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Pour en revenir à la question "tradi"

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L'éditorial de Christophe Geffroy, numéro 375 de La Nef (décembre 2024) :

Retour sur la question « tradi »

Le cardinal Ratzinger, défenseur de « l’herméneutique de la réforme dans la continuité » (en 1992) © Domaine public

ÉDITORIAL

Christophe Geffroy revient ici sur deux points très sensibles dans un certain monde « tradi » : la réception du concile Vatican II et la réforme liturgique qui en est issue. Dans les débats qui ont cours et les légitimes discours critiques, tout l’enjeu est d’envisager le magistère sans rupture fondamentale. Quels garde-fous et quel état d’esprit devons-nous faire nôtres dans ces débats ?

(...)

Deux points fondamentaux

La question « traditionaliste » tourne autour de deux points fondamentaux : celle du concile Vatican II et du magistère qui a suivi ; et celle de la réforme liturgique menée par Paul VI. Le concile marque-t-il une rupture dans l’enseignement traditionnel de l’Église, notamment sur la liberté religieuse ou l’œcuménisme ? Et la messe dite de Paul VI est-elle « déficiente » au point d’être un danger pour la foi ? Au point donc de ne pouvoir être célébrée par les prêtres et fréquentée sans dommages par les fidèles ? On sait que pour la Fraternité Saint-Pie X (FSPX), la réponse à ces deux questions est claire et nette : il y a une rupture doctrinale qui se produit avec le concile, lequel est ainsi rejeté ; et la messe réformée, qualifiée par Mgr Lefebvre de « messe de Luther », est jugée quasiment hérétique, « incélébrable », si bien que les fidèles sont appelés à rester chez eux le dimanche s’ils n’ont à disposition que cette liturgie réformée.

Historiquement, Mgr Lefebvre ne s’est pas contenté de maintenir l’ancienne messe, il est parti en guerre contre le concile Vatican II et la réforme liturgique, c’est cela qui a braqué le pape Paul VI contre lui. Mgr Lefebvre a souvent soufflé le chaud et le froid, le « froid » atteignant parfois une violence inouïe. À maintes reprises, Paul VI a demandé à Mgr Lefebvre de rétracter sa sulfureuse déclaration du 21 novembre 1974 où il disait notamment : « Nous refusons… et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. » Et à propos de la réforme liturgique : « Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit. » Mgr Lefebvre a toujours refusé de retirer ses propos et ses successeurs, encore aujourd’hui, se réclament de cette déclaration.

Le débat dans l’Église

En Église, cette position ne relève pas d’un débat : le refus global d’un concile œcuménique, du magistère ordinaire universel depuis plus d’un demi-siècle et d’une réforme liturgique qui serait un poison donné aux fidèles est ecclésialement injustifiable et intenable, une telle attitude ne peut que jeter un doute sur l’indéfectibilité de l’Église (cf. Mt 16, 18). Cela ne signifie pas, toutefois, qu’il est interdit d’exprimer sa perplexité ou des critiques, l’Église n’est pas une caserne et n’impose pas une obéissance aveugle. Concrètement, l’obéissance à l’Église n’exclut pas un discernement éclairé sur la cohérence du magistère avec ses enseignements constants antérieurs. Mais le questionnement adressé à l’autorité n’est pas de même nature que celui qui régit les débats dans la sphère profane ou politique (1). Son esprit est censé être animé de bienveillance à l’égard du magistère, d’obéissance a priori acquise à l’autorité légitime, et finalement de confiance surnaturelle en l’Église qui est notre Mère, par-delà les incompréhensions parfois suscitées par certain personnel ecclésiastique du moment.

Revenons au concile et à la messe. Les communautés traditionalistes en pleine communion avec Rome forment un monde qui est loin d’être uniforme ; néanmoins leur conception sur ces sujets n’est pas celle, extrême, de la FSPX. Elles reçoivent Vatican II avec plus ou moins d’enthousiasme et acceptent, soit de célébrer la messe actuelle, soit d’y communier lors de la messe chrismale. Sur la liberté religieuse, par exemple, le Barroux et la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier ont mené des études poussées montrant la continuité du magistère. Seule, me semble-t-il, une minorité dans ce monde « tradi » tient encore une ligne proche de la FSPX en refusant le concile et la messe.

Assurément, l’une des difficultés aujourd’hui est l’absence de culture du débat sur les questions doctrinales ouvertes : prétendre imposer de force l’acceptation du concile et de la messe réformée sans entendre les objections n’est pas la bonne méthode. Mais force est de constater que des réponses argumentées ont été apportées aux critiques des traditionalistes, aussi bien par des théologiens privés, comme on l’a vu à propos de la liberté religieuse, que par le magistère (sur le subsistit in de Lumen gentium, par exemple, ou l’œcuménisme et le dialogue interreligieux avec Dominus Jesus, sans parler du Catéchisme de l’Église catholique). Et des colloques théologiques ont été organisés par Rome entre des théologiens mandatés par l’Église et ceux de la FSPX. Le débat doctrinal existe donc bel et bien, mais il n’a rien résolu à ce jour, car l’enjeu est davantage une nécessaire conversion des cœurs, de part et d’autre, que l’acceptation d’une démonstration théologique.

Continuité ou rupture ?

