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Le Motu Proprio du pape rouvre-t-il la guerre liturgique ?

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D'Odon de Cacqueray sur le site de l'Homme Nouveau :

Motu Proprio « Traditionis custodes »
la guerre liturgique réouverte ?

Après plusieurs semaines d’attente et de rumeurs, le pape François a publié le 16 juillet dernier sa Lettre apostolique « Traditionis custodes » (« gardiens de la Tradition ») sous forme de motu proprio (« de son propre mouvement »). Le pape insiste ainsi sur l’importance qu’il accorde personnellement à ce texte. Celui-ci abroge la lettre apostolique également sous forme de motu proprio de Benoit XVI : Summorum Pontificum, et apporte des restrictions à la célébration de la messe selon le missel de 1962, jusqu’alors communément appelée la Forme extraordinaire du Rite Romain (FERM) pour la différencier de la messe selon le missel de Paul VI appelée Forme ordinaire du Rite Romain (FORM). La Lettre apostolique est accompagnée d’une lettre à tous les évêques du monde qui vise à l’accompagner et l’expliciter. Le motu proprio du pape François publié le 16 juillet « Traditionis custodes », annule les normes jusqu'ici en vigueur pour la messe en Forme extraordinaire du Rite Romain. Le Souverain Pontife justifie son texte par le souci de l'unité. Le ton choisi, les arguments retenus ne vont-ils pas rouvrir de vieilles blessures ? 

Premier fait anecdotique mais tout de même à relever, le document du pape a été originellement publié en anglais et en italien. Pas de latin ni de français. Outre le fait que notre langue a été très longtemps de rigueur dans les communications internationales, principalement diplomatiques, le contenu de la lettre touche particulièrement la France où la question liturgique entre les deux formes est toujours un sujet de débat houleux. 

Le pape François a choisi de diviser sa lettre en huit articles, précédés d’un mot introductif conséquent et suivis d’une courte conclusion. L’introduction commence par rappeler le rôle d’unité qu’ont les évêques, citant Lumen Gentium (n°23) « Les évêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières » et (n°27) « Chargés des Églises particulières qui leur sont confiées, les évêques les dirigent ». Très vite le pape rappelle le cadre dans lequel s’inscrivent les célébrations de la FERM « mes vénérables prédécesseurs, saint Jean-Paul II et Benoît XVI, ont accordé et réglementé la faculté d'utiliser le Missel romain édité par Jean XXIII en 1962 ». Dans Summorum Pontificum Benoit XVI parlait lui aussi, en mentionnant l’Indult Quattuor abhinc annos (1984), d’une faculté accordée « d’utiliser le Missel romain publié en 1962 » mais il précisait dans sa lettre qui accompagnait Summorum Pontificum « Quant à l’usage du Missel de 1962, comme Forma extraordinaria de la Liturgie de la Messe, je voudrais attirer l’attention sur le fait que ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé. » En conséquence l’Indult n’était pas nécessaire, pas plus que les deux motu proprio, celui de Benoit XVI et Ecclesia Dei de Jean-Paul II « On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l'usage du missel romain selon l'édition typique de 1962 ». Pour autant ce qui va sans le dire, va mieux en le disant. Le rappel de la possibilité pour les prêtres de célébrer selon le missel de 1962 allait dans le sens de l’apaisement en donnant une base scripturaire sérieuse aux prêtres et aux fidèles qui souhaitaient en bénéficier. 

Sont ensuite exposées les raisons qui ont conduit à l’écriture de cette lettre apostolique : le souci d’évaluer l’application et les fruits de Summorum Pontificum par une grande consultation de tous les évêques (voir Le club des Hommes en Noir sur le sujet), un avis de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et la volonté de toujours plus œuvrer pour l’unité de l’Église.

Que disent les articles de ce motu proprio ?

