Du site du journal La Croix (Héloïse de Neuville avec Loup Besmond de Senneville) :
Qui est vraiment le cardinal Jean-Marc Aveline, le Français qui a l’oreille du pape
Homme de confiance du pape en France, le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille et artisan de la venue de François dans la cité phocéenne les 22 et 23 septembre, a réussi à s’imposer comme une figure incontournable de l’Église du pays. Son style populaire, sa profondeur spirituelle et sa prudence toute politique séduisent. Jusqu’où peut-il aller ?
17/09/2023
Mais comment a-t-il fait pour convaincre le pape de venir en France, là où tous ses pairs ont échoué avant lui ? Certes, François répète que c’est à Marseille qu’il se rend et non dans l’Hexagone, insistant ainsi sur la priorité qu’il accorde aux « petits pays » européens. Qu’importe, le cardinal Jean-Marc Aveline a, lui, réussi son pari : en faisant venir François dans la Cité phocéenne, le pape ne peut pas empêcher les Français de venir jusqu’à lui. Un tour de force qui ne doit rien au hasard.
La méthode Aveline, c’est d’abord un large sourire, qui ne s’en laisse pas conter et n’aime pas se raconter : « Vous savez, il y a déjà un tel nombre de bêtises qui circulent sur moi, d’article en article, on ne va pas en rajouter, hein », lâche-t-il, d’un air rieur et pas vraiment désolé, alors qu’on tente d’obtenir un entretien avec lui, précisément pour faire son portrait. Nous sommes à la fin du mois d’août, et il est l’invité d’honneur d’un rassemblement organisé par la communauté du Chemin-Neuf.
La patte Aveline
C’est désormais une habitude depuis qu’il a été créé cardinal par le pape François en 2022 : partout dans l’Église en France, on l’invite pour se placer sous son patronage et obtenir sa bénédiction. Son profil ne court pas les sacristies : un théologien de 64 ans, réputé brillant, homme de confiance du pape, qui incarne une Église proche des exclus, le tout servi avec une bonhomie méditerranéenne et toute marseillaise… Alors que dans l’épiscopat du pays, d’autres figures peinent à émerger, la patte Aveline fait, en ces temps, office de valeur refuge : ses marqueurs rassembleurs – voire « consensuels », regretteront certains – rassurent.
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Ce qu’il faut comprendre, c’est que, chez ce pied-noir, l’unité – ou la « communion », dans le langage catholique – est une obsession. Peut-être parce qu’il a connu dès l’enfance l’expérience fondatrice de l’exil et du déracinement. Quand, à l’âge de 4 ans, sa famille est forcée de fuir l’Algérie, il est « beaucoup trop jeune » pour comprendre les « événements » de 1962.
« On ne sait pas qui est Jean-Marc Aveline, si on ne voit pas que sa première Église fut celle de ses parents, de leur foi vivante, vécue dans l’émigration, les épreuves et le deuil », raconte le chercheur Rémi Caucanas, qui a travaillé à ses côtés à Marseille. Le cardinal, qui a perdu ses deux sœurs – Martine décédée à l’âge de 7 mois, et Marie-Jeanne morte en 2011 d’un cancer foudroyant –, reste d’ailleurs proche de ses parents, dont il s’occupe régulièrement.
Une vision en syntonie avec celle du pape
D’abord projetée à Paris, à la faveur d’une mutation professionnelle du père, employé de la SNCF, la famille Aveline, modeste, échoue finalement sous le soleil des quartiers Nord de Marseille. Devenu archevêque de la Cité phocéenne en 2019, il connaît maintenant sur le bout des doigts les fractures de la Méditerranée. Ce parcours a forgé chez lui une vision, en parfaite syntonie avec celle du pape, notamment sur la brûlante question de l’accueil des migrants.
S’il est certainement le plus « bergoglien » des évêques français, le cardinal Aveline se démarque par son style, moins clivant que peut l’être celui du pape. Sur les migrants précisément, on ne l’entendra pas faire des déclarations fracassantes et indignées, au risque de s’aliéner une partie des fidèles. Ce qui ne l’empêche pas de parier sur la rencontre, envoyant discrètement ses prêtres ou de jeunes catholiques de la marine marchande rencontrer l’équipage de l’Aquarius, un navire de SOS Méditerranée. « Ça les a complètement transformés », raconte-t-il.
