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Culture de la Repentance

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Le récent numéro paru de la revue Catholica  est consacré à la « Culture de la culpabilité » que les multiples « repentances » des autorités religieuses ont instillée dans la mentalité catholique postconciliaire. Extraits de l’éditorial  (les intertitres sont de notre rédaction):

Stratégie manipulatrice ?

(…) La so­cié­té post­mo­derne n’est guère ac­cueillante, elle va même au-​de­là de l’in­dif­fé­rence de masse en­vers la re­li­gion, par­ti­cu­liè­re­ment dans les pays d’an­cienne chré­tien­té eu­ro­péenne. Elle est même en pleine guerre cultu­relle, avec pour armes le dis­cours so­phis­tique, la ma­ni­pu­la­tion sé­man­tique, l’in­ti­mi­da­tion, la cor­rup­tion mo­rale, l’ex­clu­sion, sans ce­pen­dant omettre la contrainte lé­gale. Dans toute guerre psy­cho­lo­gique, la culpa­bi­li­sa­tion est une arme pri­vi­lé­giée. Elle tend à miner le moral de l’ad­ver­saire non seule­ment en le fai­sant dou­ter de sa cause mais en in­suf­flant en lui la honte de la dé­fendre, et ainsi ob­te­nir sans ef­fort sa mise hors de com­bat. (…).

Une mé­thode ana­logue a été em­ployée à grande échelle dans l’Al­le­magne d’après-​guerre, avec la mise en oeuvre de la dé­na­zi­fi­ca­tion (Ent­na­zi­fi­zie­rung), mise au point par des membres de l’Ecole de Franc­fort ré­fu­giés aux Etats-​Unis, en vue de pa­ra­ly­ser dans l’oeuf le bel­li­cisme ger­ma­nique et toute la chaîne de ses causes et condi­tions sup­po­sées. Ce pro­gramme s’est tra­duit par une dé­pré­cia­tion sys­té­ma­tique des ver­tus mi­li­taires tra­di­tion­nelles de l’Al­le­magne, telles que le cou­rage, l’héroïsme, le pa­trio­tisme, mais aussi de la lé­gi­ti­mi­té des struc­tures fa­mi­liales et des modes de vie tra­di­tion­nels consi­dé­rés comme leur foyer na­tu­rel. Même frei­né par les contre­coups de la Guerre froide, ce pro­jet reste une grande ten­ta­tive de culpa­bi­li­sa­tion de masse à vue pré­ven­tive (…)

D’autres stra­té­gies cultu­relles, mises en oeuvre sous nos yeux, sont plus com­plexes du fait qu’elles ne re­posent pas sur une or­ga­ni­sa­tion cen­tra­li­sée (comme pou­vait l’être le parti com­mu­niste dans la pen­sée de Gram­sci) ou ne ré­sultent d’au­cune mis­sion of­fi­cielle sou­te­nue par des puis­sances mi­li­taires vic­to­rieuses, comme ce fut le cas pour la dé­na­zi­fi­ca­tion ; à l’in­verse, elles mettent en jeu des struc­tures en­core plus puis­santes et di­ver­si­fiées, et elles in­ter­viennent dans un cli­mat de dé­com­po­si­tion des dé­mo­cra­ties for­melles, de bou­le­ver­se­ment so­cial et dé­mo­gra­phique, de pres­sions su­pra­na­tio­nales et alors que l’Eglise est en­core en pleine crise. C’est pour ces rai­sons que par­ler de « dic­ta­ture du re­la­ti­visme » est in­suf­fi­sant, car ce que nous voyons ainsi s’opé­rer re­lève d’un pro­ces­sus de très grande am­pleur, pro­ba­ble­ment ap­pe­lé à voir se pro­lon­ger lon­gue­ment ses ef­fets. Si la culpa­bi­li­sa­tion n’est pas la seule arme qui s’y trouve mise en jeu, elle en est tou­te­fois un moyen pri­vi­lé­gié pour ob­te­nir la neu­tra­li­sa­tion de toute ré­sis­tance. Elle est l’ins­tru­ment par le­quel est re­cher­ché le consen­te­ment de la vic­time à sa propre éli­mi­na­tion, consen­te­ment qui doit s’ex­pri­mer dans des actes pu­blics et ré­pé­tés, com­mu­né­ment pla­cés sous le vo­cable em­pha­tique de re­pen­tance.

