Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Nouveau cardinal : l’évêque d’Ajaccio ne mâche pas ses mots pour défendre l’unité de l’Église

IMPRIMER

De Samuel Pruvot sur Famille Chrétienne (via le Forum Catholique) :

Mgr Bustillo : « Certains commencent déjà à célébrer les funérailles de l’Église de France ! »

Franciscain jusqu’au bout des pieds, l’évêque d’Ajaccio, qui va recevoir le chapeau de cardinal le 30 septembre, ne mâche pas ses mots pour défendre l’unité de l’Église.

28/09/2023

Dans son bureau qui donne sur le boulevard Jean-Baptiste Marcaggi à Ajaccio, le futur cardinal a accroché une reproduction d’un célèbre Giotto (Le Songe d’Innocent III), où saint François soutient à bout de bras l’église du Latran qui s’écroule. Tout un programme ! C’est vrai que du haut de son mètre quatre-vingt-dix, avec sa bure grise de franciscain conventuel, François Bustillo en impose naturellement. Sa parole est sans détour : « Je n’ai pas postulé ! L’Église a appelé un franciscain. » « Voilà l’homme, dit-il en secouant son scapulaire, “ecce homo” ! Je ne suis pas plus beau ou plus spirituel que les autres ! Je suis arrivé à l’épiscopat avec mon patrimoine religieux, c’est tout… » C’est tout, mais ça n’est pas rien quand même, trente années de vie religieuse à l’école du Poverello. Né à Pampelune, au Pays basque espagnol, en 1968, il a comme épousé la France dès son petit séminaire près d’Espelette. Formé au noviciat de Padoue, en Italie, il a étudié ensuite à l’Institut catholique de Toulouse avant de cofonder le couvent Saint-Bonaventure à Narbonne, puis de diriger le couvent Saint-Maximilien-Kolbe de Lourdes.

Et le chapeau de cardinal alors ? Mgr Bustillo pratique volontiers l’autodérision : « Je vais devenir une écrevisse ! », s’amuse-t-il en faisant allusion à la couleur écarlate de l’habit cardinalice. S’il reste fidèle à sa vocation franciscaine, il réfute tout romantisme facile : « Nous, les franciscains, on a toujours prêché la fraternité, mais nous sommes les champions de la division entre nous ! Tout au long de notre histoire, on a joué à être les “plus vrais”, les “plus pauvres”… »

Carrure de superman

Celui que certains surnomment déjà le « cardinal Sandalettes » – à cause de ses sandales 100% franciscaines – martèle que l’habit ne fait pas le moine : « Vous trouverez toujours quelqu’un pour dire : “Dans cette communauté, ils sont trop mous !” ou: “Il faut être plus authentique : pieds nus l’hiver, tête rasée toute l’année, barbe épaisse, etc.” Beaucoup de gens s’attachent à la forme, mais l’essentiel est d’adhérer au Christ. Certains jeunes veulent être de “vrais mecs”. Ils imaginent la vocation religieuse comme un défi sportif. Mais, à la fin, cette démarche volontariste finit par craquer. » Mgr Bustillo ajoute en guise d’avertissement : « Beaucoup des familles religieuses qui voulaient sauver l’Église sont tombées dans la rigidité, et l’Église a dû les sauver ! » Le cardinal pourrait jouer de sa carrure de superman, mais il sait pertinemment qu’il n’est pas le Sauveur.

Fraternité évangélique

Son obsession est de délivrer l’Église de ses propres démons. Nommé évêque pour la Corse en 2021, il a conscience de se trouver sur une île au tempérament volcanique. À l’entrée de l’évêché, un pochoir représentant Yvan Colonna rappelle les relations tourmentées avec le continent. « On a besoin d’unité, se désole François Bustillo. Il suffit de regarder la situation politique actuelle : partout la crispation et la violence ! On est tout le temps en train de s’accuser. » L’évêque évoque ce joueur de l’équipe française de rugby – Bastien Chalureau, deuxième ligne du XV de France – contraint de se justifier devant les médias à propos de son supposé racisme : « Pourquoi cette cruauté médiatique qui démolit les personnes ? »

Lui se veut le chantre de la fraternité évangélique : « Attention, la fraternité n’est pas d’abord une valeur de gauche ! C’est l’Église qui a donné au monde une vision ascétique de la fraternité. Saint Jean dit : “C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples.”» Sa bête noire, c’est le jugement assassin : « Nous vivons dans une société de la méfiance. Celui qui est différent de moi est perçu comme un danger. Cette méfiance engendre une attitude fratricide. Je sens la société française divisée, sectorisée et sectarisée…» Il s’emporte quand cette maladie affecte l’Église de Dieu : « Ces jugements sont en train de profaner l’Église ! Nous sommes, nous aussi, dans la logique des étiquettes : un tel est “tradi”, tel autre est “charismatique” ou “progressiste”… Quel manque de maturité spirituelle ! On est dans le monde de l’émotion, comme des gamins dans une cour de récréation. »