Ce souci de l’unité et pour les marges s’illustre constamment, et d’abord, dans son propre diocèse. En juillet 2022, au lendemain du tour de vis du pape limitant la messe selon le rite d’avant Vatican II, l’archevêque se fend aussitôt d’un texte rassurant à l’attention des traditionalistes de Marseille. Six mois plus tard, il se déplace même à la paroisse marseillaise Saint-Charles pour y célébrer une messe selon le rite tridentin.
Peu de questions sensibles abordées
Est-ce par crainte de braquer cette frange de l’Église, très présente dans le diocèse voisin de Fréjus-Toulon, qu’il a plaidé auprès du pape pour le maintien de son évêque, mis en cause pour de graves manquements dans sa gouvernance ? Selon nos informations, alors que le Vatican envisageait de faire démissionner Mgr Dominique Rey, c’est au cardinal Aveline que celui-ci doit de conserver son poste. Rome a finalement choisi de nommer un coadjuteur à ses côtés. Si en privé le cardinal Aveline reconnaît franchement les errements de son confrère de Toulon, au Vatican, il a insisté sur le fait qu’il ne « fallait pas l’humilier » et éviter toute fracture.
Au grand dam de certains, il s’aventure peu sur le terrain des questions sensibles. Les abus sexuels dans l’Église ? « Il fait à peu près le job, mais ce n’est pas son truc, il est encore un peu naïf », estime un confrère évêque. Son avis sur le mariage des prêtres ? « Oh ! ça, je n’en sais rien ! », répond l’intéressé. Sa sensibilité politique ? « Faire valoir un parti n’est guère mon rôle. »
Sur cette manière de ne pas trancher dans le vif, admirateurs et détracteurs s’opposent. Pour les premiers, elle est le fruit d’une volonté de vouloir « à tout prix préserver les relations ». Pour les seconds, Aveline, « c’est la bien-pensance sympathique, qui s’ajuste opportunément à toutes les situations », comme le décrit une connaissance catholique de longue date.
Cette préoccupation pour l’unité est aussi forgée par sa vision théologique, longuement mûrie, et une vie spirituelle ardente. « C’est un vrai priant », assurent tous ses proches. Alors que l’effacement du catholicisme se poursuit et que la base sociologique des paroissiens se rétrécit, le cardinal défend une vision de l’institution à rebours d’une Église tournée vers ses seuls adeptes. Il plaide pour un décentrement radical.
Le rôle unique de l’Église
« L’obsession de la survie fatigue l’Église et ses membres alors que l’Église n’a pas son centre de gravité en elle-même. Son rôle est avant tout de se mettre au service de l’amour de Dieu pour le monde », a-t-il enjoint, en 2022, devant un parterre de prêtres, au Congrès Mission.
Autre conviction forte : la conscience aiguë que, si l’Église a un rôle unique et prophétique à jouer dans le monde, les non-chrétiens ont aussi une place mystérieuse dans l’accomplissement de l’œuvre de Dieu. Une vision notamment ancrée dans sa méditation des écrits de Jean-Paul II, Benoît XVI, Henri de Lubac et Jürgen Habermas. Ses travaux théologiques ont achevé de le pousser vers le dialogue avec les autres religions, sans qu’il l’ait nécessairement recherché.
De fait, c’est son archevêque, le cardinal Coffy, qui repère le jeune prêtre et le pousse aux études. Lui rêvait plutôt de s’installer dans une paroisse des quartiers Nord de Marseille. Mais il accepte, par obéissance, de fonder en 1992 l’Institut de sciences et théologie des religions puis, dix ans plus tard, sa structure chapeau, l’Institut catholique de la Méditerranée. Ces pôles de recherche, qui ont notamment étudié la spiritualité de Charles de Foucauld et des moines de Tibhirine, irriguent la culture de l’Église locale autant qu’ils forment de nombreux catholiques à la rencontre avec les musulmans.
En 2000, Jean-Marc Aveline obtient un doctorat de théologie en christologie des religions, mettant en regard les travaux de deux intellectuels protestants des XIXe et XXe siècles. « On raconte que je suis passionné d’islam, de dialogue interreligieux, c’est faux. Moi, ce qui me passionne, c’est Paul Ricœur, la christologie, les enjeux de sécularisation. C’est le cardinal Coffy et mon ancrage à Marseille qui ont dessiné ma trajectoire vers tout ça », assure l’archevêque des Bouches-du-Rhône.
