Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une note optimiste sur les effets secondaires et imprévus du virus

IMPRIMER

D'Ottavia Casagrande* sur le site du Nouvel Observateur :

« Notice optimiste sur les effets secondaires et imprévus du virus », par Ottavia Casagrande

L’auteure italienne de « l’Espion inattendu » (Liana Levi), récemment publié en France, a été surprise par le confinement alors qu’elle se trouvait dans la région de Bergame. Elle nous livre ce que la vie au temps du coronavirus lui a inspiré.

Ce virus, sournois et virulent, est une saloperie. Il se faufile dans les accolades, dans les poignées de main et, à ce qu’il paraît, jusque dans l’air que nous respirons. C’est un petit microbe insignifiant, et pourtant, après avoir semé la désolation et la mort en Asie, il est parvenu à mettre à genoux le système sanitaire d’une région entière comme la Lombardie. Il a paralysé la septième puissance industrielle mondiale. Il a suspendu le temps, les vies, le travail, les amours. Il a mis sous cloche une nation entière, puis rapidement tout un continent, privant ses citoyens des libertés fondamentales qu’ils avaient conquises au fil des siècles. Il est responsable de la fermeture des écoles dans toute l’Europe. Personne n’y était parvenu jusqu’à présent, pas même Hitler ! Il a fait fermer les parcs, les usines, les plages, les bureaux, les salles de sport, les cinémas, les théâtres. Il a verrouillé jusqu’aux portes des églises, des synagogues, des mosquées.

Chaque jour, il fait fondre en larmes des infirmières, des médecins, des chefs de service qui tombent malades et meurent l’un après l’autre. Il met sur la paille des entrepreneurs, des commerçants, des libraires, des restaurateurs, des acteurs. Il enchaîne aux masques à oxygène des milliers de malades, les étouffant lentement ou à une vitesse impressionnante. Il peut transformer chacun de nous en porteur asymptomatique qui s’ignore, bombe à retardement prête à envoyer indifféremment à l’hôpital ou ad patres les personnes les plus chères comme de parfaits inconnus.

Il a tué et continue imperturbablement à tuer des milliers de personnes, choisissant les plus faibles et les plus vulnérables. Il oblige l’armée à transporter les cercueils au cimetière parce que les pompes funèbres sont débordées. Il empêche d’honorer les morts par des rites funéraires. Ce virus est une saloperie. Une véritable saloperie, qui en ce moment même, se répand en toute liberté, faisant fi des frontières, dans le monde entier. Il épargne les jeunes et les enfants. C’est la seule pitié qu’il semble manifester à l’égard de notre espèce.

A dire vrai, il a aussi un autre mérite. Il démontre chaque jour qu’Albert Camus avait raison : « Et pour dire simplement ce qu’on apprendra au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. » Pendant ce premier mois – un mois, déjà ! – de pandémie, voilà ce que j’ai appris. A Dalmine (à quelques kilomètres de Bergame, l’une des régions les plus touchées), j’ai vu trente travailleurs volontaires maintenir en activité un service de la société Tenaris pour continuer à fabriquer des bombonnes d’oxygène, ô combien vitales ces temps-ci.

J’ai vu des maisons de couture, telle Miroglio, abandonner en l’espace de quelques jours la production d’étoffes et de tissus pour fabriquer 100 000 masques par jour, en grande partie offerts par Giuseppe Miroglio à la direction sanitaire de la Région du Piémont. J’ai vu beaucoup d’acteurs de la mode italienne suivre l’exemple de Giorgio Armani et faire des dons généreux aux structures sanitaires (Prada, Moncler, Versace, tout comme Kering et le groupe LVMH en France). J’ai vu les parfums de Dior, Guerlain et Givenchy se transformer en gel hydroalcoolique. J’ai vu Chiara Ferragni (styliste et animatrice du blog « The Blonde Salad », 17 millions d’abonnés sur Instagram. NDLR), figure incontestée de la vie insouciante, devenir une activiste contre le virus en sensibilisant ses followers et en récoltant des millions d’euros.

