Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : scalfari

  • L'existence de l'enfer

    IMPRIMER

    Du site de France Catholique :

    L’enfer existe-t-il ?

    par Françoise Breynaert, docteur en théologie

    Le pape françois, d’une part réaffirme l’existence de Satan : «  Si tu commences à dialoguer avec Satan tu es perdu, il est plus intelligent que nous et il te renverse, te fait tourner la tête et tu es perdu. Non, va-t’en !  (1) » Et d’autre part minimiserait ou nierait l’existence de l’enfer : «  L’enfer n’existe pas, ce qui existe c’est la disparition des âmes pécheresses  », aurait-il déclaré (2). De tels propos reflètent tout un courant de pensée. Replacés dans l’histoire de la théologie, ils apparaissent comme de simples déductions logiques et émotionnelles. Cette simple page nous invite à revenir à l’Évangile, complet…

    Le Christ a souvent parlé de la Géhenne ou du feu éternel, on lit par exemple : «  Alors il dira encore à ceux de gauche : "Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges"  » (Mt 25, 41). Et on lit dans l’Apocalypse : «  Et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l’étang de feu  » (Ap 20, 15).

    Le Christ a aussi donné un enseignement sur la vie éternelle (l’éternelle Vie !), donnée aux disciples dès cette terre (Jn 5, 24), dès maintenant aux défunts qui accueillent la voix du Fils de l’homme (Jn 5, 25), et à travers un ultime jugement au dernier jour, pour la résurrection finale (Jn 5, 27-28). La première lettre de saint Pierre déclare plus simplement : «  La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts…  » (1P 4,6). Ce que le Credo exprime en disant «  Jésus-Christ… est descendu aux enfers  » (non pas «  en enfer  », l’enfer de Satan, mais «  aux enfers  », le séjour des morts).

    En contradiction avec ces passages, saint Augustin enseigne qu’il faut que tout soit déjà joué durant la vie terrestre, sans quoi, explique-t-il (3), les exhortations morales seraient inutiles sur la terre, de même que l’évangélisation ! De la sorte, saint Augustin, vers l’an 400, a opéré un tournant dont il ne pouvait sans doute pas imaginer les conséquences…

    Dans l’Église latine, depuis saint Augustin, la Bonne Nouvelle aux défunts ayant été passée sous silence, on ne voyait plus comment ceux qui n’avaient pas été évangélisés pouvaient invoquer le Christ : vont-ils donc en enfer ? Et l’augustinisme produisit (à l’époque médiévale) l’imaginaire d’un enfer débordant ! En compensation, et pour ne pas dire que les non-chrétiens sont forcément en enfer, les théologiens occidentaux ont produit des systèmes plus ou moins obscurs ou erronés.

    Avec la bonne intention de ne pas dire que les non-chrétiens sont damnés, un type de raisonnement, contradictoire avec le Nouveau Testament, a été d’imaginer que l’enfer ne soit que virtuel, ou qu’il soit momentané, ou que les âmes non méritantes disparaissent, etc. Toutes ces solutions re­lèvent de préoccupations affectives de la part des théologiens. Elles sont en réalité absurdes : car alors était-ce bien la peine que Jésus parle de l’enfer et accomplisse la Rédemption au prix de la croix ?

    C’est pourtant le raisonnement d’un très grand théologien, Urs von Balthasar. Le volume et la complexité de son œuvre écrite ne parvient pas à cacher ni la contradiction interne ni l’omission de cette vérité que le Christ est venu pour détruire l’œuvre du diable (1Jn 3, 8 : si diable il y a, l’enfer n’est donc ni vide, ni virtuel).

    En corollaire, si l’enfer n’a plus de consistance, la morale non plus.
    Le récent Catéchisme de l’Église catholique remet en valeur la Bonne Nouvelle aux défunts (§ 634-635). Il peut alors réaffirmer le Paradis et l’enfer en toute équité, en évitant les deux excès inverses d’un enfer débordant et d’un enfer inexistant. Il peut affirmer à la fois que Dieu est amour et miséricorde, et qu’il est juste (1Jn 1,9 ; 3, 7).

    — -

    (1) 2 décembre 2017, conférence de presse dans l’avion.

    (2) Dans un entretien redoutablement informel avec Eugenio Scalfari, le fondateur du journal italien La Repubblica, paru le vendredi 28 mars 2018.

    (3) Saint Augustin, Lettre 164 à Evodius.

    Françoise Breynaert, La bonne nouvelle aux défunts. Perspective de la théologie des religions, Via Romana, préface Mgr Minnerath, 260 pages, 19 e.
    www.foi-vivifiante.fr

    https://sites.google.com/site/fbreynaert/

  • Prix d'excellence en éloquence pour le pape

    IMPRIMER

    De Sandro Magister en traduction française sur diakonos.be :

    Vingt sur vingt.  « La Civiltà Cattolica » attribue à François le prix d’éloquence

    Ce mardi 19 novembre, le pape François est parti pour son trente-deuxième voyage en terre étrangère, cette fois en Thaïlande et au Japon.  Et comme toujours, l’attention des quelque 70 journalistes qui l’accompagnent est déjà tournée vers l’immanquable conférence de presse qu’il donnera dans le vol de retour vers Rome.

    Les réponses aux journalistes sont désormais une constante du « magistère » de Jorge Mario Bergoglio qui, en plus des conférences de presse en avion, se produit également dans d‘innombrables interviews à deux.

    Dans le dernier numéro de « La Civiltà Cattolica », le jésuite argentin Diego Fares part justement des derniers livres-interviews de François – « écrits à quatre mains » avec le journaliste argentin lui aussi Hernán Reyes Alcaide – pour analyser et applaudir des deux mains le language adopté par le Pape en tant qu’« événement de communication nouveau ».

    Un langage intentionnellement « incomplet » selon Fares parce qu’il est conçu pour être « complété par ce que dit l’interlocuteur ».  Et on ne peut s’empêcher de penser aux entretiens entre Jorge Bergoglio et Eugenio Scalfari, fondateur du quotidien « la Repubblica » et figure de proue de la pensée laïque italienne, truffée de propositions hérétiques attribuées au Pape – de la non-existence de l’enfer à la non-divinité de Jésus -, précisément parce qu’elles ont été « complétées pour que le lecteur comprenne », si l’on s’en tient aux déclarations du journaliste lui-même.

    Mais laissons la parole à « La Civiltà Cattolica » pour savoir comment François lui-même explique sa propre façon de parler, dans laquelle, encourage la revue – il faut le laisser nager « comme un poisson dans l’eau ».

    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

    *

    Un événement de communication nouveau

    de Diego Fares SJ, de « La Civiltà Cattolica” du 16 novembre 2019

    Le fait que le pape se transforme en co-auteur du livre lors qu’il est la personne interrogée, en change le genre littéraire : nous ne nous trouvons plus face à une chronique journalistique mais plutôt devant un événement de communication nouveau.  […] Dans ces conversations écrites à quatre mains se consolide définitivement un style de communication que François a peu à peu élaboré – depuis la première interview qu’il a donnée au P. Antonio Spadaro – dans chaque rencontre avec les journalistes au retour de ses voyages apostoliques.

    François a compris que donner des interviews est une bonne façon de « sortir » vers la périphérie du langage.  Sortir au sens où, quand il fait un discours officiel, il remet un discours « complet » tandis que quand il donne une interview, son discours est « incomplet » et est complété par ce que dit l’interlocuteur.  […]

    Le Pape est conscient de courir des risques mais, pour lui, « la chose la plus importante c’est que le message parvienne à destination », comme il l’a lui-même déclaré, visiblement ému, dans la conférence de presse durant le voyage de retour de Birmanie. […]

    Nous sommes face à un Pape qui est passé de la sensation d’être « comme Daniel dans la fosse aux lions » à celle de sentir tellement à son aise qu’il se transforme en journaliste, allant jusqu’à utiliser les questions et les réponses pour réfléchir, avec les journalistes, à la façon dont il cherche à communiquer. […]

    Un autre élément important des opinions concrètes du Pape, c’est le caractère stimulant de sa manière de dialoguer.  […] Le Pape dit ce qu’il pense sur de nombreux sujets, c’est vrai ; mais si l’on observe comment il modère et précise ses jugements – une chose dont de nombreux médias ne tiennent pas compte -, alors on s‘aperçoit qu’il ne cherche pas à imposer ses propres idées mais qu’il teste le terrain sur lequel l’autre lui permet de poser le pied dans le dialogue pour ensuite faire – ensemble – un pas en avant vers le bien commun et dans la compréhension de la vérité. […]

    Pour autant, il ne faut pas confondre la fragilité de ses propositions avec le relativisme ou l’ambiguïté.  Si la parole vivante se dépouille de l’écorce dure de l’abstraction irréfutable et devient fragile, c’est pour imiter le Seigneur, lui qui a assumé la fragilité de notre chair pour être en mesure de nous parler de sorte que nous le comprenions et que nous le laissions entrer dans notre vie et dans notre cœur.  […]

    La manière dont François considère les données statistiques peut nous faire comprendre comment il lit le présent.  […] Le Pape utilise les données – celles qui sont fournies par la science et celles de l’homme ordinaire – non pas pour justifier un discours savant ou des idées irréfutables, pas même pour gagner en popularité, mais comme point de départ pour un dialogue susceptible de se révéler véritablement fécond.

    Les expressions qu’il choisit ne visent pas à imposer. […] Il ne faut pas interpréter ce contrôle du langage, afin qu’il suggère tout et n’impose rien, uniquement comme étant une manifestation de l’humilité personnelle du Pape, mais plutôt comme un exercice à part entière du pouvoir magistériel à un niveau et avec une précision à laquelle beaucoup ne sont pas habitués.  L’objet de ce magistère, ce ne sont pas seulement des définitions dogmatiques sur des points controversés, qui se concluent par un anathème ou par une loi générale, mais également l’indication qu’il y a un don de l’Esprit auquel il faut prêter une attention particulière.

