Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Mgr Bonny et la pièce de Romeo Castellucci

IMPRIMER

Un ami - que nous remercions - a bien voulu traduire pour nous l'article de Mgr Bonny paru dans la presse flamande il y a une quinzaine de jours.

Le 4 février 2012, Mgr Johan Bonny a assisté au Singel à Anvers à une pièce de Roméo Castellucci : « Sur le concept du visage du fils de Dieu ». Il a écrit à ce sujet un billet d’opinion publié dans De Standaard et  De Morgen le 7 février 2012.

"Je ne suis pas un critique d’art et encore moins et un grand connaisseur du théâtre moderne. Je ne vais pas m’atteler à une critique artistique de la pièce de Roméo Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu ». Je peux cependant dire que cette pièce m’a impressionné. Le titre de la pièce dit bien de quoi il s’agit : du visage de Jésus-Christ. Pendant toute la durée de la pièce, il y a à l’avant plan un énorme portrait de Jésus comme Salvator Mundi, peint par Antonello da Massina (circa 1465-1475). Tout le spectacle se déroule sous le regard de Jésus qui regarde les spectateurs, droit dans les yeux. La première chose qui m’a frappé c’est l’authenticité de l’histoire : un fils qui s’occupe, avec une patiente infinie, de son père qui décline mentalement et qui, en conséquence, est incontinent.

Bien que la mise en scène puisse paraître exagérée ou choquant, cela se passe dans la vraie vie. C’est la réalité quotidienne dans tant de maisons où des gens endurent la détérioration épouvantable de la vie et aident à la porter patiemment.  C’est pour moi la première image du Christ. Le fils qui se met à genou pour laver le dos et les jambes de son père fait ce que le Christ fit quand il s’agenouilla pour laver les pieds de ses disciples quelques heures avant qu’il ne soit trahi par l’un d’entre eux et abandonné par tous les autres. Le père, dans son état de dépendance mental et physique fait penser aux mots de Jésus : « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez donné des vêtements, j’étais malade et vous m’avez soigné, J'étais en prison, et vous êtes venus à moi. Dans son dépérissement, le père est aussi une image du Christ. Le désespoir dans lequel aussi bien le père que le fils se trouve, pose en soi la question de Dieu. Où est Dieu dans la souffrance ? C’est la question de tous les temps, encore plus vieille que le christianisme. Si Jésus est le sauveur du monde, comme la peinture le suggère, où reste-t-il alors ? C’est la question à la quelle tous ceux présents dans le théâtre, croyants comme incroyants, sont confrontés.  Que le fils doute et se révolte contre la belle peinture de Jésus n’est pas surprenant. Même pas pour les croyants. La révolte et le doute envers un Dieu qui n’intervient pas, vient tout droit de la bible. C’est l’histoire de Job. Ce sont les mots des psalmistes. C’est finalement le cri de Jésus lui-même : « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc. 15,34). Le déclin pénible du père et l’impuissance du fils ne peuvent que se heurter frontalement  à l’image de Jésus de Antonello de Messina. Un Jésus qui regarde calme et paisible avec des yeux brillants et un léger sourire sur la bouche. Ce n’est pas dans un tel Jésus qu’un homme brisé peut se reconnaître, sûrement pas au milieu de la souffrance. Ce n’est pas le Jésus du Vendredi Saint. Pour moi, en tant que Chrétien, se trouve le nœud. Avec un Dieu qui fait moins que le Christ crucifié du Vendredi Saint, je ne pourrais pas m’accommoder. L’image même du Christianisme n’est pas Jésus Sauveur du Monde, aussi bien peint soit-il, mais Jésus comme le crucifié. L’impuissance et les doutes du père et du fils ne peuvent pas trouver leur reflet  dans le visage serein du Salvator Mundi. Pour cela, ils doivent se mettre en recherche du visage du christ souffrant et crucifié. Ce visage, il leur est donné à voir aussi dans la pièce de théâtre.  Les grenades que les enfants jettent vers l’image du Salvator Mundi, sont une actualisation du cri du peuple le Vendredi Saint : Crucifie-Le. (Mc. 15,13). Les salissures et les repeintes du visage de Jésus avec de la peinture sont une actualisation de l’humiliation qu’Il dut supporter au Golgotha. Là aussi son visage a été mutilé et déchiré.

Pendant quelques minutes de tempête, de vent et de bruit violent la salle disparaît dans l’obscurité. L’image du Salvator Mundi est partie. Il n’y a plus rien à voir pendant un certain temps. C’est l’absurdité et le vide du Vendredi Saint. Lorsque la tempête et le bruit sont passés, le Salvator Mundi revient lentement à l’image. Pas aussi clairement qu’auparavant mais en filigrane à mi-chemin entre le visible et l’invisible, le reconnaissable et le méconnaissable. Quand tous les visages ont disparus, il reste encore un visage en filigrane, celui de Jésus. Je trouve cela une image forte. Ici, l’artiste nous transporte à la croisée des chemins de la foi. Ou bien tous les visages disparaitront de ce monde à jamais et il restera seulement une obscurité sans visage. Ou bien il restera de ce monde pour toujours un visage, un visage dans lequel nous pouvons nous retrouver et nous reconnaître : le visage du Christ ressuscité.  La dernière possibilité porte un désir que je nomme la foi.

