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La foi : à l'exact opposé du désespoir

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De Diane Gautret sur le site de l'hebdomadaire "Famille Chrétienne" :

Jérôme Alexandre : « La foi est l'exact opposé du désespoir »

Qu’est-ce que croire ? Que signifie au juste l’expression « avoir la foi » ? Peut-on la « perdre comme on perdrait son trousseau de clés », ainsi que le faisait remarquer l’écrivain Georges Bernanos dans un de ses romans ? Sans doute parce qu’il s’en est longtemps fait lui-même une fausse idée, Jérôme Alexandre cisèle une définition audacieuse de la foi dans son dernier ouvrage. Ce spécialiste de Tertullien, professeur de théologie à la faculté Notre-Dame du Collège des Bernardins à Paris, avance ici pas à pas, à la lueur des Évangiles, ainsi que des écrits des plus grands spirituels (de saint Augustin à Simone Weil, de Jean de la Croix à Kierkegaard), pour nous ouvrir à sa dimension sensible et intuitive. Il ne s’agit pas de croire aveuglément à des vérités cachées, énonce-t-il délicatement, mais de se rendre avant tout attentif au monde, participant de la bonté qui le fonde et responsable de son histoire. Entretien.

D’où vous est venue l’idée d’un livre sur la foi ?

Qu’est-ce que je laisserai à mes petits-fils comme témoignage de ma foi ? Qu’est-ce pour moi croire ? Ce livre est parti de ces interrogations. Je me suis en effet vite rendu compte que je n’allais pas leur décliner le catéchisme de l’Église catholique, n’ayant eux-mêmes pas reçu d’éducation chrétienne. Si on n’a pas d’abord exprimé le sentiment que la vie est une merveille, que les êtres humains sont capables de bonnes et belles choses et qu’il est raisonnable de croire pour être heureux par-delà les peines, les fatigues, les erreurs ou les déceptions personnelles, il est vain de transmettre le contenu de la foi. Il y a dans l’humanité une disposition naturelle et universelle à la foi. La philosophie, quand elle fait bien son travail, n’y fait pas obstacle, bien au contraire.

 

L’autre jour, à la radio, une artiste célèbre se désolait d’avoir « perdu la foi », une expression devenue banale.

Dans notre culture, on estime que la foi est une adhésion d’esprit à des vérités surnaturelles (l’incarnation du Fils, l’existence des anges, l’Immaculée Conception, etc.). Or, la question n’est pas de souscrire à des idées, mais d’épanouir en nous le sens spontané que nous avons de la foi, qui est avant tout un état de confiance. « La foi n’est pas ce que l’on croit, mais ce qu’on voit », dit saint Augustin, dans un enchevêtrement du temps et de l’éternité. En fait, beaucoup de gens ont la foi, prise dans un sens très large. Ce qu’ils refusent, c’est le fatras de croyances, la mythologie, la morale. En réalité, justement, ceux qui nous enseignent le mieux ce qu’est la foi sont les artistes et les mystiques. Il ne faut pas séparer art, mystique et théologie.

Pourquoi réhabilitez-vous le primat du sensible et du sentiment sur l’intellect ?

Quand on regarde l’horizon un soir d’été au bord de la mer, qu’on admire le vol d’un oiseau, le vent balancer doucement les branches d’un arbre, le sourire d’un enfant ou le visage d’un être aimé, quand on porte son attention à la vie, on en perçoit la dimension de mystère, d’infinie ouverture et d’amour prodigieux qui s’appelle la transcendance. On en reçoit l’évidence sensible. L’évidence est ce qui comble le regard. Et on désire s’associer à cet amour. Plus on aime, plus on est appelé à aimer, jusqu’au don total de soi. Il suffit de se recueillir un tant soit peu en soi-même, de taire les bavardages intérieurs, les objections, les fausses questions, pour éprouver ce sentiment de Dieu... Quand on écoute les témoignages de conversion, on a tout de suite confirmation de ce que je dis. Le stade supérieur de la foi, c’est la rencontre intime avec le Christ qui touche et engage toute notre vie affective.

« Je suis descendu en moi-même et je n’y ai rien trouvé », objecterait le dramaturge Jean Anouilh !