    S’il y a bien quelque chose que le Pape a enseigné aux journalistes ces dernières années – et à tout qui veut bien l’entendre -, c’est que ce qu’il dit requiert une interprétation correcte de la part de son interlocuteur. […] Et ceci demande que l’on examine non seulement « ce qu’il dit » mais aussi « à qui il le dit, quand, où, avec quelle intonation et de quelle manière ».  […] La peur d’être mal interprété conduit de nombreuses personnes à ne pas s’exprimer et pousse ceux qui sont contraints par leur fonction de le faire à « blinder » leur propre discours.  C’est pourquoi, quand le Pape se met à dialoguer sans trop de rhétorique, on ferait bien d’écouter au moins ce qu’il dit et comment il le dit.  Enlever les points d’interrogation à ses questions, priver ses affirmations des nuances temporelles, traduire ses suggestions en dogmes, sortir une phrase de son contexte…  tous ces raccourcis, adoptés par inadvertance ou de mauvaise foi, reviennent à se moquer d’un poisson après l’avoir tiré hors de l’eau.

  • Quand Benoît XVI monte en chaire pour défendre l'enseignement de Jean-Paul II

    IMPRIMER

    Un silence de tombe a entouré la publication du message de Benoît XVI pour le 50ème anniversaire de la CTI. L’honneur est sauf pour la presse, au moins en Italie, puisque « La Verità » (un quotidien qui porte décidément bien son nom!) lui a consacré une manchette en première page, suivie d’un article important en page intérieure. 

    Traduction du site "Benoît-et-moi":

    www.laverita.info/joseph-ratzinger-risale-in-cattedra-per-difendere-il-ministero-di-wojtyla

    Le retour de Ratzinger: ne touchez pas à Wojtyla et à son magistère.

    Un autre cadeau au monde de la part de Benoît XVI.

    Le Pape émérite a écrit un message pour l’anniversaire de la Commission théologique: un manifeste qui réaffirme le poids du Magistère de Wojtyla et de son encyclique, Veritatis Splendor.

    La Verità - Giorgio Gandola - 1er décembre 2019

    Joseph Ratzinger monte en chaire pour défendre le ministère de Wojtyla

    Dans le message pour le 50e anniversaire de la Commission théologique internationale, le Pontife émérite réaffirme l’importance de l’Institut JPII et de « Veritatis Splendor« . Deux barrages contre la dictature du relativisme.

    « Seule l’humilité peut trouver la vérité, fondement de l’amour ».
    Quand la complexité revient à l’Évangile, tout devient clair et la brume de la journée d’automne est balayée par le vent. C’est le cas dans les églises paroissiales de montagne très loin des intrigues du Vatican, c’est le cas dans les missions les plus pauvres construites par l’homme en soutane avec ses mains. C’est le cas à chaque fois que parle ou écrit le plus âgé et le plus éclairé des héritiers de Pierre, Benoît XVI, gardien discret de la doctrine assiégée par les instincts New Age de l’Église inspirés par la commercialisation de la foi.

    Peu de médias ont accordé une place au salut de Joseph Ratzinger à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de la Commission théologique internationale, inaugurée par saint Paul VI en 1969 pour accompagner le magistère pontifical dans les tensions légitimes de la modernité. Et c’est dommage, parce que dans les paroles du Pape Émérite, on peut à nouveau identifier la route principale et ces murs de pierre sèches manzoniens [1] qui définissent un chemin au-delà duquel il n’existe qu’un « tous libres » générique.

    Benoît reconnaît d’emblée l’importance de la Commission (aujourd’hui dirigée par le Cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer) et de son travail au cours du dernier demi-siècle, même si « elle n’a pas réussi à réaliser l’unité morale de la théologie et des théologiens dans le monde. Ceux qui s’y attendaient avaient de fausses attentes quant aux possibilités d’un tel travail. Et pourtant, sa voix est devenue une voix écoutée, qui indique en quelque sorte l’orientation fondamentale qu’un effort théologique sérieux doit suivre en ce moment historique ».

    C’est une manière raffinée de réaffirmer l’importance fondamentale des valeurs non négociables pour qu’elles ne deviennent pas un jour – dans la fièvre de suivre les impulsions politiques d’un progressisme sans but – ce que le Père Antonio Spadaro (conseiller du Pape François) appelle « certaines questions morales », assignant un périmètre de marginalité aux pierres angulaires de la foi du peuple. Ce sont les sacrements, la famille, la fin de vie, le travail, la doctrine, aujourd’hui dépassés pour plaire au relativisme prédominant de l’euthanasie, de l’avortement, des unions et adoptions gay, des mères porteuses, de la procréation hétérologue…

    Parmi les théologiens qui ont fait partie de la Commission, Benoît XVI cite quelques géants comme Jorge Medina Estevez, Carlo Colombo, Hans Urs von Balthasar, Raniero Cantalamessa, Johannes Feiner et Carlo Caffarra, ce pilier de l’Institut Jean-Paul II d’études sur la famille et le mariage, un corps récemment emporté par la destitution des enseignants, pour le transformer en une sorte de département de sociologie et psychologie. Comme si la théologie morale pouvait être heureusement remplacée par les sciences humaines pour lesquelles le Pape François a un faible.

    Ratzinger réévalue pleinement l’une des pierres angulaires de cet institut réduit en miettes, l’encyclique. Veritatis Splendor de Karol Wojtyla, et la cite comme éclairage nouveau. En particulier sur le sacrement du mariage, il rappelle les débats et les tensions au sein de la Commission: « L’opposition des fronts et l’absence d’une orientation de base commune, dont nous souffrons encore aujourd’hui autant qu’alors, à ce moment-là m’est apparue d’une manière inédite. Je pense que la Commission devrait continuer à garder le problème à l’esprit et poursuivre fondamentalement ses efforts pour trouver un consensus ».

    Consensus, pas révolution. Veritatis Splendor reste aujourd’hui le dernier rempart contre le relativisme, le lieu des certitudes et de la doctrine traditionnelle, où l’Église aide l’homme à trouver la réponse sur « ce qui est bien et ce qui est mal ». Un rôle fondamental, sans lequel régnerait l’auto-certification morale du « le bien, c’est ce que je pense être bien ». Et alors, même Eugenio Scalfari pourrait devenir évêque.

    Humble comme la vérité, le texte de Benoît XVI touche deux autres points essentiels.

    Le premier concerne la force motrice du Tiers Monde dans la définition des nouvelles frontières du catholicisme. « Dans la Commission, la voix des jeunes Eglises, comme celles d’Afrique et d’Inde, s’est également fait entendre de plus en plus fortement », avec la remise en question de la tradition occidentale dominante et l’enrichissement culturel dans la confrontation des idées.

    « Le travail à la Commission théologique internationale m’a donné la joie de rencontrer d’autres langues et d’autres formes de pensée. Mais ce fut avant tout pour moi une occasion continue d’humilité, qui voit les limites de ce qui nous est propre et ouvre ainsi la voie à la plus grande Vérité ».

    Le deuxième point est celui, plus ancien et plus ambigu de l’Evangile lu et interprété sous certaines latitudes: l’exploitation du message du Christ par l’athéisme communiste. « Dans ce contexte s’imposa inévitablement le thème de la Théologie de la Libération, qui n’avait rien d’un problème purement théorique à l’époque, mais déterminait de façon très concrète et même menaçait, la vie de l’Église en Amérique du Sud ».

    Ici, il n’y a absolument rien de crypté: il menaçait la vie de l’Église, au bout du monde.


    NDT [1] Il semble que ce soit une allusion non pas (ou pas directement) au grand écrivain italien Alessandro Manzoni mais aux antiques « murs de pierre sèche » que l’on trouve en Sardaigne: à San Pantaleo , il y a un sentier de « trekking » qui traverse ces sites antiques, et dont le point de départ est un lieu-dit nommé Stazzu Manzoni

  • Se réinformer, face à la désinformation

    IMPRIMER

    De Jean-Michel Beaussant, ce 17 janvier sur le site du bi-mensuel ‘L’Homme Nouveau »

    « À l’occasion d’un entretien paru dans le journal catholique belge Tertio, le Pape François a dénoncé en décembre la désinformation comme « probablement le plus grand mal qu’un média puisse infliger ». Mais lutter contre cette désinformation, utilisée parfois au sein même de l’Église, implique une bonne finalité ancrée dans le réel.

    « La désinformation, c’est ne dire que la moitié des choses, celles qui me conviennent, et ne pas dire l’autre moitié : de sorte que celui qui (la reçoit) ne peut bien juger les choses parce qu’il n’a pas tous les éléments, car ils ne lui ont pas été livrés… », avait déjà dit le Pape lors de l’audience du 22 mars 2014. Mais comme nous sommes tous pauvres pécheurs, ne sommes-nous pas tous plus ou moins coupables de désinformation – ce n’est pas Volkov qui me démentirait ! –, y compris le Pape lui-même dans des interviews parfois approximatives ? Quand il indique par exemple au journaliste athée, Eugenio Scalfari, que « chacun de nous doit obéir à sa propre conscience, chacun doit suivre le bien et combattre le mal selon l’idée qu’il s’en fait ». Sans préciser que chacun a aussi le devoir d’éclairer sa conscience pour la corriger en fonction de la loi morale naturelle, la norme objective. Sinon bienvenue aux fanatiques !

    Attention à la restriction mentale

    Plutôt qu’une désinformation (une manipulation), voici le ­type même de restriction mentale – chère à certains jésuites et dénoncée en son temps par Pascal – que d’aucuns reprochent aujourd’hui au Souverain Pontife de pratiquer, la question se posant éminemment pour Amoris lætitia. Restriction ou réserve mentale que l’on fait d’une partie de ce que l’on pense pour « apprivoiser » l’interlocuteur en considérant davantage ce qui nous unit que ce qui nous divise : oui, nous avons le même Dieu (unique) que les Juifs et les musulmans… au niveau de la philosophie (médiation possible). Mais non au niveau de la religion et de la vérité surnaturelle ! 

