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Quelle solidarité européenne avec la Pologne dans l'accueil des réfugiés ukrainiens ?

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D'Olivier Bault sur  le Visegrad Post :

Réfugiés ukrainiens en Pologne : quid de la fameuse «solidarité européenne»?

30 AVRIL 2022

Pologne – Le nombre d’habitants de la Pologne atteint désormais 41,5 millions de personnes, et la barre des 40 millions a été dépassée cette année pour la première fois de l’histoire du pays ! Mais attention, ce n’est pas dû à la natalité. Au contraire, entre mars 2020 (début de la pandémie de Covid) et février 2022, il y a eu 1,16 millions de décès en Pologne contre seulement 674 000 naissances, soit un déficit démographique de 342 000 personnes. De mars 2021 à février 2022, la Pologne n’a enregistré que 328 000 naissances, le chiffre le plus bas depuis la Deuxième guerre mondiale malgré la politique nataliste des gouvernements du PiS.

En réalité, ce qui a gonflé les statistiques démographiques, c’est, comme on s’en doute, l’afflux soudain de réfugiés ukrainiens. Entre le 24 février, date du début de l’offensive russe contre l’Ukraine, et le 26 avril, 2,984 millions de personnes sont passées d’Ukraine en Pologne, tandis que 886 000 Ukrainiens ont franchi la frontière dans le sens inverse, rentrant au pays. Selon un rapport de l’organisation réunissant les grandes villes polonaises, 3,2 millions d’Ukrainiens sont aujourd’hui en Pologne. Avant la guerre, il y en avait environ 1,5 millions et c’était principalement une immigration économique. Ainsi, si les Ukrainiens vivant en Pologne étaient auparavant principalement des hommes jeunes, dont beaucoup sont rentrés chez eux pour défendre leur pays, il s’agit aujourd’hui en majorité de femmes et d’enfants.

À Rzeszów, dans le sud-est, la communauté ukrainienne, forte de près de 105 000 personnes dont plus de 30 000 enfants, représente aujourd’hui un tiers de la population. Mais en nombre absolu, c’est dans l’agglomération de Varsovie que les Ukrainiens sont aujourd’hui les plus nombreux, avec près de 470 000 personnes. L’agglomération silésienne de Katowice-Gliwice est en deuxième position avec 303 000 Ukrainiens, presque à égalité avec l’agglomération de Wrocław (302 000), en basse Silésie, suivie de celles de Cracovie (230 000) et Gdańsk (224 000).

Selon des chiffres donnés le 6 avril par le ministère polonais de l’Éducation et des Sciences, il y avait à ce moment-là en Pologne environ 700-800 000 enfants qui avaient fui l’Ukraine, dont 166 000 étaient scolarisés dans des écoles primaires et secondaires polonaises et 36 000 dans les écoles maternelles. Le 25 avril, le ministre de l’Éducation Przemysław Czarnek évoquait « plus de 190 000 personnes originaires d’Ukraine » qui se trouvaient dans des écoles en Pologne, avec une croissance de 2 à 3000 élèves par jour. À côté de ces enfants ukrainiens provisoirement scolarisés dans des établissements scolaires polonais, un grand nombre d’enfants ukrainiens en Pologne suivent l’école ukrainienne à distance, notamment en raison des différences de programmes et surtout de la barrière de la langue, même si les langues ukrainienne et polonaise sont suffisamment proches l’une de l’autre (plus que du russe) pour faciliter une communication de base. Pour pallier au problème de la langue, les écoles polonaises embauchent un nombre croissant d’assistants ukrainiens afin de seconder les enseignants polonais.

Depuis le 26 mars, les mamans ukrainiennes en Pologne peuvent demander des allocations familiales de la même manière que les parents polonais, à raison de 500 zlotys (environ 110 €) par mois et par enfant mineur. Les réfugiés ukrainiens ont aussi droit à un numéro d’identité polonais (PESEL) qui leur facilite les formalités en Pologne, et ils ont un accès gratuit aux soins de santé et aux transports publics. En outre, le gouvernement polonais propose une allocation de 40 zlotys (environ 11 €) par jour et par réfugié, pendant un maximum de 60 jours (avec effet rétroactif à partir du 24 février), aux familles qui logent des réfugiés ukrainiens, et cette allocation concernerait à ce jour environ 600 000 réfugiés.

Dans une lettre envoyée à la Commission européenne le 13 avril, le premier ministre Mateusz Morawiecki estimait le coût du séjour des réfugiés ukrainiens en Pologne à au moins 11 milliards d’euros sur un an dans l’hypothèse du séjour de 2 millions de réfugiés environ, ce qui correspond à l’estimation basse du nombre de réfugiés ukrainiens présents aujourd’hui en Pologne. Dans cette lettre, Morawiecki rappelait également à Ursula von der Leyen que la Pologne n’avait à ce jour reçu aucun soutien financier de l’UE au titre de l’accueil des réfugiés ukrainiens, ce qui restait vrai deux semaines plus tard. En effet, si la Commission européenne se vante d’avoir débloqué 3,5 milliards d’euros pour l’aide aux réfugiés ukrainiens, dont 560 millions d’euros pour la Pologne, il s’agit en fait d’une réorientation des fonds du programme React-UE qui étaient destinés à soutenir les économies des 27 après les mesures désastreuses pour l’économie prises contre la pandémie de Covid, et donc de fonds qui ont déjà été majoritairement utilisés par la Pologne et dont les 190 millions pas encore utilisés et effectivement réaffectés à l’aide aux réfugiés lui auraient de toute façon été versés l’année prochaine pour d’autres objectifs. Il ne s’agit par conséquent en aucun cas de fonds supplémentaires, mais uniquement d’une réaffectation de 190 millions d’euros pour faire face à cette gigantesque crise des réfugiés dont le coût réel se chiffre en milliards.

Si le soutien de l’UE face à cette crise des vrais réfugiés en reste au stade des intentions et des belles paroles, la Commission continue en revanche de bloquer l’adoption du plan de relance polonais et donc le versement des fonds NextGenerationEU attribués à la Pologne, et elle prélève désormais sur les fonds du budget annuel dus à la Pologne les astreintes journalières décrétées par la CJUE (à la demande de la Commission) et contestées par la Pologne. Ces astreintes concernent en effet, d’une part, la réforme de la justice pour laquelle Varsovie ne reconnaît pas de compétence à l’UE et, d’autre part, le conflit autour de la mine de Turów qui a depuis fait l’objet d’un accord amiable entre la Pologne et la Tchéquie et pour laquelle la Pologne contestait la légalité de la mesure provisoire clairement disproportionnée décidée par la vice-présidente de la CJUE.

Cette politique de sanctions en lieu et place de la fameuse « solidarité européenne » (que l’on exigeait des Polonais et des autres pays du V4 en 2015 pour les contraindre à accueillir des immigrants illégaux qui n’étaient majoritairement pas des réfugiés) est encouragée par le Parlement européen qui a encore adopté le 10 mars dernier une résolution exigeant de la Commission qu’elle entament toutes les procédures possibles pour couper les subventions européennes à la Pologne et la Hongrie.

Pour forcer l’application du principe de solidarité européenne, certains ministres du gouvernement Morawiecki demandent donc aujourd’hui la suspension du versement des cotisations polonaises au budget de l’UE, afin d’utiliser cet argent pour financer l’aide aux réfugiés.

Comme auparavant pour la crise de l’euro, puis la crise des migrants et celle de la pandémie de Covid, l’Union européenne s’avère malheureusement être pour ses membres les plus affectés un poids plutôt qu’une aide dans la crise des réfugiés.

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