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Avons-nous tous le même Dieu ?

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Nous nous permettons de reprendre ce texte "trouvé" sur "Le temps d'y penser" dans son intégralité, pour ne pas l'estropier, et parce que nous le trouvons très éclairant. Merci à son auteur pour son aimable autorisation.

"Nous avons tous le même Dieu"

Par Henry le Barde • 31 jan, 2011 • Catégorie: Réflexion faite

Il y a quelques jours a ressurgi sur Twitter un de ces petits débats récurrents entre chrétiens1, petit débat opposant, dans la plupart des cas, traditionalistes et progressistes. On en revient malheureusement toujours là. Une fois l’étiquette collée, la discussion porte dès lors moins sur le fond que sur les arrière-pensées supposées de son contradicteur. Inutile de le nier, nous fonctionnons tous ainsi.

« On a le même Dieu. » Après tout, certes, pourquoi pas ? Empreinte de charité christianoïde, cette affirmation, particulièrement entendue dans le cadre bien glissant du dialogue islamo-chrétien, fait passer celui qui n’y souscrirait pas pour le dernier des réactionnaires2. Alors quoi ? Émettre simplement l’hypothèse que non, nous n’avons pas le même dieu vous rendrait suspect de quel désir secret ? Relancer les Croisades ? Brûler les mosquées ?

Que peut donc signifier : « Avoir le même dieu ? » A-t-on un dieu ? Le possède-t-on ? Fait-il partie de notre identité, et rien d’autre ? Est-il un attribut qui nous définit, comme une nation – qu’on peut choisir – ou une famille – qu’on peut quitter ? Notre Dieu est-il contenu tout entier dans la chrétienté ?

Non, nous "n’avons pas" de Dieu. Car une telle appropriation, en l’intériorisant, rend d’emblée possible l’existence d’autres possessions. J’ai un Dieu chrétien. Tu as un Dieu musulman. Au fond, à chacun son dieu et le monde vivra en paix. Et, depuis l’avènement des monothéismes, cette assertion n’est bien entendu plus acceptable. Le dieu n’est pas le drapeau d’une nation, d’une cité, d’un peuple ou d’une civilisation. Et c’est là que les choses se corsent. Car le monothéisme implique qu’on ne possède plus un dieu, auquel on se soumet, on se consacre plus qu’au dieu de la cité ennemie, auquel on croit également mais qu’on rejette. Le monothéisme invalide de fait l’existence d’autres dieux. Si on croit en son dieu, on ne peut plus croire en l’existence d’un autre. Impossible de valider la vérité d’en face sans mettre en danger la sienne.

Nouvelle pirouette, donc : nous croyons au même dieu, mais pas de la même façon. Dieu s’est révélé différemment à chacun. Mais au final, c’est le Même qui nous parle. Croire en Dieu suppose donc seulement de croire en son existence ? Toute foi en un principe créateur, surnaturel serait équivalente ? Nous aurions donc le même dieu que les Francs-Maçons ? Que Rousseau ? Dieu, le Grand architecte… même combat ? Au fond du fond, nous achèterions le même produit, malgré une offre commerciale différente, comme ces paquets de lessive fabriqués par la même holding ? Nous aurions tous accès au même réseau malgré des services un tantinet personnalisés – nous chrétiens bénéficiant d’une offre triple-play difficile à expliquer pour les non-initiés ? Autrement dit, le simple accord arithmétique sur le nombre de dieux existant suffit-il à définir la foi en Dieu ? Celle-ci est-elle du même ordre que, par exemple, l’existence du Père Noël ?

Non, la foi en Dieu implique aussi sa définition : Dieu ne se définit-il pas d’abord par ce qu’Il nous dit ? Par la relation qu’il instaure avec nous ? Dès lors que ces définitions divergent, alors on ne parle plus de la même chose. Entre un Dieu qui noue une alliance avec l’homme, un Dieu qui exige sa soumission et un Dieu qui meurt pour lui et lui demande de l’appeler Père, n’y a-t-il qu’une différence de façade3 ? Comme le dit Jacques Ellul, cité par François Jourdan dans Dieu des chrétiens, Dieu des Musulmans :

« Croire que Dieu est un seul Dieu (et non plusieurs) cela n’est pas faux, mais reste extérieur, étranger à sa personne. »

Croire… Tenez, le credo des chrétiens s’arrête-t-il à la définition de Dieu le Père ? Un Dieu qui soufflerait à son prophète que Jésus n’est pas son Fils peut-il être, selon notre regard de chrétien professant ce Credo, le vrai Dieu ? Un prophète postérieur au Christ – et qui nie sa divinité – peut-il être considéré comme envoyé de Dieu ? Ces paroles, nombre de chrétiens de ma connaissance ont du mal à les entendre. Les Musulmans que j’ai pu rencontrer n’ont pas cette fausse pudeur. Parce qu’ils sont logiques. On ne peut croire en même temps en Mahomet et au Christ Fils de Dieu. Que le Coran mentionne des personnages bibliques ne change rien à l’affaire.

Le Père Jourdan recommande d’ailleurs de bannir le mot « même » dans le dialogue interreligieux en raison de sa polysémie : si l’acception « unique » peut convenir, on ne peut l’étendre à « identique ». Nous croyons tous en un dieu unique. Mais nous ne croyons pas au même dieu. De ces deux phrases ne peut découler qu’une conclusion : l’un des deux n’existe pas, au sens « d’existence qualifiée » et non de simple essence. Et pourtant, les catholiques ne condamnent pas les autres religions, en ce qu’elles sont, par de nombreux aspects, bénéfiques pour les hommes.

« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses. » (Encyclique Nostrae Aetate, 1965).

Affirmer que nous n’avons pas le même Dieu mais qu’il n’en existe qu’Un n’implique pas un manque de respect pour nos frères qui ne partagent pas notre Foi, suggérant une attitude condescendante du style « Nous n’avons pas les mêmes valeurs. » C’est, seulement et avant tout, respecter le Dieu auquel nous croyons.

Pour provoquer un peu, oui, tous les hommes ont le même Dieu. Le Dieu trinitaire des chrétiens. Mais tous n’en ont pas encore conscience4.

Il serait intéressant de savoir si ce même débat existe entre musulmans… Pour eux, la question n’est-elle pas sans fondement ? []

  1. Il y aurait tant de choses à écrire sur les raisons de cette capitulation intellectuelle, sur ce sentiment de culpabilité qui ronge tout l’Occident pour ses crimes – et qui ne ronge d’ailleurs que lui –  au point que, tels les accusés des procès de Moscou, il l’amplifie en souscrivant parfois aveuglément à toutes les accusations tierces. Tant de choses à écrire sur ces motivations conscientes ou inconscientes, mais qui nous écartent du débat non sans l’avilir.[]
  2. On comprend bien, ici, que Juifs et Chrétiens peuvent revendiquer un même Dieu.[]
  3. Logiquement et symétriquement, les Musulmans pensent la même chose…[]

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