    Cette logique restrictive, lorsqu’elle est employée à dessein pédagogique ou pacifique (et non par casuistique), est licite jusqu’à un certain point. Tout comme l’argument ad hominem, qui consiste à s’adresser à l’homme adverse en se plaçant sur son propre terrain, selon ses principes déficients, peut se révéler « payant ». Soit pour se préserver soi-même (demander la liberté aux libéraux), soit pour faire éclater la contradiction interne de l’adversaire par l’absurde : si vous êtes contre la peine de mort, soyez-le aussi avec l’avortement (ou à l’adresse du Pape contre la peine capitale : si le commandement « Tu ne tueras pas » ne peut souffrir aucune exception, au nom du principe selon lequel la fin ne justifie pas le moyen intrinsèquement désordonné, pourquoi celui « Tu ne commettras pas d’adultère » pourrait en connaître ?).

    Argument ad hominem et restriction mentale peuvent ouvrir une brèche dans le monde logiquement déficient où s’est réfugié plus ou moins (in)consciemment l’interlocuteur. Mais ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes. On ne doit surtout pas s’y enfermer à la manière de la taqiya des musulmans qui les oblige à la dissimulation tant qu’ils se sentent inférieurs ou vulnérables. Ces arguments prudentiels ou graduels ne doivent en aucun cas devenir des mensonges par omission pour tromper l’auditeur doctrinalement, voire nous tromper nous-mêmes. Car la fin, en effet, ne justifie jamais le mauvais moyen. Autrement dit, ces arguments doivent être parallèlement et simultanément dépassés ou corrigés par une autre argumentation supérieure, en adéquation totale avec la réalité (« Confesser sa foi demande que l’on croit non pas en partie ou à moitié, mais de croire toute la foi, cette foi qui est arrivée à nous par la voie de la tradition : toute la foi ! », déclarait le Saint-Père le 10 janvier 2014).

    À se complaire exclusivement dans la restriction mentale ou l’argumentation ad hominem, à y revenir trop souvent, sans précautions, on peut se laisser prendre à son propre jeu. Finir par croire ou laisser croire que l’on approuve des choses qu’on ne devrait pas. Mettre un pied de trop, même petit et malin, chez le partenaire libéral ou relativiste, lâchant sur des principes non négociables – comme c’est le cas, notamment, de certains publicistes avec le « mariage » gay ou d’autres avec le « droit » à l’IVG –, par manque de discernement.

    La bonne information

    En conclusion, la bonne information (ou la réinformation) n’est pas une désinformation contraire mais le contraire de la désinformation par sa finalité et son intention morale (dans La langue des médias, Ingrid Riocreux indique que même les médias dits de la réinformation n’échappent pas aux travers de leurs adversaires, en utilisant à leurs fins des citations tronquées, ou faisant dire parfois à son auteur [même au Pape] ce qu’il n’a pas dit…). Tous ceux qui ne pensent pas comme nous ne sont pas forcément des désinformateurs, des modernistes… Ne pratiquons pas à l’envers un terrorisme intellectuel, dont la reductio ad Hitlerum (l’accusation d’« extrême-droite », d’« intégriste »…) reste un modèle de la praxis communiste (pratiquée, hélas, chez des clercs). La réinformation, comme la contre-révolution, ne parle pas en termes dialectiques de camps, mais en termes de bien commun, de bien ou de mal, de vrai ou de faux.

    Elle part de l’expérience, de la réalité, des choses vues ou dites et non d’idées préconçues, a priori : ce qu’est le réel et non ce par quoi je prétends le connaître, à travers un prisme idéologique déformant et partisan. Elle n’interprète pas, n’extrapole pas, ne fait pas de procès d’intention, cherchant à sortir des insuffisances ou des ambiguïtés avérées. Dans les graves débats politiques ou religieux à venir en 2017, il est opportun de le rappeler. »

    Ref. Se réinformer, face à la désinformation

    JPSC

  • Dimanche des missions : Qui va leur dire ?

    IMPRIMER

    Une homélie de l'abbé Christophe Cossement (Tournai) (archive 2013) :

    Qui va leur dire?

    homélie du 29e dimanche, « des missions »

    Le pape François fait des déclarations interpellantes, qui ne laissent pas les médias indifférents. Dernièrement il a dit que le prosélytisme était une bêtise grandeur nature1. Il pourrait y avoir des gens qui en concluraient qu’il ne faut pas parler explicitement de Dieu, du Christ, de notre foi en lui, mais plutôt servir, transformer l’Église en un grand service social. Or, le pape est bien clair : le service fait partie de l’action normale de toute communauté chrétienne et de tout chrétien, mais ce n’est pas à ce service que se résume la mission de l’Église et du baptisé. S’il ne faut pas de prosélytisme, il faut la mission, en faveur de tous ceux qui connaissent mal ou pas du tout l’amour de Dieu que le Christ nous révèle et nous fait vivre. Depuis le moment où il a été élu successeur de Pierre, le pape Bergoglio n’a pas arrêté d’inciter l’Église à « s’ouvrir », à atteindre les hommes jusque dans leurs plus lointaines « périphéries existentielles ». Il ne faut pas persuader, mais il faut annoncer.

    Sommes-nous convaincus que le Christ est pour tous, et que c’est manquer l’essentiel de sa vie que de l’ignorer ? Jadis on parlait du salut de l’âme et on craignait de ne pas être sauvés ou que des gens ne soient pas sauvés. Cela motivait à parler du Christ, mais c’était une motivation piégée, où la peur avait au moins autant d’importance que l’amour, où on répandait l’image d’un Dieu qui finalement demande des comptes et présente la facture de nos bêtises. Aujourd’hui on a tendance à penser que la foi n’est plus quelque chose de fondamental. Elle est un élément facultatif de la vie, un « si tu veux » qui ressemble à la crème fraîche qu’on peut ajouter sur ses fraises « si on veut, si on aime ça »… Nous considérons que le monde se sauve bien tout seul, ou qu’en tous cas les hommes de bonne volonté suffisent. « Qu’est-ce que la foi ajoute ? On n’a tout de même pas besoin d’être croyant pour faire le bien ! » Dieu devient une aide facultative, pour ceux qui ont le goût de la croyance.

    Imbibée de cette façon de voir les choses, l’Église pense plus à ses petits problèmes internes qu’à témoigner de l’Évangile, du fait que Dieu s’est approché de l’humanité et lui propose l’Alliance. À la veille du dernier conclave, l’archevêque argentin qui allait devenir pape avait lancé cet avertissement : « Il y a deux images de l’Église : l’Église évangélisatrice qui sort d’elle-même, ou l’Église mondaine qui vit en elle-même, par elle-même, pour elle-même ». Aux évêque argentins, quelques semaines plus tard, il dira : « une Église qui ne sort pas, tôt ou tard, tombe malade du fait de l’air vicié de la réclusion. Il est également vrai qu’il peut arriver à une Église qui sort ce qui peut arriver à une personne lorsqu’elle se trouve dans la rue : avoir un accident. Face à cette alternative, je veux dire franchement que je préfère mille fois une Église qui a eu un accident à une Église malade. La maladie de l’Église enfermée est d’être autoréférentielle, elle se contemple, elle se replie sur elle-même. Il s’agit d’une sorte de narcissisme qui nous conduit à la mondanité spirituelle et au cléricalisme sophistiqué et nous empêche donc de faire l’expérience de “la douce et réconfortante joie d’évangéliser”. »

    Il y a 23 ans, le pape Jean-Paul II écrivait : « on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. »2 Quand je prends le train ou que je marche dans la rue, je regarde les gens et je me dis : lui, elle, que savent-ils de Jésus ? Qui lui dira que le Seigneur l’aime, cherche son cœur, lui propose sa présence, sa fidélité, et de construire avec lui un monde meilleur ? Puis je me dis : mais je suis timide, je ne vois pas comment parler à tous ces gens… Pourtant il le faut. Alors je demande au Seigneur : pousse-moi vers eux, fais-moi ouvrir la bouche, donne-moi le moyen de parler de toi ! J’ai du mal, je parle bien plus souvent de structures que du cœur, mais je sens qu’il faut persévérer dans ce désir de faire connaître la sortie de Dieu vers nous, son initiative d’amour ; parfois en rebondissant sur une critique de l’Église… Dieu a mis son sort entre nos mains. C’est un honneur pour nous en même temps qu’une charge. À Rio, le pape disait aux jeunes : « l’Évangile est pour tous et non pour quelques uns. Il n’est pas seulement pour ceux qui semblent plus proches, plus réceptifs, plus accueillants. Il est pour tous. N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent. Le Seigneur est à la recherche de tous, il veut que tous sentent la chaleur de sa miséricorde et de son amour »3. Considérons ce désir de Dieu sur notre fils, notre voisin, notre collègue, et nous trouverons la manière de l’en informer. N’est-ce pas cela évangéliser sans prosélytisme ?

    -----------------------------

    1 Entretien avec Eugenio Scalfari, La Republica, 30 septembre 2013

    2 Encyclique Redemptoris Missio, № 46

    3 Rio, Journées mondiales de la jeunesse 2013, homélie du dimanche matin devant 3,5 millions de jeunes.

  • Divorcés-remariés : des discours romains contradictoires ?

    IMPRIMER

    Selon Isabelle de Gaulmyn dans le journal « La Croix »  (extraits):

    « …La parole de l’Église dans l’espace médiatique est dominée par un discours romain par nature normatif. C’est ce que le pape François pointe, lorsqu’il explique, dans son entretien avec les revues jésuites, que l’Église ne doit pas « être obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance ». Lors de son premier angélus, quatre jours après son élection, François a justement cité le livre du cardinal Kasper, sur la miséricorde, plaçant ainsi son pontificat sous ce signe.

    En l’élisant sur le siège de Pierre, les cardinaux avaient d’ailleurs voulu mettre à la tête de l’Église une personnalité pastorale, avec une expression moins doctrinale que ses prédécesseurs. Le pape fait donc le pasteur, et de ce point de vue, François remplit parfaitement la tâche. Mais cela n’empêche pas l’institution romaine, elle, de continuer de « faire son job » et de rappeler ce qui constitue les principes « non négociables » de la morale chrétienne, avec ses fondements théologiques.

