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Une relecture du séjour du Pape à Milan : "Tourner la page et repartir de la beauté" (mise à jour)

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Tourner la page et repartir de la beauté  (source : ZENIT.org)

Relecture de la visite de Benoît XVI à Milan (1er-3 juin) par Massimo Introvigne (Traduction d’Océane Le Gall)

« Mes amis, cessons nos plaintes ! Qu'un cri joyeux élève aux cieux nos chants de fêtes et nos accords pieux » : ces paroles tirées de l’Hymne à la joie de la 9ème Symphonie de Ludwig van Beethoven (1770-1827), sont vues par beaucoup comme un signe et un symbole de toute la visite de Benoît XVI dans la capitale lombarde.

Ces paroles évoquées par Benoît XVI à l’occasion du concert donné en son honneur et pour les délégations officielles de la VIIe Rencontre mondiale des familles, à la Scala de Milan, le 1er juin dernier, sont comme un appel à « tourner la page ».

Comme pour Beethoven,  après la « terrible dissonance » qui annonce la partie finale de cet Hymne à la joie,  l’Eglise,  avec la joyeuse visite du pape à Milan, a idéalement « tourné la page » après des journées de difficultés et polémiques.

Certes, le pape ne pouvait ni ne voulait ignorer le contexte de crise qui entoure l’Eglise, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Mais plus qu’une analyse de la crise elle-même, il a voulu, tout au long de ce voyage, transmettre un message d’espérance, renvoyer à la beauté qui brille face au mal du monde et introduit à la vérité et au bien.

1. La beauté de l’art
Et c’est avant tout à la beauté de l’art que le pape, musicologue, a renvoyé, le 2 juin dernier, au Parc de Bresso, en dialoguant avec les familles, se souvenant avec eux de l’époque où, enfant, lui et sa famille, le samedi, se préparaient à la messe du dimanche en prêtant une attention particulière à la musique.  « Le dimanche commençait de la façon suivante : nous entrions déjà dans la liturgie, dans un climat de joie. Le lendemain nous allions à la messe. J’habitais près de Salzbourg, donc nous avions beaucoup de musique – Mozart, Schubert, Haydn – et quand le Kyrie commençait c’était comme si le ciel s’ouvrait », avait-il dit.

Quant à la musique de Beethoven – comme il avait fait pour d’autres musiciens à l’occasion de concerts en son honneur – le pape en a parlé à la Scala sans cacher le fait que l’Hymne à la joie n’est pas un hymne spécifiquement chrétien », déclarant : « C'est une vision idéale d'humanité que Beethoven dessine avec sa musique: «La joie agissante dans la fraternité et l'amour mutuel, sous le regard paternel de Dieu» (Louis de la Croix). La joie que chante Beethoven n’est pas une joie spécifiquement chrétienne, elle est néanmoins celle de la coexistence fraternelle des peuples, de la victoire sur l'égoïsme, et elle est le désir que le chemin de l'humanité soit marqué par l'amour, presque une invitation qu'il adresse à tous, au-delà de toute barrière et de toute conviction ».

Célébrer la beauté d’une œuvre d’art centrée sur la joie a-t-il un sens, dans une terre comme l’Italie où tant de personnes pleurent les victimes du tremblement de terre ? Pour le pape, les parole tirées de l'« Hymne à la joie» de Johann Christoph Friedrich von, peuvent résonner comme «  vides pour nous, voire ne pas paraître vraies ».

« Nous n'éprouvons pas du tout les étincelles divines de l'Elysée. Nous ne sommes pas ivres de feu, mais plutôt paralysés par la douleur, pour tant d'incompréhensibles destructions, qui ont coûté des vies humaines, qui ont démuni tant de gens de leurs maisons et biens », a dit le pape, relevant que «  même l'hypothèse qu'au-dessus du ciel étoilé doit habiter un bon père, nous semble discutable. ».

L’homme, face à la souffrance, face à la mort et face catastrophes naturelles, se pose à chaque fois des questions dramatiques, a-t-il ajouté : « Le bon père est-il seulement au-dessus du ciel étoilé? Sa bonté ne descend-elle pas jusqu'à nous ? ». Et la rhétorique de Schiller, alors, ne suffit plus.

