De Luke Coppen sur le Pillar :
L'évêque Varden : « Saint Joseph est le saint patron de l'altruisme »
Comment fut ce premier Noël du point de vue de saint Joseph et que peut nous apprendre son attitude ?
Regardez les cartes de Noël que vous avez reçues jusqu'à présent en décembre. Pouvez-vous voir la figure de saint Joseph ?

Il est fort probable qu'il soit présent quelque part, mais sans doute pas au premier plan. Malgré son rôle essentiel dans la Nativité du Christ, saint Joseph est généralement un personnage secondaire, une présence douce et attentive en marge.
Mais comment saint Joseph a-t-il vécu ce premier Noël ? Comment a-t-il réagi face à l’Incarnation ? Que peuvent nous apprendre son attitude et ses actions ?
Le magazine The Pillar a posé ces questions à Mgr Erik Varden, moine trappiste et auteur spirituel qui dirige la prélature territoriale de Trondheim (Norvège) depuis 2020.
Peu après avoir reçu les questions, l'évêque s'est rendu à la prélature territoriale voisine de Tromsø, où il exerce les fonctions d'administrateur apostolique depuis 2023. La ville insulaire de Tromsø est en pleine nuit polaire, période durant laquelle le soleil reste sous l'horizon toute la journée. Cependant, la ville n'est pas plongée dans une obscurité perpétuelle. En début d'après-midi, la lumière est suffisante pour baigner les fjords et les montagnes environnants d'un bleu profond .
Coïncidence ou non, le dernier livre de l'évêque Varden, un recueil d'essais sur l'espoir, s'intitule « Vers l'aube ». Son prochain ouvrage, dont la publication est prévue en 2026, sera basé sur sa série « Pères du désert en un an » .
Serait-il juste de dire que le premier Noël — la naissance du Sauveur — survint à une période de profonds bouleversements dans la vie de saint Joseph ?
C’est ce que nous disent les Écritures. Dans l’Évangile selon Matthieu, nous lisons que Joseph, apprenant la grossesse de Marie, résolut de la répudier. Il le ferait « discrètement », par bonté, mais romprait tout de même les liens du mariage. Cette grossesse lui faisait penser que celle qui devait être son épouse l’avait soit trahi, soit était compromise au point de ne pouvoir en parler ; dans les deux cas, la perspective d’un avenir commun lui paraissait impossible.
C’est alors que l’ange intervient et révèle à Joseph la situation : la vie conçue en Marie vient du Saint-Esprit ; le Fils qu’elle portera est l’accomplissement d’une prophétie ; il sauvera son peuple de ses péchés ; c’est pourquoi Joseph ne doit pas avoir peur. Cette exhortation à l’absence de crainte, qui traverse tout le Nouveau Testament, est présente dès le début : dans l’Annonciation à Marie, puis dans les paroles rassurantes de l’ange à Joseph.
Face à l'intervention divine dans l'histoire, les êtres humains, même les plus vertueux, réagissent avec trouble et angoisse. Il est déstabilisant de voir sa vie bouleversée par la grâce ; il faut du temps pour adopter une perspective divine sur les affaires humaines.
En iconographie, certaines représentations de la Nativité du Christ intègrent un détail facile à négliger : la tentation de saint Joseph. Assis légèrement à l’écart de la grotte où se trouvent la Vierge et l’Enfant, et ressemblant étrangement au Penseur de Rodin , Joseph est approché par un démon (rappelons que le mot grec diabolos signifie « celui qui déchire ») déguisé en berger inoffensif.
On peut imaginer le genre de choses que cet homme aurait chuchotées à l'oreille de Joseph : « Tu ne crois pas sérieusement à ce rêve absurde ? Tu penses que Dieu intervient comme ça ? Fuis tant que tu le peux ! »
Ce sont là des épreuves profondément humaines, des crises de confiance et de foi que beaucoup d'entre nous ont vécues. Il est réconfortant de savoir que saint Joseph les a traversées lui aussi et qu'il n'a pas laissé les suggestions maléfiques l'influencer, restant au contraire inébranlable dans sa fidélité. Lui-même a dû lutter pour persévérer dans la foi ; c'est pourquoi il est bien placé pour nous soutenir dans nos propres combats.

