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Pourquoi je crois au christianisme ?

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G.K. Chesterton, dans "Orthodoxie", répond de la façon suivante :

La doctrine catholique et sa discipline sont peut-être des murs ; mais elles sont les murs d’une aire de jeux !

Si on me demande, de façon purement abstraite, pourquoi je crois au christianisme, je ne peux que répondre : “J’y crois pour la même raison qu’un agnostique intelligent ne croit pas au christianisme” : j’y crois plutôt rationnellement, sur la base d’une preuve. Mais la preuve dans mon cas, comme pour notre agnostique intelligent, n’est pas réellement dans telle ou telle démonstration : c’est plutôt une énorme accumulation de petits faits allant tous dans le même sens. On ne doit pas blâmer l’homme du monde parce que ses objections au christianisme ne sont que des détails et ou parce qu’elles sont parcellaires : c’est précisément ces mêmes preuves parcellaires qui arrivent à convaincre l’esprit. Je veux dire qu’ un homme peut être moins bien convaincu d’une philosophie par quatre livres que par un livre, une bataille, un paysage et un vieil ami. Le fait que ces choses sont de nature différente renforce l’importance du fait qu’elles désignent toutes la même conclusion. Maintenant, pour lui faire justice, le non chrétien moderne d’éducation moyenne s’est presque toujours forgé une opinion à partir de ces expériences vagues mais vivantes. Je peux simplement dire que mes preuves de la véracité du christianisme sont de la même trempe que celles qui sont contre lui : vivantes et variées. Mais lorsque que je regarde ces vérité anti-chrétiennes variées, je découvre tout simplement qu’aucune d’elles n’est vraie : j’ai découvert que la véritable direction de tous ces faits part en sens opposé.

Prenons quelques cas. Beaucoup d’hommes modernes sensibles ont abandonné le christianisme sous la pression de trois convictions convergentes : d’abord, que les hommes, avec leur enveloppe corporelle, leur anatomie et leur sexualité, ne sont que des bêtes, une simple variété du royaume animal ; deuxièmement que la religion apparut dans un contexte d’ignorance et de peur ; troisièmement , que les prêtres ont eu des influences néfastes sur les sociétés, influences faites d’obscurantisme et de violence. Ces trois arguments contre le christianisme sont de nature très différente. Mais ils sont tous trois plutôt logiques, légitimes et ils vont tous dans le même sens. La seule objection qu’on peut leur faire (comme je l’ai découvert) c’est qu’aucun d’eux n’est vrai.

Si vous arrêtez de lire des livres sur les hommes et les bêtes, et si vous commencez à regarder les hommes et les bêtes (si vous avez un peu d’humour ou d’imagination, quelque sens de la jubilation intérieure ou de la farce), alors vous observerez que la chose stupéfiante n’est pas à quel point l’homme ressemble à la bête, mais à quel point il en diffère. C’est cette monstrueuse divergence qui réclame une explication. Que l’homme et la bête soient semblable est, en un sens, une évidence. Mais qu’ils soient si semblables et cependant si différents, voilà l’énigme qui choque. Qu’un singe ait des main est bien moins intéressant pour le philosophe, que le fait que -ayant des mains- il ne bâtisse rien avec, ni qu’il joue du piano ou du violon ; qu’il ne taille ni le marbre ni la peau de mouton. Les gens parlent d’architecture barbare et d’art sans canons. Mais les éléphants ne construisent pas des temples d’ivoires de style rococo ; les chameaux ne peignent pas, même de mauvaises images, bien qu’ils soient équipés du matériel de beaucoup de pinceaux en poils de chameaux. Certains rêveurs modernes disent que les abeilles et les fourmis ont une société supérieure aux nôtres. Ils ont en effet une civilisation ; mais la vérité est qu’il s’agit d’une civilisation inférieure : qui a jamais vu une fourmilière décorée de statues de fourmis célèbres ? Qui a jamais une ruche taillée d’images d’anciennes reines célèbres ? Personne ! L’abîme entre l’homme et les autres créatures a peut-être une explication naturelle, mais il reste un abîme. Nous parlons d’animaux sauvages ; mais le seul animal sauvage, c’est l’homme. C’est l’homme qui s’est échappé. Tous les autres animaux sont des animaux domestiques, suivant la rude respectabilité de leur espèce ou de leur tribu. Seul l’homme n’est jamais domestiqué, qu’il soit moine ou brigand . De sorte que cette première raison superficielle en faveur du matérialisme, si elle est quelque chose, est en réalité une raison pour son contraire : la religion commence exactement là où la biologie s’arrête.