Un homme ancré à Marseille
Marseille, justement, il n’a jamais souhaité la quitter. Ordonné prêtre en 1984 pour le diocèse, il en devient évêque auxiliaire en 2013. Alors que la coutume veut qu’un auxiliaire soit toujours nommé évêque dans un autre diocèse, il est choisi, à la surprise générale, pour devenir l’archevêque de Marseille en 2019. « C’est Mgr Pontier qui a obtenu auprès du Vatican la nomination d’Aveline à Marseille comme archevêque pour lui succéder ; il a beaucoup insisté et a obtenu cette décision rarissime », raconte l’ancien maire de la ville, Jean-Claude Gaudin, ami du cardinal.
Aujourd’hui, cet ancrage historique lui confère une autorité morale solide dans son diocèse, où il est un pasteur apprécié : « On l’adore, tout ce qu’il pense de Marseille, il l’incarne. Il est vrai », résume une cheffe d’établissement catholique des quartiers Nord. Si l’accent de l’archevêque varie d’une situation à l’autre – de très prononcé à complètement inexistant –, il est décrit comme simple, accessible et chaleureux en toutes circonstances.
Fin politique, il connaît la force des symboles pour les Marseillais et sait en faire usage quand il faut. En 2021, il a ainsi célébré les obsèques d’un des plus célèbres d’entre eux, Bernard Tapie. Pour la visite du pape, dans quelques jours, il a insisté pour que la messe de François soit célébrée au Vélodrome, et pas ailleurs.
Un destin bousculé en 2022
C’est en 2022 que son destin public bascule. Son ami Mgr Benoist de Sinety lui apprend par téléphone qu’il a été créé cardinal par François. L’archevêque de Marseille se dit surpris et même saisi « d’effroi ». De fait, sa première rencontre privée avec le pape n’a eu lieu qu’un an plus tôt. À l’époque, l’archevêque de Marseille veut convaincre François d’organiser un synode sur la Méditerranée. Le projet n’est pas retenu, mais le pape est séduit par l’expression directe du Marseillais, qui ne parle à l’époque pas un mot d’italien. Depuis, les deux hommes se revoient régulièrement, hors agenda officiel, et le cardinal Aveline tente d’apprendre la langue du Vatican à toute vitesse.
Cette proximité intrigue. « C’est le préféré du pape », sourit un haut responsable du Vatican. Tandis qu’un autre y voit « le nouvel homme fort de l’Église de France à Rome ». Jean-Marc Aveline est devenu, ces derniers mois, le responsable catholique français le plus présent au Vatican, puisqu’il s’y rend tous les quinze jours. Il y fréquente les plus hauts responsables de la Curie, comme le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, mais aussi Joao Braz de Aviz, à la tête du dicastère pour les religieux…
A-t-il encore la disponibilité suffisante pour s’occuper des près de 200 prêtres de son diocèse, être en prise avec les défis d’un diocèse marqué par la violence et la pauvreté ? À Marseille, c’est la question qu’on se pose. « Je crains qu’il ne s’éparpille et qu’il ne finisse par tout bénir sans discernement », avance un prêtre, qui pointe l’emploi du temps surchargé du cardinal et ses multiples engagements – notamment celui d’accompagnateur de la communauté de l’Emmanuel.
L’intéressé s’en défend, et assure qu’il applique ce conseil donné par son prédécesseur : « Chaque fois que l’on augmentera le poids de ta charge, toi, allonge le temps de ta prière. »
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De Sidi Bel-Abbès à la Curie romaine
26 décembre 1958 : Il naît à Sidi Bel-Abbès en Algérie. Il est l’aîné de la quatrième génération de sa famille installée en Algérie.
1966 : Sa famille arrive à Marseille, après une première étape à Paris. Le père de Jean-Marc Aveline est muté par la SNCF et trouve un appartement modeste dans les quartiers Nord de la ville.
1967 : À 9 ans, le jeune Jean-Marc vit pour la première fois un appel pour la prêtrise. Il envisage bien d’autres métiers pendant son adolescence mais rentre au séminaire à 18 ans.
1984 : Ordonné prêtre pour le diocèse de Marseille.
1992 : Fonde l’Institut de sciences et théologie des religions.
2013 : Nommé évêque auxiliaire de Marseille.
2019 : Nommé archevêque de Marseille.
2022 : Créé cardinal par le pape François.
Commentaires
« Deux intellectuels protestants », lesquels : Troeltsch, et Ricœur ou Habermas?