Le fait est que les in­jonc­tions à la re­pen­tance ont une fonc­tion « dé­cep­tive », qui ne vise pas tant à ob­te­nir le re­gret d’actes mau­vais du passé – réels, ma­jo­rés voire in­ven­tés de toutes pièces – de la part de ceux qui les ont com­mis, qu’à dé­lé­gi­ti­mer, bien au-​de­là de ces actes, l’en­semble des re­pères po­li­tiques, re­li­gieux, mo­raux, in­tel­lec­tuels, ar­tis­tiques, etc. qui ont consti­tué le cadre du passé, au­tre­ment dit à consi­dé­rer ces ré­fé­rences comme in­trin­sè­que­ment mau­vaises, et ob­te­nir qu’elles soient ef­fec­ti­ve­ment re­je­tées par ceux-​là mêmes qui de­vraient le plus les ho­no­rer, ne se­rait-​ce que par une conduite exem­plaire. Le dé­pla­ce­ment est donc net, du re­pen­tir des in­té­res­sés à leur consen­te­ment à l’au­to­des­truc­tion. La culpa­bi­li­sa­tion pro­fite lar­ge­ment de la culture chré­tienne, dont elle ré­cu­père et dé­tourne les concepts.(…)

 Un concept chrétien détourné de sa fin

Concer­nant l’Eglise, la ques­tion pré­sente des traits par­ti­cu­liers, plus sub­tils et aussi plus lourds de consé­quences, tant du point de vue des ré­per­cus­sions in­ternes qu’en rai­son des ef­fets pa­ra­ly­sants sur son rôle tra­di­tion­nel de de­fen­sor ci­vi­ta­tis, voire d’in­ver­sion de ce rôle pour en faire celui d’un ac­cé­lé­ra­teur du pro­ces­sus de des­truc­tion. De nom­breux élé­ments d’Eglise sont en­trés dans le jeu de la re­pen­tance, sans en re­ti­rer, bien au contraire, l’apai­se­ment es­pé­ré en re­tour. Tout s’est passé au contraire comme si le fait de de­man­der par­don pour toutes sortes d’actes du passé, fon­dés ou in­fon­dés, n’avait pour effet prin­ci­pal que de ra­vi­ver une haine in­sa­tiable du chris­tia­nisme.

Il faut tout d’abord re­mar­quer que la re­pen­tance est un concept chré­tien – le mot lui-​même est ap­pa­ru dans la langue fran­çaise au début du XIIe siècle – ex­pri­mant le vif re­gret d’avoir com­mis un péché, la vo­lon­té de le ré­pa­rer et la ré­so­lu­tion de ne pas le com­mettre à nou­veau : tout à la fois re­pen­tir et pé­ni­tence. La dé­marche est aussi in­di­vi­duelle que le péché (mul­ti-​in­di­vi­duelle donc lorsque plu­sieurs ont péché en­semble), mais elle peut aussi être as­su­mée d’une cer­taine ma­nière par d’autres au nom de la so­li­da­ri­té mo­rale (…).

L a conscience de de­voir as­su­mer la culpa­bi­li­té de la com­mu­nau­té im­plique la double obli­ga­tion de la vé­ra­ci­té et de la pru­dence de­vant Dieu et de­vant les hommes, sans re­ti­rer pour au­tant les de­voirs de so­li­da­ri­té po­si­tive en­vers la même com­mu­nau­té. Dans le cas de l’Eglise, ces exi­gences sont plus fortes en­core, car s’il est avéré qu’elle est com­po­sée de « vases d’ar­gile », c’est-​à-​dire d’hommes avec toutes leurs fai­blesses, il ne fau­drait pas ou­blier que ces mêmes vases ren­ferment des « tré­sors » (2 Cor 4, 7) qu’ils sont ap­pe­lés à trans­mettre.