Pouvons-nous tirer des leçons de l'attitude de saint Joseph face aux épreuves du voyage à Bethléem pour le recensement et la recherche d'un lieu où Marie et l'Enfant-Jésus puissent s'abriter ?
Discrétion, sérénité, absence de bruit. Ces qualités se manifestent particulièrement lors du voyage en Égypte, rendu nécessaire par les divagations d'Hérode. Joseph, que la tradition dépeint comme un homme d'âge mûr, quitte sa maison, ses moyens de subsistance et tout ce qui lui est familier afin de protéger les protagonistes du plan insensé et périlleux de Dieu.
La nécessité de déménager n'a pas permis à la Sainte Famille de se replier sur elle-même dans l'intimité. Le départ de Marie et Joseph, presque aussitôt après avoir accueilli Jésus dans leur vie, établit un modèle de vie fidèle. Il révèle aussi quelque chose d'essentiel sur la parentalité. De nos jours, on observe une tendance à considérer la progéniture comme une acquisition, un moyen de parachever l'ambition d'un parent pour lui-même – car il est désormais possible d' avoir (un verbe significatif !) un enfant sans avoir à suivre un conjoint ou un partenaire.
L'exemple de Joseph nous parle de la paternité comme d'un état de kénosie, d'un don de soi cohérent et empli d'amour au service d'une cause qui dépasse le sien. Saint Joseph est le saint patron de l'altruisme.
N'est-il pas frappant, au vu de cela, qu'il se présente aussi devant nous comme un saint d'une joie singulière ?
Comment l'Incarnation a-t-elle changé la vie de saint Joseph ?
Vous savez ce que l'on ressent en présence d'une personne vraiment bienveillante ? Le simple fait d'être dans la même pièce qu'elle nous affecte. On prend conscience de la distance intérieure qui nous sépare d'elle ; la lumière qu'elle dégage fait ressurgir nos propres ténèbres d'une manière parfois dérangeante. En même temps, sa bonté est une source d'encouragement. Je me dis parfois : « Si une personne si bonne et si pure de cœur, qui perce à jour mes mensonges, me supporte et ne me repousse pas, peut-être y a-t-il encore de l'espoir pour moi ? »
Or, si le fait d'être exposé à différents degrés de perfection humaine peut nous affecter à ce point, qu'est-ce que cela a dû être de vivre au quotidien aux côtés de Dieu fait homme ?
Nous abordons ici un mystère dont il est presque impossible de parler. Face à lui, seul un silence contemplatif nous est permis. Nous pouvons toutefois déduire l'influence de l'incarnation de Dieu sur la vie de saint Joseph du fait qu'il s'efface discrètement du récit. Ayant accompli son devoir providentiel, ayant élevé le Fils de Dieu et l'ayant protégé lorsqu'il en avait besoin, saint Joseph se retire de la scène sans même un signe de tête furtif à l'auditoire.
On retrouve quelque chose de la dynamique dont parle Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi », dans la grâce de Joseph. Tant que j’éprouverai le besoin d’attirer l’attention sur moi, assoiffé de reconnaissance et de gloire, prisonnier de mon propre égocentrisme, je ne me serai pas véritablement laissé toucher par la fascination de la révélation divine en Christ. Lorsque j’en aurai compris le sens profond, j’aspirerai à l’invisibilité, à ne plus projeter mon ombre sur le mystère de la Lumière.
On observe ces dernières années un regain d'intérêt pour saint Joseph. Pensons à la popularité de la Consécration à saint Joseph et de la statue de saint Joseph endormi , ou encore à l' Année de saint Joseph proclamée par le pape François
Qu’est-ce que cela suggère quant à la nature de notre époque ?
Je crois que cela révèle une quête d'une compréhension plus profonde du réalisme de l'Incarnation. Plus nos relations humaines se virtualisent, les « amitiés » se réduisant à des « j'aime » sur les réseaux sociaux ; plus nous peinons à définir ce que signifie être humain, femme ou homme ; plus la société relativise la valeur d'une vie humaine – plus nous avons besoin d'un correctif lucide.
Voilà ce que nous offre l'Évangile. Les différentes dévotions à saint Joseph nous permettent de méditer sur les conditions humaines concrètes dans lesquelles le Verbe s'est fait chair, nous laissant entendre les sons et percevoir les odeurs des voyages et de l'exil de l'Enfant Jésus, puis de sa vie familiale. Saint Joseph rend tout cela profondément humain. Il rend le sublime accessible.
Au début de l'Avent, j'ai visité le musée dominicain de Cracovie. J'y ai découvert ce détail d'un retable polonais du XVIIIe siècle représentant des scènes de la vie de saint Joseph. Ce n'est peut-être pas le plus grand tableau du monde, mais il est touchant et profond. J'aime la vivacité avec laquelle l'Enfant Jésus imite les gestes de Joseph, voyant en lui un modèle de virilité et d'habileté.
Le Verbe, à l'image duquel la nature humaine est faite, avait lui-même besoin d'une image de la maturation humaine. En de tels moments, Joseph devait, au plus profond de son cœur, chanter son propre Magnificat .
La méditation sur saint Joseph nous empêche de laisser notre foi devenir trop abstraite. C'est une bonne chose.

Enfin, si vous me permettez une question sur un sujet différent, pourriez-vous me recommander un film qui, selon vous, éclaire véritablement le sens de Noël ?
J'en recommande trois !
Tout d'abord, pourquoi ne pas regarder cette interprétation électrisante de l' Oratorio de Noël de Bach par la Société Bach des Pays-Bas, qui, par pure philanthropie, met régulièrement à disposition des personnes de bonne volonté des enregistrements exceptionnels, et ce gratuitement ?
Ensuite, je suggérerais un documentaire. À Noël, nous entendons les anges proclamer la paix. Le monde dans lequel nous vivons est marqué par l' insécurité. Des guerres terribles font rage, et l'on craint d'autres conflits. Nous sommes effrayés et désemparés. Comment construire une société et dialoguer dans un tel climat de tension, alors que tant de personnes souffrent encore ?
C’est la question à laquelle Daniel Barenboim et Edward Said, amis de longue date, se sont confrontés pendant des années, exaspérés par les conflits qui ravageaient le Moyen-Orient. Cela les a conduits à cofonder une institution remarquable : l’Orchestre du Divan occidental-oriental. Un film réalisé en 2006 retrace l’histoire de cet orchestre et montre son impact sur les individus. Je l’ai vu à maintes reprises ; il illustre une rencontre pacifique qui peut entretenir l’espoir même face aux situations les plus désespérées.
Enfin, je mentionnerais le dessin animé « Noël » de Mikhaïl Aldachine . Réalisé en 1996, ce dessin animé est d'une naïveté touchante , capable de percevoir la réalité telle qu'elle est, tout en l'illuminant avec éclat. Des œuvres comme celle-ci nous rappellent ce que signifie l'émerveillement. Il est essentiel de préserver cette capacité. Sans elle, notre vision du monde est déformée, pervertie.
Malgré sa simplicité apparente, ce film regorge d'allusions subtiles aux typologies bibliques, aux récits explicatifs et aux grandes œuvres d'art. Il nous donne envie de rejoindre la fanfare angélique, même si notre talent instrumental se limite au triangle. Qu'importe !