     Texte sur les divorcés-remariés

    Rien d’étonnant à ce que le cardinal [sic] Gerhard Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, publie donc un texte au sujet des divorcés-remariés pour rappeler à ses collègues allemands le point de vue de l’Église. Après tout, il est là pour cela, et il a raison d’écrire que la question des divorcés remariés, et de leur accès à la communion n’est pas seulement d’ordre pastoral, et touche à la théologie du sacrement du mariage. C’est bien parce que le problème est complexe, que le pape a convoqué un synode sur ce sujet l’an prochain.

    Mais pour le fidèle catholique, qui reçoit ces deux discours en provenance de Rome, le message risque de se brouiller singulièrement. D’autant plus que plusieurs passages de ce texte du cardinal Müller semblent prendre l’exact contre-pied d’autres expressions du pape François.

    contradictions 

    Ainsi, lorsque le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi explique qu’avec ce qui est « objectivement un faux appel à la miséricorde, on court de plus le risque d’une banalisation de l’image de Dieu, selon laquelle Dieu ne pourrait rien faire d’autre que pardonner ». Ou encore lorsqu’il oppose la conscience des fidèles à l’obéissance au magistère, on peut trouver une certaine contradiction avec les propos du pape, sur ce sujet, dans un entretien avec l’éditorialiste italien Eugenio Scalfari.

    À l’heure où tout propos est immédiatement amplifié par les médias, la difficulté n’est pas mince. Le pape est aussi celui dont la parole a valeur magistérielle, du moins dans certaines conditions. Il est évident que l’un des enjeux majeurs pour l’Église, à son plus haut niveau, sera de trouver une nouvelle manière, adaptée au XXIe siècle, de conjuguer ces deux aspects: la miséricorde et la morale. »

    Réf : Quand Rome hésite entre pastorale et magistère

    Comme l’observe un lecteur sous l’article de Mme de Gaulmyn  «  Il ne peut y avoir de dichotomie entre la pastorale et le magistère . La pastorale doit toujours se faire dans le cadre du magistère… ou alors ce n’est plus de la pastorale. Le pape François a bien dit que l’Eglise n’est pas une ONG. Son prédécesseur disait à cet égard dans « La pastorale du mariage doit se fonder sur la vérité » écrit en 1998, quand il était responsable de la Congrégation pour la doctrine de la foi : « Certes, il est difficile de faire comprendre les exigences de l’Évangile à l’homme sécularisé. Mais cette difficulté pastorale ne peut amener à des compromis avec la vérité. Dans sa lettre encyclique Veritatis Splendor, Jean Paul II a clairement repoussé les solutions prétendument « pastorales », qui sont en contradiction avec les déclarations du Magistère ».

    Toujours sous l'article de "La Croix", on peut lire cette réaction:

     "Concernent les orthodoxes et leur vision libérale du mariage, voilà ce qu’a écrit le Cardinal Ratzinger :

    — « Dans l’Eglise impériale, après Constantin, on chercha, à la suite de l’imbrication toujours plus forte entre l’Etat et l’Eglise, une plus grande souplesse et une plus grande disponibilité au compromis dans des situations matrimoniales difficiles. Jusqu’à la réforme grégorienne, cette tendance se manifesta aussi dans les milieux gaulois et germanique. Dans les Eglises orientales séparées de Rome, ce développement se poursuivit au cours du second millénaire et conduisit à une pratique toujours plus libérale. Il existe aujourd’hui, en de nombreuses Eglises orientales, toute une série de motifs de divorce, sinon même une «théologie du divorce», qui n’est, en aucune manière, conciliable avec les paroles de Jésus sur l’indissolubilité du mariage. Ce problème doit être absolument abordé dans le dialogue œcuménique.

     — En Occident, grâce à la réforme grégorienne, on retrouva la conception originelle des Pères. Ce développement trouva, d’une certaine manière, sa confirmation lors du concile de Trente et fut à nouveau proposé comme doctrine de l'Eglise par le concile Vatican II.

    La pratique des Eglises orientales séparées de Rome, conséquence d’un processus historique complexe, d’une interprétation toujours plus libérale — et qui s’éloignait toujours davantage de la Parole du Seigneur — de certains passages patristiques obscurs, influencée aussi à l’évidence par la législation civile, ne peut pas, pour des motifs doctrinaux, être assumée par l’Eglise catholique. A cet égard, il n’est pas exact d’affirmer que l’Eglise catholique aurait simplement toléré la pratique orientale. Certes, le concile de Trente n’a prononcé aucune condamnation formelle. Néanmoins, les canonistes médiévaux en ont parlé constamment comme d’une pratique abusive. De plus, il existe des témoignages selon lesquels des groupes de fidèles orthodoxes, qui devenaient catholiques, devaient signer une confession de foi avec mention expresse de l’impossibilité d’un second mariage. »

    Il apparaît donc que les orthodoxes sont en dehors des clous concernant les divorcés-remariés puisque pour Jésus, l’indissolubilité du mariage « découle de la volonté du Seigneur, l’Eglise n’ayant aucun pouvoir sur elle ».

    J'ajouterais cependant ceci, pour ceux qui veulent approfondir la réflexion sur ce vaste sujet de l'indissolubilité du mariage: lire sur le site officiel du Vatican les citations plus complètes de Joseph Ratzinger-Benoît XVI, que fait Mgr Fernando Ocariz (Vicaire Général de l'Opus Dei), dans un article publié par " l’Osservatore Romano" le 1.12.2011. C'est sur news.va, ici : La pastorale du mariage doit se fonder sur la vérité .

    JPSC 

    Lire également : Rome/divorcés-remariés-qu'a dit le préfet du Saint-Office?

  • Est-ce maintenant que vient le “dernier pape” des persécutions de la fin ?

    IMPRIMER

    De la Revue Cardinalis via le site Riposte Catholique :

    L'”Antéchrist” aurait-il déjà pris pied ?

  • Le Pape François, dix ans de tourmente et de perplexité

    IMPRIMER

    De Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

    Le Pape François, dix ans de tourmente et de perplexité

    13-03-2023

    Les dix années de pontificat de François, entre tactiques marquées par le mouvement, primat de la praxis, pastoralisme, relativisme moral : des processus qui auraient dû produire quelques vérités nouvelles, ont en réalité scandalisé, embrouillé les esprits et les cœurs et désarticulé l'unité ecclésiale. Et la synodalité, le nouveau dogme, est la synthèse d'un processus dans lequel le moyen compte plus que la fin.

    La décennie de pontificat de François qui s'achève ces jours-ci a suscité un vif mécontentement. C'est comme si quelqu'un était intervenu pour bouleverser toutes les cartes sur la table, laissant tout le monde sans voix tant pour la méthode utilisée que pour les nouveaux contenus concernant des points très sensibles de la foi catholique. Méthode et nouveaux contenus se répondent, au point que la méthode devient contenu et vice-versa.

    Ce fut dix ans de tactique marquées par le mouvement : dire et ne pas dire, affirmer et se rétracter, avancer en disant que l'on recule, faire dire aux autres ce que l'on voudrait dire soi-même, ouvrir et fermer, accepter et condamner, dire et contredire. Au moment où l'on croit avoir compris, François est passé à autre chose. Une de ses interviews venait d'être lue et il en avait déjà donné une autre d'une teneur différente. Dans les entretiens avec Scalfari, on ne sait jamais très bien ce que l'un a dit et ce que l'autre a dit. Les citations de la Bible et du Magistère, souvent partielles et inexactes, les notes de bas de page utilisées pour provoquer de grands changements sans les faire apparaître, les phrases aux mille nuances, l'amour pour ceux qui sont loin et le bourrage d'oreille pour ceux qui sont proches, les commissariats interminables, les interventions politiques, la protection de personnages douteux, la promotion des doutes de la foi faite sans cultiver aucun doute... voilà quelques exemples d'une méthode qui a suscité la perplexité.

    Il est illusoire d'attribuer cette façon de faire au seul tempérament personnel de Bergoglio ou à son jésuitisme. Les changements destinés à rattraper deux cents ans de retard par rapport au monde ont certes nécessité des actes officiels de modification du contenu, comme Amoris laetitia ou la déclaration d'Abu Dahbi, mais aussi des changements dans la praxis et les modes de pensée qu'ils induisent. La relation circulaire entre praxis et théorie, pastorale et doctrine, n'est en effet pas un chapitre particulier de ce pontificat, mais sa ligne directrice. C'est pourquoi le trouble s'est également produit par le biais de la communication et d'un changement de perspective sur le contenu.

    C'est précisément parce qu'il comprend la doctrine dans le cadre de la pastorale que François a été intolérant avec les dogmatiques, les doctrinaires, les rigides, et ouvert avec les aventuriers, les innovateurs, les intolérants. Pour cette même raison, son pontificat a été anti-métaphysique. La 'Fides et ratio' Wojtyla-Ratzinger a été efficacement réduite au silence. Dès son élection, François a déclaré que Kasper était "un grand théologien" et Kasper, à la veille des deux synodes sur la famille, a dit aux cardinaux qu'il n'y a pas de divorcés remariés mais tel ou tel couple de divorcés remariés. C'était la déclaration que la réalité et la morale ne se prêtent pas à une connaissance universelle, comme le font les connaissances fondées sur la métaphysique, et que la norme est toujours à l'intérieur d'une situation, de sorte que chaque situation individuelle devait être rencontrée de l'intérieur et non plus jugée. C'est le pastoralisme qui s'est débarrassé de la doctrine, c'est le postulat de la philosophie nominaliste : l'expérience est faite de situations absolument singulières qui ne peuvent donc pas être jugées. Mais le nominalisme, c'est la philosophie de la Réforme protestante. Après Amoris laetitia, en effet, c'est la conscience du sujet qui est au centre de la vie morale.