En cette heure, a-t-il expliqué, les paroles de Beethoven - «Mes amis, cessons nos plaintes ...» - nous voudrions presque les rapprocher de celles de Schiller. Oui, cessons ces plaintes. Nous n'avons pas besoin d'un discours irréel sur un Dieu lointain, et d'une fraternité passive. Nous sommes à la recherche de Dieu près de nous. Nous recherchons une fraternité qui, au milieu de la souffrance, est un soutien pour l’autre et aide donc à nous faire avancer ».

Nous recherchons, a-t-il poursuivi, un Dieu qui ne trône pas  à distance, mais entre dans notre vie et dans nos souffrances ». E ce Dieu est le « Dieu chrétien ».  

2. La beauté de la sainteté
Mais Benoît XVI n’a pas parlé que de la beauté de l’art, il a aussi parlé de celle d’une vie sainte,  évoquant la mémoire de saints milanais et la proposant à des jeunes devant recevoir le sacrement de la confirmation.

Dès ses premières salutations, le 1er juin dernier, sur la place de la cathédrale de Milan, le pape a passé en revue la vie de saints qui ont été évêques et archevêques de Milan : saint Ambroise (339 ou 340-397), saint Charles Borromée (1538-1584), le bienheureux Andrea Carlo Ferrari (1850-1921), le bienheureux Alfred Ildelfonse Schuster (1880-1954), le serviteur de Dieu Paul VI (1897-1978), « bon et sage qui, d’une main d’expert, a su guider et porter le Concile Vatican II à une heureuse issue », et auxquels Benoît XVI a voulu joindre un autre ancien évêque de Milan, le pape Pie XI (1857-1939), un homme déterminé à qui l’on  doit « l’heureuse issue de la Question Romaine et la constitution de l’Etat de la cité du Vatican ».

Venu à Milan pour la VIIème rencontre mondiale des familles, le pape, parmi tous les saints de Milan, a tenu à rappeler aussi la sainteté de Jeanne Beretta Molla [1922-1962], épouse et mère, « très engagée dans l’Eglise et la vie civile, qui fit resplendir la beauté et la joie de la foi, de l’espérance et de la charité ».

Tous ces saints, a relevé Benoît XVI, entretenaient des liens spéciaux avec Rome, étaient d’une fidélité inébranlable envers le pape. A  commencer par saint Ambroise, a-t-il expliqué, qui  « comme on le sait, provenait d’une famille de Rome et a toujours entretenu des liens avec la Cité éternelle et avec l’Eglise de Rome, manifestant et vantant la primauté de l’évêque qui la préside.
En Pierre, disait-il, « réside le fondement de l’Eglise et le magistère de la discipline » (De Virginitate, 16, 105); mais encore la célèbre déclaration: « Là où se trouve Pierre, là se trouve l’Eglise » (ExplanatioPsalmi40, 30, 5). La sagesse pastorale et le magistère d’Ambroise, a précisé encore le pape, laisseront « une empreinte indélébile dans l’Eglise universelle et marqueront en particulier l’Eglise de Milan, qui n’a jamais cessé de cultiver sa mémoire et d’entretenir son esprit ».

Aux jeunes gens devant recevoir le sacrement de confirmation, le pape – comme il l’avait déjà fait en Grande Bretagne, en s’adressant aux étudiants des écoles catholiques, le 17 septembre 2010 – a demandé d’être des saints: « Soyez des saints! Mais est-il possible d’être des saints à votre âge ? Je vous réponds: certainement! Saint Ambroise, grand saint de votre ville, l’écrit aussi dans une de ses œuvres : «Chaque âge est mûr pour le Christ» (De Virginitate, 40). Le témoignage de nombreux saints de vos âges le démontre, comme Dominique Savio (1842-1857), ou Maria Goretti (1890-1902). La sainteté est la voie normale du chrétien: elle n’est pas réservée à quelques élus, mais elle est ouverte à tous ».

On peut aussi rappeler, à ce propos, l’engagement personnel de Benoît XVI pour la reprise de la cause de béatification d’AntoniettaMeo, «Nennolina» (1930-1937), proclamée vénérable en 2007, contre toute objection sur une présumée impossibilité à devenir saints à 7 ans.