L’article premier annonce que les livres liturgiques promulgués par Paul VI et Jean-Paul II sont la seule et unique expression de la lex orandi du Rite Romain. Un miroir de l’article premier de Summorum Pontificum « Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par saint Pie V et réédité par le Bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme expression extraordinaire de la même lex orandi  de l’Église ».

L’article 2 donne à l’évêque le pouvoir d’autoriser ou non la célébration de la messe selon le missel de 1962 dans son diocèse. 

L’article 3 détaille le cas de figure dans lequel la célébration de la messe selon le missel de 1962 existerait déjà dans le diocèse. L’évêque doit d’abord vérifier que les groupes qui jouissent de cette faculté reconnaissent la légitimité et la validité de la réforme liturgique dictée par le Concile Vatican II et le Magistère des Souverains Pontifes. Paul VI affirmait le 12 janvier 1966 « Étant donné le caractère pastoral du Concile, celui-ci a évité de proclamer de manière extraordinaire des dogmes affectés de la note d'infaillibilité ». Visiblement il est demandé à des catholiques de reconnaitre comme légitime et valide d’autres points que les dogmes. Les fidèles de ces groupes déjà constitués « peuvent se réunir pour la célébration eucharistique » mais une parenthèse vient préciser « pas cependant dans les églises paroissiales et sans l'érection de nouvelles paroisses personnelles ». Les jours où ces messes seront autorisées devront être mentionnées. Ces éléments font écho à l’Indult du 3 octobre 1984 déjà mentionné et qui demandait que la célébration de la messe selon le missel de 1962 « ne soit faite que pour les groupes qui la demandent ; qu’elle ait lieu dans les églises et les chapelles que l’évêque du diocèse indiquera (et pas dans les églises paroissiales, à moins que l’évêque ne le permette pour des cas extraordinaires) ; et qu’elle se fasse aux jours et dans les conditions approuvées par l’évêque, qu’il s’agisse des célébrations habituelles ou exceptionnelles. » Il est précisé que les lectures devront désormais être faite en langue vernaculaire. Jusqu’ici il fallait demander l’autorisation, les lectures étant communément en latin. Les traductions retenues sont celles des Conférences épiscopales. Toujours dans le cas où un groupe bénéficie déjà de la FERM dans un diocèse, l’évêque devra nommer un prêtre qui sera « chargé de ces célébrations et du soin pastoral de ces groupes de fidèles ». Le prêtre devra posséder une connaissance suffisante du latin, être animé d’une charité pastorale et du sens de la communion ecclésiale. Le même prêtre devra également avoir tant le souci de la célébration correcte de la liturgie que du soin pastoral et spirituel des fidèles. Par ce motu proprio le pape demande aux évêques de regarder les paroisses personnelles accordées et vérifier qu’elles ont encore lieu d’être. Ils ne devront plus autoriser la création de nouveaux groupes stables. 

L’article 4 enlève la possibilité aux prêtres de célébrer la FERM sans autorisation préalable de l’évêque. Celui-ci avant de donner cette autorisation devra consulter le Siège Apostolique. Il n’est pas fait mention de délais. 

Les articles 6 et 7 entérinent la suppression de la Commission Ecclesia Dei. Désormais les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, érigés par la Commission pontificale Ecclesia Dei, relèveront de la compétence de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. Il n’y a donc plus de spécificités dans le traitement à Rome de ces congrégations. 

L’article 8 supprime toute norme antérieure entrant en contradiction avec le motu proprio du pape François. 

La conclusion demande une entrée en vigueur immédiate du texte. 

