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Crise : restaurer la confiance

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df268cc22d5428a73005658ee191add4.jpgComment restaurer la confiance, intervention de Jean-Pierre Jouyet à la COMECE 27/10/2011

Comment restaurer la confiance

 La confiance, facteur crucial pour résoudre la crise

 

Eminences, Excellence, Monseigneur Dupuy, Nonce apostolique, Excellence, Monseigneur Van Luyn , Président de la COMECE, Excellences,

 

C’est un grand honneur d’avoir été invité à m’exprimer lors de votre assemblée plénière et je vous en remercie vivement. J’espère ainsi, modestement, contribuer à vos réflexions.

L’Europe est dans la tourmente de la crise financière. Il n’est pas hélas exagéré de dire que nous vivons une crise sans précédent. Lorsque j’ai dit il y a un mois que nous étions au bord d’une crise systémique, certains y on vu un pessimisme excessif.  En début de semaine on parlait de sommet de la dernière chance. Il ne s’agit pas de jouer les cassandre, mais de regarder la réalité telle qu’elle est afin d’en prendre la mesure et d’apporter des réponses à la hauteur de la situation.

Pour l’Union européenne c’est une crise sans précédent car, elle prend une dimension non seulement économique affectant la croissance et donc l’emploi mais souligne les faiblesses et les failles de sa gouvernance, plus encore les lacunes de sa construction, et c’est particulièrement vrai pour la zone Euro.

La crise économique est profonde et structurelle. Les grands pays européens en particulier ceux du Sud, mais c’est vrai aussi du Royaume Unis et de la France souffrent de taux de chômage élevés, notamment chez les jeunes, d’un problème de compétitivité de leur appareil industriel et d’un endettement public massif qui réduit considérablement les marges de manœuvre.

Comme le soulignait récemment Jean Claude Trichet, : « Nous sommes confrontés à une crise d’une genre nouveau, un phénomène planétaire, qui n’a pas d’équivalent depuis la seconde guerre mondiale. Pour la première fois depuis 70 ans l’épicentre de la crise mondial a été le système financier des économies avancées. »

A cette crise s’ajoute une crise de la monnaie unique qui conduit certain à s’interroger sur la pertinence même du modèle de monnaie unique. Certes l’Euro est une monnaie forte, c’est la deuxième monnaie de réserve au Monde après le dollar et il faut rendre hommage à la BCE d’avoir préservé, y compris au travers de cette crise, la crédibilité de la monnaie unique. Cependant force est de constater que certains objectifs liés à la création d’une monnaie commune n’ont pas été atteints. Au lieu d’une convergence entre différentes économies de la zone euro, on a assisté, au contraire, à de fortes divergences.

Les citoyens européens sont inquiets. Ils doutent de la capacité de l’Europe à juguler cette crise, mais aussi à juguler les autres crises qui menacent le monde, notamment en raison des transformations du climat, des déséquilibres démographiques planétaires, de la montée des intégrismes.

Les tentations de replis sur soi sont nombreuses qu’on en juge par la montée des extrémismes, en Finlande, en Hollande, en France également. En même temps, la crise sociale s’amplifie, à travers le mouvement des indignés, qui dénoncent de Madrid à New York un système économique qui ne semble plus au service de l’homme.

L’Europe qui  a apporté la paix au continent européen, une certaine prospérité, a du mal à apparaître comme légitime pour faire face au défis, en raison de ses processus de décision complexe et peu lisible, et d’un déficit démocratique certain.

Je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur la crise économique et financière, puis partager avec vous mes réflexions sur les pistes à envisager et les réformes à accomplir pour restaurer la confiance.

 

I Quelques constats à propos de la crise, vue des marchés financiers

Trois points caractéristiques m’apparaissent essentiels. Tout d’abord sur le constat : la crise révèle la conjonction d’un développement excessif de certains segments des marchés financiers associé à un manque de transparence et à une explosion des dettes publiques et privées.