À la fin de la pièce de théâtre, apparaissent sur le visage de Jésus les mots  You are (not) my shepherd. Le petit mot NOT ne domine pas. Il se trouve là, vague et en alternance. Il est à l’endroit du doute. Est-ce que ce Jésus est bien mon berger ou non. L’artiste ne doit pas me donner une réponse. Ce n’est pas sa tâche. La réponse, je dois la trouver moi-même. En pensant et en marchant soi-même. L’artiste peut bien me confronter à la question. Puis-je dire que Jésus est mon berger ? Je dois penser aux mots que j’avais choisis comme devise épiscopale : l’agneau sera leur pasteur. Ce sont des mots du dernier livre de la Bible (Ap. 7,17). L’agneau qui est notre berger n’est pas un agnelet dans un pré au printemps. Il est l’agneau dont la Bible dit : il a été torturé mais il s’est soumis ; il n’a pas ouvert sa bouche, comme un agneau conduit à l’abattoir. (Jes. 53,7).

Avec un autre berger que cet agneau,  je ne pourrais pas trouver de paix dans la souffrance.

Ce sont des considérations d’un spectateur croyant. J’ai donc compris ainsi l’imagerie de Castellucci et l’ai ressenti comme cela. D’autres, croyants ou non croyants, verront et vivront peut-être la pièce d’un autre point de vue. Poser une question nette et en même temps laisser la réponse ouverte : c’est la force d’un artiste. Après la représentation, je suis encore resté parler avec Roméo Castellucci et avec les deux acteurs. Ce fut une conversation passionnante. Ils m’ont parlé de leur intention avec cette pièce. J’ai dit comment j’avais ressenti et compris la pièce et ce que j’allais écrire à ce sujet : tout ce qui se trouve ci-dessus. Ils pouvaient confirmer chaque pensée. Je ne dois pas choisir de position mais je veux laisser entendre une voix constructive dans la discussion autour de l’imagerie de Castellucci, plus spécifiquement une voix de l’Eglise.

Commentaires

  • Que voilà une homélie digne du relativisme de l'époque. Le mal peut se transformer en bien, et le bien en mal, par la magie d'un discours. Si on laisse faire Mgr Bonny, il finirait par nous faire croire que l’œuvre de Voltaire est le summum de la fidélité aux Évangiles, et que lire Voltaire ne peut que mener au Christ, si on le lit bien, entre les lignes.

    Pour reprendre son image du Jésus crucifié, je crois malheureusement que les chrétiens blessés par cette pièce, se sentent un peu comme les derniers disciples et dernières femmes fidèles, présents au pied de la croix. Mgr Bonny saura-t-il entendre les souffrances de ces pauvres chrétiens désemparés, de la même oreille attentive avec laquelle il entend les explications de Castelluci ?

    On peut en tout cas lui suggérer de lire ce que pense vraiment cet auteur. Dans un entretien au Monde, au sujet du tableau, Castelluci répond : «Oui, il est indéchiffrable, c'est ce qui fait la force de ce tableau. Selon les moments, on peut y voir de l'indifférence, de l'ironie, voire de la cruauté.» Indifférence, ironie, cruauté, tous sentiments mauvais mais associés par l'auteur même au visage du Christ ? L'a-t-il répété à Mgr Bonny, ou dit-il seulement ce que son interlocuteur a envie d'entendre ?

    Et cette pièce évangélisera-t-elle un non chrétien, voilà une question à se poser. A-t-elle réussi à amener une personne au Christ, depuis le temps qu'on la présente ? Je n'ai pas encore lu de témoignage en ce sens. Or, la raison sociale principale de l'Église n'est-elle pas l'annonce de la Bonne Nouvelle, l'évangélisation (ou la ré-évangélisation) ? Mgr Dolan nous a proposé des pistes à suivre pour une (ré-)évangélisation. Mgr Bonny va-t-il lui demander d'y ajouter la vision de la pièce de Castelucci ?

    Et finalement, si Castelluci voulait aborder le thème de la souffrance, pourquoi n'a-t-il pas traité par exemple l'apostolat de saint Damien, se donnant, par amour du Christ et par imitation du Christ, aux plus souffrants et aux plus rejetés des hommes ? La vie des saints, et même des plus humbles chrétiens, est une source inépuisable de sujets propices pour parler concrètement du Christ, dans le vécu réel des gens, y compris leurs souffrances et leurs doutes.

    Une vie de François d'Assise, de Bernadette de Lourdes, de Charles de Foucauld, de Thérèse de Lisieux, des moines de Tibérine, ne sont-ils pas des spectacles qu'il faut recommander à tous, sans avoir besoin de faire la promotion de Castelluci.

  • Suite à la lettre que nous avons envoyée à l'ensemble des évêques de Belgique, Mgr Bonny nous a invité à venir discuter, avec lui, de ce sujet.
    (http://www.belgicatho.be/archive/2012/02/12/le-forum-laic-catholique-romain-s-adresse-aux-eveques-de-nel.html)

    Outre les remarques pertinentes reprises ci-dessus par "Pauvre Job", il faudra aussi resituer cette pièce dans toute l'oeuvre de l'auteur qui est provocatrice, schatologique et scabreuse. Sans entrer dans les détails, on peut trouver sur le net des éléments éclairants pour se faire une idée sur les intentions néfastes de l'auteur particulièrement dans "Inferno, Purgatorio et Paradiso" ou dans "le voile noir du pasteur". Dans toute cette "oeuvre", il y a quelque chose d'infernal, au sens premier du terme.

    Castellucci a choisi le scandale pour faire parler de lui et ça marche, comme toujours. Notons au passage que cette pièce a réussi à diviser les chrétiens, et c'est étymologiquement le diable qui divise "διάβολος" , le diviseur en grec.

    Il faudra aussi resituer cette production de Castelluci dans le cadre plus général d'hostilité à l'égard de l'Eglise et du Christianisme.

    Puissions nous avoir avec Mgr Bonny une discussion argumentée et motivée par notre foi afin qu'il ouvre les yeux.

    Pour le Forum laïc catholique romain

Les commentaires sont fermés.