Aux jeunes devant faire leur Confirmation le pape a indiqué le chemin qui mène à la beauté de la sainteté, dons de l’Esprit Saint,  qui sont de « superbes réalités » mais aujourd’hui trop souvent oubliées. Le premier don, a-t-il dit, est la sagesse qui « vous fait découvrir combien le Seigneur est bon et grand, et qui, comme son nom l’indique, imprègne votre vie d’une grande saveur, pour que vous soyez, comme le disait Jésus, « le sel de la terre ».

Le second est le don d’intelligence, afin que « vous puissiez comprendre en profondeur la Parole de Dieu et la vérité de la foi ». Le troisième : le don de conseil, « qui guidera chacun de vous à la découverte du projet de Dieu sur votre vie personnelle ». Le quatrième : le don de force, « pour vaincre les tentations du mal et toujours faire le bien, malgré les sacrifices que cela pourrait demander  ».

Cinquième don : celui de science, « non pas de la science au sens technique du terme, comme on l’enseigne à l’Université, mais en tant que science dans son sens le plus profond, celle qui apprend à trouver dans la création les signes, les traces de Dieu, à comprendre comment Dieu parle en tout temps et me parle à moi, et à savoir comment animer mon travail de chaque jour par l’Evangile; à comprendre qu’il y a une profondeur dans les choses, et à la comprendre, donnant ainsi du goût au travail, même difficile ».

Sixième don : celui de piété, « qui entretient la flamme de l’amour pour notre Père qui est aux cieux, et permet de prier avec la confiance et la tendresse d’un enfant aimé; de pas oublier la réalité fondamentale du monde et de ma vie: que Dieu existe et que Dieu me connaît et attend ma réponse à son projet ».

Enfin, arrive le septième don, peut-être le plus difficile à comprendre pour un jeune d’aujourd’hui, et qui est la crainte de Dieu.  Mais « craindre Dieu ne veut pas dire en avoir peur », a expliqué Benoit XVI, « cela veut dire ressentir pour Lui un profond respect,  respecter la volonté de Dieu qui est le vrai dessein de ma vie et le chemin par lequel doit passer ma vie personnelle et communautaire pour être bonne ».

« Aujourd’hui, avec toutes les crises qui frappent le monde, nous voyons qu’il est important que chacun respecte cette volonté de Dieu qui est inscrite dans nos cœurs », a ajouté le pape, «  nous devons vivre en accord avec elle », transformant cette crainte de Dieu en «  désir de faire le bien, de faire la vérité, de faire la volonté de Dieu. »

Il y a une beauté particulière aussi dans la vie sacerdotale. En célébrant l’office du milieu du jour à la cathédrale de Milan avec les prêtres, les séminaristes et les personnes consacrées, Benoît XVI a rappelé les paroles de Paul VI, alors archevêque de Milan qui, en 1958, avait comparé la vie sacerdotale à un poème : « La vie sacerdotale commence: un poème, un drame, un nouveau mystère … source de perpétuelle méditation … objet de découverte et d’émerveillement incessants; [le sacerdoce] est toujours nouveauté et beauté pour ceux qui y consacrent une pensée amoureuse… il est la reconnaissance de l’œuvre de Dieu en nous» (Homélie pour l’ordination de 46 prêtres, 21 juin 1958).

Et le pape, attentif à la musique, a comparé la vie sacerdotale et consacrée à une «  symphonie », où trois éléments – l’union personnelle avec Dieu, le service à l’Eglise et le service à l’humanité entière – ne s’opposent pas mais se rencontrent harmonieusement. La chasteté et le célibat font partie de cette beauté de la vie consacrée. Certes, « l’amour pour Jésus vaut pour tous les chrétiens, mais il revêt une signification particulière pour le prêtre célibataire et pour qui a répondu à la vocation à la vie consacrée : c’est toujours et seulement dans le Christ que se trouve la source et le modèle pour redire quotidiennement « oui » à la volonté de Dieu. Le pape rappelle les racines de l’Eglise ambrosienne, le magistère de saint Ambroise. « Par quel lien le Christ est-il lié à nous ?» – se demandait saint Ambroise qui a prêché et encouragé la virginité dans l’Eglise, promouvant aussi la dignité de la femme. A cette question, il répondait: «Non pas en nouant des cordes, mais avec les liens de l’amour et l’affection de l’âme» (De Virginitate, 13, 77) ».

