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Quand la Révolution Russe inventait le totalitarisme

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De Stéphane Courtois, "historien, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du "Livre noir du communisme", ancien maoïste", sur le site de la Libre :

Entre 1917 et 1922, Lénine a inventé le totalitarisme, à savoir une domination totale sur le pouvoir politique, sur la société et sur l’individu. Attention à ne pas effacer les expériences totalitaires et dramatiques du XXe siècle et de repartir dans les illusions. "

Cent ans après la révolution russe, quelle lecture nos contemporains devraient-ils avoir de cet événement ?

Ils doivent sortir de la légende d’"une mémoire glorieuse de la grande révolution prolétarienne mondiale", créée par les bolcheviques, et analyser 1917 avec un regard historique. La révolution russe est en réalité la succession de quatre événements. Quand en mars 1917, le Tsar abdique, c’est tout le système autocratique autour des Romanov qui s’effondre. Sur ce vide politique se concurrencent deux pouvoirs : le gouvernement provisoire et le Comité exécutif central des Soviets. Le 7 novembre, sous les ordres de Lénine, un groupe de socialistes - les bolchéviques - s’empare de points stratégiques à Petrograd. Le lendemain, ayant pris le pouvoir, Lénine instaure une dictature. Là on peut parler d’une révolution bolchévique puisque Lénine a conçu un scénario en fonction d’une doctrine marxiste des plus radicales : détruire la société privée et instaurer une société communiste en réprimant avec violence tous les opposants. Entre 1917 et 1922, il crée ainsi le premier régime totalitaire à savoir une domination totale sur le pouvoir politique puis sur la société et in fine sur l’individu par le monopole de la pensée, concrétisé par le Glavlit soit la censure généralisé sur la presse, la littérature et l’enseignement. L’inventeur du totalitarisme fera des émules, Mussolini puis Hitler vont s’intéresser à ce nouveau type de régime.

Lénine n’est-il pas le révolutionnaire qui a ouvert la porte aux droits sociaux et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

Au contraire, puisque dès décembre 1917, Lénine déclare la guerre à l’Ukraine indépendante. Lénine est aussi celui qui, dès 1918, crée le premier système concentrationnaire et qui, à partir de septembre 1918, met à l’ordre du jour la terreur de masse comme moyen de gouvernement.

Ce qui vous amène à comparer le communisme - "génocide de classe" - au nazisme - "génocide de race" ?

Je n’assimile pas mais compare l’organisation des deux mouvements et le nombre des victimes. L’ampleur des crimes commis sous les régimes communistes est gigantesque : que ce soit en URSS, en Chine ou au Cambodge de Pol Pot. On ne peut que s’interroger sur les crimes de même envergure commis au XXe siècle par un autre régime, celui des nazis. Les régimes diffèrent mais le totalitarisme est un des éléments communs.

Allez-vous jusqu’à considérez comme Ernst Nolte que, par essence, le communisme a une nature criminelle ?

Le communisme n’est pas une idée de Lénine, on peut le faire remonter à la société parfaite sans propriété privée de Platon ou à "Utopia" de Thomas More. Mais il ne s’agissait-là que de "littérature". Je ne m’appesantis pas sur Marx, l’idéologue en chambre. Lénine, lui, fut l’idéologue d’action. Le XIXe siècle a connu de nombreux antisémites en termes de discours et de discriminations. Puis Hitler est passé à l’action pour réaliser une société sans juifs. Avec Lénine, nous sommes confrontés au passage à l’acte d’une idéologie radicale avec des conséquences tragiques.

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes se retrouvent dans des groupes marxistes ou communistes en réaction à l’ultralibéralisme. Qu’en pensez-vous ?

Avec le développement des mouvements - PTB, Mélenchon ou Podemos -, on efface avec une éponge les gigantesques expériences totalitaires du XXe siècle et on repart dans les illusions. C’est agréable une illusion mais elle n’a pas de relation avec la réalité. Quel est l’enjeu depuis 1917 ? Entre les totalitarismes ou la démocratie, il faut choisir son camp. La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres, disait Churchill. Non, la démocratie n’est pas parfaite. Non, le régime capitaliste - avec son économie de marché - n’est pas parfait avec toutes ses inégalités. Mais les solutions avancées ne sont-elles pas dix fois pires ?

Est-ce le sens du colloque (*) que vous animez ?

Il doit dresser un bilan historique, sortir de la mythologie, de l’idéologie et de ce cercle magique de l’illusion - ancien révolutionnaire maoïste, j’en sais quelque chose - pour regarder les réalités en face : arriver à faire fonctionner nos démocraties sans sortir de nos principes démocratiques.

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(*) Le 13 et 14 novembre, l’Académie royale de Belgique organise au Palais des académies un colloque intitulé "Il y a cent ans, la révolution russe" et coordonné par Joël Kotek (ULB) sous la responsabilité académique de Hervé Hasquin. Stéphane Courtois y sera un des intervenants. Quelle vision devons-nous retenir de cet événement fondateur du terrible XXe siècle, pour reprendre l’expression d’Albert Camus ? Une révolution ou un coup d’Etat ? Un exploit ou une catastrophe ?

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