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L’État islamique est-il vraiment un État ?

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S’il ne répond en rien à la définition juridique classique, l’EI dispose néanmoins d’un territoire, de ressources et d’une administration. Un article d’Anne Guion sur le site de « La Vie » :

« Dans leur magazine, Dabiq, une publication en anglais au graphisme soigné, les djihadistes de l’État islamique (EI) sont lyriques : « Aucun des États existants – musulmans ou non – n’a été, comme le nôtre, établi grâce à l’arrivée de volontaires venus de l’Est ou de l’Ouest, rassemblés sur un bout de territoire où ils ont demandé l’allégeance à un “inconnu”. Et ce, alors même que les nations du monde les attaquent. » De la propagande : l’État islamique n’est pas reconnu ; ses frontières ne sont pas définies ; il ne frappe pas monnaie. Mais dans les faits, les djihadistes avancent leurs pions.

Un territoire conquis sur du vide

L’EI occupe un territoire le long du Tigre et de l’Euphrate en Irak et dans le nord-est de la Syrie. Une zone de 90 000 km2, soit la superficie du Portugal, avec des grandes villes comme Raqqa et Mossoul. Et il gagne du terrain. À l’heure où nous bouclons, le 14 octobre, ses combattants occupent des quartiers de la ville syrienne de Kobané, à la frontière turque. Mais c’est un territoire conquis par défaut. En Irak, l’EI a prospéré face à une armée affaiblie. En Syrie, il a comblé le vide laissé par le régime et l’opposition modérée. Pourquoi cette volonté d’y créer un État ? Pour des raisons idéologiques, d’abord : restaurer le califat, en référence à celui qui a régné à Raqqa au VIIIe siècle et tenait tête au pouvoir de Byzance. Mais aussi remettre en cause les frontières issues de la colonisation. L’un des premiers coups d’éclat des djihadistes a ainsi été de casser le mur de sable de la frontière entre la Syrie et l’Irak, issue des accords franco-britanniques de 1916. L’objectif est ensuite stratégique : « L’EI a appris des erreurs d’al-Qaida. Plutôt que de fonctionner en réseau, il a fait le choix de la territorialisation », analyse le géographe Michel Foucher.

Des ressources issues du pillage

Principale source de revenus de l’EI : le pétrole irakien et syrien. Le groupe contrôlerait ainsi une vingtaine de puits. La vente des hydrocarbures ­permettrait de ­récolter entre 1 et 2 millions de dollars par jour grâce aux filières de contrebande mises en place sous Saddam Hussein lorsque l’Irak était sous embargo. « En Syrie, la zone contrôlée par l’EI constitue aussi le grenier du pays », analyse Romain Caillet, chercheur basé au Liban, spécialiste des mouvements djihadistes en Syrie et en Irak. « Ils ont pris possession de silos de blé et de moulins au nord-est d’Alep qui permettent de nourrir un million de personnes par jour », explique-t-il. Pour Michel Foucher, « l’EI n’est pas un État, mais a aujourd’hui les moyens d’un État ».

Une administration relativement efficace

L’organisation montre un certain talent pour administrer. « Les djihadistes contrôlent effectivement le territoire qu’ils occupent, constate Romain Caillet. Ils ont la capacité de l’administrer de façon efficace en se greffant sur les services sociaux et publics qui avaient été mis en place par les rebelles, tout en changeant le découpage. Ainsi, on ne parle plus de provinces mais de wilayas. L’EI en a même créé une à cheval entre la Syrie et l’Irak, la wilaya de l’Euphrate. » Ils ont aussi imposé leurs tribunaux, où est appliquée une interprétation stricte de la charia. Et ils soignent les services publics comme la fourniture d’électricité. « Celle-ci fonctionne mieux sur le territoire de l’EI que dans certaines provinces du Liban », ironise Romain Caillet. Preuve que le projet des djihadistes est pensé sur le long terme, l’organisation est particulièrement attentive aux programmes scolaires. « Certaines sources me disent que l’EI a imposé le programme saoudien dans les écoles », témoigne le chercheur.

Des notables qui ont fait allégeance

L’EI contrôlerait un territoire peuplé de 6 millions d’habitants. « Tout fonctionne selon le principe de l’allégeance au calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi. Il y a, à la tête des wilayas, des notables qui lui ont fait allégeance, explique Romain Caillet. Le reste de la population ne soutient pas l’EI pour des raisons idéologiques, mais parce qu’il a ramené l’ordre. » Obtenir l’assentiment du peuple est une question de survie. « Dans le cadre des guerres asymétriques, lorsque ces groupes ne disposent pas d’une base populaire, comme al-Qaida, les armées traditionnelles peuvent réussir à les détruire, analyse Michel Goya, membre du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique. C’est à partir du moment où elles ont un soutien populaire comme le Hezbollah au Liban du Sud, par exemple, que ça se complique. Ça a été la grande force des talibans, qui ont su proposer une offre de gouvernement alternatif. Amener la loi, fût-elle cruelle, là où l’incurie régnait. »
L’extrême violence des djihadistes pourrait écœurer la population. À Mossoul, en Irak, des poches de résistance se développent. Cela ne semble pourtant pas être le cas en Syrie « Il y a, en Syrie, un tel niveau de violence que la cruauté des djihadistes ne choque plus, analyse Romain Caillet. Le seul embryon de révolte contre l’EI n’a pas eu lieu à la suite d’exécutions, mais lorsque l’organisation a détruit les stocks de tabac. Le clan qui gérait son commerce s’est rebellé. » Les frappes de la coalition pourraient aussi être contre-­productives : « L’idée des stratèges américains est de briser le moral de la population en visant les silos de blé et les raffineries de pétrole. Mais ce genre de bombardements produit en général davantage de kamikazes que de rebelles pro-occidentaux. »

Ref. L’État islamique est-il vraiment un État ?

 Histoire d'une impasse prédite  par Annie Laurent, excellente experte du moyen-orient . Voir ici : Annie Laurent : les chrétiens d’Irak ne sont pas une minorité comme les autres

JPSC

Commentaires

  • Je ne connais guère d'État dans le monde qui n'aie pas été créé par la force des armes, ou alors imposé par des diktats ou des compromis politiques entre grandes puissances, après des périodes de guerre. De ce point de vue-là, cet État islamique ne déroge pas à la règle. Et tous ces royaumes terrestres sont autant arbitraires que éphémères.

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