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Dix ans d'un pontificat contrasté, entre autoritarisme et volonté d'ouverture

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De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via Il Sismografo :

Entre autoritarisme et volonté d’ouverture, dix ans d’un pontificat contrasté pour le pape François

Après une décennie sur le siège de Pierre, François déconcerte nombre de catholiques par ses décisions. Alors que le pape rêve d’une Église plus «synodale», un vent de contestation venu d’Allemagne vient gâter cet anniversaire.

Ce lundi, François passe le cap d’une décennie sur le siège de Pierre. C’est un jour férié au Vatican. À 8 heures, il célèbre une simple messe quotidienne, qu’il a voulue à l’abri des regards, dans la résidence Sainte-Marthe, en compagnie des cardinaux exceptionnellement invités. Discret liturgiquement, François s’est en revanche montré prolixe médiatiquement ces derniers jours. Il a accordé de multiples interviews à la presse: six en deux jours, du jamais vu. Il s’efforce de justifier son action car il sait l’Église catholique tourmentée, divisée sur son pontificat.

À Rome, cet anniversaire révèle les flatteurs et déprime les aigris: «C’est le prophète vraiment adapté à notre temps», assure Mgr Vincenzo Paglia, un de ses prélats italiens de confiance. «Ce pontificat est une catastrophe», avait au contraire affirmé, sous anonymat, le cardinal australien George Pell. Des propos qui ont été authentifiés après sa mort, le 10 janvier dernier. Le cardinal brésilien Scherer, lui, reconnaît que l’actuelle situation est «antagoniste et polarisée» dans l’Église.

Dix années… L’âge de la maturité pour un pontificat. Les contours de l’action du pape sont précis, les promesses cheminent, les fruits apparaissent, les échecs sont connus. Pourtant, le rayonnement et la postérité d’un pape sont tels qu’il est trop tôt pour établir un bilan. L’ampleur spirituelle échappe à la mesure des géomètres. Pour l’heure, seul un état des lieux est possible. En commençant par la genèse du pontificat: son élection, qui éclaire cette décennie.

Les cardinaux les plus âgés, qui célèbrent la messe d’anniversaire autour du pape, ne manqueront pas de se souvenir du 13 mars 2013. Après cinq tours de scrutin, par 85 voix (20 pour le cardinal italien Scola, 8 pour le cardinal canadien Ouellet, 2 pour le cardinal italien Vallini), le cardinal Bergoglio, argentin, était élu 266e pape de l’histoire de l’Église catholique.

La méthode est aussi importante que le but

Mais au premier tour de scrutin, le soir du mardi 12 mars, l’archevêque de Milan, le cardinal Angelo Scola - favori, considéré comme le candidat de Benoît XVI - était arrivé en tête avec 30 voix, devant Bergoglio, 26 voix, Ouellet, 22 voix, O’Malley, archevêque de Boston, 10 voix, et Scherer, brésilien, 4 voix. Les données chiffrées de ce conclave sont extraites d’un livre de référence sur le sujet, rédigé par le journaliste anglais Gerard O’Connell, ami personnel du pape actuel, L’Élection du pape François, publié en 2019 en anglais, et un an plus tard en France (Artège). Des données fiables.

On sait par d’autres sources jamais démenties que, en 2005, le cardinal Ratzinger avait été élu pape avec 84 voix et que son outsider, un certain Bergoglio, avait recueilli 26 voix. Il est capital de saisir que ces 26 cardinaux réformistes, déjà à la manœuvre en 2005 et représentant un quart des électeurs, ont maintenu le même bloc uni en 2013 pour soutenir leur candidat jésuite. Ils avaient alors bénéficié, pour renverser la vapeur, de la division et de la déroute des classiques et des conservateurs, encore sidérés par la renonciation inattendue de Benoît XVI.

Le pontificat d’un pape d’une «Église pauvre pour les pauvres», comme il l’annonçait trois jours après son élection, en ayant choisi le nom de François en référence au «Poverello» d’Assise, pouvait alors s’annoncer comme foncièrement réformateur, même si la mise en œuvre allait s’avérer très prudente.