Cardinal franciscain… N’est-ce pas là un bel oxymore ? Dans son dernier livre d’échanges avec Mgr Edgar Peña Parra (1), François Bustillo évoque certains changements provoqués par son accès à l’épiscopat. Lui qui n’avait qu’une cellule avec un lavabo, s’est retrouvé avec une grande salle de bain. Il a dû ouvrir un compte en banque et accepter le cadeau d’une voiture pour sillonner les reliefs corses. Cela dit, la pauvreté se rappelle toujours à lui par un des nœuds de la corde franciscaine qu’il porte autour des reins. « Il est dangereux d’aspirer à certaines charges ecclésiastiques, confie-t-il gravement. Certains en rêvent et ne voient que la mitre et la crosse… Mais la vie d’un évêque, ce n’est pas uniquement les messes pontificales ! »

Sa richesse à lui, c’est de partir sur le terrain. Comme le bon pasteur, il était ravi d’être à Notre-Dame-de-la-Serra, le dimanche 10 septembre. Des centaines de fidèles étaient rassemblés dans cette chapelle de Calvi pour assister à la bénédiction de la nouvelle statue de la Vierge. « Il y avait un monde fou. Il faut dire que la précédente statue avait été foudroyée ! Les fidèles ont décidé d’en financer une nouvelle en marbre blanc de Carrare. D’un mal, il est donc sorti un bien. Résultat : Notre-Dame-de-la-Serra est encore plus belle qu’avant ! En Corse, j’ai la chance de vivre dans un contexte porteur avec des racines catholiques. »

Franciscain d'un jour, franciscain toujours

La beauté de l’Église, il veut que personne ne la défigure. « La tentation aujourd’hui consiste à se situer comme une minorité persécutée. Sur le thème: “Moi j’existe”; “J’ai le droit de”... C’est une logique tribale, où chacun crie à la discrimination. On ne peut pas jouer à ce jeu dans l’Église catholique. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas une réalité purement humaine et politique ! Nous sommes peu nombreux, on n’a pas les moyens de se diviser !» Il fait remarquer avec une pointe d’amertume : « Dans l’Église, on n’a pas besoin d’un ennemi extérieur pour tout casser : nous sommes capables de nous auto-détruire ! »

Franciscain un jour, franciscain toujours, il se fait le chantre du pardon et de la paix surnaturelle : « Si je casse les autres sous prétexte qu’ils ne sont pas assez catholiques, je juge, alors que l’Évangile me demande de ne pas juger. Nous sommes souvent sévères, durs : nous manquons de chasteté dans nos jugements. » Simple cardinal, Mgr Bustillo cultive la sobriété. Non seulement il ne boit jamais une goutte de vin, mais il s’oblige – tant que faire se peut – à une vie de prière personnelle intense. « Si l’évêque ne vit pas de Dieu, il est vide », prévient-il dans son dernier livre. Il précise pour Famille Chrétienne : « Les moments de prière personnelle sont très importants pour moi. Les racines d’une plante, on ne le les voit pas. Mais si la plante ne se nourrit pas des oligoéléments, elle meurt ! Si je tiens, comme évêque, c’est grâce à cette prière invisible. “Seigneur, je n’ai pas postulé pour certaines charges ecclésiastiques mais je me retrouve là ! Seigneur, j’ai dit oui comme Marie, dans la confiance… Aide-moi à tout porter. Il y a des choses que je peux gérer, et d’autres pas.” Vous savez, le Seigneur donne la force. Si un cardinal se limite à la gestion et à l’administration, il devient un fonctionnaire ! »

Une application de prière en italien

Il ne faudrait pas cependant imaginer François Bustillo réfugié dans une grotte en Haute-Corse comme saint François dans l’ermitage des Carceri. « Je fais avec le temps qui me reste… Ce matin, je suis parti à 6 heures de Calvi. Il fallait trois heures de route pour rejoindre Ajaccio. Il a fallu se lever tôt alors que je dînais la veille avec un maire, en Balagne, jusqu’à minuit… Je dois veiller sur ma santé. Demain, je repars à Corbara. À l’aube…» Il ajoute pour nous rassurer : « Je fais des trajets impressionnants en voiture. Mais j’ai trouvé une application de prière en italien qui chante tous les offices du jour! Pendant mes voyages solitaires, je peux suivre l’office des lectures, les laudes ou les vêpres en italien ! »

Tous les chemins mènent d’ailleurs à Rome et en Italie. Cependant, le cœur de Mgr Bustillo est en France. Il aime son pays et le veut rayonnant : « Il y a un regard pollué sur l’Église chez ceux qui prétendent que “tout est fichu”. Certains commencent déjà à célébrer les funérailles de l’Église de France ! C’est une vision antiévangélique. » Il conclut avec enthousiasme : « En France, il y a un génie propre, une capacité à renaître comme le “petit reste” biblique. Malgré nos pauvretés et notre petit nombre, il y a l’audace de la mission. On a un message puissant à apporter à la société, sans arrogance et sans complexe. » Chiche ?

(1) Le cœur ne se divise pas, par François Bustillo, Edgar Peña Parra, Nicolas Diat, Fayard, 270 p., 22,50 €.

Les commentaires sont fermés.