  • Premier point : un développement excessif de certains segments des marchés financiers dans une grande opacité

Certes comparaison n’est pas raison, mais cependant, la comparaison de l’importance du secteur financier pendant les années dites des trente glorieuses et son poids actuel laisse songeur. On assiste effectivement depuis une vingtaine d’année à une explosion de la sphère financière dans des proportions tout à fait extraordinaire. Les marchés à termes, en particulier, qui permettaient à l’origine aux industriels, producteurs, de se couvrir contre les variations du prix des matières premières, des denrées alimentaires ou la variation des cours des monnaies traitent aujourd’hui de montants sans aucune relation avec le sous-jacent physique effectivement échangé. Les marchés financiers du pétrole pèsent environ trente cinq fois plus que les marchés physiques. De même, sur le seul Chicago Mercantile Exchange, il s'échange chaque année l'équivalent de 46 fois la production annuelle mondiale de blé et 24 fois la production de maïs.

Ce qui frappe le plus lorsque vous êtes régulateur de marché,  c’est la parfaite opacité dans laquelle se sont développés les marchés.

En 2008, au moment ou la crise éclate, ni les régulateurs de marchés, ni les régulateurs bancaires n’ont une vision claire de l’ampleur des risques, ni de qui les détient et ceci du fait de l’absence d’un cadre législatif adéquat. L’absence de transparence a pesé sur le système dans son ensemble. Les banques ne se faisant plus confiance, cela a conduit en 2009 à un gel du marché interbancaire, qui semble reprendre aujourd’hui.

Sur les marchés des actions, les développements technologiques combinées la encore à une dérégulation des marchés, notamment en Europe, ont conduit à une dégradation de l’efficience des marchés. Leur complexité devient telle qu’ils peinent à garder leur rôle premier de lieu de rencontre entre l’investisseur et l’émetteur. Il faut savoir que plus de 50% des transactions se font sur des systèmes opaques.

Bien sûr il ne faut pas avoir une vision simpliste des marchés, et bien analyser le bénéfice du développement des produits financiers pour la croissance de nos économies, mais j’en viens à penser que l’apport des marchés financiers à l’économie dite réelle est décroissant depuis plusieurs années. Plus encore, la primauté du financier à conduit à des erreurs de perspective, détournant l’économie de son objectif premier qui est d’assurer, avec le souci d’une constante amélioration, les conditions de vie des hommes.

  • Ce phénomène a conduit à une mise sous tutelle de l’économie, mais aussi du politique par les marchés

Ce développement est largement lié à un mouvement de dérégulation, initié par les Etats-Unis et l’Angleterre dans les années 80.

Il a en changé notre rapport avec l’argent qui est devenu encore plus la valeur absolue et la mesure de toute chose.

Les entreprises  vivent au rythme des cours de bourse et sous la pression de la rentabilité attendue par les actionnaires, conduisant à des choix stratégiques souvent sans lien avec la performance de tel site de production ou filiale.

Plus grave, les Etats sont de plus en plus sous la tutelle des marchés, et cette crise le montre. Il faut sans cesse répondre aux attentes des marchés, rassurer les marché.

Or, si le temps de l’entreprise n’est pas toujours celui des marchés, car l’entreprise à besoin d’investisseurs de long terme, acceptant le risque, le temps de la démocratie est encore moins celui des marchés. Les processus démocratique sont par essence longs, alors que les marchés réclament des engagements immédiats. On peut comprendre la défiance, voir l’indignation car pour la perception publique de la réalité, il y a bien une perte de contrôle, de repère politique face à des marchés qui ne remplissent plus leur fonction première : le financement d’une économie durable. Les Etats, le politique doivent reprendre la maîtrise des choses.

Il faut refonder la finance, et réformer la gouvernance des institutions. C’est vrai au niveau mondial, c’est vrai pour l’Europe.


II les enjeux pour l’Europe, pistes de réflexion

Pour restaurer la confiance il faut remettre l’Eglise au centre du village, c'est-à-dire l’homme au centre de l’économie, et les marchés à son service. Ce n’est pas utopique, Des réformes sont possibles. Il faut bien en poser les objectifs.

