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L'échec du libéralisme

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De Step de Boisse sur Idées-Noires.com :

Pourquoi le libéralisme a échoué, Patrick J. Deneen, L’Artisan, 2020

Professeur atypique de sciences politiques, Patrick Deneen est un conservateur catholique non libéral. Pour lui, la profonde crise que traverse les États-Unis n’est pas conjoncturelle, mais, fondamentalement, la conséquence du plein succès du libéralisme. La lecture de ce livre a été recommandé par Barak Obama ! Un ouvrage très dense, dont j’extrais quelques idées fortes.

1 – Ayant abandonnées les arts libéraux (les sciences humaines classiques), les universités ne forment plus que des experts conformistes.

« La quasi-unanimité des opinions politiques représentées sur les campus universitaires expriment l’omniprésente conviction selon laquelle une éducation doit être économiquement pratique, qu’elle doit aboutir à un travail hautement rémunéré, dans une ville peuplée de diplômés universitaires aux opinions similaires qui continueront à réaffirmer leur impuissante indignation face à l’inégalité tout en savourant l’abondance de ses fruits. »

« Cependant, il n’est pas neutre quant à la base sur laquelle les gens prennent des décisions. De la même façon que les cours d’économie prétendent décrire simplement les êtres humains comme des acteurs individuels qui optimisent l’utilité, mais en fait influencent les étudiants pour les faire agir plus égoïstement, ainsi, le libéralisme enseigne au peuple de limiter ses engagements et d’adopter un système souple de relations et de liens. » PP. 60,61.

2 – Dans sa quête de libertés individuelles, le libéralisme a dissous les corps intermédiaires, au seul profil du Léviathan (l’État).

« La liberté ainsi définie, nécessite qu’on se libère de toutes formes d’associations et de relations, de la famille à l’Église, des écoles aux village et à la communauté, qui exerçaient un contrôle sur les comportements à travers des exigences et des normes informelles et habituelles. (…) Du fait que les individus se libèrent de ces associations, on a plus besoin d’un droit positif. (…) Le libéralisme atteint ainsi deux points ontologiques : l’individu libéré et l’État qui contrôle. » P. 66.

« Contrairement à la théorie ancienne, qui considérait que la liberté ne pouvait être atteinte que par une autonomie vertueuse, la théorie moderne définit la liberté comme la quête et la satisfaction des appétits les plus élevés possibles, le gouvernement constituant une limitation conventionnelle et antinaturelle à cette quête. » P. 77.

3 – Les gauches (progressistes) et droites (conservatrices) américaines sont toutes autant libérales. « Le libéralisme « classique » et le libéralisme « progressiste » fondent tous deux la promotion du libéralisme sur la libération de l’individu des limites existantes : tradition, culture, et toute relation non choisie. » P. 76.

« Bien que les libéraux conservateurs prétendissent défendre non seulement l’économie de marché mais aussi les valeurs familiales et le fédéralisme, la seule partie de leur programme qui a été mise en œuvre sans discontinuer durant leur récente ascension politique, et avec succès, est le libéralisme économique, qui inclue la dérégulation, la mondialisation et la protection de gigantesques inégalités économiques. Et tandis que les libéraux progressistes prétendent promouvoir une vision partagée du destin et de la solidarité nationaux qui devrait empêcher le développement d’une économie individualiste et réduire les inégalités de salaire, la seule partie du programme politique de la gauche qui ait triomphé est le projet de l’accroissement de l’autonomie personnelle, en particulier sexuelle. » P. 95.

4 – Insidieusement, le libéralisme a bouleversé notre rapport à la nature, au temps et à l’espace.

« L’anti-culture libérale repose sur trois piliers : premièrement, la conquête totale de la nature, ce qui, par conséquent, fait de la nature un objet indépendant qui a besoin d’être sauvé par l’idée théorique de l’élimination de l’humanité ; deuxièmement, une nouvelle expérience du temps conçu comme un présent sans passé, et où le futur est une terre étrangère ; troisièmement, un ordre qui rend l’idée de lieu fongible et dépourvu de signification. Ces trois pierres d’angle de l’expérience humaine — la nature, le temps et le lieu— forment la base de la culture, et le succès du libéralisme est subordonné à leur déracinement et à leur remplacement par des copies qui portent le même nom. » P. 99

Les anciennes communautés se sont effacées, laissant la place à des individus hors sol et dégagés de toute responsabilités envers autrui. « La communauté [traditionnelle] est plus qu’un assemblage d’individus égoïstes réunis dans le but de rechercher le développement personnel. Mieux, elle “ vit et agit selon les vertus de confiance, de bonne volonté, d’indulgence, de retenue, de compassion et de pardon [citation de Wendell Berry].“ » P. 115.

