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J'en ai soupé des larmes, du pathos et des paroles creuses

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De Koz, sur son blog :

Assez pleuré

Les attentats se suivent et se ressemblent. Les réactions également. Nous pleurons, nous "n'avons pas peur" - "not afraid", parce qu'on est polyglottes - nous communions dans la répétition de symboles dérisoires et inoffensifs. La Belgique pleure, la Commission européenne pleure, l'Europe pleure, Tintin pleure et Gaston Lagaffe aussi, pour faire bonne mesure. Dans les minutes qui suivent l'attentat, Twitter se met en chasse du dessin de presse qui le disputera au déjà lénifiant "Je suis Charlie". On félicitera Plantu pour sa réactivité. Ça, c'est du professionnalisme, et l'embourgeoisement de la réaction populaire et spontanée.

Des symboles Belges ? Un cornet de frites - avec, au passage, un doigt d'honneur, la vulgarité remplaçant désormais l'éloquence - une bière, et la BD. Désolé, amis Belges, nous voulions bien célébrer votre apport à l'histoire de l'humanité, mais nous avons surtout pensé aux frites. Ça va, ne le prenez pas mal, je ne dénigre pas la Belgique : quand nous avons été frappés, nous ne nous sommes pas élevés plus haut. Le niveau culturel moyen est tel qu'il peine à dépasser la bouffe.

Plus d'indulgence nous conduirait à penser que le message sous-jacent est celui-ci : les barbares n'auront pas la peau de nos plaisirs, et nous continuerons de vivre comme avant, jusque dans les détails insignifiants de nos vies. Mais j'aimerais être convaincu que ce n'est pas que nous sommes incapables de dépasser le stade de cette insignifiance, et je ne le suis pas.

J'étais à Bruxelles le 16 novembre et je me souviens avoir été touché à la vue de cet immeuble illuminé aux couleurs de la France, raison pour laquelle je ne néglige pas la valeur symbolique de l'illumination de la Tour Eiffel aux couleurs de la Belgique. Et que les Belges ne s'y trompent pas : je suis bien de cœur avec eux, dans un sentiment de proximité fraternelle que j'ai toujours éprouvé, même en l'absence d'épreuve. J'ai la même exigence pour eux que pour nous, et nous prenons conscience aujourd'hui de notre profonde solidarité dans l'adversité. Les frissons qu'ils ont ressentis hier, de crainte et de prise de conscience mêlés, je les ai ressentis aussi.

Mais j'en ai soupé des larmes. Soupé du pathos. Du compassionnel dans lequel on excelle. Assez de fournir aux terroristes et à leurs sympathisants le spectacle qu'ils espèrent, le tableau qu'ils attendent. Privons-les de la jouissance de ces scènes, même si cela suppose de faire violence à l'inclination sirupeuse de nos sociétés et de nos médias, de nous priver de l'auto-contemplation de notre statut de victimes - ultime collier d'immunité de notre époque. Aujourd'hui, c'est la colère qui prend la place. La colère, pas la haine. Mais la détermination.

Une jeune Belge demandait hier : "pourquoi nous détestent-ils tant ?" C'est vrai, on est gentils : alors, pourquoi ils sont méchants ? Ce jour de novembre, à Bruxelles, écoutant un chauffeur de taxi m'expliquer le monde, la France et la Belgique, échangeant avec quelques-uns, il me semblait aussi percevoir cette incrédulité à l'idée que Bruxelles puisse être touchée (même si elle s'imposait) : comment serait-ce possible, chez nous, qui n'imposons plus rien à personne, chez nous, si tolérants ? Laurent Joffrin, lui, publiait hier un éditorial exemplaire. Sacrifiant à Pathos, il titrait sur le chagrin. Et, comme en novembre dernier, lorsque, anxieux de voir remis en cause le magistère moral d'une certaine gauche médiatique, il évoquait les quartiers du 10ème, quartiers de la bourgeoisie bohème, dans lesquels il ne voit que tolérance et fraternité, voilà qu'il pleurait "Bruxelles sans ordre, sans plan, sans arrogance et sans haine, Bruxelles la bigarrée, la cosmopolite, la ville de l’accueil, la ville de l’effervescence et de la création" (("sans ordre, sans plan, sans arrogance et sans haine" : il y aurait matière à (psych)analyse, dans ce rapprochement)). Peut-être faudrait-il considérer que cette si fameuse tolérance a viré à une indifférence exempte de respect, à une absence de véritable dialogue tant nous refusons d'être quoi que ce soit, de peur d'exclure un autre, tant nous refusons de considérer sérieusement ce que l'autre est, trop satisfaits de le tolérer ?