J’ai vu des parterres de spectateurs qui, déployant le hashtag #iononchiedoilrimborso (#jenedemandepasleremboursement), ont renoncé au remboursement de billets de théâtre, concerts, opéras, déjà durement éprouvés par la fermeture forcée. J’ai vu des politiques, des bureaucrates et des fonctionnaires au-delà de tout soupçon admettre que le néolibéralisme et l’austérité ne constituent pas la seule réponse possible. Parfois même, ils ne sont pas la réponse « tout court ». J’ai vu les eaux de la lagune redevenir aussi limpides qu’elles ne l’avaient jamais été depuis l’époque de Thomas Mann et de sa « Mort à Venise ». J’ai vu les géants du Web modifier leurs algorithmes pour mettre en avant une information de qualité et endiguer les fake news (alors, c’était donc possible!). J’ai vu les polémiques stériles, les bavardages inutiles, les agitateurs populaires les plus factieux et les plus opportunistes se taire et finalement garder le silence. J’ai vu pointer malgré tout le printemps, incongru, absurde – et la cruelle frustration de ne pas pouvoir en profiter.

J’ai vu aussi de l’imagination, un esprit d’adaptation inventif et enviable. J’ai vu mes enfants converger vers l’ordinateur pour le chat vidéo quotidien avec leurs compagnons de classe, comme ils convergent vers la cours de récréation lorsque la cloche sonne. J’ai vu le rideau de fer baissé du restaurant « Dalla Clemi », qui depuis quarante-cinq ans n’a jamais fermé en dehors des jours de repos réglementaires. Elle est pourtant aux fourneaux et son petit-fils fait les livraisons à bicyclette en les laissant sur le pas de la porte. J’ai vu des professeurs de piano donner des leçons à distance sur Skype. J’ai vu des personal trainers entraîner des gens par le biais des écrans. J’ai vu des théâtres offrir des spectacles en streaming ; des bibliothèques, des cinémathèques, des éditeurs mettre leur catalogue en ligne gratuitement ; des musées, leurs chefs-d’œuvre. J’ai vu souffler sur les bougies d’anniversaire en réunion virtuelle.

J’ai vu une petite entreprise comme Isinnova développer une technique qui transforme des masques de plongée en imprimant en 3D les valves d’adaptation aux respirateurs dont l’hôpital de Chiari (Brescia) avait un besoin urgent et désespéré. J’ai vu des médecins et des infirmières soigner des patients sans protections adéquates. J’ai vu des jeunes apporter leurs courses aux personnes âgées. J’ai vu des réseaux d’amis prendre soin à distance des personnes seules, enfermées à la maison depuis des semaines au risque d’une dépression nerveuse. J’ai vu les Italiens danser, chanter et applaudir à leurs balcons alors que dans d’autres endroits de la planète certains faisaient la queue pour acheter des armes.

J’ai vu des mèmes et des traits d’humour pulluler sur le web, preuves évidentes de l’éclatant état de santé de cet art italien de la dédramatisation. J’ai vu, je vois et je verrai bien d’autres choses. Il y a deux choses que je voudrais voir encore. Trois, plutôt. Et pas forcément dans cet ordre. 1) Je voudrais voir les Italiens applaudir de leur balcon les mères, les épouses, les femmes qui depuis maintenant un mois font tourner ces maisons, dernier rempart contre le virus. 2) Je voudrais voir les Italiens, toujours de leur balcon, observer une minute de silence pour les morts. 3) Je voudrais voir le vaccin. Je voudrais le voir au plus vite. Et gratuit pour tous.

Bien sûr, j’ai vu tout cela en étant enfermée à la maison. J’ai simplement choisi où regarder. Si vous regardez entre les civières, les lits alignés aux urgences, les bulletins d’information désastreux, les appareils respiratoires, les rubriques nécrologiques qui s’allongent de jour en jour, les files de cercueil et les masques qui sont désormais notre quotidien, je suis certaine que vous les verrez vous aussi.

J’ai vu tant de choses que vous, humains… A la fin, quand tout sera fini, lui aussi, ce maudit virus qui se niche dans nos poumons en aura vu, tant de choses. Il veut nous couper le souffle, mais il ne parviendra pas à nous priver d’esprit. Parce que ce n’est pas le plus fort ou le plus intelligent qui survit, mais celui qui s’adapte le mieux. C’est Darwin qui l’a écrit.

(Librement traduit de l’italien par Véronique Cassarin-Grand. Le texte original est ici.)

* Ottavia Casagrande a étudié au Goldsmiths College de Londres et obtenu un diplôme en Drama and Theatre Arts. Elle a mis en scène des pièces de théâtre en Italie, au Royaume-Uni, en France et en Russie. Avant d’écrire « l’Espion inattendu », elle a publié une biographie de son grand-père mythique, en collaboration avec Raimonda Lanza di Trabia, sa mère.

Commentaires

  • TRES BEL OPTIMISME !!!!! Espérons .......Je n'y crois pas fort considérant la mentalité actuelle J'espère me tromper

Les commentaires sont fermés.