Il en est de même lorsqu’on examine le deuxième de ces trois arguments rationalistes : l’argument que tout ce que nous appelons divin tire son origine de quelques ténèbres ou de quelque terreur. Lorsque j’ai tenté d’examiner les bases de cette idée moderne, je me suis aperçu qu’il n’en était rien. La science ne sait de toute façon presque rien de l’homme pré-historique, et ce pour l’excellente raison qu’il est préhistorique. Une poignée de professeurs a choisi de conjecturer que des choses telles que les sacrifices humains furent un temps innocents et répandus partout, puis qu’ils disparurent graduellement. Mais il n’y a aucune preuve directe de cela ; il y a même un petit nombre de preuves indirectes du contraire. Dans les légendes les plus anciennes que nous avons, telles que les histoires d’Isaac ou d’Iphigénie, le sacrifice humain n’est pas introduit comme une chose ancienne, mais comme une nouveauté, comme une exception étrange et effrayante demandées par les dieux pour des raisons obscures. L’histoire ne dit rien, et les légendes disent toutes que la terre était plus douce à une époque plus ancienne. Il n’existe aucune tradition du progrès : mais toute la race humaine possède la tradition de la Chute. De manière assez amusante, en effet, la grande répartition de cette idée est utilisée contre son authenticité. Les hommes cultivés disent littéralement qu’une telle calamité préhistorique ne peut être vraie parce que chaque race de l’humanité s’en souvient. Je ne peux accepter ces contradictions.

Et si nous considérons le troisième argument, il en sera de même : l’idée selon laquelle les prêtres ont assombri et aigri le monde. Je regarde le monde et découvre tout simplement que c’est faux. Les pays en Europe qui sont encore influencés par les prêtres, sont exactement les pays où il y a encore des chants et des danses et des robes colorées et des oeuvres d’art en plein air. La doctrine catholique et sa discipline sont peut-être des murs ; mais elles sont les murs d’une aire de jeux ! Le christianisme est le seul endroit où ont perduré les plaisirs du paganisme (ndt : dans ce qu’il avait de bon) . Nous pouvons nous amuser d’un enfant qui joue sur le sommet d’une grande île herbeuse au milieu de la mer. Aussi longtemps qu’il y a un mur autour de la falaise, ils peuvent s’élancer dans des jeux effrénés et faire de cette place la plus bruyante des nurseries. Mais si ces murs sont enlevés, alors existe le froid péril du précipice : peut-être les enfants ne sont-ils pas tombés, mais ils sont retournés pleins de terreur se blottir contre leurs amis, au centre de l’île. Et leurs chants ont cessé.

Ainsi ces trois faits expérimentaux, qui peuvent faire un agnostique, sont de ce point de vue, complètement retournés. Je suis resté disant : « Donnez moi une explication, d’abord de la très grande excentricité de l’homme parmi les bêtes ; deuxièmement, de la tradition humaine universelle d’une ancienne joie ; troisièmement, de la perpétuation partielle d’une joie païenne dans les pays de tradition catholique. » Une explication couvre les trois à tous les niveaux : la théorie selon laquelle deux fois l’ordre naturel a été interrompu par une sorte d’explosion ou une révélation de la catégorie que les gens d’aujourd’hui appellent « psychique ». Une fois le Ciel vient visiter la terre avec une puissance ou un sceau appelé l’« image de Dieu » , par lequel un homme acquit la puissance de commander à la nature ; Une fois encore le Ciel vint pour sauver l’humanité dans la forme hideuse d’un homme. Ceci expliquerait pourquoi la masse des hommes regarde toujours en arrière ; et pourquoi le seul îlot où l’on regarde en avant est ce petit continent ou le Christ a son Eglise.

Dans tous ces cas, je suis arrivé à la même conclusion : le sceptique avait raison d’aller aux faits, cependant, il n’avait pas regardé les faits!

