On célèbre aujourd'hui la fête de sainte Monique, mère de saint Augustin. Elle occupe une large place dans les Confessions. Nous reproduisons ci-dessous un entretien entre cette mère et son fils sur le bonheur de la vie éternelle (chapitre X):
A l’approche du jour où elle devait sortir de cette vie, jour que nous ignorions, et connu de vous, il arriva, je crois, par votre disposition secrète, que nous nous trouvions seuls, elle et moi, appuyés contre une fenêtre, d’où la vue s’étendait sur le jardin de la maison où nous étions descendus, au port d’Ostie. C’est là que, loin de la foule, après les fatigues d’une longue route, nous attendions le moment de la traversée.
Nous étions seuls, conversant avec une ineffable douceur, et dans l’oubli du passé, dévorant l’horizon de l’avenir ( Philip. III, 13), nous cherchions entre nous, en présence de la Vérité que vous êtes, quelle sera pour les saints cette vie éternelle « que l’oeil n’a pas vue, que l’oreille n’a pas entendue, et où n’atteint pas le cœur de l’homme (I Cor. II, 9). » Et nous aspirions des lèvres de l’âme aux sublimes courants de votre fontaine, fontaine de vie qui réside en vous (Ps. XXXV, 10), afin que, pénétrée selon sa mesure de la rosée céleste, notre pensée pût planer dans les hauteurs.
Et nos discours arrivant à cette conclusion, que la plus vive joie des sens dans le plus vif éclat des splendeurs corporelles, loin de soutenir le parallèle avec la félicité d’une telle vie, ne méritait pas même un nom, portés par un nouvel élan d’amour vers Celui qui est, nous nous promenâmes par les échelons des corps jusqu’aux espaces célestes d’où les étoiles, la lune et le soleil nous envoient leur lumière ; et montant encore plus haut dans nos, pensées, dans nos paroles, dans l’admiration de vos œuvres, nous traversâmes nos âmes pour atteindre, bien au-delà, cette région d’inépuisable abondance, où vous rassasiez éternellement (447) Israël de la nourriture de vérité, et où la vie est la sagesse créatrice de ce qui est, de ce qui a été, de ce qui sera ; sagesse incréée, qui est ce qu’elle a été, ce qu’elle sera toujours ; ou plutôt en qui ne se trouvent ni avoir été, ni devoir être, mais l’être seul, parce qu’elle est éternelle ; car avoir été et devoir être exclut l’éternité.
Et en parlant ainsi, dans nos amoureux élans vers cette vie, nous y touchâmes un instant d’un bond de cœur, et nous soupirâmes en y laissant captives les prémices de l’esprit, et nous redescendîmes dans le bruit de la voix, dans la parole qui commence et finit. Et qu’y a-t-il là de semblable à votre Verbe, Notre-Seigneur, dont l’immuable permanence en soi renouvelle toutes choses (Sag. VII, 27) ?
Nous disions donc : qu’une âme soit ; en qui les révoltes de la chair, le spectacle de la terre, des eaux, de l’air et des cieux, fassent silence, qui se fasse silence à elle-même qu’oublieuse de soi, elle franchisse le seuil intérieur ; songes, visions fantastiques, toute langue, tout signe, tout ce qui passe, venant à se taire ; car tout cela dit à qui sait entendre :
Je ne suis pas mon ouvrage ; celui qui m’a fait est Celui qui demeure dans l’éternité ( Ps. XCIX, 3,5) ; que cette dernière voix s’évanouisse dans le silence, après avoir élevé notre âme vers l’Auteur de toutes choses, et qu’il parle lui seul, non par ses créatures, mais par lui-même, et que son Verbe nous parle, non plus par la langue charnelle, ni par la voix de l’ange, ni par le bruit de la nuée, ni par l’énigme de la parabole ; mais qu’il nous parle lui seul que nous aimons en tout, qu’en l’absence de tout il nous parle ; que notre pensée, dont l’aile rapide atteint en ce moment même l’éternelle sagesse immuable au-dessus de tout, se soutienne dans cet essor, et que, toute vue d’un ordre inférieur cessante, elle seule ravisse, captive, absorbe le contemplateur dans ses secrètes joies ; qu’enfin la vie éternelle soit semblable à cette fugitive extase, qui nous fait soupirer encore ; n’est-ce pas la promesse de cette parole : « Entre dans la joie de ton Seigneur (Matth. XXV, 21) ? » Et quand cela ? Sera-ce alors que « nous ressusciterons tous, sans néanmoins être tous changés (I Cor. XV, 51) ?»