La mise au point de la Commission  théologique internationale

Tout cela a été pré­ci­sé dans un long do­cu­ment de la Com­mis­sion théo­lo­gique in­ter­na­tio­nale (CTI), cher­chant à fixer cer­taines ba­lises à un phé­no­mène tour­nant à l’au­to-​ac­cu­sa­tion pu­blique. Ce texte, in­ti­tu­lé « Mé­moire et ré­con­ci­lia­tion : l’Eglise et les fautes du passé », a été pu­blié en dé­cembre 1999 (Cerf, 2000, et dis­po­nible sur www.​clerus.​org). Il ar­ri­vait dans un cli­mat d’ac­cé­lé­ra­tion des at­taques contre la mé­moire de Pie XII et le si­lence cou­pable qu’on lui im­pu­tait vis-​à-​vis de la per­sé­cu­tion des juifs, mais aussi des de­mandes de par­don ré­pé­tées de Jean-​Paul II, (…).

Le rap­port de la CTI déjà men­tion­né, « Mé­moire et re­pen­tance », avait été pré­sen­té par le car­di­nal Rat­zin­ger, alors pré­fet de la Congré­ga­tion pour la Doc­trine de la Foi et à ce titre pré­sident de la Com­mis­sion. Après avoir rap­pe­lé le ca­rac­tère tra­di­tion­nel d’une confes­sion des fautes par les membres de l’Eglise tou­jours in­vi­tés à la conver­sion, il rap­pe­lait en­suite qu’après les at­taques pro­tes­tantes (iden­ti­fiant Rome et l’An­té­christ) et des Lu­mières (« Ecra­sez l’In­fâme »), il était jus­ti­fié de don­ner une ré­ponse apo­lo­gé­tique, alors que, pou­sui­vait-​il, « nous sommes au­jourd’hui dans une si­tua­tion nou­velle dans la­quelle, avec une plus grande li­ber­té, l’Eglise peut re­ve­nir à la confes­sion des pé­chés et éga­le­ment in­vi­ter les autres à faire une confes­sion, et donc in­vi­ter à une pro­fonde ré­con­ci­lia­tion. » Cette ap­pré­cia­tion a été dé­men­tie par les faits, nulle nou­veau­té n’étant venue rompre avec l’es­prit des Lu­mières, tout au contraire, ni en 2000, ni de­puis : nous étions alors, et sommes tou­jours dans le même monde de la mo­der­ni­té, plus ra­di­cale que ja­mais dans son op­po­si­tion au Christ, ag­gra­vée de sur­croît par la mon­tée en puis­sance de l’Islam. Le car­di­nal po­sait tou­te­fois im­mé­dia­te­ment des « cri­tères », c’est-​à-​dire des li­mites mon­trant qu’il était conscient des risques de dé­bor­de­ment : l’Eglise du pré­sent ne doit pas être « un tri­bu­nal », elle « ne peut pas et ne doit pas vivre avec ar­ro­gance dans le pré­sent, se sen­tir exempte du péché et iden­ti­fier comme source du mal les pé­chés des autres, les pé­chés du passé » ; elle ne peut pas non plus « s’at­tri­buer par une fausse hu­mi­li­té des pé­chés qui n’ont pas été com­mis, ou bien ceux pour les­quels il n’existe pas en­core de cer­ti­tude his­to­rique » ; elle doit enfin té­moi­gner du bien qui est en elle.