    Cela fait également taire 'Veritatis splendor'. Au cours de cette décennie, des changements substantiels ont eu lieu dans la théologie morale catholique, tous dans le sens du remplacement du jugement, qui part de la norme et de la réalité, par le discernement, qui part de la situation et de la conscience. Les commandements du Christ se transforment en idéaux, le péché par exclusion de la grâce devient une étape inadéquate de la vie, la nouvelle loi n'exige pas le respect de la loi naturelle, mais la réinterprète, l'Église doit écouter, intégrer, accompagner sur les chemins de l'existence, et rien d'autre. Dans cette praxis sans contenu, ce serait de la proclamation, la référence au contenu serait plutôt du prosélytisme ou de l'idéologie. Cette nouvelle vision de la théologie morale finit par négliger le naturalisme chrétien, déclarant même dépassée la Doctrine sociale de l'Église dans sa version traditionnelle.

    Le pastoralisme a provoqué divers processus qui n'étaient guère guidés par la doctrine, mais qui étaient souvent de nature expérimentale, pensant qu'en ayant une base populaire, ils pourraient intercepter et vivre les suggestions de l'Esprit dans leur cheminement existentiel. Même ces processus, comme le Synode allemand, pour rappeler le plus perturbateur, qui a commencé et s'est ensuite inévitablement compliqué, ont été très déconcertants. Ils n'ont pas été gouvernés à la lumière de la doctrine traditionnelle et au nom de la primauté de Pierre. Ils ont été provoqués et vécus comme des processus qui, à partir d'une confrontation dialectique, auraient dû produire de nouvelles vérités, au moins sur le plan pastoral. Mais au lieu de cela, ils ont scandalisé, confondu les esprits et les cœurs et désarticulé l'unité ecclésiale. Les répercussions négatives sur la conception même du rôle de la papauté sont inquiétantes.

    Tous ces éléments ont convergé dans la perspective de la synodalité, qui est peut-être le trait le plus expressif de la décennie qui vient de s'achever. D'une part, elle est proposée comme un nouveau dogme et une panacée, d'autre part, elle est comprise comme une nouvelle aventure dans laquelle l'essentiel est de savoir comment nous vivons ensemble plutôt que pourquoi et dans quel but. Nous revenons ainsi à la confusion entre théorie et praxis, à l'immanence de la doctrine dans la pastorale, à la coïncidence de la méthode et du contenu.

    Il ne fait aucun doute que l'Église se rétablira. Mais les bouleversements ont eu lieu et laissent derrière eux une grande perplexité.

  • Le pape est-il démago ?

    IMPRIMER

    Charismatique et populaire, François n'hésite pas à poser les gestes qui font mouche et lancer les formules qui font le buzz ? N'en fait-il pas un peu trop ?

    Loin de la langue de buis, ce commentaire de Jean Mercier (hebdomadaire « La Vie ») sur son blog « Paposcopie », ce 18 septembre :

    La doxa mediatique a tranché. Le pape François est un type très bien. Six mois après son élection, les critiques qui se sont déversées par tombereaux entiers sur Benoît XVI ne sont plus qu’un vieux souvenir. Enfin, les catholiques ont un pape acceptable, ce qui ne s’était plus vu depuis 30 ans…

    Et si François était un tout petit peu démago, du point de vue culturel qui est le nôtre ? L’idée me titille depuis quelques semaines… Même si je m’émerveille de la capacité de ce pape à nous parler avec une totale humanité, de son contact charnel avec la “chair du Christ” que sont les pauvres, je suis parfois gêné par sa capacité de séduction qui n’est pas sans une forme de manipulation, consciente ou non de sa part.

    Je pense à sa façon de demander à ce jeune homme inconnu, qu’il appelle au téléphone, de le tutoyer. Pas de doute, c’est le genre d’anecdote qui plaît dans les rédactions de France, de Navarre et du monde entier !

    Le comble dans le genre est la conférence de presse improvisée dans l’avion au retour des JMJ. Quelques mots ont déclenché une excitation sans précédent. Lorsqu’on demande au pape de se positionner sur l’homosexualité, il répond : “Qui suis-je pour juger…?”

    Tout est dans le “Qui suis-je ?”. Et bien, tout simplement : il est le pape… Et c’est pour cela qu’on lui pose la question. Et pour cela que sa réponse a fait le buzz...

    Si je suis en plein accord avec ce que François a dit sur l’attitude de l’Eglise face aux gays, je ne peux m’empêcher de tiquer. Sa réponse est soit une manière de ne pas assumer son état, soit une pirouette destinée à séduire la totalité de la planète médiatique par son humilité - et faire conclure à une “révolution” sur l’attitude de l’Eglise.

    Le summum a été atteint dans sa fameuse lettre aux non-croyants publiée dans la Repubblica, destinée à Eugenio Scalfari. Magnifique coup médiatique. Néanmoins, lorsque le pape explique que le non-croyant peut se trouver quitte devant Dieu parce qu’il a été fidèle à sa conscience, je ne peux m’empêcher de trouver l’argumentation très faible à tous points de vue. Parce que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les tortionnaires sans foi ni loi vous disent qu’ils ont la conscience tranquille. Sans doute aurait-il fallu que le pape rentre un peu dans la complexité du sujet...

    Je pense aussi à sa rhétorique contre le cléricalisme, la richesse, les chrétiens qui font la gueule, l’hypocrisie des catholiques, la banque du Vatican (“Saint Pierre n’avait pas de compte en banque”, etc...). Tout ce qu’il dit est vrai, mais flatte le côté “anti-Institution” de maints catholiques et non-croyants.

    Loin de moi l’idée de réduire le pape à une sorte de bateleur qui ne nous dirait que ce que nous voulons entendre. Il a des paroles exigeantes, du genre qui empêchent de dormir, comme à Lampedusa, sur notre égoïsme. Je l’appelle même le “défibrillateur”.

    Oui, le pape est démago. Peut-il en être vraiment autrement ? Les cardinaux, le 13 mars 2013, ont choisi une personnalité forte, sur un programme de reconquête de confiance en l’Eglise, à la fois de la base catholique et de l’opinion publique internationale. Un pape capable d’attirer l’attention de façon positive. Partant de cette réalité, il est normal et légitime que François joue le jeu d’une séduction tous azimuts.

    Jouer le jeu, quitte à jouer avec ses interlocuteurs… Dans l’avion de l’aller à Rio, François explique qu’il a peur des journalistes et ne leur accordera pas d’interview. Au retour, il se livre à eux comme aucun pape n’avait osé le faire, pendant 1h20, répondant à toutes leurs sollicitations. Manoeuvre calculée ? Impossible de savoir. En tous cas, le succès de communication fut total : l’Eglise n’est, parait-il, plus homophobe. Bravo François ! Et tant pis pour la manipulation du “Qui suis-je ?”

    De même, il ne servirait à rien de vouloir retrouver l’estime des athées, agnostiques, et les gens “de doute” sans leur dire d’emblée qu’ils sont des gens bien et que Dieu les bénit s’ils sont fidèles à leur conscience. Car s’il fallait leur expliquer qu’ils doivent éclairer celle-ci par la Révélation chrétienne, c’est-à-dire introduire des bémols et une batterie de conditions, le potentiel de sympathie serait entamé, et l’opération serait nulle.

    Le pape est donc d’une cohérence redoutable. Il faut bien mettre les gens - notamment ceux qui font la doxa médiatique - dans sa poche avant de solliciter leur ouverture du coeur sur des questions cruciales. Voilà pourquoi je suis en faveur de la démagogie papale. Au moins au début du pontificat.

    Souvenons ici que Bergoglio vient “de l’autre bout de la terre”, et plus particulièrement de l’Argentine, un pays dont la culture est marquée par le populisme. Sans surprise, il est normal que le pape profile sa reconquête des périphéries existentielles en s’appuyant sur cette culture. D’autant que cette stratégie populiste s’appuie sur du vrai, du tangible. On n’est pas dans une pure “com”. Le pape séduit seulement par des discours choc, mais des gestes concrets et des ruptures réelles (dans la simplicité de vie).

    Comme on dit en Angleterre : “He can talk the talk, but also walk the walk”. C’est à dire : le pape n’est pas quelqu’un qui se contente de bien causer, il trace la route et la fait jusqu’au bout, regagnant une crédibilité que l’homme de la rue ne reconnaissait pas à son prédécesseur.

    Autre chose qui renforce le profil de leader populiste de François : son côté légèrement autocratique. Personne ne s’est ému outre mesure lorsque le pape a décidé de supprimer la prime généralement dévolue aux employés du Vatican suite à son élection, ni sur la manière cavalière selon laquelle il a décidé de canoniser Jean XXIII, sans le miracle qui aurait été nécessaire, au mépris des règles en vigueur.

    On pourrait épiloguer aussi sur la façon dont il a décidé de rompre avec la tradition du lavement des pieds liturgique à Saint Pierre de Rome, avec 12 prêtres symbolisant les apôtres, à savoir le mémorial de l’institution du sacerdoce par le Christ, pour le transférer à la prison (incluant des femmes). C’est très fort, car le pape “réouvre” le geste du Christ sous l’angle prophétique, ce qui m’a beaucoup touché personnellement. Mais il aurait été normal qu’un pape tout neuf (depuis quinze jours) s’explique sur cette rupture. Des commentateurs ont alors souligné le risque de l’arbitraire en matière liturgique … (A partir de là, tous nos curés sont fondés à interpréter à leur guise le missel romain).

    Bergoglio, en dépit de sa réputation de “pape ouvert” - par opposition à "l’obscurantiste" Benoît XVI ! - était connu, comme évêque de Buenos Aires, pour n’en faire qu’à sa tête. Comme le fait remarquer Andrea Gagliarducci dans un article, il gère désormais les choses de façon directe, peu collégiale, en ayant tendance à court-circuiter les médiations... (voir mon analyse sur sa communication qui va dans ce sens)

    Quelques exemples. Les cardinaux qui vont se retrouver pour plancher sur l’avenir de l’Eglise début octobre à Rome ont été choisis par lui et ne réfèreront qu’à lui. Même chose pour le nettoyage de la Banque du Vatican, ou l’audit financier et administratif. On peut comprendre que le pape ne souhaite pas que des collaborateurs “bien intentionnés” étouffent les scandales découverts en route. Mais la vérité est qu’il impose un pouvoir régalien disparu lors de la fin de règne de Jean Paul II, et sous Benoit XVI.