En outre, le pape cite un sermon de saint Ambroise aux vierges [consacrées] : « Le Christ est tout pour nous: si tu désires soigner tes blessures, il est médecin ; si tu es pris dans la morsure de la fièvre, il est source; si tu es oppressé par la faute, il est justice; si tu as besoin d’aide, il est puissance; si tu as peur de la mort, il est vie; si tu désires le paradis, il est chemin; si tu repousses les ténèbres, il est lumière; si tu es en recherche de nourriture, il est aliment» (Ibid., 16, 99).

4. La beauté du don de soi en famille

Il y a une beauté du sacerdoce et de la vie consacrée et il y a une beauté de la famille. Dans l’homélie de la messe du 3 juin au parc de Bresso, pour la VIIe rencontre mondiale des familles, Benoît XVI est parti de la beauté de l’Eglise, « famille de Dieu  », « sacrarium Trinitatis» comme la définit saint Ambroise. Le jour de la fête liturgique de la Très Sainte Trinité, le pape a tenu à rappeler une expression du Concile Vatican II : L’Eglise comme « peuple qui tire son unité de l’unité du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Lumen gentium, 4). L’Eglise, quand elle comprend sa nature, devient « capable de refléter la beauté de la Trinité ».

Ce n’est pas seulement l’Église qui est « appelée à être image du Dieu unique en trois Personnes, mais aussi la famille, fondée sur le mariage entre l’homme et la femme ». L’amour est en effet la beauté ultime de l’homme. « L’amour est ce qui fait de la personne humaine l’image authentique de la trinité, l’image de Dieu ».

Cette image trinitaire se reflète aussi dans les significations de l’amour humain qui est trois fois fécond: « Fécond, a dit le pape aux époux, avant tout pour vous-mêmes, parce que vous désirez et réalisez le bien l’un de l’autre, en faisant l'expérience de la joie de recevoir et de donner ».

Deuxièmement, il est fécond « dans la procréation, généreuse et responsable, des enfants, dans les attentions qu’on leur porte, et l’éducation attentive et sage qu’on leur donne ».

Enfin, il est fécond « pour la société, car le vécu familial est la première, irremplaçable, école des vertus sociales telles que le respect des personnes, la gratuité, la confiance, la responsabilité, la solidarité, la coopération ». La famille reflète donc elle aussi, comme l’Eglise, la beauté de la Trinité.

Cette beauté de l’amour est aujourd’hui souvent comprise de manière sentimentale ou superficielle. Dans ses échanges avec des familles, le 2 juin, le pape a relevé que dans de nombreuses sociétés traditionnelles et régions de l’Europe, jusqu’aux premières décennies du XXème siècle – « je me souviens que dans une grande partie du petit village où j’allais à l’école, c’était encore comme ça » –, le mariage était  combiné entre les familles ou les clans. « Mais depuis le XIXème siècle, l’individu s’est émancipé, la personne est devenue libre et le mariage ne repose plus sur la volonté des autres, mais sur son propre choix ; on tombe amoureux puis on se fiance pour enfin se marier. Cette évolution a été accueillie par les nouvelles générations avec grand enthousiasme. A cette époque, se rappelle le pape, tous étaient convaincus que c’était le seul modèle valable et que l’amour en soi garantissait le « toujours », car l’amour est absolu, veut tout et donc aussi la totalité du temps: il est «pour toujours ».

Mais la réalité a démenti ces enthousiasmes : « On voit que tomber amoureux est beau, mais peut-être pas pour toujours, tout comme le sentiment; il ne dure pas éternellement. On voit donc que le passage entre le moment où «l’on tombe amoureux», et ceux où l’on se fiance et où l’on se marie exige plusieurs décisions, des expériences intérieures. Comme je le disais, ce sentiment de l’amour est beau, mais il doit être purifié, il doit suivre un processus de discernement, c'est-à-dire que la raison et la volonté doivent entrer en ligne de compte ; que la raison, le sentiment, la volonté doivent aller de pair ».

