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La religion est-elle vraiment condamnée à disparaître comme le prétendent des "scientifiques" ?

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index.jpgNous prenons la liberté de traduire ici l'article de Massimo Introvigne, "Davvero la religione starebbe per estinguersi?" paru dans la Bussola de ce matin, en espérant ne pas avoir déformé ses propos.

"La semaine dernière, l'université américaine du Northwestern - pas très connue dans le domaine des religions, mais qui doit avoir un bureau de presse très performant - a fait son apparition dans les principaux journaux italiens, au sujet de deux études assez curieuses. La première, critiquable parce que fondée sur un échantillonnage relativement faible, prétend tirer des conclusions générales. Ainsi, cette première étude affirme que la religion fait du tort parce qu'elle fait grossir! En effet, si vous allez à l'église ou vous en prie de vous asseoir et c'est du temps soustrait au "fitness". Curieuse thèse dans un pays, les Etats-Unis, où des milliers de "coureurs chrétiens" courent tout en continuant de prier.

La seconde étude nous dit que la religion est en danger d'extinction. Au milieu du siècle les occidentaux religieux ne représenteront plus que 30% de la population et, en 2100, il n'en restera presqu'aucun. Les prévisions sont faites à partir des données provenant de neuf pays: l'Australie, l'Autriche, le Canada, la République tchèque, la Finlande, l'Irlande (dans l'article: Le communiqué de presse parle de "Iceland"), les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande et la Suisse. On nous assure que même les États-Unis, malgré des apparences contraires, se conforment peu à peu à ce modèle.

Je veux me concentrer sur cette étude, parce que j'ai l'impression qu'aucun de ceux qui l'ont commentée en Italie, ne l'a lu dans son intégralité. On s'est limité, comme cela arrive souvent, à faire des commentaires sur la base d'un communiqué de presse diffusé par les agences. Si vous lisez l'article, il s'avère que les auteurs sont : un mathématicien, Richard J. Wiener, et deux ingénieurs, Daniel M. Abrams, et Haley A. Yaple. Aucun d'eux n'a jamais été formé à la sociologie de la religion.

L'article fait preuve d'une virtuosité remarquable dans l'utilisation des équations, chose très répandue dans les sciences sociales. Mais il manifeste aussi un profond éloignement à l'égard des débats sur la religion et - oserais-je dire - à l'égard des phénomènes sociaux en général. La seule hypothèse sociologique que les trois auteurs évoquent, est celle de l'identification sociologique, selon laquelle les coûts sont moindres et les bénéfices plus importants si l'on fait partie d'un groupe populaire en croissance alors que c'est l'inverse si l'on appartient à un groupe impopulaire et en déclin. Par conséquent, une fois atteinte, la popularité elle-même devient un instrument de prosélytisme. Le communiqué de presse cite l'exemple de Facebook: si tous mes amis sont membres de Facebook, je serai enclin à y adhérer également. Si le groupe de ceux qui méprisent Facebook est une infime minorité parmi mes connaissances, je trouve socialement attractif de continuer à en faire partie.

Cette thèse est vraie, mais en même temps, a vieilli. La sociologie a depuis longtemps montré que les modes étaient passagères et que les affiliations à des groupes sociaux n'augmentent que lorsqu'ils offrent de réels avantages. Par exemple, le groupe de personnes qui utilisent l'Internet est en croissance constante tandis que le nombre de ceux qui ne l'utilisent pas diminue : c'est parce que l'Internet offre de réels avantages, et pas seulement parce que l'utilisation d'Internet devient populaire auprès de vos amis. La même chose s'applique au groupe de voyageurs aériens, ou à ceux qui utilisent un téléphone cellulaire. Les modèles socio-mathématiques utilisés pour juger de la croissance de certains groupes sur la base de paramètres statistiques sans tenir compte du contenu du groupe sont bien connus pour être victimes d'une forme de sophisme psychologique.

En outre, lorsque nous parlons de l'Internet, des avions, des téléphones portables et aussi de Facebook, on évoque des produits technologiques, des instruments. Les choses sont évidemment plus compliquées quand il s'agit d'idées et d'appartenances culturelles ou politiques. Ici, il est clair que la théorie de l'identification à des groupes sociaux ne se vérifie que jusqu'à à un certain point. En appliquant le modèle mécanique de Wiener, Abrams et Yaple, nous devons conclure que, si dans une région comme la Lombardie, la Ligue du Nord atteint 60% et augmente chaque année, il est socialement beaucoup plus attractif, dans un tel pays, d'être pour la Ligue que pour ceux qui s'y opposent. Donc, dans vingt ans tous les habitants de ce pays seront pour la Ligue, sauf peut-être quelques rares êtres asociaux peu soucieux de s'identifier aux valeurs et aux idées de leurs voisins.

Cependant, dans la pratique, les choses ne se passent pas ainsi parce que l'approbation de la majorité est simplement un des facteurs qui entrent en jeu dans les choix éthiques et politiques qui touchent au coeur même de la liberté humaine. Et cela est particulièrement vrai dans les choix religieux. Au moment de la persécution romaine, faire partie de la minorité chrétienne était plutôt un choix impopulaire. En appliquant strictement la théorie de l'identification sociale, les chrétiens auraient dû disparaître rapidement. Comme nous le savons, c'est exactement l'inverse qui s'est produit.