Une longue lettre en complément du motu proprio 

Pour être bien compris ce motu proprio doit être lu en parallèle de la lettre qui l’accompagne. Ce document à l’instar de celui de Benoit XVI en 2007 (« De la même manière que mon prédécesseur Benoit XVI lors de la publication de Summorum Pontificum… ») vise à expliquer les motivations du pape. Dès le premier paragraphe, le pape cite le Concile Vatican II au cœur de ses préoccupations. Une partie du contexte de Summorum Pontificum, à la suite d’Ecclesia Dei est rappelé. L’objectif premier aurait été médicinal, un pansement, voir un remède à la blessure causée par les décisions de Mgr Lefèvre dans le but d’œuvrer pour une plus grande unité ecclésiale. Benoit XVI dépassait la simple question de Mgr Lefèvre en rappelant dans sa lettre qui accompagnait Summorum Pontificum « il s’est vite avéré que beaucoup de personnes restaient fortement attachées à cet usage du Rite romain, qui leur était devenu familier depuis l’enfance ». Le pape François rappelle que « Beaucoup dans l'Église en sont venus à considérer cette faculté [la possibilité de célébrer selon le missel de 1962] comme une opportunité d'adopter librement le Missel romain promulgué par saint Pie V et de l'utiliser d'une manière parallèle au Missel romain promulgué par saint Paul VI ». Benoit XVI aurait donc régularisé une situation de fait pour qu’elle devienne de droit. Le prédécesseur de François disait pourtant que « ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». Le pape actuel est en conséquence le premier a apporté des limitations juridiques au missel de 1962. 

Le Concile et sa reconnaissance comme valide et légitime au centre du sujet

La question du Concile est par la suite abordée de front. François rappelle que Benoit XVI ne voyait pas de risque dans la célébration de la FERM parce que chez ceux qui souhaitaient retrouver « la forme de la sainte Liturgie qui leur était chère », ils étaient nombreux à accepter « clairement le caractère contraignant du Concile Vatican II, [et à être] fidèles au Pape et aux Evêques ». Mais le successeur de Pierre déplore « une utilisation instrumentale du Missale Romanum de 1962, toujours plus caractérisée par un refus croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il aurait trahi la Tradition et la « vraie Église ». Un point inacceptable pour le pape puisque « Douter du Concile, signifie douter des intentions mêmes des Pères, qui ont exercé leur pouvoir collégial de façon solennelle cum Petro et sub Petro au concile œcuménique, et, en dernière analyse, c’est douter de l’Esprit-Saint lui-même qui guide l’Église. »  Pourtant, des évêques ont déjà remis en cause des points du Concile Vatican II. Le cardinal Ratzinger, en 1988, déclarait devant les évêques du Chili et de Colombie « La vérité est que le Concile lui-même n’a défini aucun dogme. Il a voulu de manière consciente s’exprimer selon un registre plus modeste, comme un concile simplement pastoral ; cependant, beaucoup l’interprètent comme s’il était un « super-dogme » qui enlève à tout le reste son importance ». L’Esprit Saint souffle mais en-dehors des cas d’infaillibilité les hommes qui l’entendent peuvent choisir de ne pas l’écouter. Quel libre arbitre sinon ? 

Pour le pape actuel, « le Concile Vatican II lui-même éclaire le sens du choix de revoir la concession permise par mes prédécesseurs. » Cette phrase étonnante voit la faculté rappelée par les précédents papes comme une « concession », ce qui est une nouveauté dans l’approche de la FERM qui était jusqu’ici un droit. La révocation de ce droit serait justifiée par le Concile Vatican II, antérieur pourtant aux textes de Jean-Paul II et Benoit XVI. 

La réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II est au cœur de l'approche du pape François qui affirme que « quiconque désire célébrer avec dévotion selon la forme liturgique antécédente n’aura aucune difficulté à trouver dans le Missel Romain réformé selon l’esprit du Concile Vatican II, tous les éléments du Rite Romain, en particulier le canon romain, qui constitue un des éléments les plus caractéristiques ». Cette affirmation contredit la littérature nombreuse qui soulève les différences importantes entre le missel de 1962 et celui de 1970. La célébration correcte de la FORM devrait satisfaire tous ceux qui trouvent une nourriture spirituelle différente dans la FERM. Le pape n’explique pas pourquoi la FORM est aussi rarement célébrée selon « l’esprit de la réforme liturgique ». 