5 – Le libéralisme interdit le contrat librement conclu entre deux parties. En introduisant l’État, il détruit les traditions et les coutumes locales, pour imposer un droit universel ; ce qui est très différent.

Soljenitsyne dans un discours à Harvard : « Si quelqu’un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être imposé ; nul ne lui rappellera que cela pouvait n’en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n’entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu’aux extrêmes limites des cadres légaux. »

« [Le libéralisme] remplace la définition de la liberté comme éducation à la maîtrise de soi par la liberté comme autonomie et absence de contrainte. » P 156

6 – Une nouvelle aristocratie, fatalement héréditaire, s’est saisie du pouvoir et a fait sécession. Elle se réserve les meilleures écoles et universités, et les beaux quartiers.

Elle a produit « sa propre version du “noble mensonge“ dans lequel les gens étaient amenés à croire en la légitimité de l’inégalité, avec le mythe de l’égalité pour filet de sécurité. Non seulement les travailleurs furent encouragés à croire que leur sort s’améliorerait tout au long de leur vie à mesure que progressait l’ordre libéral, mais encore les libéralocrates furent élevés dans cette fausse croyance qu’ils ne formaient pas une aristocratie, mais l’exact opposé d’un ordre aristocratique. » P. 206.

7 – Les temps changent et la contestation croit. Les puissants s’inquiètent, « les principaux penseurs d’aujourd’hui ne conservent une allégeance théorique à la démocratie qu’en la restreignant dans les limites du libéralisme. » Des élections oui, tant que les libéraux, gagnent… Si les électeurs s’avisaient à trop mal voter, les éléments les plus éclairés proposent de restreindre le droit de vote aux seuls éduqués ou aux experts…

8 – Le libéralisme meurt d’avoir trop bien réussi. Dans un monde en crise, le peuple ne croit plus à la promesse initiale de la croissance partagée. Patrick Deneen doute que l’« État profond » puisse se maintenir en place par la force, la probabilité d’une dictature lui semble plus forte.

Pour échapper au chaos, il propose quelques pistes :

- Il n’y aura pas de retour en arrière, vers un âge pré-libéral.

- Dénonçons l’idéologie libérale : les hommes ne sont pas radicalement autonomes dans l’état de nature, mais des êtres de relations, des relations qu’il nous invite à renouer.

- Ne cherchons pas une idéologie de remplacement, mais à créer de nouvelles cultures locales, en partant de la base, des familles et de leur économie domestique, tout en conservant le meilleur du libéralisme : la promesse de justice, de dignité, de liberté. Mais une véritable liberté « et non pas l’ersatz qui combine l’impuissance systémique avec l’illusion de l’autonomie sous la forme de la licence consumériste [génératrice de surendettement] et sexuelle. »

Lire également : la liberté libérale aboutit à l'esclavage

Commentaires

  • Je suppose que par libéralisme, l'article entend l'idéologie de gauche socialo-marxistoïde chère aux démocrates américains, aux européistes et aux médias belges qui s'auto-proclament "progressisses", les idéologues des "faux droits" (voir wikibéral). Il ne peut s'agir du courant de pensée qui défend la liberté économique (il n'y a pas de liberté sans liberté économique) et qui, lui, n'est pas une idéologie car le libéralisme ne promet rien.

  • Les auteurs qui considèrent que libéralisme "sociétal" et économique sont deux faces de la même pièce ne manquent pas pourtant, y compris dans les rangs catholiques. A lire le relation qui en est faite dans ce post, c'est visiblement également la position de ce livre.

    Je crois aussi que cette distinction entre bon et mauvais libéralisme ne tient pas. Quant à dire qu'il n'est pas une idéologie, c'est effectivement la meilleure ruse du libéralisme que de nous faire croire qu'il n'en est pas une, parce qu'il a été construit précisément pour mettre hors jeu toute conception morale.

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