J’ai donné une triade imaginaire d’ arguments communs contre le christianisme. Si c’est une base trop étroite, j’en donnerai une autre sur l’instant. Il y a des sortes de pensées dont la combinaison crée l’impression que le christianisme est faible et malade. D’abord, par exemple, que Jésus fut un être faible, timide et effacé, qu’il fut une simple interpellation inefficace sur le monde ; deuxièmement, que le christianisme est né et prospéra dans les âges ténébreux de l’ignorance, et que l’Eglise cherche à nous y ramener ; troisièmement, que les gens encore profondément religieux ou (si vous préférez) superstitieux -des gens tels que les Irlandais- sont faibles, et anachroniques avec peu de bon sens pratique. Je cite seulement ces idées pour affirmer la même chose que précédemment : quand je les ai considérées objectivement, j’ai trouvé, non que leurs conclusions étaient philosophiques, mais simplement que ces faits n’étaient pas des faits.

Au lieu de lire des livres et des images sur le Nouveau Testament, j’ai regardé le Nouveau Testament. Là, je n’ai pas trouvé de récit sur une personne avec les cheveux bien coiffés et avec les mains jointes en prière, mais j’y ai trouvé un être extraordinaire avec des paroles qui ébranlent et des actes mystérieux, renversant des tables, chassant des démons, passant du secret du silence solitaire de la montagne, à un discours redoutable ; un être qui agit souvent comme un Dieu courroucé -et toujours comme un Dieu. Le Christ a même un genre littéraire qui lui est propre, et qu’on ne retrouve, je pense, nulle par ailleurs ; celui-ci consiste en en un usage presque furieux d’à fortiori ! Ses « combien plus » s’accumulent comme châteaux sur châteaux jusqu’aux nuages. Ce qu’on a peut être dit sagement du Christ c’est qu’il fut doux et soumis ; Mais assez curieusement ce qu’a dit le Christ est gigantesque ; car ce qu’a dit le Christ est plein de chameaux passant par des aiguilles, et de montagnes se jetant dans la mer après qu’on le leur ait ordonné. Moralement aussi, ce qu’il dit est terrifiant : il s’est lui-même appelé "épée d’abattage" et a demandé à des hommes de vendre leur vêtements pour acheter des épées. Qu’il ait employé des mots encore plus sauvages pour défendre la non-violence augmente encore le mystère, mais cela augmente aussi la violence . Nous ne pouvons pas expliquer cela en appelant un tel être un fou, car la folie est généralement un énorme conformisme ; la folie est généralement une monomanie. Ici nous devons nous souvenir de la définition du christianisme que nous avons déjà donnée : le christianisme est un paradoxe supra-humain dans lequel deux passions opposées peuvent s’enflammer l’une et l’autre. La seule explication du langage propre à l’Evangile qui puisse réellement l’expliquer, c’est qu’il est l’aperçu d’un être d’une stature extraordinaire qui présente ces paradoxes encore plus stupéfiants.

Je prends dans l’ordre le second exemple proposé : l’idée que le christianisme appartient aux âges sombres. Ici je ne me suis pas satisfait en lisant des généralisations modernes ; j’ai lu un peu d’histoire. Et dans l’histoire, j’ai découvert que le christianisme, bien loin d’appartenir aux âges sombres, fut le seul chemin au dessus des âges sombres qui n’était pas sombre lui-même. Ce fut un pont lumineux connectant deux brillantes civilisations. Si quelqu’un dit que la foi apparu dans l’ignorance de l’état sauvage, la réponse est simple : ça n’est pas vrai ! La foi apparut dans la civilisation méditerranéenne à l’apogée de l’été de l’Empire romain ! Le monde était rempli de septiques et le panthéisme brillait comme le soleil lorsque Constantin accrocha la croix à son étendard ! Il est parfaitement vrai que le navire finit par couler peu après ; mais il est encore plus extraordinaire que le navire refit surface, repeint et brillant, toujours avec la croix sur son sommet. C’est la chose extraordinaire que fit cette religion : elle transforma un bateau coulant en un sous-marin. L’arche vécut sous des tonnes d’eau ; après avoir été enterrée sous les débris des dynasties et des clans, nous nous sommes relevés et nous sommes souvenus de Rome. Si notre foi avait été la simple manie d’un empire déclinant, la manie aurait suivit le déclin au crépuscule, et si la civilisation était réapparue (et beaucoup n’ont jamais réapparu), elle serait réapparue sous un nouveau drapeau païen. Mais l’Eglise chrétienne était la dernière vie de l’ancienne société et fut la première vie de la nouvelle. Elle pris des peuple qui avait oublié comment on fait une voûte et elle leur enseigna comment faire une voûte gothique. En un mot, la chose la plus absurde qu’on pourrait dire sur l’Eglise, est la chose que nous avons tous entendu dire d’elle. Comment pouvons nous dire que l’Eglise souhaite nous ramener à un âge ténébreux ? L’Eglise fut la seule chose qui nous en ait jamais sorti !

