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Le roman policier, un genre anti-catholique ?

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D'Anne Bernet sur le site de l'Homme Nouveau :

De l'ignorance à la haine

De l'ignorance à la haine

S’il est un bon révélateur des mentalités et partis pris d’une époque, c’est bien le roman policier, genre populaire qui touche un vaste public. Or, et cela n’a rien d’anecdotique, nombre de ces ouvrages véhiculent désormais de façon plus ou moins claire un message hostile au catholicisme. Et il serait bon d’y prêter attention.

Le phénomène n’est pas nouveau mais, voilà une quinzaine d’années, cette hostilité, parfois très virulente, restait cantonnée à des auteurs très marqués à gauche. L’inquiétant, aujourd’hui, est de voir ces attaques reprises par des auteurs qui font, de la dénonciation des catholiques en général, et des prêtres en particulier, un lieu commun. C’est précisément là ce qui devrait nous inquiéter.

Mais d’abord, un petit florilège, pour mieux comprendre ce qui se passe.

Prenons, pour commencer, un contre-exemple, l’un des derniers car les connaissances religieuses qui sous-tendaient le récit ont maintenant disparu de la culture générale actuelle, Les grenouilles de Saint-Pierre d’Alain Germain, paru au Masque en 2001.

Privée de prêtre depuis longtemps, la paroisse de Saint-Pierre-Aigle, délicieux village du Soissonnais, est toute ébaubie, en cette fin des années 60, de l’arrivée d’un nouveau curé, le séduisant abbé Dieudonné. Les plus excitées sont cinq vieilles dames, veuves de la Première Guerre mondiale et héroïnes de la Résistance lors de la Seconde. Encore sensibles aux plaisirs de la vie, jusqu’aux moins avouables, ces dévotes s’intéressent de très près au jeune prêtre. Mais, quand ces dames, de  dimanche en dimanche, décèdent une à une à la sortie de la messe, force est de s’interroger … 

 

C’est un petit chef d’œuvre d’inventivité et de psychologie que ce roman, admirablement resitué dans le décor, campé à la perfection, de la campagne d’avant 68. S’y ajoute, et c’est son premier intérêt, une vraie dimension spirituelle, Alain Germain ayant une idée précise de ce qu’était l’Église avant le concile et de ce qu’est un prêtre, ce qui permet au dénouement d’être, non pas scandaleux mais édifiant.

Profitons-en, car une telle approche est rarissime.

En 2002, Jean-Christophe Duchon-Doris publie chez Julliard Les nuits blanches du Chat botté, un polar historique, genre qui commence à avoir le vent en poupe.

L’intrigue se passe en 1700, dans une vallée de Haute Provence où Mme d’Orbelet, janséniste austère, est venue chercher refuge après la mystérieuse disparition de son époux et la condamnation de Port-Royal. Très vite, l’ennui pèse sur sa fille, Delphine, qui regrette amèrement la Cour. Une étrange série de drames, qui va désoler la région, la jettera imprudemment sur les traces d’un prétendu loup amateur de fillettes enchaperonnées de rouge retrouvées ignominieusement déchiquetées. 

Fascinée par la Bête que l’on dit satanique, Mlle d’Orbelet est trop innocente, à la différence du nouveau procureur du roi, le cynique Guillaume de Lautaret, pour savoir que de tels loups marchent sur deux jambes … Car c’est bel et bien un homme, et des plus cruels, que le magistrat est décidé à débusquer tandis qu’il sème derrière lui, dans un jeu de piste macabre, des cadavres la bouche emplie de cailloux blancs, d’aiguilles de fuseau ou de galette au beurre …

Duchon-Doris, servi par une maîtrise stylistique rare, un sens des descriptions sublimé par la beauté du décor choisi, revisitait férocement les Contes de Perrault, prétexte à une histoire d’amour sans pitié, mais, et c’est là que le bât blessait, puisqu’il fallait un coupable, il choisissait pour ce rôle le pieux aumônier des dames d’Orbelet … Bien entendu, le célibat sacerdotal, la chasteté expliquaient les obsessions morbides de ce redoutable malade mental … L’idée resservirait à d’autres, moins talentueux, et qui l’exploiteraient jusqu’à persuader leurs lecteurs que tout prêtre était susceptible de se transformer en tueur en série. Tant qu’à faire !

Encore quelques années et le prêtre sera, par définition, l’ordure que l’on peut systématiquement traîner dans la boue. Prenons, parmi d’autres, Les masques de la nuit du romancier belge Pieter Aspe, paru chez Albin-Michel en 2009, alors que les retombées de l’affaire Dutroux n’en finissent pas d’ébranler le pays.