La question n’est pas de faire ou non des « concessions doctrinales » à propos des réformes de Vatican II. La question est de savoir si l’Église est crédible et propose ainsi un magistère cohérent et sans rupture dans la durée sur ce qui relève de la foi et des mœurs, les autres aspects pouvant dépendre d’une contingence historique qui admet des discontinuités. La question posée par Benoît XVI de « l’herméneutique de la réforme dans la continuité » n’est pas anecdotique, elle est au cœur de toute la problématique actuelle. Car si l’on juge qu’il y a une rupture – pour le déplorer comme certains traditionalistes (qui estiment le magistère infidèle à la Tradition), ou pour s’en réjouir comme certains progressistes (qui abhorrent le passé forcément obscurantiste) –, il faut alors admettre que l’Église s’est trompée sur des points essentiels, soit hier, soit aujourd’hui. La seule ligne ecclésiale conforme à l’essence de l’Église est de ne voir aucune rupture magistérielle, tout en reconnaissant de réelles nouveautés s’inscrivant dans un développement doctrinal homogène, ainsi que saint John Henry Newman l’a explicité, les ruptures ne concernant alors que des points contingents de la doctrine. Cela laisse la porte ouverte à un questionnement sur tel ou tel aspect du concile, non à son rejet.

Il en va de même pour la réforme liturgique, comme Benoît XVI l’avait affirmé dans sa magnifique lettre accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum. Pour suivre ce pape, la défense – légitime – de la messe de saint Pie V doit être décorrélée du refus – illégitime – de la messe de Paul VI (et bien sûr du concile). Autrement dit, la défense de l’ancien Ordo ne doit pas signifier le rejet du nouvel Ordo et donc le refus de principe de le célébrer. Ces deux messes nous sont données par l’Église : il est compréhensible d’en préférer une, non d’écarter l’autre comme étant mauvaise.
La nécessaire réconciliation liturgique est à ce prix.

Christophe Geffroy

(1) Cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi, Donum Veritatis « Sur la vocation ecclésiale du théologien », le 25 mai 1990.

Commentaires

  • D'une part, il n'est pas prouvé qu'il soit possible de remédier à une chimère : le Concile Vatican II, en recourant à une autre chimère : l'herméneutique du renouveau dans la continuité.

    Et après tout, au moins depuis l'annonce d'Assise 2011 par Benoît XVI, à la fin de l'année 2010, on sait à quoi s'en tenir sur l'absence d'équilibre entre le renouveau et la continuité, au sein de cette herméneutique.

    D'autre part, le problème de fond posé par le Concile Vatican II et par ses conséquences n'est pas avant tout à caractère liturgique, mais est avant tout de nature dogmatique, avec les conséquences doctrinalo-pastorales que l'on connaît depuis 1965.

    En effet, sI le Concile Vatican II est aussi satisfaisant qu'on le dit, notamment dans Dei verbum et Lumen gentium, pourquoi donc les hommes d'Eglise font-ils en sorte que l'après-Concile soit à ce point partenarial in mundo et aussi peu théologal in Christo, depuis 1965 ?

    Les uns et les autres ont-ils bien conscience du fait que, moins de trente ans après la clôture du Concile, nous avons eu droit, en 1993, à un document de la Commission biblique pontificale sur l'interprétation de la Bible dans l'Eglise qui constitue un document de dépassement, extravagant et outrecuidant, de l'univers mental, par endroits pacellien, qui figure à l'intérieur de Dei verbum ?

    De même, les uns et les autres ont-ils bien conscience du fait que le contenu du numéro 17 de Lumen gentium a été jeté aux oubliettes, avant tout en matière religieuse, et non avant tout en matière morale, bien plus par et sous Jean-Paul II que par et sous Paul VI ?

    Pourquoi donc faudrait-il que des catholiques qui essaient d'être et de rester traditionnels dans la foi commencent à adhérer au Concile ou arrêtent de critiquer Vatican II, alors que la non prise en compte de ce qu'il y a de moins propice à l'hétérodoxie, dans les documents du Concile, par les catholiques qui veulent être et rester transformateurs de l'Eglise, a commencé dès l'année 1965-1966 ?

    Oui, pourquoi donc y aurait-il un "deux poids, deux mesures", au moyen duquel on demanderait aux catholiques traditionnels dans la foi de finir par faire bon accueil au Concile, et au moyen duquel on accepterait que les catholiques transformateurs de l'Eglise continuent à prendre en compte le moins possible les éléments du Concile et du Catéchisme de l'Eglise catholique les moins compatibles avec la transformation, désormais notamment inclusiviste et synodaliste, que ces catholiques transformateurs chérissent ?

    En outre, si l'Eglise du Concile, d'Assise et de l'inclusion continue à se transformer en l'équivalent d'une deuxième Communion anglicane, synodalistement correcte, pour ainsi dire, mais que, au sein de cette Communion, un strapontin installé dans un cagibi est accordé aux catholiques traditionnels, en matière liturgique, à qui donc fera-t-on croire qu'ils pourront pleinement, depuis l'intérieur de ce cagibi, contrecarrer, d'une manière traditionnelle, l'anglicanisation et la postmodernisation de l'Eglise catholique qui constitue la dynamique dominante actuelle ?

    Enfin, un peu de sérieux : certes, le Concile Vatican II n'est pas hérétique, au sens propre du terme, sauf, peut-être, dans le numéro 22 de Gaudium et spes. Mais ce Concile est tellement porteur d'irénisme utopiste, ou tellement propice à de l'irénisme utopiste, qu'il a une lourde part de responsabilité dans le remplacement ou la transformation, conciliaire puis post-conciliaire, de l'annonce par le "dialogue" et du service de la vérité par le service de "l'unité".

    En quoi cette transformation s'est-elle faite pour le plus grand bien de l'unique Eglise du Christ, en tant que sel de la terre et en tant que lumière du monde ?

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