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La première phase du synode a souffert de la contradiction entre l’autoritarisme du pape et l’esprit démocratique synodal revendiqué

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Du sagace Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via Il Sismografo :

Le pape François peine à apaiser les tensions suscitées par ses réformes

RÉCIT - Le synode, ce débat sur l’avenir de l’Église, dont le premier volet s’achève dimanche, ne convainc toujours pas les prélats. -- L’Église catholique semble avoir inventé un nouveau commandement: «Écoute ton prochain.» C’est le message central d’une lettre envoyée mercredi soir à tous les catholiques du monde en provenance du synode sur l’avenir de l’Église, réuni depuis un mois et jusqu’à dimanche au Vatican.

Il ne s’agit donc pas d’écouter Dieu, le pape ou les évêques mais de prêter principalement l’oreille aux plus «pauvres»: «Pour progresser dans son discernement, l’Église a absolument besoin de se mettre à l’écoute de tous, en commençant par les plus pauvres», est-il écrit dans le document.

«Discernement synodal»

Concrètement? «Il s’agit de se mettre à l’écoute de celles et ceux qui n’ont pas droit à la parole dans la société ou qui se sentent exclus, même de la part de l’Église. À l’écoute des personnes victimes du racisme sous toutes ses formes, notamment, en certaines régions, les peuples indigènes dont les cultures ont été bafouées. Et surtout, l’Église de notre temps se doit d’écouter, dans un esprit de conversion, les personnes qui ont été victimes d’abus commis par des membres du corps ecclésial, et de s’engager concrètement et structurellement pour que cela ne se reproduise pas.»

Vient ensuite «l’écoute» des «laïcs, femmes et hommes». Puis, celle des «familles» et de «celles et ceux qui souhaitent s’engager dans des ministères laïcs ou dans des instances participatives de discernement et de décision.»

Ainsi, le «discernement synodal» de cette nouvelle pyramide ecclésiale inversée ne mentionne pas les évêques, les cardinaux et le pape mais appelle à «recueillir davantage la parole et l’expérience des ministres ordonnés: les prêtres, premiers collaborateurs des évêques, dont le ministère sacramentel est indispensable à la vie du corps tout entier» - hommage tardif à la fidélité des prêtres souvent vilipendés -, «les diacres» et les personnes menant une «vie consacrée» et ceux qui «ne partagent pas la foi de l’Église».

Quel est l’enjeu de ce nouvel impératif catholique, cette «écoute» à 360 degrés, de bas en haut jusqu’au dehors de l’Église? C’est «la mission», c’est-à-dire l’annonce de l’Évangile, tel que le catholicisme l’interprète mais qui se heurte aujourd’hui à de graves difficultés.

La lettre adressée au peuple de Dieu issu du synode l’affirme: les temps actuels «exigent de l’Église le renforcement des synergies dans tous les domaines de sa mission». La planche de salut serait «précisément le chemin de la synodalité que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire». Il s’agit de créer un «dynamisme de communion missionnaire» en favorisant notamment cette «écoute respectueuse entre nous et le désir de communion dans l’Esprit».

Tel est l’objectif principal de cette assemblée de 364 membres, la plupart évêques, qui réunit pour la première fois 54 femmes, laïques et religieuses, disposant d’un droit de vote inédit. Il importe de relancer une communauté ecclésiale catholique confrontée à la baisse de fréquentation des fidèles, à la chute des vocations sacerdotales, dans le contexte des abus sexuels commis par une minorité de prêtres et qui a enclenché une redoutable crise de crédibilité de l’institution.

La gouvernance de l’Église

Le pontificat de François, élu il y a dix ans, n’a pas pu enrayer cette tendance qui ne touche pas que les pays occidentaux. L’Italie catholique vieillit à vue d’œil. Le bastion polonais doute. L’Amérique latine s’essouffle. Seules l’Afrique et l’Asie, essentiellement les Philippines, le Vietnam et l’Inde, tiennent bon.

Face à ce déclin, François attend donc beaucoup de ce synode sur la synodalité, couronnement de son pontificat. Et les débats balaient effectivement très large. La bénédiction de couples homosexuels, le diaconat féminin, l’ordination d’hommes mariés et le contrôle du pouvoir épiscopal sont au programme. Mais le cœur de la réforme reste la gouvernance de l’Église, dans le but d’y intégrer davantage de laïcs et de réduire l’influence des clercs.

Cette première session du synode se terminera par une messe solennelle dimanche, après la publication, samedi soir, d’un premier rapport de synthèse. Celui-ci a vocation à être rediscuté dans les diocèses et les paroisses en vue d’une seconde assise synodale, décisive, en octobre 2024.

Le pape François va-t-il réussir son pari? On ne change pas en un mois les vieilles habitudes de gouvernance de l’Église catholique, où le prêtre et l’évêque ont le dernier mot et où les femmes, pourtant actives et écoutées, se trouvent rarement assises à la table des décisions. Le chef de l’Église catholique voudrait que tout baptisé, précisément en tant que baptisé, soit désormais associé au pilotage de la barque ecclésiale.