Eh bien, il ne faut pas ressortir si vite ! Ou il faut recommencer tant qu’on ne trouve pas. Arrive un moment où cette expérience vertigineuse de la saisie de soi (pourquoi est-ce que j’existe ? Qu’est-ce que ce moi ? Pourquoi moi et pas un autre ?) atteint le sentiment d’absolu... Kierkegaard, le fondateur de l’existentialisme, le dit très bien. Dans cette expérience, on est saisi d’un vacillement de notre « moi social » et de toutes nos certitudes ordinaires, qui fait jaillir une dimension hallucinante de verticalité. Qu’est-ce qui fait tenir ce petit personnage que je suis, perdu dans le cosmos et dans l’histoire ? Soit je meurs d’asphyxie, soit j’entre dans cette respiration divine. Pourquoi le mot « Dieu » ? Dans le christianisme, on l’emploie sans problème, car on sait que le prononcer c’est justement signifier l’imprononçable, et dire : « Je suis dans la main de plus grand que moi, qui a voulu mon existence ; je suis forcément donné à la vie... »

Tout de même, la foi n’est pas la chose la mieux partagée du monde. Même ouverts à la vie ou culturellement proches du christianisme, beaucoup « bloquent » au seuil de la foi...

L’indifférence actuelle est l’expression d’une blessure. Elle est comme une réponse manquée à une aspiration extraordinaire. Inutile de dire que la société de consommation, qui nous entretient dans l’illusion des jouissances éphémères, étouffe cette aspiration. Avec un bémol : aujourd’hui on assiste, indépendamment du christianisme, à une remise en cause grandissante du matérialisme, révélatrice d’une soif de transcendance. Chez beaucoup des déçus des promesses du modèle néolibéral, la foi n’est plus très loin. Je pense aussi qu’accueillir très simplement l’évidence, paradoxalement, est difficile, car on pressent combien cela pourrait bouleverser notre vie...

Jésus-Christ ne déplorait-Il pas déjà le manque de foi l’empêchant de réaliser des miracles ? « Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la Terre ? », interpellait-Il...

Ce que Jésus déplore, c’est justement le fait que les hommes ne veulent pas accéder à l’évidence de leurs capacités quasi divines dès cette vie. Il y a un scepticisme très mortifère des hommes qui les fait douter du retour du printemps au creux de l’hiver. Ils n’ont pas confiance. Si vous entretenez chez un enfant la confiance, une vraie confiance dénuée de naïveté, se conjuguant avec la prudence et le discernement, vous ferez de lui un saint, je le crois. Au fond, la foi se résume à un seul contenu : la bonté fondamentale de l’existence. La bonté est première, le mal secondaire, accidentel. Il faut en être bien persuadé.

Quel est l’enjeu missionnaire de cette réflexion autour de la foi ?

Pour entrer en dialogue avec un incroyant, il faut se dépouiller des préjugés sur le passage dans la foi ; ne surtout pas mettre de barrière entre le « croire » et le « pas croire ». Les démonstrations métaphysiques sont inutiles. Mieux vaut l’entraîner à vivre des expériences de réconciliation avec son corps, avec le bonheur de vivre. Invitez-le trois jours à la campagne pour lire ensemble l’Évangile de saint Luc ! On ne convertit jamais personne par la voie intellectuelle, cela n’a d’ailleurs pas de sens. Idem pour la transmission de la foi. La première chose à faire est d’honorer la dimension sensible de la foi, sans encombrer trop tôt les enfants de croyances ni d’interdits moraux. Comment les aider à accueillir la beauté et la bonté de Dieu, du monde et des relations humaines ? Comment leur faire découvrir Jésus dans le chemin même de l’Évangile, comme étant Celui qui vient confirmer la bonté de Dieu et nous guérir ? Tout en témoignant de notre foi chrétienne, sachons aussi nous impliquer dans la cité. Nous avons à répondre de la construction de l’histoire, qui n’est pas encore à son terme ; la richesse de notre tradition ouvre des horizons incroyables. C’est un énorme défi.

La vie, c’est le maître mot...

Oui, la vie est le maître mot de ce qui se passe dans la foi...
La foi est l’exact opposé du désespoir, dans le sens où le désespoir est le repli sans réponse sur sa blessure : une disjonction de la chair et de l’esprit. Jésus n’affirme-t-Il pas : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » ? Et qu’est-ce que la vie ? L’extraordinaire ouverture, la permanente renaissance de ce qui pourrait à tout moment mourir et qui finalement éclot. La vie est féconde. Elle est contagieuse, elle rayonne. La vie n’est pas la culture de la bonne santé, mais la gourmandise de vivre, la saveur du vivant. De même, la sainteté n’a rien à voir avec la piété confite. L’esprit du saint qui meurt est déjà depuis longtemps avec Dieu. Quand la vie est pleinement vécue, c’est-à-dire assumée de manière divine, la mort naturelle disparaît en elle.

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