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13 juin 313 : promulgation de l'Edit de Milan

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Le document qui a changé l'histoire du christianisme

Une lecture de l'évènement, éventuellement sujette à discussion, est proposée par Zenit.org sous la signature de Mgr Vitaliano Mattioli :

L’Edit de Milan, de 313, par lequel l’empereur Constantin (306-337) reconnut la liberté de culte à la religion chrétienne, fête ses 1700 ans cette année.

Mais quelle est l'actualité de l'Edit de Milan? Explications de Mgr Vitaliano Mattioli, professeur à l’Université pontificale urbanienne et vice-président de l’Institut pontifical Saint-Apollinaire.

« Selon les sources historiques, Jésus est probablement mort aux alentours de l’an 30 en Palestine qui, depuis l’an 64, était sous la protection de l’empire romain. Cette année-là, le gouverneur (représentant de l’empereur) était Ponce Pilate (26-36), qui signa la condamnation à mort de Jésus.

Il était d’usage à l’époque que les gouverneurs envoient à Rome un rapport officiel sur ce qui se passait dans la région qui leur était confiée, comme le rapporte le tout premier historien du christianisme, Eusèbe de Césarée (260-340), dans son Histoire Ecclésiastique: « Pilate, En vertu d'une ancienne coutume, qui imposait aux gouverneurs des nations de transmettre les nouvelles au titulaire du pouvoir royal, pour qu’ils soient au courant de tout, a informé l’empereur Tibère… » (II, 2, 1).

A cette époque, l’empereur était Tibère (14-37). Pilate lui envoya un rapport dans lequel il se montrait favorable aux chrétiens et parlait aussi de Jésus, cette fois-ci en termes élogieux et proposant à Tibère que l’on reconnaisse son caractère divin. Cette lettre remonte à l’an 35.

Justin (100–165) donne confirmation de cela dans deux passages de son Apologie I, après avoir résumé la vie de Jésus: « Tout s’est passé de manière à pouvoir démontrer les procès-verbaux rédigés au temps de Ponce Pilate » (I, 35, 9). L’autre passage: « Tout ceci a été fait pour le Christ, vous êtes en mesure de démontrer les procès-verbaux rédigés au temps de Ponce Pilate ». Tertullien aussi (155 env. – 245 env.) nous donne cette information dans son Apologétique (a. 197): « Pilate, déjà chrétien dans son cœur, rapporta à César, qui alors était Tibère, tous les faits relatifs au Christ » (21, 24).

Mais la reconnaissance de la divinité du fondateur d’une religion, condition indispensable afin que l’exercice de cette religion soit admis dans l’Empire, relevait de la compétence du sénat de Rome. Tertullien en donne confirmation: « En vertu d’un ancien décret selon lequel le commandant suprême n’avait aucunement le droit de déifier une personne sans l’approbation du sénat » » (Ap., 5, 1).

Tibère envoya le rapport de Pilate au sénat, montrant son désir que le Christ fût reconnu comme Dieu. Ici entre en jeu un conflit de compétences. Le sénat n’apprécie pas cette « pression de l’empereur et, pour défendre sa propre autonomie, refuse de reconnaître au Christ les prérogatives de divinité ». Alors il donne une réponse négative à Tibère.

Ce document remonte à l’an 35 et il est entré dans l’histoire comme « Senatus Consultum ». A partir de ce moment-là, la religion chrétienne est considérée dans l’empire comme une « Religio non licita ». Et c’est encore Tertullien qui nous informe de cela: « Tibère, après avoir appris que le Christ avait révélé sa divinité en Syrie-Palestine, soumit la question au sénat, en exprimant un avis favorable. Le sénat, n’ayant pas donné son approbation à de tels faits, la rejeta » (Ap. 5, 2).

Par conséquent, depuis l’an 35 ap. J.-C., les chrétiens ne pouvaient pas professer officiellement leur religion car celle-ci n’avait pas été reconnue par le sénat. Cette situation dura jusqu’en 313. Les chrétiens ne devaient pas forcément être poursuivis, la situation dépendait de la mentalité des empereurs en place et des convenances politiques. Durant les trois premiers siècles, on enregistre plusieurs persécutions.

L’écrivain Lactance (260-340 env.) dans son œuvre La mort des persécuteurs, écrite peu après 313, raconte les persécutions les plus féroces, sur un territoire géographique étendu, sous les empereurs suivants: Néron (54-68), Domitien (81-96), Dèce (249-251), Valérien (253-260), Aurélien (270-275), Dioclétien (284-305), Galère (305-311).

Mais il y eut tant d’autres oppressions, sur un territoire plus délimité, sous les empereurs Trajan (98-117), Adrien (117-138), Antonin le Pieux (138–161), Marc-Aurèle (161–180) Septime Sévère (193-211), Gallus (251-253).

