Une opinion du chanoine Eric de Beukelaer dans « La Libre » l’illustre ici :
« Quel point commun entre le débat sur l’euthanasie et celui sur la circoncision ? Non - ils n’opposent pas humanistes éclairés, d’une part et sectaires obscurantistes, de l’autre - le sectaire étant, bien entendu, celui qui ne partage pas mon avis. Ces débats concernent deux visions de l’homme : individu ou personne ? L’humain est-il souverain de sa vie, tant que son projet ne nuit pas au voisin ? (philosophie individualiste) Ou est-il un sujet qui construit son identité de façon relationnelle ? (vision personnaliste)
Le regard individualiste défend le droit de choisir sa mort pour raisons médicales, vérifiées par des balises légales. Il récuse par contre (comme la récente résolution du Conseil de l’Europe) que l’on puisse mutiler par la circoncision un nouveau-né, car celui-ci est incapable d’y consentir. La vision personnaliste considère, au contraire, que la vie n’est pas un bien dont chacun dispose, mais un lien social - source de responsabilités croisées. Elle accueille la sédation palliative qui accompagne vers la mort, mais défend (sans raideurs face aux cas cliniques exceptionnels) l’interdit social d’ôter une vie - un des piliers du pacte social humaniste. Inversement, le personnaliste n’aura pas d’objection à ce que - par une intervention physique non handicapante (la circoncision) - des parents inscrivent symboliquement leur enfant dans une communauté de vie et de destin.
Quatre observations pour affiner l’analyse : Primo - la ligne de démarcation entre individualisme et personnalisme n’est pas statique. La société de consommation rend individualiste, mais la mondialisation engendre des réactions personnalistes. Mouvements citoyens, sports d’équipe et folklore procurent, en effet, à nos sociétés les liens interpersonnels qui font défaut dans la logique individualiste de l’économie de marché.
Secundo - la contrainte change de camp selon les dossiers. Là où l’individualiste défendra la liberté (encadrée) de mourir selon son choix, il sera plus réticent à admettre la liberté de port des signes religieux dans l’espace public.
Tertio - pareille distinction brouille les repères politiques. Beaucoup de progressistes défendent une vision personnaliste de l’économie, mais individualiste de la vie domestique (droit à l’avortement, à l’euthanasie, amour libre,…).
Nombre de conservateurs se font l’avocat de positions individualistes en économie (libre-échange plutôt que régulation), mais personnalistes dans les questions de morale familiale. Ceci explique que l’Eglise catholique - entité personnaliste, s’il en est - soit perçue comme progressiste dans sa doctrine sociale et conservatrice dans son enseignement familial.
Quarto - ces deux visions du monde sont respectables, mais non leur caricature. La caricature de l’individualisme est l’égoïsme cynique, qui pervertit tout lien social en "struggle for life". La caricature du personnalisme est le repli identitaire nationaliste ou religieux, qui nie la dignité universelle de l’humanité.
Conclusion : Personnaliste convaincu, je refuse le dialogue de sourds, avec chaque camp en ordre de bataille accusant l’autre bord de tous les maux. Je prône plutôt un débat respectueux, qui clarifie la source du désaccord - un autre regard sur l’humain. Et j’invite à la précision des termes.
Ainsi, le mot "euthanasie", qui recouvre tant la sédation en fin de vie, que la mort médicalisée de patients non-terminaux (sénilité et souffrance physique ou psychique profonde et durable). Dans ce second cas, parlons plutôt de "suicide médicalement assisté". Ainsi encore, le mot "mutilation" qui vise indistinctement tatouages, circoncisions et excisions. Débattons plutôt sur "l’atteinte grave à l’intégrité physique" - ce qui aide à comprendre que circoncision et excision ne sont pas à mettre sur le même pied.
Réf. Débat sur l’euthanasie et sur la circoncision: quel point commun?
JPSC
Commentaires
La langue française me semble au contraire posséder le génie de rendre confuses ou imprécises les idées les plus claires à la base. À force de se vouloir la plus sophistiquée, elle est sans doute devenue la langue la plus incohérente et la plus inconséquente du monde.
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Ce fut d'ailleurs longtemps la langue favorite de la diplomatie. Grâce à elle, les diplomates pouvaient toujours prétendre que ce qu'ils avaient dit n'était pas ce que certains en avaient compris. Cette langue est en effet truffée de mots à double ou triple sens. Des mots qui, s'ils ne sont pas qualifiés ou précisés, peuvent vouloir dire tout et son contraire. Les simples mots 'amour' et 'aimer' en sont un bel exemple.
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L'opinion du chanoine De Beukelaer en est une belle illustration aussi. Combien de mots ne faut-il pas aligner pour évoquer le mot 'euthanasie' sans même pouvoir arriver à une définition admise par tous ? Et ne parlons même pas du débat actuel sur le mot 'genre'.
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Un auteur français a écrit : « Ce qui se conçoit bien s'exprime clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». Il aurait pu ajouter que si les mots arrivent (trop ?) aisément en français, le plus souvent la clarté n'est alors plus au rendez-vous à l'arrivée.
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En outre, la grammaire et la conjugaison sont autant de pièges pour la pratique du français, comme le rappelle cet article :
http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/grammaire-et-conjugaison-le-cauchemar-des-jeunes-francais-3316/
@ pauvre job
C’est vrai que du génie abstracteur de la langue française il résulte que celle-ci comporte moins de mots que les langues germaniques, par exemple, qui composent, décomposent et recomposent des quantités de vocables censés plus concrets. Si j’ose une impertinence, on retrouve ce phénomène dans les dialectes des tribus africaines dont le vocabulaire est infiniment plus vaste que celui des grandes langues véhiculaires, comme le swahili par exemple.
Reste que l’esprit français classique est infiniment plus clair que la « forêt noire » des penseurs germaniques, non ? Ne me dites pas que je simplifie… ou que j’amalgame
@ jpsc ... Il me semble que lorsque les philosophes européenss se servaient du latin, leur pensée était transmise de façon plus claire et structurée, et cela partout en Europe. Le passage du latin à la langue française n'a pas été un progrès pour exprimer sa pensée, et pour la faire connaître, selon moi. Les traductions de textes du latin au français trahissent en tout cas souvent la pensée originale. Et pas seulement en philosophie.
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Je ne connais pas assez l'allemand. Y a-t-il aussi eu une dégradation chez les philosophes allemands, après la décision de remplacement du latin par l'allemand ? Je pense que la grande faiblesse de la langue française provient du mélange du latin et du germain. C'est-à-dire, un latin parlé par des peuples d'origine germanique. L'allemand est une langue moins métissée que le français. Comme l'italien est aussi une langue moins métissée que le français.
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En tout cas, cet abandon du latin n'a pas seulement créé un mur d'incompréhensions entre philosophes européens, il a aussi séparé les peuples européens. Les nationalismes furent exacerbés par la différence de langue pour la transmission des connaissances. Du temps du latin, tout Européen n'avait que deux langues à connaître, sa langue maternelle et le latin, pour se débrouiller partout et avoir accès partout à la pensée scientifique, juridique, philosophique, judiciaire, religieuse, ... C'était un atout formidable, dont l'Europe s'est privée pour des raisons purement politiques. Les politiciens de l'époque avaient d'aussi courtes vues que ceux d'aujourd'hui.