    Dans son article, Gagliarducci se penche sur les récentes nominations du pape. Il souligne qu’il a passé outre la loi écrite selon laquelle un secrétaire d’Etat doit être un cardinal, et le secrétaire général de l’Etat du Vatican, un archevêque. La question n’est pas de savoir si le pape a tort ou raison, mais de constater qu’il prend des libertés avec le code.. “La réforme se fait par palliers, mais François occupe la tour de contrôle, et tout le monde suit. Cela montrerait qu’écouter les gens n’implique pas un mode décisionnel collégial”. Il est ainsi question que la Secrétairerie d’Etat se trouve déchargée d’un certain nombre de dossiers qui passeraient sur le bureau du pape, et qu’elle se recentre sur sa mission diplomatico-étatique, perdant une grande partie du pouvoir gagné sous Benoît XVI.

    Gentiment mais sûrement autocrate, François tient fermement les manettes. Qui s’en plaindrait vraiment ? Dans les spéculations de l’avant Conclave, de nombreux observateurs confiaient que l’Eglise avait besoin d’un pape à poigne. Le “Panzer kardinal” Ratzinger avait été trop gentil avec les méchants, et la chienlit avait prévalu. Il nous fallait une sorte de nouveau Pie XI capable de faire “peur” à ceux, qui, au Vatican, voulaient que rien ne change. Mâtiné de François d’Assise, nous l’avons donc. L’Esprit Saint fera le reste.

    Ici : Le pape est-il démago ?

    ...Et pour paraphraser Gamaliel « Si cela vient des hommes, cela disparaîtra de soi-même, si cela vient de Dieu, cela continuera et nous n'y pourrons rien ". ( Ac. 5, 34). JPSC 

    Lire aussi : François est un génie de la "communication"

  • La « Revolución » dans l’Eglise

    IMPRIMER

    Selon Jean Mercier sur son blog « paposcopie » :

    Depuis sept mois, le pape n’a cessé de dessiner les contours d’une révolution dans la façon d’exercer le pouvoir, qui touche en particulier les prêtres et les évêques. Mais la réforme en vue ne vise pas que la curie. Elle va se déployer tous azimuts, de la base au sommet.

    1. En finir avec le cléricalisme

    Cardinal-archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio ne cachait déjà pas sa détestation du cléricalisme, fustigeant les abus de pouvoir des prêtres, soit par ingérence dans la liberté des personnes, soit par excès d’autoritarisme. Depuis sept mois, à plusieurs reprises, le pape a vitupéré les prêtres et leur tendance à gérer l’accès aux sacrements avec une « mentalité de douaniers » et les appelle à « prendre l’odeur de leurs brebis ».

    Dans son interview-fleuve aux revues culturelles jésuites rendue publique le 19 septembre dernier, le pape est clair : « Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. »

    2. Sortir sur la frontière

    La sacristie, c’est fini. Le pape veut une révolution culturelle qui touche tout le monde, celle d’une Église missionnaire, tournée vers les périphéries existentielles, et non plus « autoréférentielle ». La priorité est donc le « dialogue avec la frontière ». Le pape fustige la complaisance des curés à brosser la brebis toute propre au lieu d’aller chercher la brebis galeuse… Pour François, l’urgence est « d’être une Église qui trouve de nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Cette Église est la maison de tous, pas une petite chapelle qui peut contenir seulement un petit groupe de personnes choisies ».

    L’anticléricalisme du pape n’est donc pas la négation du sacerdoce ministériel, mais sa conversion : « La chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille.». François appelle à aller vers ceux qui se sentent rejetés et refuse la focalisation sur les questions liées aux mœurs ou à la sexualité.

    3. Renoncer à la rigidité passéiste

    « Celui qui aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la “sûreté” doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive. » Le pape ajoute : « Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui aujourd’hui ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance. » Dans sa lettre à Eugenio Scalfari, le pape a aussi défendu l’idée que chacun avait sa propre conception de la vérité et qu’il devait suivre sa conscience. En plus de cette posture qui peut passer pour relativiste, François semble aller dans le sens inverse de Benoît XVI : il qualifie la messe ancienne de « vieux rite » (et non plus de forme extraordinaire), réhabilite la théologie de la libération, choisit ses collaborateurs dans l’aile progressiste ou sociale et n’hésite pas à écarter ceux qui sont plus « conservateurs ». Du coup, aux yeux de certains catholiques, le pape cliverait ses troupes. « Du point de vue français, on pourrait le voir comme cela. La problématique hexagonale – des jeunes prêtres et laïcs plus traditionnels que leurs aînés – lui échappe, comme à tous les ­Sud-Américains que je connais… », explique un prélat français au Vatican. Mais en même temps, François a plusieurs fois appelé les catholiques à vivre à contre-courant et a fustigé « l’esprit du monde ». Ce qui devrait rassurer ceux qui craignent un ralliement du pape au relativisme ambiant.

    4. Révolutionner la gouvernance

    Lors du conclave, la réforme de la curie romaine est apparue comme la priorité des priorités, et les cardinaux ont élu Bergoglio sur sa capacité à faire le boulot. Très vite après son élection, François a constitué un groupe de travail de huit cardinaux venus du monde entier – dont un seul Italien – pour revoir la constitution Pastor bonus, qui régit la curie. Mais à la veille de leur première réunion, du 1er au 3 octobre, le pape a décidé d’étendre les compétences de ce G8 et d’en faire son conseil de cardinaux, de façon pérenne. Ces conseillers seront compétents au-delà des questions de réforme de la curie, mais ne décideront pas eux-mêmes, le pape restant seul décisionnaire. En fait, Pastor bonus ne devrait pas être toilettée, mais bien totalement refondue, selon le porte-parole du Vatican, le père Lombardi.
    À Rome, l’heure est aux rumeurs, dans l’attente de décisions concrètes. La secrétairerie d’État, qui avait tout verrouillé sous Benoît XVI, se verrait recentrée sur sa mission diplomatique. On parle aussi de la création d’un modérateur de la curie, dont le rôle serait d’assumer une coordination générale. « L’important est moins de refondre la structure que de se débarrasser de certains incompétents », explique tranquillement un proche du pape. François a commencé à couper des têtes, comme celle du patron de la Congrégation pour le clergé, le très conservateur cardinal Piacenza, très officiellement placardisé.

    La réforme de la curie n’est pas que structurelle, car le pape veut véritablement insuffler un nouvel esprit, comme en témoigne ce passage remarqué de son interview aux revues jésuites : « C’est impressionnant de voir les dénonciations pour manque d’orthodoxie qui arrivent à Rome ! Je crois que ces cas doivent être étudiés par les conférences épiscopales locales, auxquelles Rome peut fournir une aide ­pertinente. De fait, ces cas se traitent mieux sur place. Les dicastères romains sont des médiateurs et non des intermédiaires ou des gestionnaires. »

    5. Réinstaurer la collégialité

    Le partage du pouvoir est l’autre grande attente de la base. « Je crois que la consultation est essentielle. Les consistoires, les synodes sont, par exemple, des lieux importants pour rendre vraie et active cette consultation. Il est cependant nécessaire de les rendre moins rigides dans la forme. Je veux des consultations réelles, pas formelles. » La priorité du pape est de revitaliser le synode des évêques, une structure qui fonctionnait jusque-là de manière intermittente et de façon un brin soviétique, pour lui donner un leadership nouveau. Pour autant, le pape est connu pour sa façon autoritaire de gouverner. « En bon jésuite, il consulte beaucoup, mais décide seul. Il peut être très dur. C’est ce qu’il faut pour réformer la curie », explique un observateur.

    6. Reconnaître les laïcs

    La dynamique actuelle devrait impliquer davantage les non-clercs. En juillet, le pape a créé une commission chargée d’un audit administratif et financier, composée majoritairement de laïcs. Le G8 des cardinaux planche sur la question d’une meilleure reconnaissance des laïcs. Le conseil pontifical pour les laïcs serait promu en « congrégation » romaine, comme il y en a pour les prêtres et les évêques.

    7. Parler en direct au peuple

    « La prophétie fait du bruit, on pourrait dire qu’elle sème la pagaille. » Cet aveu du pape permet d’éclairer son art contre-clérical de court-circuiter les médiations ecclésiales. Coups de fil aux hommes qui font l’opinion ou aux gens de peu qui lui ont écrit pour dire leur misère, interviews chocs, petites phrases qui fuitent… Le pape a gagné ainsi une extraordinaire popularité dans les médias profanes pour sa liberté de ton. Des observateurs expliquent que François veut s’assurer une bienveillance maximale auprès du peuple italien et des médias laïcards avant de pouvoir passer à une nouvelle phase du pontificat : la neutralisation des mafias internes au Vatican qui sont prêtes à faire sauter le système par la révélation de scandales jusqu’ici bridés par le chantage. La ferveur populaire envers le pape serait donc garante d’une vraie réforme, car les médias raffoleraient d’un scénario où François serait menacé par la pègre en soutane.

    8. Repenser la fonction pontificale

    C’est la pointe de l’anticléricalisme papal : depuis le soir même de son élection, François insiste sur sa qualité d’évêque de Rome. Il a réduit au minimum ses atours pontificaux : chaussures noires, valise de curé, croix pectorale, voiture banalisée. Ses gestes crédibilisent son discours sur la pauvreté de l’Église et tendent à réformer l’ensemble du système « prêtre-évêque-pape » vers le dépouillement. Sa volonté de réformer le synode romain « pourra aussi avoir une valeur œcuménique ».