Quand, en jouant dans le jardin de la maison que ses parents viennent d’acheter dans la banlieue de Bruges, une fillette met au jour des restes humains, le commissaire Van In sent les ennuis venir : la propriété appartenait auparavant à un homme d’affaires parmi les plus influents de Flandre et abritait les soirées très intimes de la haute société brugeoise, dont quelques politiciens de premier plan, et bien entendu, des curés pédophiles … Aspe captait l’atmosphère plombée de la fin des années 90, dans un pays en proie au doute et au dégoût, désireux d’opérer un grand ménage qui n’eut jamais lieu. C’était l’intérêt du roman. Curieusement, si l’on a tendance aujourd’hui à oublier les autres catégories sociales protagonistes de telles affaires, l’Église, elle, demeure plus que jamais visée par ces accusations. 

C’est pire, évidemment, quand l’auteur a du talent et Maurizio de Giovanni, auteur de polars italien, en déborde.

Les quatre saisons du commissaire Ricciardi, (Rivages Noirs Payot), mettent en scène, à la fin des années 20, un flic atypique, Luigi Ricciardi, de la police napolitaine, qui garde farouchement trois secrets : ses origines aristocratiques, son opposition au fascisme, et le don, maléfique à ses yeux, d’entendre les dernières pensées des victimes de morts violentes … Et c’est bien pire quand ces victimes sont innocentes. 

Au début de L’automne du commissaire Ricciardi, un enfant est découvert mort dans la rue, veillé par un chien errant. Le cadavre ne portant aucune marque de violence, tout laisse supposer que ce gamin sans famille est mort de misère, réalité choquante du quotidien napolitain que les autorités aimeraient escamoter… Il convient donc de boucler ce dossier avant la première visite à Naples du Duce et en toute discrétion. Précisément le genre de consignes que le baron Ricciardi ne saurait tolérer. Par respect pour ce petit mort, il n’aura de cesse d’identifier l’enfant et comprendre ce qui lui est arrivé. 

Di Giovanni est bouleversant. Ses romans entraînent dans les tréfonds de la bassesse humaine, de la souffrance, de la misère, de la cruauté, le tout avec une pitié qui broie le cœur. Sa peinture de Naples, hier ou aujourd’hui, est remarquable. Mais pourquoi faut-il que l’on rencontre, au centre d’un drame sordide, un prêtre hypocrite, complice intéressé du malheur des enfants qu’il prétend secourir, le tout avec la complicité bienveillante de l’archevêché ?

Faut-il s’étonner, alors que l’on véhicule si complaisamment d’un bout à l’autre de l’Europe, avec une complaisance suspecte, l’image d’un clergé catholique infâme, que le mépris passe du prêtre aux simples fidèles, dupes ou complices ?

Petit-fils d’un député à la Constituante, fils d’un héros du Risorgimento, le jeune Léandre Lafforgue ne saurait être qu’un esprit éclairé, préservé des superstitions catholiques. Monté à Paris en 1848, il n’a pas tardé, grâce à son remarquable esprit de déduction, à se faire remarquer par le prince Louis Bonaparte, bientôt président de la République qui lui a confié la création d’un service de police parallèle.

« Le Goupil », nom de code de Lafforgue, est moins préoccupé, en cet automne 1851, par les prochaines échéances électorales, qui interdisent au prince Napoléon de briguer un second mandat, que du succès d’un opéra dont il a commis le livret. Hélas, la Première de ce Matin des Corbeaux censé lui apporter la gloire tourne au drame quand, à l’issue de la représentation, la jeune étoile de la troupe est découverte mortellement blessée. Nouveau coup dur pour le jeune homme, déjà  mis à l’écart d’une affaire sensible de faux-monnayage dans laquelle il n’a guère brillé, contrairement à ses habitudes, et supplanté, au sein de la police parallèle, par un nouveau venu, journaliste sans scrupule, qui s’empresse de classer l’affaire. Un peu trop vite, d’ailleurs … 

Avec Le crime de l’Odéon (Éditions de Borée. 415 p. 22 €.), Sylvain Larue confirme brillamment sa grande connaissance de l’époque, entraînant crescendo le lecteur dans une spirale de violence, de férocité et de mensonges dont la maestria laisse pantois. Mais, là encore, les catholiques n’ont pas le beau rôle, même si Lafforgue, esprit large, se croit généreux en leur offrant, en guise de rédemption, notion qui lui échappe, l’opportunité du suicide …

Chez Larue, le croyant est un pauvre type pitoyable. Chez Samuel Delage, qui signe Arcanes Médicis (De Borée ;  Marge Noire ; 350 p ; 19,90 €.), c’est un tartuffe. 