Le sermon du pape est un durus sermo, quand il dit qu’être sincèrement amoureux ne fait pas en soi un mariage. « Dans le rite du mariage, l’Eglise ne dit pas: « Es-tu amoureux? », mais « Veux-tu ? », « Es-tu décidé ? ». Autrement dit : le fait « d’être amoureux » doit se transformer en « aimer vraiment », entraînant ainsi la volonté et la raison dans un cheminement, qui est celui des fiançailles, de la purification, d’une plus grande profondeur, de manière à ce que l'homme tout entier, concrètement, avec toutes ses capacités, avec le discernement de la raison, la force de sa volonté, dise: « Oui, c'est ma vie ».

 « Je pense souvent aux noces de Cana, a confié le pape. Le premier vin est très beau : c'est quand on tombe amoureux. Mais il ne dure pas jusqu'à la fin: il faut un deuxième vin, que le premier vin fermente, évolue et mûrisse. Un amour définitif qui devienne un vrai « second vin», plus beau, meilleur que le premier ».

Témoigner de cette beauté n’est aujourd’hui pas facile. Comme lors de sa visite, le 3 mai 2012, à la polyclinique Gemelli et dans son homélie de Pentecôte, le pape est revenu, à la messe du 3 juin, sur la question – centrale dans l’encyclique  Caritas in veritate – de la technocratie, du « monde dominé par la technique », qui crée un monde où la vocation au mariage chrétien « n’est pas facile à vivre ». Devant un monde tenté par la technocratie, la famille témoigne que « l’amour est l’unique force qui peut vraiment transformer le cosmos, le monde ».

« Dans le livre de la Genèse, a rappelé Benoît XVI, Dieu confie au couple humain sa création pour qu’il la garde, la cultive, la conduise selon son projet (cf. 1, 27-28 ; 2, 15). Dans cette indication, nous pouvons lire la tâche de l’homme et de la femme de collaborer avec Dieu pour transformer le monde, par le travail, la science et la technique. L’homme et la femme sont aussi à l’image de Dieu dans cette œuvre précieuse qu’ils doivent accomplir avec le même amour que le Créateur ».

La technocratie, précisément, ne conçoit la transformation du monde que comme quelque chose dont on doit mesurer les critères d’utilité. Ainsi, « dans les théories économiques modernes, prédomine souvent une conception utilitariste du travail, de la production et du marché. Le projet de Dieu et l’expérience elle-même montrent cependant que ce n’est pas la logique unilatérale du bénéfice personnel et du profit maximum qui peut contribuer à un développement harmonieux, au bien de la famille et à l’édification d’une société plus juste, car cette logique comporte une concurrence exaspérée, de fortes inégalités, la dégradation de l’environnement, la course aux biens de consommation, la gêne dans les familles. Bien plus, la mentalité utilitariste tend à s’étendre aussi aux relations interpersonnelles et familiales, en les réduisant à de précaires convergences d’intérêts individuels et en minant la solidité du tissu social ».

Se multiplient ainsi les échecs, les séparations et les divorces. Dans ses échanges avec des familles, le 2 juin, le pape a confié que « le problème des divorcés remariés est l'une des grandes souffrances de l’Eglise aujourd’hui. Et nous n’avons pas de recettes simples. La souffrance est grande et nous ne pouvons qu’aider les paroisses, les individus à aider ces personnes à supporter la souffrance de ce divorce. ».

Après avoir réaffirmé ce qu’il avait déjà dit dans son allocution à la Rote romaine en 2007 et en 2011, à savoir que «  la prévention est naturellement très importante », de même qu’un sérieux examen de la part des curés, concernant les réelles intentions des couples qui se présentent, le pape a redit aux couples en situation irrégulière que «  l’Eglise les aime », et qu’ils doivent « voir et sentir cet amour ». Une grande tâche qui, a-t-il ajouté, « revient à la paroisse, à la communauté catholique, qui doit faire réellement son possible pour que ces personnes se sentent aimées, acceptées, qu’elles ne soient pas « exclues », même si elles ne peuvent recevoir l’absolution et l’Eucharistie ». Bien que l’absolution dans la Confession ne soit pas possible, le contact permanent avec un prêtre, avec un guide de l’âme, est très important pour qu’elles puissent se sentir accompagnées, guidées ».