    9. Dénouer les nœuds

    Dans le droit fil de son ambition d’une Église miséricordieuse, la pastorale des gens « hors des clous » est primordiale, comme celle des homosexuels ou des couples non mariés et des divorcés remariés. Ce dernier dossier, que le pape veut traiter dans le cadre du chantier plus vaste de la pastorale familiale, a été mis au menu du G8 des cardinaux. Signe de l’urgence, le pape convoque un synode extraordinaire des évêques à Rome, du 5 au 19 octobre 2014, axé sur la question de la famille, afin de dénouer les situations bloquées. 

    Et vous, qu'en pensez-vous ?"

    Référence : Les neuf priorités du pape François pour la réforme de l'Eglise

    Traquer le cléricalisme et la rigidité passéiste, dévaluer les liturgies traditionnelles, capter la bienveillance des médias « laïcards » (sic), partager le pouvoir avec la base ecclésiale etc. Que de caricatures dans l'énoncé de ce "programme", que de slogans populistes dans ce potage. Ce qui est excessif est insignifiant. On a déjà lu Jean Mercier mieux inspiré…  

    Quant aux odeurs des brebis, toutes ne sont pas bonnes à prendre par le pasteur. Seigneur, donnez-nous surtout de saints prêtres qui imprègnent le troupeau de leur bonne odeur.

    JPSC

  • Les évêques belges et la bénédiction des unions homosexuelles : une situation explosive et tragique qui nécessite une cl

    IMPRIMER

    De Luisella Scrosati sur le site de la Nuova Bussola Quotidiana :

    "Nous évêques de Belgique bénissons les couples homosexuels avec l'accord du pape"

    22-03-2023

    Déclarations fracassantes de l'évêque d'Anvers, Monseigneur Johan Bonny, au synode allemand : après Amoris Laetitia, dans tous les diocèses belges, il est normal de bénir les couples irréguliers, et le pape François aurait approuvé ce choix lors de sa visite ad limina en novembre dernier : " Il suffit que vous soyez tous d'accord ". Des propos très graves, qui nécessitent une explication immédiate de la part de Rome.

    En Belgique, les évêques sont tous unis pour approuver la bénédiction des couples homosexuels et autres couples irréguliers, il existe même un rituel et le Pape aurait tout approuvé en novembre dernier lors de sa visite ad limina. Ce sont les déclarations explosives de l'évêque d'Anvers, Monseigneur Johan Bonny, lors de l'assemblée du Synode allemand que l'on peut entendre ici (à partir de la minute 06:08:46) dans la vidéo complète de la cinquième assemblée du Synode allemand.

    Au cours d'une journée riche en discours d'une minute et demie chacun, Mgr Bonny a pu bénéficier de huit bonnes minutes pour raconter comment les évêques belges ont officiellement introduit la bénédiction des couples irréguliers dans leurs diocèses (nous en avions parlé ici et ici), au mépris du Responsum que la Congrégation pour la doctrine de la foi avait publié l'année précédente, avec l'approbation du Pape.

    Une atmosphère vraiment surréaliste, celle de l'Assemblée, avec des interventions de toutes sortes : des réflexions les plus théologiques, aux demandes de psychologues d'approuver la bénédiction de couples homosexuels, pour ne pas avoir de futurs suicides sur la conscience, de personnes déçues par le rejet de l'Église ; jusqu'à une jeune femme qui s'est mise à lire les cartes reçues d'on ne sait qui, et qui demandait à l'Assemblée de changer l'Église. Un théâtre de l'absurde qui culmine avec l'incroyable "célébration eucharistique" (à partir de la minute 2 : 58:27) : lumières tamisées, musique blues, style piano bar, chanteur qui "se déhanche", et au lieu du psaume responsorial ou de l'hymne évangélique (difficile d'interpréter cette créativité liturgique) s'aventure dans des vocalises "ah, eh, dududu" ; Prêtre avec surplis et étole, rigoureusement sans Missel, qui regarde en partie un feuillet, en partie de mémoire, ajoutant et enlevant ici et là "ad libitum", inventant la "prière eucharistique" à partir de rien ; assemblée blottie sur des chaises, avec leurs notes synodales, leurs PC et leurs bouteilles d'eau devant eux. Il faut le voir pour le croire.

    Mgr Bonny a expliqué que les évêques belges, après avoir lu et médité pendant deux jours l'Exhortation post-synodale Amoris Laetitia, ont produit un texte court de deux pages et demie, avec seulement quatre paragraphes, qui énoncent deux points fondamentaux : une pastorale stable des personnes queer (c'est le terme utilisé par Mgr Bonny, mais d'après le contexte, on comprend qu'il s'agit de toutes les orientations LGBTQ), avec la désignation d'un responsable pour chaque diocèse, et un groupe interdiocésain stable ; la bénédiction de tous les couples en situation irrégulière.

    Le premier paragraphe, a expliqué l'archevêque, renvoie aux deux textes qui constituent la base de ces deux décisions, à savoir les paragraphes 297 et 303 d'Amoris Laetitia. Tous deux appartiennent au chapitre huit, le chapitre décidément le plus problématique et le plus discuté de l'Exhortation. Le premier, le paragraphe 297, est une exhortation du Pape à "intégrer tout le monde", à "aider chaque personne à trouver sa propre manière de participer à la communauté ecclésiale, afin qu'elle se sente l'objet d'une miséricorde "imméritée, inconditionnelle et gratuite"".

    Le paragraphe ne se réfère pas "seulement aux personnes divorcées dans une nouvelle union, mais à tous, quelle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent". Ce texte, "concernant la manière de traiter les diverses situations dites "irrégulières"", conclut, de manière très vague, à la nécessité de "leur révéler la pédagogie divine de la grâce dans leur vie et de les aider à atteindre la plénitude du dessein de Dieu en eux".

    Le deuxième paragraphe, n° 303, est le célèbre passage sur l'implication de la conscience dans la pastorale de l'Eglise ; la conscience peut en effet "reconnaître avec sincérité et honnêteté ce qui est pour le moment la réponse généreuse que l'on peut offrir à Dieu, et découvrir avec une certaine certitude morale que c'est le don que Dieu lui-même demande au milieu de la complexité concrète des limitations, même s'il n'est pas encore pleinement l'idéal objectif".

    Dans l'application faite par les évêques belges, une relation sexuelle désordonnée et objectivement pécheresse peut donc devenir le maximum qui peut être offert à Dieu à un moment donné, et l'Eglise, pour sa part, ne doit pas seulement respecter ce discernement erroné de la conscience, elle doit l'intégrer inconditionnellement. Dans cette logique, la bénédiction des couples irréguliers passe magiquement de la bénédiction d'une relation désordonnée à la bénédiction de ce " bien " imparfait qui constitue à ce moment-là la " réponse généreuse que l'on peut offrir à Dieu " concrète.

    Ces deux points d'AL - rappelons-le - ont servi de support à l'ouverture aux bénédictions des couples homosexuels, affirmée dans le quatrième paragraphe du document des évêques belges. Le texte a été approuvé par tous les évêques belges, même si les évêques francophones ont voulu présenter chacun leur propre document, mais avec le même contenu. Selon le récit de Bonny, le texte a été élaboré en discussion avec le Saint-Siège ; à la fin, "nous avons publié le texte et il y a eu un silence". Les paroles de l'archevêque d'Anvers sont accompagnées d'un tonnerre d'applaudissements.

    Le texte, accepté à l'unanimité, a ensuite été porté à Rome, lors de la visite ad limina de novembre dernier, une semaine après celle des évêques allemands. Voici comment Bonny a rapporté cette rencontre avec les autorités romaines : "Ils ont tous dit - et c'est ce qui est important - "c'est votre Conférence épiscopale, c'est votre décision". Le pape n'a dit ni oui ni non.

    Les évêques avaient également décidé de présenter un schéma pour la réalisation de ces bénédictions ; pas un rituel proprement dit, mais un schéma qui pourrait ensuite être personnalisé dans chaque diocèse ; après quelques années d'expériences liturgiques, les évêques ont convenu que les meilleurs textes seraient choisis, afin qu'ils puissent ensuite avoir un rituel commun. L'évêque d'Anvers ajoute : "Nous en avons également parlé au Pape. Il nous a dit : 'c'est votre décision, je peux le comprendre'. L'important pour lui était de continuer avec sagesse et de rester unis. Par deux fois, il a demandé : êtes-vous tous d'accord ? Est-ce que vous marchez ensemble ? Alors nous avons dit : oui".

    Les déclarations de Mgr Bonny ne se réfèrent pas à une prétendue conversation privée avec le Pape, comme celles auxquelles Eugenio Scalfari nous avait habitués. Il s'agit de déclarations faites en présence de tous les évêques de Belgique, au cours d'une visite ad limina importante et officielle. Et ce sont des déclarations d'une énorme gravité, révélant le soutien du Pape à une véritable hérésie. Mgr Bonny les renvoie ensuite non pas à son perpétuel, mais à toute l'Assemblée synodale de l'Église d'Allemagne, des paroles qui ne sont pas des reconstructions de journalistes, mais celles qu'il a réellement prononcées, et que tout le monde peut entendre. Des paroles qui, en outre, indiquent une interprétation clairement hétérodoxe d'une exhortation apostolique plus qu'ambiguë et sur laquelle le pape François n'a jamais voulu donner une réponse claire.

    Il est donc clair que nous sommes face à une situation explosive et tragique qui nécessite une clarification immédiate et rapide de la part du Saint-Siège. Car on ne peut pas faire la sourde oreille à un pape qui retire aux évêques l'autorité de décider si une messe en rite ancien peut être célébrée dans une paroisse, mais qui accorde à ces mêmes évêques l'autorité d'accomplir des actes hérétiques et blasphématoires. Tant qu'ils le font "avec sagesse et dans l'unité".

  • Critiquer le pape ?

    IMPRIMER

    De Gabriel Privat, sur son blog :

    Peut-on critiquer le pape ?

