Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les catastrophes, une punition ?

IMPRIMER

Sur le "Blog de Desiderius Erasme", figure cette réflexion opportune sur la catastrophe envisagée comme une punition. Plusieurs interventions sur des blogs ou des sites vont dans ce sens qui n'est pourtant pas celui de l'Evangile.

La catastrophe n’est pas une punition

Mon cher Thomas,

Je lisais hier soir dans un grand journal français, le commentaire d’un philosophe français sur la catastrophe nippone, et ce monsieur m’a laissé pantois. Voici ce que j’ai lu, entre autres :

« C’est comme si la Nature se dressait face à l’Homme et lui disait, du haut de ses rouleaux déferlants de vingt mètres : “Tu as voulu dissimuler le mal qui t’habite en l’assimilant à ma violence. Mais ma violence est pure, en deçà de tes catégories de bien et de mal. Je te puis en prenant au mot l’assimilation que tu as faite entre tes instruments de mort et ma force immaculée. Péris donc par le tsunami !” »

 

 

Ce même philosophe, Jean-Pierre Dupuy, professeur à Stanford, président du comité d’éthique et de déontologie de la Haute Autorité de sûreté nucléaire, citait, à l’appui de sa démonstration, Rousseau dans Émile ou de l’éducation :

« Homme, ne cherche plus l’auteur du mal : cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l’un et l’autre vient de toi. »

Je résiste cher Thomas à cette idée que la Nature châtierait, par sa « violence pure » et sa « force immaculée » l’Homme mauvais. Et je résiste davantage encore à ce que cette citation de l’Émile peut laisser croire : que l’homme serait, par définition, coupable de sa souffrance. Enfin, je refuse l’idée qui se cache derrière cette double affirmation, idée d’une culpabilité collective, qui fait de chacune des victimes les coupables de leur sort. À marcher de ce pas-là, on affirme bientôt, comme l’on fait hélas quelques hommes d’Église, que le Sida est un châtiment divin lancé contre un monde corrompu. Grâce à Dieu, cette absurdité a été dénoncée…

Urgence

L’Évangile nous dit tout autre chose. Luc rapporte, au chapitre XIII, qu’on vient annoncer à Jésus que Pilate avait fait massacrer des Galiléens en mêlant leur sang à celui de leurs sacrifices – abomination absolue. La réponse du rabbi de Nazareth, Galiléen lui aussi, est étonnante : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient des plus grands pécheurs que tous les autres pour avoir subi un tel sort ? » Et il ajoute « Et ces dix-huit personnes sur lesquelles est tombée la tour de Siloé et qu’elle a tuées, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? » Mais ce n’est pas tout : après l’un et l’autre exemple, Jésus lance cette injonction : « Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez de même. »

Ainsi, pour Jésus, il n’y a pas de lien entre le drame et la culpabilité. Le péché est partout – c'est-à-dire, si je me réfère à une de mes lettres précédentes, le non-ajustement entre ce que nous faisons et la plénitude de la vie qui nous est donnée par le Créateur. En revanche chacun doit bien comprendre l’urgence qu’indiquent ces deux catastrophes : il peut arriver à chacun d’entre nous de mourir.

La catastrophe ne nous définit pas comme coupables par essence, mais comme fragiles, éphémères… Notre vie est courte, aléatoire, nous ne la maîtrisons qu’imparfaitement, et à bien des égards elle nous échappe. La question qui nous est posée n’est pas de savoir si nous sommes coupables des catastrophes. La réalité est bien trop complexe pour qu’on puisse désigner si simplement des coupables objectifs et définitifs, et il y a des enchaînements, un réseau de causes et de responsabilités multiples et complexes. La question n’est pas non plus de savoir quels coupables désigner. Elle est plutôt de nous demander comment nous allons ajuster ce que nous faisons à notre vocation de frères en humanité. La question n’est pas tournée vers hier, mais vers demain. De quoi, de qui sommes-nous responsables maintenant et demain ? Avec qui et pour qui assumons-nous le présent et préparons-nous l’avenir ?

Le livre de Job nous apprend que la quête du coupable peut être est une impasse mensongère. Elle peut être une manière de se dérober à la convocation que constitue la souffrance de l’autre, alors que l’autre souffrant nous requiert… Bien sûr, cher Thomas, je ne veux pas dire que nous avons à nous désintéresser des causes du mal. Au contraire, je suis persuadé que nous sommes conviés à agir de sorte qu’il ne se répète pas. Mais c’est un leurre de croire que la désignation d’un coupable prévient la répétition et soigne le souffrant.

(...) La désignation d’un coupable n’a jamais sauvé personne. Et si Jésus est le seul sauveur, ce n’est pas parce qu’il est le coupable par excellence, mais l’innocent absolu qui donne sa vie. Il est, si je peux le dire ainsi, le coupable introuvable, celui en qui la faute ne peut être trouvée.

Ainsi, face au mal, le Fils de l’homme se présente, non pas pour accuser, mais pour déjouer l’accusation, détourner la violence et l’injustice. Il prend sur lui le mal en éruption que constitue le besoin de vengeance, la quête d’un exutoire face à l’incompréhensible, à l’insupportable, à la peur, etc.

À la suite de Jésus de Nazareth, nous sommes invités à retourner en nous-mêmes la question de savoir qui est notre prochain, pour nous demander de qui allons-nous nous montrer proches, au service de qui allons-nous mettre nos talents, nos moyens ? Auprès de qui allons-nous être les serviteurs de la vie ? Avec qui allons-nous inventer et accueillir l’avenir ?

Perfection

Je voudrais terminer cette lettre par cette scène qui précède de peu l’arrestation de Jésus, rapporté dans l’Évangile de Jean (au début du chapitre XII). Marie de Béthanie vient de répandre sur les pieds un parfum de grand prix. Judas s’indigne : quel gâchis, avec tout cet argent, on aurait pu aider quelques pauvres ! « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » rétorque Jésus. Le monde n’a pas fini d’être imparfait, inégal, et nous aurons toujours de quoi faire en cette matière. Désigner des coupables ne peut en aucune manière, changer cette réalité. On peut être tenté de le croire, mais il faut résister à cette tentation, pour entrevoir une autre perfection que celle d’un monde où tout serait réglé d’avance, où rien ne dépasserait ou ne ferait tâche. La véritable perfection, tient dans le fait qu’il proposé aux fils de Dieu, les hommes, de profiter de ce qui nous semble être l’imperfection du monde, pour manifester la puissance et la vérité de l’amour. Alors, la perfection de l’amour est attestée.

Les commentaires sont fermés.