Il faut adopter des politiques vigoureuses en matière de régulation et à nous pencher sans tabou sur la meilleure manière de renforcer la gouvernance de l’Union européenne et de la zone Euro.

  • Premier point : Re-réguler pour remettre la finance au service de l’économie

Les G20 successifs ont formulé de multiples recommandations en matière de régulation. Les principes relatifs à la règlementation du marché des dérivés ont été la première initiative du G20 et du Conseil de Stabilité Financière.

Du côté européen, nous disposons d’un arsenal assez complet en matière de régulation financière. Elaboré depuis une vingtaine d’année, le marché intérieur régit aujourd’hui les acteurs et les produits financiers. Ils sont soumis à des normes communes, et en les respectant disposent d’un passeport valable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

La crise a conduit à renforcer ce dispositif ; Il faut saluer les efforts de la Commission, qui est presque parvenue à un accord final avec le Parlement et le Conseil sur les contrats financiers dérivés ce qui permettra d’accroître la transparence du marché, de mieux connaître les risques, de réduire les risques de contrepartie et donc l’effet de contagion en cas de défaillance d’un acteur.

Il faut aussi saluer les initiatives de la Commission en matière de règlementation des agences de notation. Elles doivent désormais être enregistrées et leur supervision est confiée à la nouvelle autorité européenne des marchés financiers. Le problème est de bien distinguer ce qui relève des jugements quantitatifs des appréciations qualitatives. Quand telle ou telle agence se prononce sur le fonctionnement de telle ou telle démocratie, sommes nous toujours dans la rationalité, ou le monde ne fonctionne-t-il pas à l’envers ?

L’un des grands débats à venir reste cependant l’organisation des marchés actions. L’objectif est d’orienter les flux vers les systèmes règlementés et ouverts et de limiter les négociations hors marché.

Je souhaite également que la Commission prenne avantage des projets en matière de régulation des marchés pour mieux organiser la filière des matières premières. L’objectif étant d’arriver à mieux encadrer les acteurs, mieux encadrer les marchés en mettant en place des règles de transparence sur les volumes et les prix, voire également la possibilité de mettre des règles plus contraignantes, des limites, pour corriger les déséquilibres et les excès et in fine la spéculation sur les matières premières.

L’achèvement du marché unique serait incomplet s’il portait uniquement sur les acteurs et les produits. Ces directives doivent être accompagnées de mesures vigoureuses assurant la protection des investisseurs. Les citoyens doivent avoir confiance dans les marchés financiers pour investir et préparer le financement de leur habitat, des études de leurs enfants et dans une certaine mesure leur retraite. Pour cela, il faut s’assurer, à tout le moins au niveau européen de règles harmonisées, mettant à la charge des acteurs financiers une obligation d’information, de conseil, permettant la comparaison et l’évaluation des placements.

Il faut aussi renforcer le contrôle des activités de marchés. En janvier 2011 ont été installées de nouvelles autorités européennes en charge de la régulation des banques, des marchés et des assurances. Ces autorités doivent être renforcées, disposer des moyens de veiller à une mise en œuvre harmonisée des règlés européennes, favoriser une meilleure articulation entre les autorités nationales pour améliorer les processus de surveillance des marchés financiers.

Enfin deux mesures méritent que l’on s’y attarde :

  • La taxe sur les transactions financières

Elle aurait deux mérites, d’une part de faire contribuer les marchés financiers aux efforts de  développement ou de consolidation budgétaire, d’autre part, et parce qu’elle mettra un peu de sable dans les rouages, de limiter les transactions purement spéculatives, qui jouent sur les évolutions à la marge des cours.

  • La révision du périmètre des activités bancaires.

La crise qui frappe le système bancaire, l’obligation de renforcer les fonds propres vont peser sur le financement de l’économie. Les banques vont réduire leur voilure, réduire les effets de levier de leurs opérations pour réduire les risques. Cela pourra les conduire à revenir vers des activités plus locales, à diminuer les prêts aux entreprises, aux particuliers au dépend des investissements économiques.