Chez François, en effet, la méthode pour atteindre un objectif est aussi importante que le but. Il l’a confié à plusieurs reprises à des proches: il veut des réformes «irréversibles». Il ne s’agit pas seulement d’annoncer mais d’appliquer. Pour comprendre cette opiniâtreté étonnante pour un homme d’Église, que l’on trouve chez les grands politiques, il faut revenir à une autre source, décisive, du pontificat de François: la succession de Jean-Paul II, en 2005, et la bataille théologique très âpre à l’époque. Pour les hauts responsables de l’Église, il s’agissait d’appliquer les réformes du concile Vatican II (1962-1965). Les uns, comme le cardinal Ratzinger et Jean-Paul II, entendaient appliquer le concile avec modération, enracinés dans la plus ancienne tradition de l’Église, en particulier sur les questions morales. Les autres, comme le cardinal Martini, jésuite, archevêque de Milan, visaient plus loin. Ils parlaient de «Vatican III», avec des objectifs désormais connus: accueil des divorcés remariés, ordination d’hommes mariés, nouveau regard sur les personnes homosexuelles, acceptation de la contraception, nouvelle gouvernance de l’Église.

Pendant un tiers de siècle, les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI - 34 années cumulées - ont ainsi résisté aux assauts progressistes. Dans ce contexte, la renonciation de Benoît XVI a été un premier coup de théâtre, impensé. Et l’élection du cardinal Bergoglio a été encore plus inattendue, impensable. C’était en réalité l’opposition aux pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI qui prenait le pouvoir. Opposition non fondée sur la foi chrétienne mais sur la façon d’en parler au monde. François, il l’a dit à plusieurs reprises, s’est donné la mission d’achever l’application du concile Vatican II. Il la vit comme une responsabilité historique puisque son avènement comme pape ne se serait jamais produit sans la renonciation surprise de Benoît XVI. Renonciation que François, 86 ans, n’envisage d’ailleurs plus pour lui-même - il l’a confirmé trois fois en 2023 -, sauf impossibilité mentale ou psychique majeure.

Des réformes en mode paradoxal

Autre point saillant de cette décennie, le pape mène ces réformes en mode paradoxal. Il est très autoritaire sur certains dossiers, comme celui de la liturgie où, sans concession, il barre la route aux traditionalistes en déconstruisant systématiquement l’œuvre de Benoît XVI. Un autoritarisme qu’il exerce également sur la réforme de la curie, préparée avec quelques cardinaux seulement, où, sans prendre de gants, il a imposé une recentralisation du pouvoir dans ses seules mains. Au détriment de son premier ministre et de son administration.

En revanche, François se montre très conciliant sur l’ouverture à l’homosexualité. Ces dix années ont confirmé la fameuse phrase «Qui suis-je pour juger?», prononcée en juillet 2013. Dernier épisode en date: le 25 janvier, il déclare à l’agence Associated Press que l’homosexualité a beau ne pas être un «crime», elle n’en est pas moins un «péché». Ce qui provoque l’ire et les protestations du jésuite américain James Martin, sorte d’aumônier mondial de la communauté gay. François corrige aussitôt le tir, le 27 janvier, en lui écrivant: «Il faut tenir compte des circonstances, qui diminuent ou annulent la faute.»

Sur d’autres réformes majeures, l’ordination d’hommes mariés ou la communion pour les divorcés remariés, François a adopté une méthode collective, moins directive, celle de la «synodalité». De racine grecque, ce mot d’Église signifie «avancer ensemble en chemin». Un synode consiste à réunir au Vatican, pendant trois semaines environ, deux cents évêques et experts d’un sujet précis pour évaluer la question, en débattre et voter des propositions. Lesquelles sont transmises au pape, qui décide ensuite de leur application.