Laurent Joffrin écrit : "c'est l'heure du sursaut". Paroles creuses. Pour être efficace, un sursaut doit pouvoir prendre appui sur un sol stable. Sans cela, ni nous n'apprenons pas à consister un peu plus, à redonner un peu de substance à la France et à l'Europe, à marquer intellectuellement, culturellement, artistiquement, politiquement l'histoire de l'humanité autrement que par Charlie, un verre en terrasse, ou la lecture de BD un cornet de frites à la main, nous ne ferons que sursauter. Et pleurer.

Commentaires

  • Hier j'entendais des jeunes français expliquer devant la caméra des médias qu'en hommage aux victimes des 2 attentats, ils iraient manger des frites et boire de la bière.

    Je crains que Koz ait vu juste. Pour ma part je prie pour les victimes et leurs proches. Pleurer d'accord, mettre des fleurs d'accord, mais si cela ne va pas plus loin à quoi cela sert il ? Notre foi chrétienne nous dit qu'ils ne sont pas morts, et notre foi catholique qu'ils ont bigrement besoin de nos prières plus que de nos larmes !

    Et pour ce qui est de l'avenir j'aime me rappeler les paroles de Saint Jean Paul II : "N'ayez pas peur !"

  • Ces attentats sont une petite partie visible de l'iceberg de la violence de notre monde. Non je ne suis pas Bruxelles et je ne me suis pas plus ému de ce drame que ce que chaque jour, je m'émeus pour toutes les violences moins visibles et pourtant bien présentes : avortement, euthanasie, eugénisme, mauvaises décisions sur immigration, erreurs économiques .... Mais nos médias et nos dirigeants (tous pouvoirs confondus) au nom des droits de l'homme commettent des actes barbares sous couvert des lois et de la pensée unique qu'ils prodiguent chaque jour. Et ils s'étonnent que des gens fanatiques (au même titre qu'eux d'ailleurs) commettent de tels actes. Voyez h'hypocrisie de tous ces fanatiques pseudo-démocrates et autres de tous poils et de toutes religions ...qui aux noms de ce qu'ils appellent liberté et tolérance ne prennent pas les bonnes décisions, car en fait, ils sont laxistes et libertaires...
    Je remercie toutefois notre gouvernement qui sans le vouloi,r sans doute, a décrété 3 jours de deuil en cette semaine..... SAINTE
    Je prie pour que chacun, et pour moi d'abord, puisque ce texte reflète aussi de l'orgueil, afin que le Seigneur nous donne un coeur doux et humble comme le sien
    A quand le bon sens?.....
    Un être qui parce qu'il se dit chrétien essaie tant bien que mal de vivre en humain ... et Dieu que c'est dur ....

  • Tout-à-fait d'accord avec votre analyse, cher Berger. Ce pathos est de fait l'arbre qui cache la forêt dont personne ne s'émeut. La manipulation des émotions est un art politique qui fonctionne très bien auprès des moutons de Panurge; Cela fait des décennies que les médias travaillent en ce sens pour formater les populations.

    Il existe par ailleurs des millions de victimes qui meurent chaque jour d'autres causes plus obscures qui ne suscite pas de tels pics d'émotion : suicide des jeunes, des sans-emploi, des agriculteurs, des indépendants ruinés, etc, empoisonnements à petit feu par des substances toxiques alimentaires, désespoir des cas de plus en plus nombreux de gens réduits à survivre sous le seuil de pauvreté, j'en passe beaucoup d'autres.
    Tout cela ne fait pas couler beaucoup d'adrénaline chez les téléspectateurs ou les lecteurs et ce n'est pas seulement leur faute mais d'abord celle des médias qui choisissent très soigneusement leurs sujets préférés.

    Bref, ne soyons pas dupes de la propaganda de masse et gardons l'esprit libre et ouvert pour d'autres miséricordes.

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