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Lourdes : les évêques contraints à faire le choix de la radicalité

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Jean Mercier, sur "paposcopie" (La Vie), fait le point après avoir assisté à l'Assemblée plénière de la Conférence épiscopale française qui s'est tenue à Lourdes. L'état des lieux est tel qu'il n'y a d'autre issue que la radicalité et la conversion.

Extraits :

Face à des réalités apparemment insurmontables, les évêques pilotent l’Eglise de France sur des eaux agitées. Relevant le défi de la confiance et de la conversion. (...)

Ce “Lourdes 2012” fut un bon cru d’un point de vue médiatique, en raison de la prise de position unanime et courageuse du cardinal Vingt Trois sur le mariage gay, qui a provoqué des remous. Preuve, s’il en est, que la parole de l’Eglise ne laisse pas indifférente, d’autant plus quand elle est calme, argumentée, pertinente. En interrogeant de nombreux évêques, je n’ai décelé chez eux aucun esprit de croisade, mais une joie discrète : celle d’avoir permis une brèche pour une société civile écrasée sous la chape de plomb de la peur (Ne rien dire contre le projet de loi, car on serait étiqueté homophobe). La joie d’avoir fait réfléchir les gens sur le fond des choses, au delà de la tyrannie de l’affectif. D’avoir contribué à ce que des acteurs sociétaux très divers aient la force d’assumer publiquement une parole critique sur le “mariage pour tous”. (...)

Le décrochage à venir

... la situation sur le terrain est si préoccupante, à vues humaines, qu’aucun évêque ne peut vraiment bomber le torse en affirmant avoir trouvé la pierre philosophale. Tous sont plus que jamais réduits à une humilité fondamentale devant les enjeux vertigineux qui s’imposent à eux. Comme me le confiait l’un d’eux à Lourdes : “Jadis, certains d’entre nous étaient de grosses personnalités, fortes en gueule et défendant “leur” vision. Aujourd’hui, la plupart d’entre nous n’ont pas vraiment de quoi fanfaronner”.

Les évêques sont face au “décrochage” démographique des prêtres : les générations ordonnées jusqu’à la fin des années 60 - les plus nombreuses - vont quitter le ministère. D’ici 15 ans, de très nombreux diocèses vont se retrouver avec une douzaine ou une quinzaine de prêtres encore “debout”, pas davantage. Autant dire que certains diocèses n’existeront plus que de nom. Autant dire que ça va faire mal, comme dans un ascenseur qui chuterait de trois étages.

Dans la première fournée de leurs visites ad limina, certains évêques de l’Ouest ont notamment abordé, pendant l’heure de conversation partagée avec le pape, une question cruciale. Celle de la réponse à donner aux demandes de sacrements en provenance de personnes peu engagées dans l’Eglise, qui souhaitent avant tout consommer du sacré, et dont il est clair qu’elles ne souhaitent pas “s’engager” pour le Christ. Le pape a écouté et encouragé ses frères à trouver une solution. Mais il n’a pas de recette miracle.

Par effet de “persistance rétinienne”, le Français de culture catholique garde en mémoire une image de l’Eglise qui date de son enfance : l’Eglise est riche et puissante, et assume une sorte de service public du sacré. Les prêtres se retrouvent souvent face à des parents non pratiquants qui ont choisi la date du baptême de leur enfant et envoyé les invitations sans même s’être renseignés sur la disponibilité de leur curé, supposée acquise. Difficile de les renvoyer sans rien, car les prêtres savent aussi que c’est auprès de ces brebis éloignées que le travail de ré-évangélisation peut donner quelque fruit. Du coup, c’est aux curés de s’adapter et de faire des acrobaties. Certains n’en peuvent plus.

A Lourdes, plusieurs évêques ont évoqué avec moi ce casse-tête qui va devenir de plus en plus aigu, car il y aura de moins en moins de prêtres (ou de laïcs) pour répondre à une demande rituelle qui va continuer à être forte. Car si la France se déchristianise, le besoin de sacré ne s’est jamais aussi bien porté. L’Eglise va se retrouver devant un “effet ciseaux” - un terme d’économie qui décrit l’écart grandissant entre des charges financières de plus en plus fortes face à des ressources en baisse. (En l’occurrence, ce sera aussi le cas pour les finances diocésaines !)