Le pape a rappelé que « même sans réception « physique » du sacrement, nous pouvons être unis au Christ dans son Corps. Et faire comprendre cela est important. Que ces personnes trouvent réellement la possibilité de vivre une vie de foi, avec la Parole de Dieu, avec la communion de l’Eglise et puissent voir que leur souffrance est un don pour l’Eglise, qu’elles peuvent servir à tous pour défendre aussi la stabilité de l’amour, du mariage; et que cette souffrance n’est pas seulement un tourment physique et psychique, mais aussi une souffrance au sein de la communauté ecclésiale pour les grandes valeurs de notre foi. Je pense que si elle est intérieurement acceptée, leur souffrance est un don pour l’Eglise. Elles doivent savoir que de cette manière-là elles servent l’Eglise, elles sont dans le cœur de l’Eglise. »

La mentalité utilitariste et technocratique, qui n’est donc pas parmi les dernières causes de l’échec de tant de familles, tend aussi à ignorer, ou à voir d’un regard suspect, a déclaré le pape dans son homélie du 3 juin,  que «l’homme en tant qu’image de Dieu, est appelé aussi au repos et à la fête ». Mettant ainsi en crise la notion du dimanche comme jour du Seigneur mais aussi «jour de l’homme et de ses valeurs : convivialité, amitié, solidarité, culture, contact avec la nature, jeu, sport».

L’Eglise ne peut accepter cette crise : « Même dans les rythmes effrénés de notre époque, ne perdez pas le sens du jour du Seigneur! », a exhorté le pape. Ce jour  est « comme l’oasis où s’arrêter pour goûter la joie de la rencontre et étancher notre soif de Dieu ».

La famille, le travail et la fête sont pour Benoît XVI « les trois dons de Dieu, trois dimensions de notre existence qui doivent trouver un équilibre harmonieux. Harmoniser les temps de travail et les exigences de la famille, la profession et la maternité, le travail et la fête, est important pour construire des sociétés à visage humain ».

Pour affirmer la beauté de la famille, a poursuivi le pape, il convient de toujours privilégier «  la logique de l’être par rapport à celle de l’avoir : la première construit, la deuxième finit par détruire ».

Il y a aussi une beauté des institutions, à laquelle tient beaucoup le pape, qui se manifeste quand celles-ci sont vraiment à la mesure de l’homme et conforme au plan de Dieu.

« La foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous, vivant au milieu de nous, doit animer tout le tissu de la vie, personnelle et communautaire, publique et privée, privée et publique, de manière à permettre un authentique et stable ‘bien être’ », a dit le pape dans ses salutations du 1er juin sur le parvis de la Cathédrale de Milan, de manière à permettre un  ‘bien être’ authentique et stable ».

Et le point de départ doit être la famille, a-t-il ajouté, qui doit être redécouverte comme « patrimoine principal de l’humanité, coefficient et signe d’une vraie culture stable en faveur de l’homme ».

Au cours de sa rencontre avec les autorités de la ville, le 2 juin, Benoît XVI est revenu sur la beauté des institutions en se référant encore une fois à saint Ambroise, un des Pères de l’Eglise qui rappelle que « l’institution du pouvoir dérive si bien de Dieu, que celui qui l’exerce est lui-même ministre de Dieu » (Expositio Evangelii secundum Lucam,IV, 29).

« De telles paroles pourraient sembler étranges aux hommes du troisième millénaire, commente le pape, et pourtant elles indiquent clairement une vérité centrale sur la personne humaine, qui est le fondement solide de la cohabitation sociale: aucun pouvoir humain ne peut se considérer divin, donc aucun homme n’est le maître d’un autre homme. Ambroise le rappellera courageusement à l’empereur en lui écrivant: «Toi aussi, ô auguste empereur, tu es un homme» (Lettre 51,11).

Les institutions sont « beauté » lorsqu’elles mettent « la justice, vertu publique par excellence » au service du «  bien de la communauté entière ». Mais la justice à elle seule ne suffit pas: « Ambroise l’accompagne d’une autre qualité : l’amour de la liberté, qui est, selon lui, cet élément  qui fera la différence entre les bons et les mauvais dirigeants, dans la mesure où, comme il dit dans une autre de ses lettres, « les bons aiment la liberté, les mauvais aiment la servitude» (Lettre 40, 2).