Abrogation de tout ce qui était antérieur

Le pape rappelle donc, comme il le proclame dans Traditionis custodes sa ferme « décision d’abroger toutes les normes, instructions, concessions et coutumes antérieures à ce Motu Proprio, et de conserver les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II, conformément aux décrets du Concile Vatican II, comme la seule expression de la lex orandi du Rite Romain. » L’affirmation de Benoit XVI selon qui « Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel Romain comme s’il s’agissait de « deux Rites ». Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même Rite. » est désormais caduque. La FERM devient un « rite ancien ». François rappelle que le Concile de Trente (qui s’affirmait comme dogmatique) avait lui-même supprimé des rites antiques dans une volonté d’unité par l’unification. Bien d’autres rites subsistent néanmoins : dominicain, ambrosien, maronite, etc. En promulguant son missel en 1570, saint Pie V déclarait « Par Notre présente constitution, qui est valable à perpétuité, Nous avons décidé et Nous ordonnons, sous peine de Notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l’usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté, et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à Notre missel, que nous venons d’éditer » (Bulle pontificale Quo Primum Tempore).

Une conclusion étonnante

Deux affirmations de la conclusion susciteront certainement beaucoup de commentaires : « Les indications sur la marche à suivre dans les diocèses sont principalement dictées par deux principes : d’une part, pourvoir au bien de ceux qui sont enracinés dans la forme de célébration précédente et ont besoin de temps pour revenir au Rite romain promulgué par les saints Paul VI et Jean-Paul II ». Les limitations ne seraient donc qu’une marche en attendant la suppression définitive du rite ancien. Paul VI et Jean-Paul II auraient non réformé un rite romain pré-existant mais créé un nouveau rite romain en remplacement de l’ancien. Une affirmation qui vient conforter tous ceux qui rejetaient le missel dit de Paul VI parce qu’instituant un nouveau rite.  L’autre principe est directement lié à la grande consultation faite auprès de tous les évêques du monde à propos de l’application de Summorum Pontificum. Les évêques doivent « interrompre l’érection de nouvelles paroisses personnelles, liées plus au désir et à la volonté de certains prêtres qu’au besoin réel du « saint peuple de Dieu fidèle ». » Diane Montagna, journaliste américaine à Rome, accréditée par le Saint-Siège nous apprend que seuls 30% des évêques ont répondu au questionnaire et 50% des réponses avaient une position neutre ou favorable au motu proprio de Benoit XVI. Avec 30% de réponses le pape a donc pu constater que les paroisses personnelles qui donnaient une stabilité à des prêtres, et donc des fidèles, ne répondaient pas à un besoin réel du peuple de Dieu ? 

Vers une célébration juste selon le missel de Paul VI ?

Le pape demande aux évêques « de veiller à ce que chaque liturgie soit célébrée avec décorum et avec fidélité aux livres liturgiques promulgués après le Concile Vatican II, sans excentricités qui dégénèrent facilement en abus. Les séminaristes et les nouveaux prêtres doivent être éduqués à cette fidélité aux prescriptions du Missel et aux livres liturgiques, qui reflètent la réforme liturgique souhaitée par le Concile Vatican II. » Mais pourquoi ne pas avoir commencé par ce point ? Réduire les abus aurait sûrement réduit les critiques. Comment la réduction de ces abus va-t-elle être mise en place ? Quelles sanctions guetteront ceux qui manipulent la liturgie ? 

Visiblement les textes et la pratique ne suffisaient pas à faire adhérer les catholiques de bonne foi à tout ce que le Concile Vatican II a édicté, alors plutôt que le dialogue c’est l’obligation et la punition qui a été choisie. N’est-ce pas pourtant ce cléricalisme dont le pape nous disait de nous méfier ? 

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