Le texte lui-​même de la CTI ac­cen­tue ces ré­serves, à pro­pos des re­pen­tances. « Il faut aussi éva­luer le rap­port entre les bé­né­fices spi­ri­tuels et les coûts pos­sibles de tels actes, en te­nant compte des ac­cents indus que les mé­dias peuvent mettre sur cer­tains as­pects des dé­cla­ra­tions ec­clé­siales » ; « Sur le plan pé­da­go­gique, il est op­por­tun d’évi­ter de per­pé­tuer les images né­ga­tives de l’autre, ou d’ac­ti­ver des pro­ces­sus d’au­to­cul­pa­bi­li­sa­tion indue » ; « Sur le plan mis­sion­naire, il faut avant tout évi­ter que de tels actes contri­buent à in­hi­ber l’élan de l’évan­gé­li­sa­tion en exa­gé­rant les as­pects né­ga­tifs » ; « Sur le plan oe­cu­mé­nique, la fi­na­li­té des éven­tuels actes ec­clé­siaux de re­pen­tir ne peut être que l’unité vou­lue par le Sei­gneur. Dans cette pers­pec­tive, il est d’au­tant plus sou­hai­table qu’ils s’ac­com­plissent dans la ré­ci­pro­ci­té […] » ; « Sur le plan in­ter­re­li­gieux […] [c]e qu’il faut évi­ter, c’est que de tels actes soient in­ter­pré­tés comme confir­mant des pré­ju­gés à l’égard du chris­tia­nisme »…

Toutes ces ré­serves n’ont pas em­pê­ché la ma­chi­ne­rie mé­dia­ti­co-​po­li­tique de fonc­tion­ner, lar­ge­ment aidée, il faut le re­con­naître, par l’ac­cé­lé­ra­tion du mou­ve­ment opé­rée vers la fin du pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II.

Vains efforts pour sortir de l’impasse ?

Aux actes et dé­cla­ra­tions per­son­nels de Jean-​Paul II, il faut ajou­ter la mul­ti­pli­ca­tion de dé­cla­ra­tions épis­co­pales, in­di­vi­duelles ou col­lec­tives, et toutes sortes de gestes pu­blics de de­mandes de par­don, (… )Quel qu’en soit l’objet,  elles ne s’ap­pliquent pas à toute cou­pable ca­rence, voire à toute hon­teuse co­opé­ra­tion au mal, mais à cer­taines seule­ment. (…).

 « Mé­moire et re­pen­tance » com­mence par ex­po­ser avec assez de dé­tails les étapes suc­ces­sives d’un phé­no­mène dont le car­di­nal Rat­zin­ger, dans la pré­sen­ta­tion du do­cu­ment, no­tait la nou­veau­té. C’est une sorte d’es­ca­lade qui a mené des pre­miers dis­cours de Paul VI de­man­dant par­don aux Orien­taux sous ré­serve de ré­ci­pro­ci­té, puis aux textes conci­liaires évo­quant les fautes mu­tuelles dans la sé­pa­ra­tion de Lu­ther ou « une cer­taine res­pon­sa­bi­li­té » de l’Eglise dans la mon­tée de l’athéisme, jusqu’à Jean-​Paul II qui a mis en cause cette res­pon­sa­bi­li­té dans « une mul­ti­tude de faits his­to­riques », et ac­cu­mu­lé les dé­marches pu­bliques de re­pen­tance.

C’est avec lui qu’est née une vé­ri­table culture de la culpa­bi­li­té dans l’Eglise post-​conci­liaire. Outre la sin­gu­la­ri­té psy­cho­lo­gique d’une telle dis­po­si­tion, que les bio­graphes ar­ri­ve­ront peut-​être à dé­cryp­ter, on re­tient sur­tout le fait que ce phé­no­mène d’em­bal­le­ment s’est dé­rou­lé dans l’es­pace pu­blic, c’est-​à-​dire en se pré­ci­pi­tant dans le mé­ca­nisme mé­dia­tique qui, de­puis l’ou­ver­ture même du concile Va­ti­can II, a consti­tué un piège ma­jeur pour l’Eglise et qui fait au­jourd’hui crier à la dic­ta­ture du re­la­ti­visme.

Est-​il pos­sible de s’ex­traire d’une telle im­passe ? Une chose au moins est pos­sible : faire la vé­ri­té sur le mythe conci­liaire qui a im­pli­qué le choix de se pré­sen­ter ainsi de­vant le tri­bu­nal du monde. S’il est un mea culpa col­lec­tif digne d’être pro­non­cé, c’est bien ce­lui-​là.

Référence : Nu­mé­ro 115 : Une culture de la culpa­bi­li­té

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