Evangile selon saint Jean, chapitre 2, versets 13-22
Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem. Il trouva installés dans le Temple les marchands de boeufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs boeufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » Ses disciples se rappelèrent cette parole de l'Écriture : L'amour de ta maison fera mon tourment.
Les Juifs l'interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais le Temple dont il parlait, c'était son corps. Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l'Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Homélie du Père Joseph Marie Verlinde fsJ (homelies.fr - archive 2008)
Aux juifs qui lui demande de justifier le geste d’autorité qu’il vient de poser en chassant les vendeurs, Jésus répond solennellement : « Détruisez ce Sanctuaire et en trois jours je le relèverai ».
Le terme grec (naos) utilisé par Jésus et traduit par « Sanctuaire », ne désigne pas l’ensemble de l’édifice du Temple (iéron), avec l’esplanade, l’enceinte et ses dépendances ; mais ce terme (naos) est réservé au tout petit édifice au cœur du Temple, qui abrite le saint des saints ; le lieu où Dieu réside, où il est invoqué et où il est adoré.
Au temps de Jésus, ce Sanctuaire était tout neuf : il avait été commencé 50 ans plus tôt par Hérode, sans doute pour se faire pardonner d’être un usurpateur et rallier les juifs à sa cause. C’était l’orgueil de la nation, le seul lieu de culte d’Israël, où des millions de pèlerins venaient se recueillir chaque année. C’est là qu’était offert le sacrifice annuel d’expiation, censé purifier le peuple et le réconcilier avec Dieu.
Sur les parvis du Sanctuaire, et donc à l’intérieur même du Temple, les pèlerins trouvaient – tout à fait logiquement – des marchands de brebis pour le sacrifice, ainsi que des changeurs, car il était défendu de payer avec de l’argent à l’effigie de César. Leur présence n’avait à vrai dire rien de choquant : il fallait bien que les fidèles, venant souvent de loin, puissent se procurer sur place les animaux pour les sacrifices.
Cependant, le prophète Zacharie avait annoncé comme un signe messianique le fait qu’il ne se ferait plus de commerce dans le Temple : « Il n'y aura plus de marchand dans la maison de Dieu Sabaot, en ce jour-là » (Za 14,21). Aussi en chassant les vendeurs, Jésus signifie explicitement que le temps des sacrifices – et du commerce juteux qui l’accompagnait – ce temps est révolu.
Mais la nouveauté inouïe, réside dans l’affirmation que le véritable Sanctuaire n’est autre que son Corps, éclairant par le fait même son identité personnelle d’une lumière toute nouvelle. Désormais la Shekina - la présence divine - ne repose plus sur un édifice, mais sur sa Personne. Il est à la fois le Sanctuaire de la rencontre entre Dieu et les hommes, l’Autel vivant d’où s’élève l’encens de l’adoration véritable, et l’unique Sacrifice de réconciliation qui soit digne du Très-Haut.
Et tout cela, il l’est en tant que Fils, puisqu’il désigne le Temple comme la Maison de son Père. Si le Fils chasse les vendeurs de la Maison de son Père, c’est donc que celui-ci n’est plus honoré par ce genre de sacrifice. Ce que le Père attend désormais, c’est le respect d’un cœur filial, qui manifeste son amour par son obéissance et son dévouement : « Le zèle de ta maison fera mon tourment ».
Jean cite ici la parole prophétique d’un Psaume, mise sur les lèvres du Serviteur Souffrant : « C'est pour toi que je souffre l'insulte, que la honte me couvre le visage, que je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère ; car le zèle de ta maison me dévore, l'insulte de tes insulteurs tombe sur moi » (Ps 69[68], 8-10). C’est précisément ce zèle brûlant pour la gloire de Dieu qui sera le Feu de l’holocauste dans lequel l’Agneau sera consumé, après avoir pris sur lui tout le poids de nos péchés.
Toute la liturgie chrétienne n’existe qu’autour de Jésus ; autour de sa Parole et de son Corps Eucharistique, qui édifient son Corps ecclésial : « Vous êtes le corps du Christ » dira Saint Paul aux débardeurs du port de Corinthe (1 Co 12,27). Et encore : « Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1ère lect.)
Saint Augustin expliquait à ses fidèles : « Quand le prêtre vous dit : “le Corps du Christ”, vous répondez “Amen” à ce que vous êtres dans le Christ. » C’est parce que nous sommes déjà intégrés dans son Corps par le Baptême, que nous avons le droit de nous approcher de la table eucharistique. Immergés par la foi dans la mort et la résurrection du Christ, nous lui sommes indéfectiblement unis, formant réellement avec lui un seul Corps dont il est la Tête ; l’unique sanctuaire où Dieu veut être adoré en Esprit et vérité.
Certes, cette éminente dignité n’est pas facile à porter : elle exige une changement radical par rapport aux habitudes du monde ; et une telle conversion n’est jamais définitivement acquise. C’est pourquoi il nous faut sans cesse nous replonger dans « l’eau qui descend du côté droit du Temple » (1ère lect.), entendons l’Eau vive de l’Esprit jailli du côté de Jésus crucifié, ouvert à coup de lance (Jn 19, 34).
Lorsque Saint Paul nous rappelle que nous sommes « le Temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en nous » (2nd lect.), l’image est plus organique qu’individuelle : c’est en tant que membre du Corps ecclésial du Christ (1 Co 6, 15), en qui habite corporellement la plénitude de la divinité (Col 2, 9), que chaque croyant peut être appelé « Temple de Dieu ». C’est en effet l’Église qui est « la maison que Dieu construit » (2nd lect.), en assemblant les « pierres vivantes » (1 P 2, 5) que nous sommes sur la fondation unique : Jésus-Christ (2nd lect.).
Le symbole est particulièrement riche, car il souligne à la fois notre responsabilité personnelle – il s’agit d’accueillir dans la foi la vie offerte – et l’initiative divine – Dieu seul est l’architecte et le bâtisseur de cette « Maison » ou de ce « Temple » non fait de mains d’hommes. Le Maître d’œuvre, c’est le Christ, agissant pourrions-nous dire par son vicaire : le Pape, en communion avec les successeurs des Apôtres : les Evêques. Cette unité ecclésiale dans la charité, signifiée par le ministère pétrinien, est inscrite dans la pierre de la Basilique Saint-Jean-du-Latran, cathédrale de l’évêque de Rome, dont l’Église universelle célèbre solennellement la Dédicace en ce jour.
Les oraisons de la liturgie suggèrent le chemin de cette Église en marche vers le Père, sous la conduite de l’Esprit : aujourd’hui « Temple de la grâce » où abonde la miséricorde, elle deviendra demain « demeure de la gloire », cité de Dieu, Jérusalem céleste, fiancée de l’Agneau (Ap 21, 2.9).
Telle est bien la finalité surnaturelle de notre cheminement personnel et communautaire, dont nous sommes appelés à garder une mémoire vivante jusque dans nos activités séculières, afin d’être au cœur du monde, le sel de la terre et le levain du Royaume.
Père Joseph-Marie