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Où va la Turquie ?

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header.jpgLa tactique que semble suivre la Turquie dans ses relations avec ses voisins est de créer des liens de tous côtés pour se réserver ensuite la possibilité de rompre ceux qui ne rapportent rien. Ces derniers mois la Turquie s’est singulièrement rapprochée de la Syrie et de l’Iran tout en ménageant les Etats-Unis et sans renoncer à sa candidature à l’Union européenne. Il faudra pourtant choisir un jour, mais pas tout de suite. Il y a eu la visite du Président russe Dmitri Medvedev à Ankara et la signature d'accords stratégiques russo-turcs, puis la visite du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan en Grèce. Il y a eu l'opération de charme menée au début de l'année en Arabie saoudite et son appui vigoureux à Téhéran sur le dossier du nucléaire iranien. Des gestes importants ont été accomplis par Ankara vis-à-vis d’Erevan : la Turquie et l'Arménie ont ainsi établi des relations diplomatiques. La Turquie a normalisé ses relations avec des pays voisins comme la Syrie et l'Iran.

Cependant la Turquie reste le seul allié musulman d’Israël – pour combien de temps encore ? Depuis la violente altercation opposant le Premier ministre turc au Président de l'État hébreu, Shimon Peres, lors du Forum de Davos l'année dernière et après l'offensive israélienne contre la “flottille de la liberté”, les relations bilatérales se sont rapidement dégradées entre la Turquie et Israël. D’autres prises de position n’ont fait que confirmer cette tendance : refus de laisser participer l’aviation israélienne aux manœuvres de l’Otan, prévues dans l’espace aérien d’Ankara, refus de condamner le Soudan pour génocide. Lors d’une rencontre frontalière entre la Turquie et l’Iran, le Ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, s’exprimait ainsi: « Le principe fondamental que nous avons appliqué en politique extérieure depuis huit ans est celui d’une amitié profonde, une fraternité croissante et plus intense. Voilà pourquoi nous n’avons aucun différend. Voilà pourquoi nous avons dit que les frontières étaient des passages, non des murs, mais des portes de fraternité. Notre Premier ministre s’est fixé l’objectif de 30 milliards de transactions annuelles avec l’Iran. Nous déclarons au monde que la Turquie et l’Iran resteront amis pour l’éternité » (“Today’s Zaman”, 18 avril 2011).

Tous ces remaniements diplomatiques se sont produits sur un fond de réislamisation intensive de la Turquie. « Depuis 2003, avec l'avènement au pouvoir de l'AKP, la Turquie se dirige immanquablement vers un régime de plus en plus islamiste. Ce qui a été accompli depuis les sept dernières années en est la preuve directe. Le dernier événement en date allant dans ce sens concerne le projet de réforme de la Constitution turque qui, selon les kémalistes, sape les fondements de la laïcité. Ce paquet de réformes constitutionnelles ne semble pas issu du désir du gouvernement d'adhérer à l'UE, comme le prétend Erdogan, pour qui cette adhésion ne paraît plus une nécessité, mais d'un plan minutieux visant à prendre le chemin de la renaissance du califat ottoman, comme le soulignent désormais maints observateurs. Pour bien préparer le terrain, le gouvernement issu de la mouvance islamiste a sérieusement décapité l'armée, suite à l'affaire “Ergenakon” dans laquelle une trentaine d'officiers de haut rang ont été inculpés et près de 70 militaires arrêtés suite à des révélations les accusant d'avoir voulu comploter contre le gouvernement. Là aussi, pour l'opposition, ces arrestations relèvent du « coup d'État civil » et d'un acharnement judiciaire visant à affaiblir les défenseurs de la laïcité, alors que pour de nombreux intellectuels, elles représentent un progrès pour la démocratisation du pays » (“Orient le Jour”, 9 juin 2010).

Le parti AKP s’en est même pris au père de la Turquie moderne Kémal Atatürk qualifié d’ “apostat”, manifestant ainsi sa haine de l’idéologie laïque propagée par l’armée turque. La Turquie tourne ainsi le dos à l’Occident sans rompre tout à fait les relations. Le Premier ministre Erdogan peut encore mener en bateau les dirigeant de l’Union européenne puisqu’ils ne demandent qu’à être trompés. Il se réserve de les lâcher au dernier moment. Le double jeu peut durer longtemps. La Turquie peut décider de tirer le maximum de sa présence dans l’OTAN et de son statut de candidat à l’Union européenne. Mais lorsque les alliances musulmanes seront consolidées et qu’il faudra choisir son camp, elle jettera le masque.

Le désir de la Turquie d’accéder au rang de puissance atomique civil et militaire est aussi de plus en plus clair. Le Premier ministre Erdogan y a fait allusion dans plusieurs de ses discours en défendant le droit iranien à la bombe atomique puisqu’un autre pays de la région (Israël) en est doté – l’Iran dispose à présent de deux tonnes et demi d’uranium enrichi, plus qu’assez pour faire une bombe atomique. Il est clair que la Turquie vise à retrouver une position dominante dans la région qui faisait jadis partie de l’empire ottoman. Cette ambition pourrait bien entrer en conflit avec le projet iranien de la restauration du califat. L’amitié promise éternellement pourrait bien tourner court. Mais, pour le moment, la connexion entre la Turquie et l’Iran constitue une menace pour l’Occident et Israël plus que tout autre chose. La prudence serait de s’en méfier et de préparer la défense. (C. B. C.)

Correspondance européenne, 235, 31/5/2011

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