Il s’agit donc de comprendre ce qu’est la liberté,  la vraie liberté, celle  qui «  n’est pas le privilège de quelques uns, mais un droit pour tous », a dit le pape, «  un droit précieux que le pouvoir civil doit garantir » ; et qui ne signifie pas « volonté individuelle », mais plutôt « responsabilité de chacun ».  Il se trouve, a-t-il relevé à ce propos, que « cette notion fait partie des éléments qui caractérisent la laïcité de l’Etat »,  laquelle doit «  garantir que tout le monde est libre de proposer sa vision d’une vie commune, mais toujours dans le respect de l’autre et dans le cadre des lois qui visent le bien de tous ».

Aujourd’hui, « dans la mesure où la conception d’un Etat confessionnel est dépassée », il est encore plus important et clair que l’Etat, pour garantir cette notion de justice en matière de lois, tienne compte du droit naturel, qui est «  à la base d’un ordre juste pour la dignité de la personne humaine »,  dépassant ainsi toute conception banalement positiviste, d’où ne peuvent sortir des indications d’ordre éthique (cf. Discours au Parlement allemand, 22 septembre 2011).

Ce « bien-être » de la personne qui est donc « un droit naturel » et que l’Etat doit garantir, protéger, implique, a dit le pape,  le respect des trois valeurs « non négociables » :  le droit à la vie, que « personne ne devrait être autorisé à enfreindre en faisant acte de suppression volontaire », a redit le pape,  le droit de la famille, fondé sur le mariage et l’ouverture à la vie, que les institutions civiles sont appelé « à servir », et le droit premier des parents à choisir l’éducation et la formation de leurs enfants, en fonction du projet éducatif qu’il jugent « valable et pertinent ».

« L’Etat ne rend pas justice à la famille s’il ne soutient pas la liberté d’éducation pour le bien commun de la société entière », a insisté Benoît XVI. Concrètement, pour que les lois d’un Etat Moderne soient conformes au droit naturel et qu’elles servent vraiment le bien commun, il voit comme « une précieuse collaboration » l’intervention de l’Eglise, non pas pour « jeter le trouble »  quant aux rôles et finalités distincts du pouvoir civil et de l’Eglise, mais pour « qu’elle apporte ce qu’elle a toujours apporté à la société par son expérience, sa doctrine, sa tradition, ses institutions et son service auprès des citoyens ».

« Le temps de crise que nous traversons a besoin de choix techniques et politiques courageux, mais aussi de gratuité », a poursuivi Benoît XVI, de cette gratuité qui « tire nourriture et inspiration du christianisme et de la doctrine sociale de l’Eglise.

Dans une des réponses qu’il a données à un couple d’époux grecs brisés par la crise économique, le 2 juin dernier, lors d’échanges avec plusieurs familles, le pape  a aussi mis l’accent sur l’importance du « sens des responsabilités » des partis politiques qui ne peuvent «  faire des promesses qu’ils ne peuvent tenir, rechercher des votes uniquement pour eux », mais comprendre qu’ils sont « responsables du bien de tous », que la politique est aussi et toujours « une responsabilité humaine, morale devant Dieu et devant les hommes ».

Si on veut que les institutions manifestent « la beauté de la liberté et de la justice », il ne suffit pas de mettre à leurs têtes des personnes dotées de « grandes compétences techniques », a insisté le pape, lors de sa rencontre avec  l’Administration publique.

« A tous ceux qui veulent collaborer au gouvernement et à l’administration publique, saint Ambroise demande qu’ils se fassent aimer. Dans son œuvre De officiis, il affirme: «celui qui suscite l’amour, ne pourra jamais susciter la peur. Rien n’est aussi utile que de se faire aimer» (II, 29) ». En plus des raisons qui motivent le besoin de compétences techniques, a dit le pape, il faut qu’il y ait une  réelle «  volonté de se consacrer au bien des citoyens », et donc « des  signes, des gestes clairs d’amour » 

Ainsi, la politique n’en sera que plus noble, devenant une forme élevée de charité », a conclu le pape.

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