Le droit de résistance passive et active à une loi injuste (source : missel.free.fr)
L’encyclique Evangelium vitæ (25 mars 1995) relance le débat sur la résistance passive aux lois injustes (prudemment appelée objection de conscience) et la race des journalistes mondains qui parlent de tout sans en rien connaître, ont cru y découvrir une nouveauté. Il m’a semblé intéressant, puisque nous célébrons la fête de saint Robert Bellarmin[1], de nous rappeler ce qu’il enseignait du droit de résistance passive et active à une loi injuste.
C’est la révolte des Vénitiens contre Paul V (1606)[2] qui força Robert Bellarmin à exposer ses idées sur la légitimité de la résistance à une loi injuste, quand les théologiens de la Sérénissime République qui affirmaient que L’homme n’est pas tenu d’obéir au pape quand ce que celui-ci commande est contraire à la loi de Dieu, et même dans quelques autres cas, et qui déclaraient coupables de péché mortel ceux qui avaient obéi à Paul V. Certes, Bellarmin souligne que lorsque le commandement d’un homme est manifestement contraire à la loi de Dieu, c’est un devoir de lui désobéir ; ainsi en va-t-il pour les princes séculiers qui commandent à tous leurs sujets de renier le Christ ou de sacrifier aux idoles, ainsi en va-t-il pour un pape, homme de mauvaise vie, comme l’ont été quelques-uns au temps passé (si les récits qui nous sont parvenus sont véridiques), et voulant user de fait d’une injuste violence (...) si, par exemple, un pape voulait ruiner l’église de Saint-Pierre, pour en bâtir un palais à ses parents, ou s’il voulait déposer tous les évêques, et par ce moyen mettre l’Eglise en trouble, ou s’il voulait faire la guerre sans occasion ni sujet, pour ôter les Élats à leurs vrais possesseurs, ou en gratifier ses proches, les docteurs indiquent les remèdes suivants : avoir recours à Dieu par l’oraison, admonester ledit pape avec tout respect et révérence, n’obéir point à ses commandements notoirement injustes, et enfin lui résister, et empêcher qu’il ne fasse le mal projeté. A Paolo Sarpi[3] qui objectait : Si le prince me commande quelque chose qui soit au détriment des biens temporels, je lui dois obéir, d’autant que le bien particulier doit céder au bien commun, Bellarmin répondait : Je dis que cette raison n’est de mise, d’autant qu’il peut arriver que le prince commande injustement la perte de biens temporels ; et si cette injustice est évidente, je ne lui dois pas obéir ; l’exemple de Naboth est trop clair qui refusa d’obéir au roi Achaz[4].
Ainsi, Bellarmin conclut que le commandement d’un prince qui abuse de son pouvoir n’est plus le commandement de Dieu ; cependant, continue-t-il, d’après la doctrine commune, pour que quelqu’un ne soit pas tenu à l’obéissance, il faut que l’abus de pouvoir du supérieur soit certain, notoire, et dans une matière grave. En effet, cette règle est universelle, que saint Augustin a formulée, et que tous les autres ont adoptée après lui : « Le sujet doit obéir, non seulement quand it est certain que le supérieur ne lui commande rien d’opposé a la volonté de Dieu, mais encore quand il n’est pas certain de cette opposition ; » dans le doute, il faut se conformer au jugement du supérieur plutôt qu’au jugement propre ; et le devoir de l’obéissance ne cesse que devant la certitude qu’un ordre humain est contraire à la loi de Dieu. Lorsqu’un prince se fait le tentateur ou le corrupteur de ses sujets (et c’est bien ce que font aujourd’hui la plupart des états à propos de la contraception, de l’avortement et de l’euthanasie), lorsqu’il les lèse gravement dans leurs droits ou lorsqu’il les grève injustement dans leurs biens, ceux-ci peuvent lui opposer une résistance, non seulement passive, mais active, pour s’efforcer d’empêcher l’accomplissement de ses injustes volontés[5].
[1] Robert-François Bellarmin, neveu du pape Marcel II, né le 4 octobre 1542 à Montepulciano (Toscane), entra dans la Compagnie de Jésus (1560) et fut ordonné prêtre à Louvain (1569) où il professa la théologie. Il occupa la chaire de controverse au Collège romain et publia de nombreux ouvrages : Controverses (1586-1593), le traité Sur la translation de l'empire romain des Grecs aux Francs puis aux Germains (1584), le Jugement du livre luthérien De la concorde(1585). Théologien du légat envoyé en France par Sixte V, il subit le siège de Paris (1589). Membre des commissions de la traduction latine de la Bible (Sixto-Clémentine, il fut le rédacteur de la préface pour l'édition de 1592. Directeur spirituel (1588-1592) puis recteur du Collège romain (1592-1594), provincial des jésuites de Naples (1594), théologien particulier de Clément VIII, consulteur du Saint-Office, recteur de la Pénitencerie, il continue d'écrire : Réfutation d'un libelle sur le culte des saints (1596), le Grand catéchisme et le Petit catéchisme (1597), Les indulgences et le jubilé (1609),L'exemption des clerc (1610). Créé cardinal (1599) et nommé archevêque de Capoue (1602), il participe, en 1605, à l'élection de Léon XI de Médicis et à celle de Paul V Borghèse. Quoiqu'il ait invariablement voté au conclave pour le cardinal François de La Rochefoucauld, Paul V le nomme préfet de la Congrégation des Rites. Il se retire à Saint-André au Quirinal (août 1621) où il meurt le 17 septembre 1621. Benoît XV proclama l'héroïcité de ses vertus (1918) ; il fut béatifié (1923) et canonisé (1930) par Pie XI qui, en septembre 1931, le déclara docteur de l'Eglise universelle.
[2] Parce que la République de Venise avait violé les immunités ecclésiastiques, Paul V, se fondant sur les conciles et les protestations de ses prédécesseurs, avait jeté sur elle l’interdit.
[3] Servite, théologien de la République de Venise.
[4] Premier livre des Rois XXI &-19.
[5] Les différents entre la République de Venise et le Saint-Siège seront résolus par le cardinal de Joyeuse, représentant d’Henri IV qui a proposé sa médiation ; la réconciliation publique eut lieu le 21 avril 1607.