Deux synodes ont marqué la décennie. Le synode sur la famille, en 2014 et 2015, qui a ouvert la porte à la communion pour les divorcés remariés. Et le synode sur l’Amazonie, en 2019, qui a reporté la décision d’ordonner des hommes mariés dans l’Église catholique latine, mesure pourtant votée aux deux tiers par l’assemblée mais récusée par François. Provisoirement, semble-t-il, puisque le pape a confié, le 10 mars, à un site d’information argentin (Infobae), que le célibat est une «prescription temporaire», qui n’est pas «éternelle», et qu’«il n’y a aucune contradiction à ce qu’un prêtre puisse se marier».

Reste à présent la bataille des batailles du pontificat, la réforme des réformes. Convoqué pour l’automne 2023 et celui de 2024, un nouveau synode mondial sur… la «synodalité» a été lancé par François. En clair, à tous les étages de l’Église, il veut une autre gouvernance, moins centralisée à Rome, moins hiérarchique, plus démocratique. Une voie synodale que le pape voudrait appliquer dans chaque pays pour laisser aux conférences épiscopales une certaine liberté dans le gouvernement de «leur» Église.

L’Église allemande contrarie le dixième anniversaire

Mais le rêve de François vient de se heurter à un inquiétant principe de réalité: une expérience synodale grandeur nature s’est conclue samedi dernier dans l’Église allemande, menée par la Conférence des évêques elle-même, sur laquelle Rome semble avoir perdu tout contrôle. Le résultat est éloquent. Neuf textes de propositions ont été votés à la majorité des voix d’évêques et de laïcs. Ils vont être transmis au pape. Parmi les propositions, les femmes doivent pouvoir prêcher et présider tous les sacrements, sauf l’eucharistie et la confession. Cela se ferait par le biais d’un diaconat féminin, voire d’un sacerdoce féminin. On y trouve également le feu vert pour la «célébration de bénédiction pour les couples qui s’aiment». Ce qui s’applique aux personnes homosexuelles, mais aussi aux personnes libres de choisir un genre sexuel dénommé «divers» dans les registres de baptême. Dans ces propositions, il y a enfin la demande de «réexaminer» la question du «célibat des prêtres». Pour mettre tout cela en œuvre, le «chemin synodal» allemand demande la création d’un «comité synodal» national et dans chaque diocèse,pour «décider ensemble», évêques et laïcs.

Dans un premier temps, à son lancement en mars 2019, ce synode allemand est encouragé par François. Mais, quatre mois plus tard, il envoie une première lettre pour lui demander de ne pas sortir des clous. Sans aucun effet. En septembre 2019, le Vatican envoie un nouvel avertissement: ce synode sera «non valide sur le plan ecclésiologique». Mais le cardinal Marx, alors président de la conférence épiscopale allemande, rejette l’avertissement papal. En février 2022, une session de ce synode a évoqué tous les points votés ce samedi, ainsi que le droit de regard des laïcs sur la nomination des évêques. En juin 2022, François est alors passé à un mode plus frontal, en affirmant qu’il n’y a «pas besoin de deux Églises protestantes» en Allemagne… Un mois plus tard, le Vatican enfonce le clou et publie une nouvelle note stipulant que le synode allemand n’avait pas le droit «d’adopter de nouvelles formes de gouvernance ou de nouvelles orientations de doctrine». En novembre, une visite des évêques allemands à Rome tourne à la confrontation. Tout récemment, début mars, le président des évêques allemands, Mgr Bätzing, est allé jusqu’à critiquer publiquement le nonce apostolique en Allemagne - le représentant du pape - en disant qu’il était «insupportable à écouter». Ce qui conduit le cardinal Kasper, un théologien allemand de renom et un proche de François, pourtant favorable à l’initiative, à sonner l’alerte rouge en évoquant un risque de «schisme».

Avec ce mouvement synodal, et les conclusions de l’Église allemande samedi, voilà le pape totalement dépassé par sa créature. Un cadeau très amer pour ses 10 ans de pontificat.

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