Sur la scène internationale, le président turc Recep Tayyip Erdogan impose sa vision impérialiste panturquiste et s’érige en leader du monde sunnite, pendant que l’Europe, infiltrée par les Frères musulmans, laisse faire. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) rappelle aussi la persécution systémique des chrétiens de Turquie, au nom du nationalisme turco-islamique, et la dénonce dans sa contribution à l’Examen périodique universel d'octobre 2024 pour la Turquie au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
À l’étranger, les Turcs se soucient moins de la terrible inflation en Turquie que de la défense de leur identité nationale et religieuse. Le président turc Recep Tayyip Erdogan sait s’en faire le champion, critiquant régulièrement «l’islamophobie» qui serait répandue en Europe, avec des déclarations comme «l'Europe, où vivent aujourd'hui 35 millions de musulmans, dont 6 millions de Turcs, se transforme de plus en plus en une prison à ciel ouvert pour nos frères et sœurs». À l’étranger, Erdogan défend même, bien que cyniquement, les chrétiens, réagissant avant le pape François pour faire savoir son indignation à la suite de l’obscène cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Paris.
Le rêve néo-ottoman d’Erdogan de rétablir l’Empire et le califat
La totalité des expatriés turcs dépasse les 6,7 millions, et 5,7 millions d’entre eux vivent dans les pays d'Europe occidentale. L’Allemagne en particulier, regroupe 2,9 millions de personnes d’origine turque, dont 1,5 million possèdent la nationalité turque. C’est la diaspora qui fournit les électeurs d’Erdogan. À l’élection présidentielle turque de mai 2023, sur les plus de 700 000 votes exprimés en Allemagne, les deux-tiers sont allés au leader du Parti de la justice et du développement (AKP). Les Turcs sont maintenant partout chez eux: à partir de cette rentrée 2024, les écoliers turcs ne disent plus «Asie centrale» mais «Turkistan», c’est-à-dire le «pays des Turcs».
Erdogan concrétise toujours un peu plus son rêve néo-ottoman de rétablir l’Empire et le califat, s’assumant en chef aussi bien politique que religieux. Dans la course au leadership du monde sunnite, il soutient les Frères musulmans, considérés comme une organisation terroriste par l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Syrie, la Russie, et les Émirats arabes unis, mais bienvenus en Europe. Le 12 octobre 2024 à Hambourg, plus de 2 000 musulmans ont manifesté pour prôner l’instauration d’un califat et l’imposition de la charia, répondant à l’appel de l’organisation islamiste allemande Muslim Interaktiv, proche des Frères musulmans. L’Arménie, qui empêche la continuité territoriale entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, est menacée de disparition après le nettoyage ethnique des 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh en septembre 2023.
Les chrétiens de Turquie victimes du nationalisme turco-islamique
En Turquie, le fort sentiment de nationalisme religieux, associé à l'accent mis par le gouvernement sur les valeurs islamiques, exerce une pression considérable sur les minorités religieuses. Les chrétiens, en particulier, sont perçus négativement et sont considérés comme porteurs de l'influence occidentale. En 2023, les chrétiens étaient le groupe minoritaire religieux le plus persécuté, avec un total de vingt-deux attaques violentes contre les chrétiens documentées. Le Centre européen pour le droit et la justice a dénoncé cette persécution des chrétiens dans sa dernière contribution à l’Examen périodique universel de la Turquie au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
La persécution de l’Église grecque-orthodoxe est la plus emblématique. Elle varie en fonction de l’état des relations entre la Turquie et la Grèce. Les fondations grecques-orthodoxes sont régulièrement expropriées, sous le prétexte fallacieux qu’elles sont «désaffectées» et doivent donc être gérées par la Direction générale des fondations, qui dépend directement du ministère de la Culture et du Tourisme turc. Le séminaire de Halki, fermé en 1971, n’a toujours pas été réouvert. Ni la personnalité juridique ni le caractère œcuménique du patriarcat œcuménique de Constantinople ne sont reconnus. L’ECLJ fera part de ses observations dans l’affaire Mavrakis, en cours à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette affaire concerne des ecclésiastiques auxquels la Turquie interdit de devenir membres du conseil d’administration de fondations grecques-orthodoxes.