Après la victoire de 312 contre Maxence, au Pont Milvius (Rome), Constantin changea le statut juridique des chrétiens, en émettant le fameux Edit (février 313). A vrai dire, ce document ne fut pas signé en février 313 à Milan. Après la victoire, Constantin et Licinius (308-323) scellèrent des accords à Milan en février, mais la signature et la publication de ces accords eurent lieu le 13 juin 313 dans la ville de Nicomédie, cet acte entraînant l’abolition du document du sénat signé en 35.

Le texte nous est transmis par Lactance (La mort des persécuteurs, chap. 48) et par Eusèbe (Histoire, X, 5, 2-14). Cela signifiait que le christianisme ne pouvait plus être poursuivi mais entrait de plein droit dans l’empire romain.

On peut imaginer la joie des chrétiens après cet Edit. Eusèbe de Césarée écrivit une Vie de Constantin en termes très élogieux. Dans l’Eglise d’Orient, l’empereur est même considéré comme un saint.

Plus que pour des motifs religieux, Constantin agit certainement par choix politique. Il suffit de penser au fait qu’il ne décida de recevoir le baptême que lorsqu’il fut sur le point de mourir.

Cela n’enlève rien au grand mérite et à la grande intuition qu’il a eus en reconnaissant que la réalité de l’empire avait désormais changé, que le christianisme et l’Eglise avaient une telle portée sociale et juridique que l’interdiction du sénat aurait été anachronique. Pour Constantin, le Dieu des chrétiens n’était pas une menace pour l’empire, mais une aide pour garantir la durée de l’empire et pour sauver la civilisation romaine, étant donné que la religion impériale se révélait insuffisante face aux nouvelles difficultés.

Cet équilibre fut malheureusement brisé par l’Edit de Thessalonique, signé le 27 février 380, dans lequel la religion chrétienne était reconnue comme l’unique vraie religion transmise par le divin apôtre Pierre aux Romains : « Nous ordonnons que ceux qui suivent cette loi, prennent le nom de chrétiens catholiques, alors que les autres fous et insensés … doivent être frappés par la punition ».

L’Edit de Milan a marqué un tournant décisif dans l’organisation historique de la société politique, introduisant deux concepts  fondamentaux qu’on appelle aujourd’hui : « liberté religieuse » et « laïcité de l’Etat ».

L’Edit de Constantin a une portée historique car il marque le début de la liberté de l’homme moderne. L’Etat reconnaît à ses citoyens la liberté de professer la religion qui, en son âme et conscience, lui parait la meilleure.

Avec Constantin, l’Etat devient laïc, au sens le plus strict du terme. C’est-à-dire un Etat, qui ne reste pas indifférent à la religion, ou pire, relègue la religion à la sphère intime de sa conscience, mais reconnaît la dimension spirituelle de l’homme, avec les revers sociaux qui en découlent, et permet la liberté de culte sans poser d’interférences et de limites. En ce sens l’Etat laïc est un Etat « croyant » dans sa double signification :

Il est croyant en Dieu, auquel il doit un culte, selon la vertu de la justice qui, dans ce cas, se transforme en vertu de religion (2); et il est croyant en l’homme dans la mesure où il reconnaît sa dimension biologique et civique mais également sa dimension spirituelle.

Benoît XVI, plus d’une fois, a parlé de « laïcité positive ». En 2006, il a souligné : « la ‘saine laïcité’ implique que l'Etat ne considère pas la religion comme un simple sentiment individuel, qui pourrait être limité au seul domaine privé. Au contraire, la religion, […] doit être reconnue comme présence communautaire publique. […] L’hostilité à toute forme d'importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n'est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme. De même que nier à la communauté chrétienne et à ceux qui la représentent de façon légitime, le droit de se prononcer sur les problèmes moraux qui interpellent aujourd'hui la conscience de tous les êtres humains, en particulier des législateurs et des juristes, n'est pas non plus le signe d'une saine laïcité. En effet, il ne s'agit pas d'une ingérence indue de l'Eglise dans l'activité législative, propre et exclusive de l'Etat, mais de l'affirmation et de la défense des grandes valeurs qui donnent un sens à la vie des personnes et qui en préservent la dignité. Ces valeurs, avant d'être chrétiennes, sont humaines, c'est-à-dire qu’elles ne laissent pas indifférente et silencieuse l'Eglise, qui a le devoir de proclamer avec fermeté la vérité sur l'homme et sur son destin. ».