Wiener et ses collègues n'ont pas vraiment quelque chose de nouveau à nous dire. Les partisans de la laïcité nous disent depuis plus d'un siècle
que la religion est scientifiquement en voie d'extinction. Ainsi, Alfred Russell Wallace (1823-1913), un biologiste gallois darwinien, écrivait au début du XXe siècle que l'évolution de la religion s'éteindrait inéluctablement. Celui qui raisonne ainsi et cherche un renfort dans la statistique doit avant tout sélectionner certains pays où le nombre de personnes se déclarant non-religieux augmente effectivement. Si l'on amalgame la France et la République tchèque, il sera plus facile de faire des prédictions de mauvaise augure pour la religion. Je note également que l'étude entretient une certaine confusion entre les "non religieux" et les personnes "non affiliées à une église." Une lecture rapide d'un manuel de sociologie de la religion aurait convaincu le mathématicien et les deux ingénieurs que ce n'est pas la même chose. Une chose est d'évaluer le fait de croire ("believing"), une autre est d'évaluer l'appartenance à une église ou le fait d'assister à une cérémonie le dimanche ("belonging"). Dans un livre co-écrit par le sociologue vivant le plus célèbre de la religion, Rodney Stark, et moi-même - "Dieu est de retour" (Piemme, Casale Monferrato 2003) -, nous avons expliqué que dans le soi-disant «pays le plus athée du monde», l'Islande, une grande majorité de la population ne va plus à l'église, mais partage un solide complexe de croyances religieuses.

Nous ne pouvons donc pas parler d'une crise de la «religion», mais d'une crise d'appartenance à une Eglise ou d'une crise de la fréquentation des services religieux. Cette crise est - en particulier dans les pays concernés par l'étude, et, dans une certaine mesure aussi en Italie, est controversée - : les perspectives d'avenir déduites des équations linéaires sont certainement erronées. Les équations linéaires utilisées dans l'étude mesurent la croissance de la population non affiliée à une Eglise - ce qui ne veut pas dire «non religieuse» - dans un laps de temps plus ou moins plus ample d'après les données disponibles, jusqu'à un maximum de cent années. On suppose alors que ce taux de croissance restera constant au cours des cent prochaines années et on en vient à conclure à l'extinction de la religion (en fait, de la fréquentation des rituels religieux).

Mais cette supposition est fausse. En appliquant les mêmes équations linéaires, Stark et moi, avons pris plaisir à montrer comment - si le taux de croissance des Mormons dans le monde, à l'exclusion de la Chine et l'Inde, était resté inchangé -, à la fin du XXe siècle plus de la moitié du monde - toujours à l'exception de la Chine et de l'Inde - aurait dû être Mormon. Si un mathématicien, en 1990, avait calculé le taux de croissance, entre 1950 et 1990, des Témoins de Jéhovah en Italie, et avait pensé qu'il resterait constant entre 1990 et 2010, il pourrait aisément conclure que, en 2010 les Témoins de Jéhovah d'Italie représenteraient au moins 30% de la population. Ils sont restés inférieurs à un pour cent. Si l'on revient à l'évolution politique dans le Nord de l'Italie, si la Ligue continuait de croître aux élections avec le même taux de croissance que celui observé ces dix dernières années, en 2030, il n'y aurait plus de choix à faire parce que la Ligue aurait cent pour cent des voix.

Tout cela nous montre que les équations ne sont pas linéaires ni en religion, ni même en politique. Il ne suffit pas d'introduire quelques corrections dont les auteurs font état. Les processus politiques et religieux sont des processus sociaux particuliers qui trouvent en eux leurs régulations. Les taux de croissance trop élevés produisent des phénomènes de réaction, et peuvent également se transformer rapidement en taux de déclin. Si le nombre de gens qui disent qu'ils ne sont pas affiliés à une Eglise est monté de 25% à 50% en cinquante ans en France, cela ne veut pas dire qu'il passera de 50% à 100% au cours des cinquante prochaines années. Tout simplement, le monde réel n'est pas le monde des mathématiques. Les sociologues de la religion le savent depuis longtemps, à tel point que l'on voit fleurir aujourd'hui des titres non sur l'extinction du religieux mais sur son retour ou sur sa revanche, sur le "réenchantement du monde" et sur la "dé-sécularisation».

Cela signifie-t-il que tout va bien pour la religion? Non, bien sûr. Il ya des cas limites, comme la France, la République tchèque et la Hollande (la Belgique aussi ndt) - et très différents les uns des autres - qui remettent également en cause les mauvais choix pastoraux des Eglises. Comme en témoignent les paroles du Pape adressées au "Parvis des Gentils" à Paris - il faut se préoccuper non pas tant des athées militants que des indifférents qui conservent des croyances religieuses et qui n'ont plus aucun contact avec l'Eglise. Mais c'est quelque chose qui n'a rien à voir avec l'extinction présumée de la religion, laquelle constitue juste une illusion d'optique et les conclusions d'une science dévoyée."

Commentaires

  • La première étude à laquelle vous faites allusion(la religion ferait grossir), a été publiée dans l'e-journal du médecin( Belgique). Et ce sans précision de la fiabilité de l'étude: condition sine qua non, pour qu'une étude scientifique soit crédible. Aucune mise en grade n'a été spécifiée, alors que dans bien d'autres cas, il en aurait été autrement. Je me demande où est passée la rigueur du journalisme médical?

  • Où est passée cette réflexion très controversée d'André Malraux : "le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas" ? Totalement apocryphe pour certains, pour d'autres prononcée avec d'autres mots, cette phrase alimente encore bien des débats.

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