Par ailleurs, le gouvernement turc utilise le Code pénal pour cibler le clergé religieux et les accuser faussement de travailler à saper sa souveraineté. Cela se vérifie particulièrement dans la région du sud-est de la Turquie, où les communautés chrétiennes arméniennes et syriaques sont prises dans les combats entre l'armée turque et les groupes de résistance kurde. Par exemple, le 9 janvier 2020, la branche antiterroriste a arrêté trois chrétiens syriaques dont un prêtre, qui n'ont pu être contactées par personne et ont été privées d'accès à un avocat. Le Père Sefer Bileçen a été accusé d'avoir fourni de la nourriture et de l'eau à des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que la Turquie considère comme une organisation terroriste. Malgré son explication, selon laquelle, conformément à sa foi chrétienne, il aide toute personne dans le besoin sans discrimination, il a été condamné le 7 avril 2021 à deux ans et un mois de prison.
L’expulsion des chrétiens étrangers pour «menace pour la sécurité nationale»
Une autre forme de persécution des chrétiens en Turquie se manifeste par l'expulsion des missionnaires chrétiens, par l'application du code N-82, sous prétexte qu'ils constitueraient une menace pour la sécurité nationale de la Turquie. Les protestants turcs souffrent également de cette mesure puisqu’ils se retrouvent privés de formateurs et de professeurs. Selon l'Association des Églises Protestantes, 115 chrétiens étrangers ont été interdits d’accès ou de rester sur le territoire turc entre 2019 et 2023, mais en incluant les conjoints et les enfants qui ont dû suivre pour ne pas séparer la famille, le total des chrétiens affectés est porté à 250. À ceux-là, s’ajoutent dorénavant neuf autres chrétiens étrangers, dont l’expulsion a été validée conjointement par la Cour constitutionnelle turque le 7 juin 2024, alors qu’ils résidaient légalement en Turquie.
Le fait de juger conjointement et non individuellement ces neuf cas indique que les faits et le droit en question sont très similaires dans chaque affaire. Cela suggère la mise en place d’un système gouvernemental visant à interdire les religieux étrangers dans le pays. Ces chrétiens peuvent maintenant porter l’affaire à la CEDH, à l’instar de Kenneth Wiest, un Américain protestant résidant légalement depuis plus de trente ans en Turquie, et soudainement privé d’y retourner après un voyage en juin 2019. Dans l’affaire Wiest, l’ECLJ fera également part de ses observations à la CEDH. L’expulsion de chrétiens étrangers concerne aussi des dizaines de convertis iraniens réfugiés, qui, quant à eux, risquent la mort dans leur pays à cause de leur apostasie de l’islam.
Les chrétiens en Turquie, qu'ils soient citoyens turcs ou étrangers, qu’ils soient catholiques, orthodoxes, ou protestants évangéliques, font face à diverses formes de persécution et de discrimination, dans un climat de montée du nationalisme turc et de l'islam politique portés par les médias pro-gouvernementaux et les discours d’Erdogan. Leur situation est marquée par un mélange de restrictions administratives, de pression sociale, de harcèlement ou de violence directe. Les Turcs convertis au christianisme sont particulièrement vulnérables, car ils sont perçus comme ayant «trahi» l'identité musulmane turque. Les autorités surveillent étroitement les activités des églises, lorsqu’elles ne les ferment pas tout simplement, et privent de formation les leaders des communautés. Dans ce contexte dramatique, le Centre européen pour le droit et la justice continue de soutenir les chrétiens turcs et les chrétiens étrangers en Turquie, auprès des instances onusiennes mais également au Conseil de l’Europe et à la Cour européenne des droits de l’homme.