J’ai ajouté dans cette seconde trinité d’objections un exemple inutile emprunté à ceux qui pensent que des gens comme les Irlandais sont débilités ou rendus stériles par la superstition. Je l’ai uniquement ajouté parce que c’est un cas particulier de l’affirmation d’un fait, qui n’est en réalité qu’une affirmation mensongère. On dit constamment que les Irlandais ne sont pas des gens pratiques. Mais si on se retient pour un temps de considérer ce qu’on dit sur eux et que l’on considère ce qu’ils font, nous voyons alors que non seulement les Irlandais sont pratiques, mais qu’en plus ils obtiennent de beaux succès. La pauvreté de leur nation, la minorité de leurs membres sont simplement les conditions dans lesquelles on leur demande de travailler ; mais aucun autre groupe dans l’empire britannique n’a fait autant qu’eux dans de telles conditions. Les nationalistes furent la seule minorité qui réussit à faire sortir le parlement de ses gonds. Les paysans irlandais sont les seuls pauvres dans ces îles qui ont forcé leur maîtres à dégorger. Ces gens que nous appelons dévoyés par des prêtres sont les seuls Bretons à ne pas être menés par des châtelains. Et quand j’ai regardé le caractère réel des Irlandais, la situation a été identique ! Les Irlandais sont les meilleurs pour les professions difficiles spécialement - le commerce de l’acier, l’homme de loi, et le soldat. Dans tous ces cas, je suis arrivé à la même conclusion : le sceptique avait raison d’aller aux faits, cependant, il n’avait pas regardé les faits ! Le sceptique est trop crédule : il vit dans les journaux ou même dans les encyclopédies. Une fois encore, ces trois questions m’ont laissé avec d’autres questions antagonistes. Le sceptique moyen me demandait comment j’expliquais les notes de l’Evangile, la connexion entre le credo et les ténèbres du moyen âge et enfin l’irréalisme politique des chrétiens celtes. Mais je voudrais demander avec un sérieux teinté d’urgence, « Quelle est cette incomparable énergie qui parait d’abord dans une personne qui foule le sol comme un jugement vivant ? Et quelle est cette énergie qui peut disparaître en même temps qu’une civilisation et cependant la forcer à une résurrection des morts ? Et enfin quelle est cette énergie qui peut enflammer la banqueroute des paysans d’une foi si puissante dans la justice pour obtenir ce qu’ils demandent que, tandis que les autres repartent les mains vides, la plus inutile des îles de l’Empire peut en réalité s’aider elle-même ? »

Il y a une réponse : c’est une réponse que de dire que cette énergie vient d’en dehors du monde ; qu’elle est psychique, ou au moins le résultat d’une réelle perturbation psychique. On doit un grand respect et une grande reconnaissance aux grandes civilisations humaines telles que l’ancienne Egypte ou la Chine actuelle. Néanmoins il n’est pas injuste envers eux de dire que seule l’Europe moderne a montré constamment un pouvoir d’auto régénération très souvent et à de petits intervalles et ce jusque dans des petits détails tels que les buildings ou les costumes. Toute les autres sociétés sont finalement mortes et avec dignité. Nous, nous mourrons continuellement. Mais nous sommes sans cesse en train de renaître par la plus indécente des obstétriques. C’est à peine une exagération de dire qu’il y a dans la chrétienté historique une sorte de vie surnaturelle. On peut l’expliquer comme une affreuse vie artificielle oeuvrant dans ce qui fut un jour un corps. Car notre civilisation aurait dû mourir, selon tous les autres parallèles, selon toutes les probabilités sociologiques, dans le Chaos de la chute de Rome. C’est l’étrange inspiration de notre état : vous et moi n’avons aucune raison d’être là. Nous sommes tous des revenants ; tous les chrétiens vivants sont des païens morts déambulants. Exactement lorsque l’Europe devait être ramenée au silence comme l’Assyrie ou Babylone, quelque chose entra dans son corps. Et l’Europe eut une vie étrange - Il n’est pas exagéré de dire qu’elle a eu un rebond de vie- encore une fois.

source : http://enfant-prodigue.com/ep/biblio/Objections%20rationnalistes.htm

Commentaires

  • On présente parfois Chesterton comme le roi du raisonnement paradoxal. D'après cet extrait, il semble qu'il ait eu un bon modèle en la personne du Christ.

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