Telles étaient les pensées, sinon les paroles, de notre entretien. Et vous savez, Seigneur, que ce jour même où nous parlions ainsi, où le monde avec tous ses charmes nous paraissait si bas, elle me dit : « Mon fils, en ce qui me regarde, rien ne m’attache plus à cette vie. Qu’y ferais-je ? pourquoi y suis-je encore ? J’ai consommé dans le siècle toute mon espérance. Il était une seule chose pour laquelle je désirais séjourner quelque peu dans cette vie, c’était « de te voir chrétien catholique avant de mourir. Mon Dieu me l’a donné avec surabondance, puisque je te vois mépriser toute félicité terrestre pour le servir. Que fais-je encore ici ? »
Commentaires
Merci pour cette évocation de sainte Monique qui illustre l'importance du rôle joué par les parents non seulement pour mettre au monde leurs enfants mais aussi et surtout pour les éduquer à la foi par leurs propos et plus encore par leur témoignage de vie.
Je ne peux m'empêcher de souhaiter envoyer à tous les parents, afin d'oeuvrer ensemble pour un monde meilleur, ce témoignage de notre cher grand Curé d'Ars; Jean-Marie Vianney, sur l'importance de la famille (toute première Communauté humaine!) dans l'éducation de l'enfant:
RESPONSABILITÉS DES PARENTS
« ... La plus grande occupation des pères et mères doit être de travailler à sauver les âmes de leurs enfants ; ils n'ont point d'ouvrage qui doive passer avant celui-là. En vain emploieraient-ils leur vie à faire pénitence, à pleurer leurs péchés, à distribuer leur bien aux pauvres, s'ils ont le malheur de négliger le salut de leurs enfants, tout est perdu pour eux.
Pourquoi ?
Parce que d'après les enseignements de la religion, les enfants sont un dépôt dont les parents ont la garde. Si les enfants sont damnés par la faute des parents, ceux-ci, comme dépositaires infidèles, sont sûrs de l'être aussi.
Le mariage a été élevé à la dignité de sacrement afin que les enfants qui en naissent, reçoivent une nouvelle naissance dans le Christ et soient préparés à la vie éternelle. Les parents doivent donc faire leurs efforts pour leur inspirer la crainte et l'amour de Dieu, pour développer dans leurs âmes la vie surnaturelle et la protéger. S'ils ne le font pas, s'ils les laissent périr, ils seront condamnés pour avoir manqué à un devoir capital de justice et de charité.
Pourquoi encore ?
Parce qu'ils tiennent la place de Dieu même dans leur foyer. Le Créateur et Maître de toutes choses ne leur a conféré le droit d'avoir des enfants et de les élever qu'à la seule condition qu'ils seraient les ministres de la divine Providence pour les conduire à leur fin. S'ils ne travaillent pas à faire glorifier Dieu par leurs enfants, s'ils ne les élèvent pas saintement, ils mentent à leurs engagements, et ils sont coupables de forfaiture.
Pourquoi enfin ?
Parce que les enfants sont un précieux trésor que le bon Dieu a remis à la sollicitude des pères et mères. Ils doivent, non seulement garder, mais faire fructifier ce trésor pour Lui ; ils doivent être prêts à tous les sacrifices pour en recouvrer la possession, si on venait à le leur ravir.
Quel trésor, en effet, que l'âme d'un enfant !
Elle est un esprit immortel créé à l'image de Dieu et destiné à passer l'éternité dans son sein. Elle est si noble que le bon Dieu n'a voulu la confier qu'à un prince de sa cour céleste. Elle est si grande que, dans toute sa sagesse, Il n'a point trouvé de nourriture qui fût digne d'elle que Son corps adorable. Elle est si précieuse que Jésus-Christ a versé Son sang pour la racheter. Dites-moi, si vous aviez été au pied de la croix et que vous eussiez recueilli le sang de Jésus-Christ dans un vase, avec quel respect ne l'auriez-vous pas conservé ? Or vous devez avoir autant de respect pour les âmes de vos enfants et les conserver avec le même soin, parce qu'elles ont coûté tout le sang de Jésus-Christ
Pères et mères, avez-vous compris la valeur de votre dépôt, le prix de votre trésor, la gravité de vos engagements. Malheureux parents, songez donc à ce que valent les âmes de vos enfants, à ce que Jésus-Christ a souffert pour leur procurer le Ciel, au compte épouvantable que vous en rendrez un jour à Dieu, aux biens que vous leur faites perdre pour l'éternité, aux tourments que vous leur préparez pour l'autre vie. Ah ! si vous les estimiez autant que le démon !
Oserez-vous dire encore que, ne vous occupant pas du salut de vos enfants et que ne le mettant pas avant toutes choses, vous les aimez ? Eh ! quoi ? Ils sont dans le péché et vous ne pleurez pas ; ils courent en enfer, et vous ne les arrêtez pas ; ils vivent dans l'indifférence par rapport à leur éternité, et vous en prenez aisément votre parti. Agiriez-vous autrement s'ils n'étaient pas a une partie de vous-mêmes ou si vous les haïssiez ?
Ah ! Combien vous seriez plus sages si vous compreniez que de travailler à leur salut, c'est travailler à votre propre bonheur ici-bas et procurer le leur, et que les ayant chrétiennement élevés, ils seront votre joie et votre gloire pendant toute l'éternité ! »
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