Beaucoup souhaitent que François réussisse, mais l’expérience de ces quatre premières semaines synodales laisse transparaître un scepticisme diffus sur la méthode et une confusion sur ce qui en ressort effectivement. À témoin, les 1500 amendements qui ont été déposés pour être intégrés dans le document final de synthèse. Celui-ci sera travaillé jusqu’à la dernière minute samedi, et voté par l’assemblée.

Le Vatican a néanmoins promis que tous les dossiers abordés pendant ce mois figureraient dans ces quarante pages et qu’en dépit d’une «méthode synodale consensuelle», les points d’accord et de désaccord y seraient clairement mentionnés. Y compris sur les quatre projets de réforme les plus spectaculaires et controversés: un statut diaconal pour les femmes, l’ordination d’hommes mariés, la bénédiction de couples homosexuels, le pouvoir de l’évêque et ses limites.

On expliquait aussi dans les instances vaticanes qu’il ne fallait pas «trop attendre de ce texte de transition» puisque ce synode s’étale sur deux années et que les vraies décisions seraient prises fin 2024 par le pape seul, un synode n’étant qu’un organe «consultatif».

Cette dialectique huilée jusqu’à l’ennui visait en fait à calmer les ardeurs des uns et les angoisses des autres face aux perspectives de réforme. Il fallait aussi tenir à distance un «parlementarisme» d’Église dénoncé par François qui redoute comme «la peste» la formation de groupes ou lobbys «pour» ou «contre». Pour lui l’Église doit «marcher ensemble» - c’est le sens du mot grec «synode» - pour des décisions mûries et prier «avec l’Esprit saint» en partant de l’écoute des plus humbles.
François a d’ailleurs donné l’exemple, au cours de la deuxième semaine de débats, en disparaissant sans explication de la salle du synode. On a appris par la suite qu’il avait invité quelques-uns de la centaine de sans-abri vivant aux alentours de la place Saint-Pierre pour un «déjeuner synodal». Le pape leur a demandé ce qu’ils attendaient du synode. La réponse, selon le service de communication du Vatican a été : «Amour, amour, amour.»

Mercredi après-midi, François a tout de même prononcé un discours musclé, diffusé à sa demande, où il a improvisé sur le synode tout en critiquant vertement certains prêtres. Ce qui a jeté un froid sur la réalité de la pratique de «l’écoute» et de l’esprit synodal, tout en précipitant aux oubliettes médiatiques la fameuse «lettre» que le synode venait d’envoyer, un quart d’heure plus tôt, qui prônait pourtant «l’écoute» de l’autre.

«Lorsque les ministres dépassent leur service et maltraitent le peuple de Dieu, ils défigurent le visage de l’Église avec des attitudes sexistes et dictatoriales», a lancé le pape dans sa langue maternelle. Il a déploré «le cléricalisme» en donnant cet exemple: «Il suffit d’aller chez les tailleurs ecclésiastiques de Rome pour voir le scandale des jeunes prêtres essayant des soutanes et des chapeaux ou des aubes avec dentelle! Le cléricalisme c’est un fléau, c’est une forme de mondanité qui salit et abîme.» Il a fustigé «les mauvais traitements et la marginalisation durable commis par ce cléricalisme institutionnalisé où l’on parle naturellement des princes de l’Église, de promotions épiscopales comme des promotions de carrière!» Autant «d’horreurs», de «mondanité» qui «maltraitent le peuple saint et fidèle de Dieu». Un «peuple de Dieu» dont il a loué «la patience, l’humilité» dans son rôle de gardien «infaillible» de la foi et de sa transmission par les «femmes», notamment les «mères et grand mères».

Un «autoritarisme» de François qui tranche avec l’esprit démocratique qu’il veut insuffler à l’Église par ce synode, paradoxe ressenti à l’intérieur comme à l’extérieur du synode. Et maintenant ouvertement dénoncé dans les rangs de l’Église italienne, à gauche notamment, avec l’intervention retentissante cette semaine de l’historien de l’Église Alberto Melloni dans le Corriere della Sera.

Autre limite de ce synode pointée par certains participants: sa représentativité réelle. La question a été accentuée par la volonté de huis clos imposée par François, qui en a fait un événement sous cloche. Élu président des évêques des États-Unis par un épiscopat plutôt distant du pape François, Mgr Thimothy Broglio a ainsi refroidi l’enthousiasme, en estimant que pas plus de 1 % des catholiques américains se sentaient concernés par les débats…

Au-delà des réformes que le synode souhaite apporter et qui seront au cœur des discussions lors de la prochaine session, le fait d’avoir volontairement caché ces tensions aux catholiques a affaibli l’intérêt pour cet événement alors que, selon des sources internes, rien n’est encore joué. Cette première phase du synode a aussi pâti de la contradiction entre l’autoritarisme du pape et l’esprit démocratique synodal revendiqué. Quant à la question de la représentativité de l’assemblée, et donc de l’autorité à venir des décisions qui seront éventuellement prises, elle reste entièrement ouverte.

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