Le courage d’assumer les décisions
Il va donc falloir prendre des décisions cruciales. L’une des tâches les plus difficiles des évêques va être d’assumer courageusement que certains espaces géographiques devront être sacrifiés. Et l’évêque devra aider les prêtres à gérer la frustration des fidèles, non seulement des consommateurs occasionnels, mais, de plus en plus aussi, des pratiquants, qui se retrouveront en situation d’abandon faute de forces pastorales. Les évêques devront aussi accompagner la culpabilité grandissante des prêtres qui ne peuvent plus tout porter et doivent faire des choix déchirants, sous peine de mourir de surmenage.

Il y a aussi d’autres dossiers brûlants : la collaboration prêtres-laïcs, la vie religieuse, les mutations des communautés dites “nouvelles”. Sans oublier l’un des points clés de la crédibilité de l’Eglise, son service des plus pauvres, des plus faibles. C’est cette présence sociale qui permet aujourd’hui à André Vingt Trois d’en remontrer au gouvernement. Mais qu’en sera-t-il dans 20 ans, quand les catholiques très engagés au Secours Catholique ou à la Conférence Saint Vincent de Paul seront moins nombreux.

En plus de cela, les évêques devront accompagner leurs ouailles sur une ligne de crête : comment aider les catholiques à ne pas renier leurs valeurs, à les vivre au quotidien, et à les expliquer dans le dialogue positif avec autrui, sans se replier dans un ghetto ? Comment nager à contre-courant sans se raidir dans une posture d’opposition au “monde” ?

Et j’ajoute un dernier élément : l’émergence d’une véritable opinion catholique sur le web (soulignée dans un très intéressant topo du Père Eric Salobir, devant les évêques) peut contribuer à affaiblir l’autorité épiscopale au sein des catholiques, la place étant prise par de nouveaux leaders d’opinion, bloggueurs en tête. Par dessus le marché, Internet est un média qui survalorise les extrêmes, ce qui ne favorise pas la mission d’unité des évêques, face à un troupeau qui tire parfois à hue et à dia.

Cette vision alarmiste ne doit pas masquer de vrais signes de renouveau, notamment dans le champ de la nouvelle évangélisation, ni faire oublier tout ce que l’Esprit Saint tient en réserve.

(...)

Si les plus âgés des évêques ont tâché de gérer la situation depuis dix ou vingt ans, au mieux de leurs forces, les jeunes épiscopes ne peuvent plus se permettre de continuer très longtemps les replâtrages et autres rustines (recomposition des paroisses, etc) qui ont permis de tenir tant bien que mal. Il n’est plus possible de faire semblant qu’on va continuer comme avant.

Le paradigme actuel est mort - celui du maillage territorial de l’Eglise pour une desserte équitable des habitants : il faut passer à un autre chose. Certains experts estiment que l’avenir est à une Eglise missionnaire à partir de pôles rayonnants, déconnectés d’un maillage territorial, combinés à des logiques de réseaux ou des petites communautés de base où l’on vivra la foi de façon vibrante et fraternelle. Mais aucun modèle ne sera idéal. Et personne n'a la prétention de revendiquer une panacée.

Une spiritualité du désert
J’attendais de ces fringants jeunes évêques une sorte de discours de la méthode, une vision brillante de la “rupture”. Du genre : les vieux n’ont rien compris, mais on va régler le problème, vous allez voir... De quoi nourrir un bon bouquin de sociologie religieuse.

J’en ai été pour mes frais.

En discutant avec ces “jeunes” évêques, j’ai seulement été frappé par leur spiritualité du désert : celle de l’humilité et de la confiance.

Voici ce que l’un d’entre eux m’a lâché, le temps d’une pause bruyante entre deux séances de l’Assemblée, et que je cite de mémoire : “On est arrivés à un point où l’on ne peut plus faire semblant. On va très vite toucher le fond parce qu’on a épuisé nos propres forces. On entre dans une phase de pauvreté radicale. On est obligés de se reposer sur Dieu seul. Pendant des années on a élaboré des plans et on a demandé à Dieu de faire en sorte que ça marche. Et ça n’a pas toujours marché, et pour cause. Maintenant, c’est fini. Il va falloir qu’on cesse de faire notre volonté propre et qu’on se mette à faire Sa volonté à Lui. Cela veut dire qu’il faut qu’on lui demande d’abord qu’Il nous éclaire sur Sa volonté, dans la prière et l’écoute de sa Parole. C’est tout !”