Séjourner à la Villa Médicis, propriété à Rome de l’Institut de France, est le rêve de nombreux artistes. Et si ce rêve virait au cauchemar ? Un matin de mai, l’on découvre dans le parc le cadavre mutilé de Valente Peyron.

Qui était Valente ? Un artiste génial encore méconnu ou un raté alcoolique qui s’ingéniait à dissimuler son absence de talent en détournant à son profit les œuvres d’autrui ? Quels liens avait-il tissés avec les pensionnaires de la villa, que le commissaire Castelli, de la police romaine, ne tarde pas à regarder comme une bande de fous furieux crevant de suffisance ? 

Il y a un cadre, des personnages, plus barjots les uns que les autres, une intrigue, et Rome, vue du Pincio. Ce n’est pas mal du tout, mais pourquoi Delage se croit-il, lui aussi, obligé de transformer le catho de service en maître chanteur, homosexuel honteux, bien entendu ? Une mention spéciale pour  la couverture du livre, pure réussite artistique entre splendeur et terreur.

Je terminerai ce tour d’horizon avec Les tribulations d’Aloyse Traminer à Strasbourg (La Nuée … noire ! 250 p. 17 €.) de Michel Paul et Pierre Yves Urban.

Jusqu’à ce soir d’avril où il a été tabassé dans une rue du vieux Strasbourg, la vie d’Aloyse Traminer était on ne peut plus ordinaire. Libraire spécialisé dans la bande dessinée, dilettante que la fortune familiale dispensait de travailler vraiment, issu de la haute société protestante, coureur de jupons, Aloyse était l’archétype de l’éternel adolescent. Qui pouvait lui en vouloir au point de manquer le tuer ? Cette question, à laquelle la victime est incapable de répondre, la police a l’intention de la résoudre. Et si l’irréprochable M. Traminer, outre ses trop nombreuses liaisons amoureuses, et un différend récurrent avec son voisin turc patron d’un kebab, cachait sous des dehors trop lisses de sombres activités ? 

Tandis qu’une commissaire au charme ravageant dont il est tombé amoureux fou au premier regard le harcèle, Aloyse s’enfonce dans un cauchemar éveillé car, à n’en pas douter, quelqu’un en veut à sa peau. 

Les frères Urban signent, avec ce premier roman policier décalé, plongée dans l’absurdité du monde contemporain, un remarquable conte philosophique qui  n’épargne aucune des vaches sacrées de notre société et invite, à grand renfort d’expressions alsaciennes savoureuses, à une promenade passionnée dans Strasbourg. Mais, là encore, à croire que c’est devenu, même pour les meilleurs, un détour obligé, l’on aura découvert que le vieux prêtre catholique envers lequel le héros éprouvait tant de sympathie, n’était pas celui que l’on croyait …

Pourquoi, me direz-vous, cet aperçu, succinct car il était facile de continuer cette étude du catholicisme vu par le roman policier contemporain ?

Pour une raison très simple, et passablement inquiétante. Ce n’est pas la première fois, tant s’en faut, que l’Église fait l’objet d’attaques similaires, et d’accusations, fondées ou pas, destinées à la faire prendre en horreur par la société. Au début du christianisme, on prétendait les chrétiens adeptes de la magie, des orgies incestueuses, et du cannibalisme rituel. Après avoir adoré un crucifié à tête d’âne, animal lubrique entre tous, ils dévoraient un nouveau-né lors d’un banquet sacrilège. Des gens qui se prétendaient très savants et très informés le soutenaient, de sorte que le bon peuple, scandalisé, les croyait, et trouvait normal de jeter ces monstres aux lions.

À la veille de la Révolution, l’on accusait, dans les milieux philosophiques, les prêtres, souffrant de leur célibat, d’abuser des femmes et filles qui venaient à confesse, de sorte que le législateur, en 1793, trouverait bon de les « déprêtriser » et les contraindre au mariage pour échapper à l’échafaud.

L’astuce n’est pas neuve, qui se sert d’abus authentiques, mais rares, pour les prétendre généralisés et aboutir, à terme, à des mesures pénales contre une religion criminalisée. Quand médias, cinéastes, romanciers se donnent le mot pour traîner les catholiques et l’Église dans la boue, il faut, toujours, prendre garde à la suite. Les persécutions ont toujours commencé comme cela.

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