« Nous vivons – a-t-il ajouté – une période historique exaltante en raison des progrès que l'humanité a accomplis dans de nombreux domaines du droit, de la culture, de la communication, de la science et de la technologie. Dans le même temps, toutefois, il existe de la part de certains la tentative d'exclure Dieu de tous les domaines de la vie, en le présentant comme antagoniste de l'homme. C'est à nous, chrétiens, qu'il revient de montrer qu'au contraire, Dieu est amour et qu'il veut le bien et le bonheur de tous les hommes. Il est de notre devoir de faire comprendre que la loi morale qu'Il nous a donnée, et qui se manifeste à nous à travers la voix de la conscience, a pour but non pas de nous opprimer, mais de nous libérer du mal et de nous rendre heureux. Il s'agit de montrer que sans Dieu, l'homme est perdu et que l'exclusion de la religion de la vie sociale, en particulier la marginalisation du christianisme, mine les bases mêmes de la coexistence humaine. » (3).

Cette « saine laïcité » n’est pas un fruit du Concile, mais fait partie du magistère constant de l’Eglise. Déjà Pie XII, dans un discours, le 23 mars 1958, affirmait que : « La légitime et saine laïcité de l’Etat est un des principes de la doctrine catholique ».

Si bien qu’un Etat laïc n’empêche pas la recherche personnelle sur le sens de sa vie et met tout en œuvre pour que les droits fondamentaux de l’homme soient toujours respectés et protégés. La vraie laïcité ne fuit pas, mais postule une saine collaboration entre l’Etat et l’Eglise, en admettant que tous les deux – même à des niveaux différents – sont au service de la vocation personnelle et sociale des personnes.

Ces réflexions de Benoît XVI sont partagées par d’autres grands penseurs. L’un d’eux est l’écrivain Fédor Dostoïevski (1821- 1881) qui a longtemps médité sur le slogan: « Comme si Dieu n’existait pas ». Il en est arrivé à dire que cette expression est la ruine de la société moderne, qu’elle est pleine d’agnosticisme mais également privée de toute moralité. Il écrit avec acuité : « Si Dieu n’existe pas, alors rien n’est un délit ? » (4); « Une fois que l’humanité aura renié Dieu … l’homme s’exaltera d’un esprit divin, d’un orgueil gigantesque et apparaîtra l’homme-Dieu … Si Dieu n’existe pas, tout devient permis » (5).    

L’Etat part à la dérive. Tout devenant licite, le délit n’existe plus. Chaque action, même la plus négative, obtient libre citoyenneté. Face à cela l’Etat est impuissant; en enlevant Dieu et en ne reconnaissant pas la liberté religieuse, il a voté sa mort.

Citons aussi Victor E. Frankl (1905-1997), fondateur de la Troisième Ecole viennoise de Psychothérapie, la Logothérapie. Celui-ci fonda la théorie sur la recherche du ‘sens de la vie’, associant la réalisation de la personne à la découverte du sens de sa propre vie. Victor E. Frankl soutenait que lorsque la vie n’a plus de sens, arrive le désespoir, l’abrutissement, et l’être humain est capable de tout puisque le « néant » se crée. Le sens de la vie est remplacé par ‘l’ennui’ de vivre.  

On en déduit que la vision de la vie présentée par l’Eglise n’a pas de fondements directement chrétiens, mais qu’elle est une exigence inscrite dans la nature même de l’homme, partagée par des membres d’autres religions.

La grande ouverture intellectuelle de l’Edit de Milan n’a pas toujours été respectée durant ces 1700 ans. L’histoire passée et récente, hélas, le montre. Le concile a traité la question de la liberté religieuse et lui a consacré une déclaration ‘sur la liberté religieuse’ (6).

Il n’y a pas de grande différence entre ces deux documents. Constantin, en donnant la liberté au christianisme, pensait faire une ‘simple concession’. Le concile, au contraire, soutenait que le fondement de cette liberté résidait dans la nature même de la personne humaine. Voici la phrase la plus significative: « Ce n’est pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse (n. 2) […] La vérité doit être cherchée de manière à répondre à la dignité de la personne humaine ... C’est faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion dans la société »  (n. 3).

C’est la raison pour laquelle les Etats doivent respecter la liberté de conscience de leurs citoyens et promulguer des lois qui n’aillent pas contre les principes de l’éthique naturelle.

Ils doivent respecter les éléments ontologiques à la base de la personne humaine. Le principe de laïcité de l’Etat n’est rien d’autre que la reconnaissance par le pouvoir politique d’une limite à ne pas franchir vis à vis de la personne humaine. Quand il ne respecte pas cela, l’Etat se transforme en despote et tyran, même s’il continue  à se vanter faussement d’une prétendue démocratie.

*

NOTES

2)   Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1807.  

3)   Benoît XVI, discours à L’union des Juristes catholiques italiens, 9 décembre 2006. 

4)   Les Frères Karamàzov, livre VI, chap. 3

5)   Idem,  livre XI, chap. 9.  

6)   Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965.

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