    Le style pontifical actuel surprend et désarçonne, c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis le soir de son élection au souverain pontificat, le pape François a pris tout le monde à rebrousse-poil, sans exception, donnant des coups de férule à qui mieux mieux pour secouer non pas seulement les chrétiens, mais l’humanité assoupie dans sa fange. 

    Il a parlé du Diable et de ses ruses comme peu de pontifes l’avaient fait depuis les cinquante dernières années. Il a condamné les dérèglements de l’économie, l’indifférence face à la misère, la traite humaine, la violence non pas seulement guerrière mais économique et morale, les pêchés qui obscurcissent notre jugement, dans la plus parfaite continuité avec le précédent pontificat, mais en des termes d’une âpreté que jamais Benoît XVI ou Jean-Paul II n’auraient osé employer. Comme Pie XII jadis se rendait dans les quartiers de Rome bombardés par les alliés pour se mêler au peuple souffrant, au mépris des risques pour sa vie ; François a quitté le Vatican pour marcher au milieu des Romains manifestant contre l’avortement, en 2013. Il a multiplié les entretiens à des revues de différents pays pour parler directement aux peuples.

    En somme, c’est un lutteur qui est monté sur le ring.

    Mais François a aussi des idées bien à lui. Il a fait part de ses conceptions sur la relativité de la notion de mal en fonction de la conscience personnelle dans un entretien accordé au journaliste Eugenio Scalfari. Il a confirmé, dans un entretien au journal argentin la naçion qu’il était favorable à la levée de tous les interdits pesant sur les divorcés-remariés et à la simplification des procédures de déclaration de nullité de mariage. Certes, il a aussi expliqué qu’il se plierait au vote du prochain synode sur la famille et qu’il ne remettait pas en cause l’indissolubilité du mariage (même si la pratique pastorale qu’il veut mettre en pratique s’oppose à la foi qu’il proclame sur ce point.). Mais il se trouve que la tendance majoritaire du dit synode va dans le sens du pontife, que plusieurs cardinaux hostiles à la tendance que voulait imprimer le pape ont été écartés pour divers motifs, et qu’enfin une telle déclaration publique ne pourra qu’influencer les évêques et cardinaux dans leur choix final, soucieux de maintenir une stricte obéissance au pape.

    Cependant rien n’est fait. La vie de l’Eglise, depuis deux mille ans, est emplie de rebondissements inattendus.  Souvenons-nous de l’encyclique Humanae vitae de 1968, publiée à rebours de l’attente de la majorité des évêques d’Europe et des préconisations des commissions réunies par Paul VI. Souvenons-nous du synode de 1971 qui réaffirma l’exigence du célibat sacerdotal dans l’Eglise latine, au contraire des attentes de l’épiscopat catholique de Hollande, de Suisse et d’Allemagne.

    Mais revenons à François. Ces déclarations, auxquelles s’ajoutent un style dépouillé qui passe mal chez certains, ont déclenché, depuis plusieurs mois, un climat de critiques permanentes, venimeuses, voilées ou publiques contre la personne même du pape et son enseignement. Ce climat de critique ne touche pas que les milieux traditionalistes français, mais aussi certains prêtres, quelques évêques et un petit nombre de cardinaux, dans le monde entier.

    Il est vrai que l’enjeu est de taille. Autour de cette question des divorcés-remariés, c’est la question du mariage tel que conçu par l’Eglise depuis deux mille ans, sur la base de l’enseignement du Christ lui-même dans les Évangiles qui est en cause. C’est aussi la notion de pureté des corps, celle du sacrilège et du pêché qui peuvent être touchés par cette évolution non pas de pastorale mais de foi !

    L’urgence dans laquelle se trouve le monde autorise-t-elle pour autant des chrétiens à cultiver l’aigreur, la critique stérile et permanente, la haine publique contre le pontife ?

    Il y a, dans ces attitudes, une série de risques qu’il faut peser avant de parler :

    – Le risque du péché privé. La médisance, la haine, la colère brutale et mauvaise sont des pêchés qui, même si leur cause est légitime, demeurent des maux en eux-mêmes. Ils retirent la grâce à ceux qui s’en rendent coupables. Nous savons où finissent les pêcheurs qui quittent cette terre hors de la grâce…

    – Le risque du péché public. En rendant cette haine publique, ses auteurs la diffusent dans le monde, dévalorisent l’image de l’Eglise, des chrétiens et de Dieu lui-même aux yeux d’autres chrétiens, des membres d’autres religions et d’incroyants. Ils sèment le trouble et la confusion, ils entretiennent la division latente ou ouverte. C’est ce que saint Philippe Néri rappelait à sa pénitente médisante, en lui demandant, à sa première confession, en pénitence, de plumer une poule dans les rues de Rome, puis, après la deuxième confession, en pénitence, de retrouver toutes les plumes. C’était une mission impossible. De la même manière, les paroles de médisance publique sont irrattrapables. C’est pourquoi il ne faut parler qu’avec prudence et respect.

    – Le risque de l’aveuglement. Il consiste, à force de haine recuite, à ne plus voir tout ce qui peut sortir de bon de la bouche du pape, tout ce qui est conforme à la foi et nous fait grandir en vertu dans son enseignement. Il consiste enfin à se défier de l’Eglise elle-même par haine et par sottise, en somme à ne plus faire confiance aux pasteurs qui ont la charge du troupeau des fidèles. Pourtant, l’expérience personnelle nous montre bien que même un prêtre aux idées étranges en matière de morale ou de dogmatique n’en demeure pas moins souvent un bon confesseur, un accompagnateur spirituel de confiance, un prédicateur capable, en somme un vrai lévite ! Cet aveuglement provient du passage d’un excès à l’autre : bien des fidèles font de leurs prêtres ou du pape des sortes de dieux vivants, infaillibles en toutes choses, des parfaits impeccables. A cause de ce travers, il abdiquent de leur raison, de leur capacité de jugement, et ne savent plus voir telle faiblesse, telle nuance qui les incite à se prendre en main eux-mêmes sur un point, tout en maintenant leur totale confiance à leurs pasteurs. Lorsque leurs yeux se dessillent, comme l’amoureux déçu, ils passent de l’adoration à la haine et au rejet. Avec le même aveuglement ils ne voient plus rien de bon en ceux qu’ils adorèrent jadis. Pourtant la faute est en eux et réside dans l’adoration déraisonnable qu’ils ont porté à des hommes qui n’étaient que les serviteurs du seul Dieu adorable.

    – Le risque du schisme. En effet, à cultiver la division et la critique, on prend le risque, au moindre prétexte, à la moindre secousse un peu trop forte, de quitter l’Eglise, de se réfugier dans le groupe des purs, à l’écart des errants. Mais il y a là une très grave erreur de jugement. En effet, seule l’Eglise en tant qu’institution, à en croire l’Évangile, a reçu les promesses de la vie éternelle. Aussi, se réfugier dans un groupe à part, hors de l’Eglise, c’est prendre le risque de ne plus évaluer le monde que par son seul jugement, de s’éloigner toujours un peu plus de Dieu et de dériver doucement du schisme à l’hérésie, de l’hérésie à la secte et de là dans la déchéance commune autant qu’individuelle. A l’exception des églises orientales qui ont bien tenu contre l’injure du temps, il n’est pas d’exemple d’église schismatique ayant tenu dignement dans le temps, éloignée de l’Eglise universelle. Croire que l’Eglise n’est plus dans l’Eglise est une erreur qui peut conduire à augmenter sans cesse le nombre de ses fautes. Même si un pontife, même si un synode ou un concile proclament des erreurs et que celles-ci sont suivies pendant un temps plus ou moins long par des fidèles aveugles, l’Eglises reste toujours dans l’Eglise, c’est une vérité de foi qui ne peut pas être contestée, à moins de réfuter l’Ecriture elle-même.

    Ainsi, critiquer ouvertement le pape comme cela se fait chez certains, est une erreur pleine de dangers. Alors que faire quand la foi est en danger ?

    D’une part il convient de prendre conseil, de s’instruire et de prier pour s’assurer qu’il y a bien erreur et que le danger est aussi grand qu’on le pense.

    D’autre part, dans ce temps de réflexion, la meilleure attitude reste le silence. C’est un silence souffrant peut-être, mais il ne peut être que bénéfique à la vie personnelle et à l’Eglise. Comme disait le père Garrigou-Lagrange (op) « Souffrir pour l’Eglise ou souffrir par l’Eglise, c’est toujours faire la gloire de Dieu. »

    Enfin, si les craintes sur l’importance du danger se confirment, il vaut mieux conserver toujours l’attitude apaisée et sereine de celui qui a la certitude de mener le bon combat, il vaut mieux ne jamais perdre de vue que si un point de l’enseignement pontifical est défaillant cela n’invalide en aucune manière tous les autres points, que l’obéissance reste de mise, et que par conséquent il est préférable d’user d’abord tous les recours légaux internes à l’Eglise pour se faire entendre, avant de proclamer hautement son désaccord et, en quelque sorte, de déclarer la guerre à un parti dans l’Eglise.

    L’Eglise a déjà connu des guerres internes sans qu’il y ait véritablement de schisme. Ce que l’on a appelé le grand schisme d’Occident à l’époque des papes d’Avignon, en est le plus bel exemple. C’est une série de conciles, à Constance, Florence et Ferrare qui ont mis fin à la guerre interne. Après bien des souffrances, l’Eglise est sortie renforcée et purifiée de cette lutte. Mais combien de haines et de pertes il a fallu engranger avant d’en arriver à la réconciliation ! Cet exemple, à lui seul, montre combien il faut tout tenter dans la paix, avant de se résoudre à une guerre qui ne doit en aucun cas sortir des bornes de l’Eglise. Très concrètement cela veut dire que même dans la lutte, il y a des bornes infranchissables, celles du droit canon.

    Dieu fasse que cette extrémité ne soit jamais posée. En attendant, il faut écouter et vivre en cultivant l’esprit des Béatitudes. Le veilleur devant le camp est toujours vigilant, mais il se repose avant la venue du jour.