De George Weigel sur le NCR :
Le pape saint Jean-Paul II, docteur de l’Église ?
COMMENTAIRE : Vingt ans après la mort de Jean-Paul II, il est trop tôt pour le déclarer docteur de l'Église. Il n'est cependant pas trop tôt pour imaginer pourquoi un tel honneur pourrait lui être accordé à l'avenir.
L'Église catholique fait preuve d'une patience prudente lorsqu'elle décerne le titre de « Docteur de l'Église » à ses plus grands maîtres. Aussi lumineuse que puisse paraître l'explication des vérités de la foi catholique donnée par quelqu'un à son époque, l'efficacité de cet enseignement ne peut être testée que sur des générations, parfois des siècles. C'est particulièrement vrai pour les saints qui ont élargi la compréhension de l'Église, déconcertant certains au passage.
Il a donc fallu 294 ans à Thomas d’Aquin, un innovateur théologique de son époque, pour être reconnu comme docteur de l’Église.
Vingt ans après la mort de Jean-Paul II, le 2 avril 2005, il est prématuré de déclarer saint Jean-Paul II docteur de l'Église. Il est cependant encore temps d'imaginer pourquoi un tel honneur pourrait lui être accordé à l'avenir. Cinq raisons s'imposent.
1. Le vaste magistère de Jean-Paul II a fourni des clés faisant autorité pour l’interprétation correcte du Concile Vatican II.
Vatican II n’a défini aucun dogme, n’a condamné aucune hérésie, n’a légiféré aucun canon, n’a écrit aucun credo et n’a commandé aucun catéchisme : des méthodes par lesquelles les conciles œcuméniques précédents avaient signalé : « Voilà ce que nous voulons dire. »
Par ses encycliques et autres textes magistériaux, ainsi que par deux nouveaux Codes de droit canonique et le Catéchisme de l'Église catholique, Jean-Paul II a fourni les clés par lesquelles l'Église pouvait comprendre les 16 documents du Concile comme un tout cohérent, une belle tapisserie dont les pièces sont cousues ensemble par le concept de l'Église comme communion de disciples en mission.
2. Jean-Paul II a présenté la symphonie complète des vérités catholiques de telle manière que ces vérités puissent être saisies par l’esprit moderne.
Lors de l'élection de Jean-Paul II, la théologie catholique – et plus particulièrement la théologie morale catholique – était en crise. Le nihilisme, le scepticisme et le relativisme de la modernité avaient contaminé la pensée catholique, créant des confusions qui ont fracturé l'unité ecclésiale et rendu l'évangélisation quasi impossible. En utilisant des outils philosophiques et théologiques modernes pour remettre en question la convention moderne et postmoderne paralysante selon laquelle rien n'est connu avec certitude, l'enseignement de Jean-Paul II a préservé la sagesse de la tradition catholique tout en démontrant que même les vérités les plus exigeantes de la tradition pouvaient être explicitées et proposées dans des termes compréhensibles pour les hommes du XXIe siècle.
3. La connaissance de Jean-Paul II de la philosophie contemporaine et sa vaste expérience pastorale pré-papale lui ont permis d’avoir une vision approfondie de la crise culturelle de notre temps — la crise de la nature humaine.
Sommes-nous infiniment malléables et malléables ? Ou existe-t-il des vérités inscrites dans le monde et en nous, des vérités qui nous ouvrent la voie du bonheur et, finalement, de la béatitude ?
L'humanisme christocentrique de Jean-Paul II , sa théologie épique du corps , ses écrits sur le sens de la souffrance et son « féminisme papal » furent tous des réponses efficaces et réformatrices de la culture à la dégradation utilitaire de la nature humaine : l'idée que nous ne sommes que des paquets de désirs moralement équivalents, dont la satisfaction par notre volonté — « Je l'ai fait à ma façon » — est le summum du bonheur humain.
4. La doctrine sociale de Jean-Paul II cherchait à donner au projet démocratique une base plus solide en enseignant qu’il faut un certain type de personnes vivant certaines vertus pour garantir que la politique libre et les économies libres soutiennent l’épanouissement humain et la solidarité sociale.
Les événements des vingt dernières années ont largement confirmé cet enseignement.
5. Jean-Paul II a défini la grande stratégie de l’Église pour le XXIe siècle et le troisième millénaire : la Nouvelle Évangélisation .
En se rendant en Terre Sainte lors du Grand Jubilé de l'an 2000, Jean-Paul II a rappelé à l'Église et au monde que le christianisme n'est ni un mythe ni un conte de fées ; il a commencé par la conversion radicale d'hommes et de femmes, présents dans des lieux que nous pouvons toucher et voir aujourd'hui, qui ont été tellement transformés par leur rencontre avec celui qu'ils appelaient le Seigneur ressuscité qu'ils sont partis en mission et ont changé le cours de l'histoire. En clôturant le Grand Jubilé en appelant toute l'Église à « avancer au large » (Lc 5, 4), Jean-Paul II a invité tous les catholiques à vivre la vie de disciples missionnaires à laquelle ils ont été consacrés par le baptême.
Malgré les efforts déployés par certains au cours des douze dernières années pour rejeter ou déconstruire ce grand héritage, les composantes vivantes de l'Église mondiale sont celles qui ont adopté l'enseignement de Jean-Paul II et l'incarnent dans la mission et le service. À l'inverse, celles qui ont ignoré ou rejeté cet enseignement sont moribondes ou mourantes. Ce fait fondamental de la vie catholique au XXIe siècle permet de penser qu'un jour, le catholicisme pourrait bien reconnaître le pape saint Jean-Paul II, docteur de l'Église.