En d’autres termes : on a mis la charrue devant les boeufs. Pas étonnant qu’on pédale dans la semoule.

Et ce jeune évêque de rajouter. “Je ne suis pas inquiet car j’ai confiance en Dieu. Je ne m’inquiète que d’une chose : moi, mon manque de courage, ma tiédeur, mon infidélité. Quand je vois tout ce que font mes frères évêques, je suis épaté. J’en suis loin. L’enjeu de l’avenir, c’est ma conversion personnelle, en tant que baptisé, en tant qu’évêque.”

Inutile de dire combien j’ai été frappé par ce propos radical, provenant d’un homme que je connais à peine, mais qui m’ouvrait le fond de son coeur. Ce témoignage n’est pas isolé. Un autre jeune évêque, alors que je prolongeais une longue conversation avec lui à proximité de la Grotte, me confiait : “Le problème de l’Eglise, actuellement, c’est moi. Mon manque de courage, de confiance en Dieu. Il faut que je me convertisse vraiment.”
Un troisième évêque m’a dit également : “Je n’ai pas de programme à appliquer. Je n’ai que le Christ, son Evangile, son amour. Ce sont mes seules forces”.

“C’est moi le problème...
Je dois me convertir...
Je n’ai que le Christ.”

Franchement, je n’avais jamais entendu ça de façon aussi claire en “confessant” les évêques à Lourdes, et pourtant je les écoute chaque année depuis plus de 10 ans.

Mais que se passe-t-il ?
A Lourdes, j’ai reparlé du Synode sur la Nouvelle Evangélisation avec une consoeur journaliste. Elle m’assurait qu’elle avait perçu un changement fort entre le début et la fin des trois semaines du Synode. Des évêques qui étaient arrivés avec leur petit topo bien ficelé à délivrer devant le pape, sont repartis décalés, bouleversés, déplacés, déroutés, chamboulés par les rencontres qu’ils avaient vécues. L’un des évêques lui a confié qu’il repartait chez lui en étant habité par l’urgence de sa propre conversion.

La conversion ? Elle est au coeur du propos du pape sur l’année de la foi. c’est donc une bonne nouvelle qu’elle soit à ce point là dans la tête des évêques.

Mais elle est un défi pour tous. Et elle ne vise pas qu’un simple retournement évangélique. Les évêques qui m’ont parlé de la leur faisaient évidemment référence à leur manière de voir leur mission. Il s’agit d’une conversion de la gouvernance pastorale. Les trois missions de l’évêque sont : sanctifier, enseigner, gouverner. Si les deux premières sont “faciles”, la troisième est la plus difficile - on le voit aussi pour Benoit XVI. Dans une interview publiée sur lavie.fr, Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, insiste sur l’urgence d’une nouvelle gouvernance pastorale, qui doit commencer par la conversion de l’évêque, pour s’étendre aux prêtres, dans le but de permettre aux baptisés laïcs de faire fructifier leurs dons missionnaires.

Cette nouvelle génération d’évêques est emblématique d’une nouvelle génération de catholiques, très conscients qu’ils ne pourront rien faire s’ils ne s’appuient pas sur une théologie de la grâce - tout recevoir de Dieu -, laquelle va avec une théologie de l’abandon et de la confiance, tout cela déployé sur le fond d’une théologie de la Croix - à savoir l’acceptation de la souffrance, car être chrétien impliquera de plus en plus un coût personnel. L’ensemble se conjugue à une forte volonté évangélisatrice, par refus du ghetto catho. Pas étonnant que Thérèse de Lisieux, qui incarne toutes ces dimensions, soit une étoile de cette spiritualité, qui, sans être nouvelle, deviendra dominante au cours des “Trente Douloureuses”. Celles-ci seraient alors des “Trente Glorieuses” à fronts renversés : Saint Jean ne parle-t-il pas de la Gloire quand il évoque la Croix ?

Tout l'article : "Les pères courage sur le pont"

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