 1979-2004, au minimum dans le domaine du dialogue interreligieux, dans lequel on est en droit de se demander si Jean-Paul II n'a pas voulu remplacer ou, en tout cas, transformer le christianisme catholique, au moyen d'un humanisme panchristique adogmatique et consensualiste.

    Oui, vraiment, plutôt stop, ou plutôt encore, au contact des conséquences d'un genre ou d'une sorte "d'apostasie" philosophique et théologique, anti-tridentine, pour ainsi dire, qui est apparue dans l'entre deux guerres, du fait d'auteurs proches de, ou tels que Balthasar, Beauduin, Chenu, Congar, de Lubac, Maréchal, Maritain, Mounier, Rahner et Teilhard ?

    Si les hommes d'Eglise veulent redevenir crédibles, ils n'ont qu'à commencer à mener un combat courageux, pacifique, et non pacifiste, contre la dictature du relativisme et du subjectivisme qui sévit avant tout en matière religieuse, et non avant tout en matière morale, mais cela les obligera à prendre de saines et de saintes distances à l'égard du dialogue interconfessionnel oecuméniste et du dialogue interreligieux inclusiviste, ou vis-à-vis de l'esprit du Concile et de l'esprit d'Assise, ce que Mgr Schneider a bien compris.

    Ainsi, par exemple, quand les évêques vont-ils arrêter de consensualiser, en direction des responsables religieux non chretiens, et quand vont-ils se remettre à évangéliser, en direction des personnes croyantes non chretiennes ?

    Telle est la question ou, en tout cas, l'une des questions à leur poser.

    Bon dimanche.

  • Remerciant dès à présent le modérateur du site d'avoir accepté ma réponse matinale à Paul Vaute, je complète ou précise mon propos par ce qui suit : encore plus depuis Francois que depuis Jean XXIII, bien des hommes d'Eglise VEULENT que le christianisme catholique contemporain soit de moins en moins dogmatiquement ou fondamentalement catholique ad intra et de plus en plus consensuellement ou atmosphériquement contemporain ad extra.

    Toute la question est de savoir pourquoi cette stratégie continue à être à l'ordre du jour, alors qu'il crève les yeux et les oreilles qu'elle est plus nuisible que propice à la fécondité et à la fidélité des catholiques, dans les domaines de la foi, de la liturgie, des moeurs et de la piété, d'une manière dite "conservatrice" ou "traditionnelle".

    Mais justement, ce ne serait pas, "par hasard", parce qu'elle est plus nuisible que propice à la fécondité et à la fidélité des catholiques, d'une manière un tant soit peu "conservatrice" ou "traditionnelle", que cette stratégie continue à être prisée par ces hommes d'Eglise qui, dans l'ensemble, n'apprécient guère les catholiques les plus ouvertement réfractaires à ce qui est anti-catholique et les plus intransigeants sur ce qui est vraiment catholique ?

    Chacun aura compris que c'est à cet endroit et à ce niveau que se situe l'escroquerie en bande organisée qui sévit encore plus depuis le début des années 2010 que depuis celui des années 1960 : globalement, au minimum dans le monde occidental, bien des clercs ne veulent plus d'un certain "STYLE" de catholicisme et de catholiques, parce qu'ils considèrent que ce "STYLE" est "archaïque, dépassé, inadapté, intégriste, nostalgique, obsolète, passéiste, rétrograde, rigoriste, sclérosé".

    Dans cet ordre d'idées, il faut avoir la franchise de le dire : oui, notamment en Europe occidentale, bon nombre d'évêques se comportent et s'expriment peu ou prou comme si, à tout prendre, ils préféraient des églises fermées et vides à des églises ouvertes et à moitié pleines, mais dans lesquelles il pourrait y avoir des catholiques clairement et fermement opposés à l'esprit du Concile, à l'esprit d'Assise, à l'esprit d'Abou Dhabi, à l'esprit d'Amazonie, etc., en raison, et non en dépit, de leur adhésion en plénitude à la foi catholique. Et ces évêques préfèrent le déclin consensuel à un sursaut qui, lui, serait dissensuel, ou contrariant, ad intra et ad extra.

    Une précision dans la précision s'impose ici, au terme de ces quelques lignes : l'esprit du Concile et l'esprit d'Assise visés ici ne sont pas "le prétendu esprit du Concile" ou "le soi-disant esprit d'Assise", ou l'un et l'autre "façon Hans Kung", mais sont bel et bien l'esprit du Concile, dans son acception montinienne explicite et officielle, et l'esprit d'Assise, dans son acception wojtylienne explicite et officielle.

    En d'autres termes, il va falloir s'y faire : certains catholiques, y compris des catholiques diocésains, sont contre chacun de ces esprits, non parce qu'ils ne les connaissent et ne les comprennent pas très bien, mais, au contraire, parce qu'ils les connaissent et les comprennent très bien, grâce aux expressions, aux explications, aux explicitations ET grâce aux élusions, aux occultations et aux édulcorations, plus équivoques qu'orthodoxes, c'est le moins que l'on puisse dire, dont Paul VI et Jean-Paul II se sont rendus responsables à de très nombreuses reprises, et dont même eux ont fini par prendre conscience, d'où Evangelii nuntiandi, en 1975, et Dominus Iesus, en 2000.

    Ce qui est visé ci-dessus n'est autre que l'esprit de système qui est aux commandes dans l'Eglise, au minimum, et de la manière la plus officielle qui soit, depuis le discours d'ouverture du Concile prononcé par Jean XXIII le 11 octobre 1962 : Gaudet Mater Ecclesia.

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