Aux Etats Unis et au Royaume Unis le débat sur le périmètre des activités bancaires est ouvert, notamment la coexistence d’activité de banques d’investissement et de banques de dépôts. La encore, il faut se garder des idéologies, analyser les activités des banques, voire ce qui est bon pour l’économie, ce qui au contraire est porteur de risques excessifs, ne pas condamner le modèle de banques universelles d’emblée, mais plutôt éviter la banque « casino ». Il est clair cependant que le risque de marché devrait être isolé des activités bancaires classiques, et être ainsi exclue de toute forme de garantie publique.

Ces efforts de régulation qui doivent être conduits en Europe, doivent également être fait en coordination avec le reste du monde en particulier au travers du G20. La cohésion économique est menacée, les risques d’un protectionnisme financier à l’instar du protectionnisme commercial qui sévit lors de la grande dépression des années 30 n’est pas loin. A cet égard, la Commission pontificale justice et paix a raison de souligner dans son dernier rapport la nécessité de renforcer la gouvernance mondiale. L’Europe doit être partenaire et même moteur de cette gouvernance mondial. Pour cela il faut qu’elle retrouve son rang et sa crédibilité.

  • J’en viens à mon dernier point Redonner confiance dans l’Europe.

La crise que nous traversons révèle l’inadéquation de la gouvernance de l’Union européenne et de la zone euro et doit-nous conduire à la revisiter. Il faut prendre en compte plusieurs aspects.

  • Tout d’abord l’Union européenne vis-à-vis de la Zone euro

Les membres de l’Union européenne qui n’appartiennent pas à la zone euro expriment deux inquiétudes : premièrement que l’Euro se fragilise, s’effondre, car ils le savent, sans l’euro, l’Union européenne perdrait une grande partie de sa crédibilité, deuxièmement ils craignent d’être exclus d’un processus d’intégration qu’ils ne sont, par ailleurs, pas prêts à adopter pour eux même. Ils redoutent que les pays de la zone Euro qui disposent dans les instances européennes d’une majorité absolue imposent leur choix à l’ensemble de l’Union. En clair, ils ne veulent pas d’Europe à deux vitesses, et craignent une intégration qui se ferait sans eux, ou à leur corps défendant.

  • Une obligation de résultats des membres de la zone euro.

Pour les membres de la zone euro, l’enjeu est de proposer une solution crédible pour les dettes souveraines grecques mais aussi italiennes, rassurer les marchés sur la solidité des banques et mettre en place un gouvernance de la zone euro qui associe à coté de la monnaie unique des outils et des processus permettant de renforcer la discipline budgétaire et la coordination des politiques macroéconomique.

L’objectif est d’arriver à une plus grande solidarité entre les membres de la zone euros. La création du marché unique par Jacques Delors, de la monnaie unique étaient les premiers piliers d’une intégration plus forte qui devait être complétee par un gouvernement économique. On a cru pouvoir s’en passer, la crise a rattrapé l’Europe. L’absence de gouvernance met la zone euro sous la tutelle des marchés, il faut desserrer la contrainte. Comme le dit J C Trichet, « la principale faiblesse de l’Union économique et monétaire réside dans la gouvernance insuffisante de l’Union économique, alors que l’Union monétaire présente un bilan conforme aux anticipations ». En clair, nous avons un euro monétaire, car la zone euro s’est doté de la BCE, il nous faut maintenant un euro politique, c'est-à-dire se doter d’un gouvernement économique. .

  • Quelle solution pour l’Europe et l’Euro ?

Des réponses ont été apportées depuis un an, les choses bougent, des actions ont été menées au niveau communautaire. Un ensemble d’actes législatifs dit «  paquet gouvernance » a été négocié.

Au niveau intergouvernemental, le Fond européen de stabilité financière a été créé, avec un montant de 440 milliards. Il devrait se transformer en un instrument pérenne, mais ses moyens d’actions ne font pas encore l’unanimité.

Cela est il suffisant pour restaurer la confiance? Nos partenaires et le citoyen européen attendent un signal fort qui non seulement répond aux attentes des marchés mais qui montre que l’Europe reprend la main et propose une feuille de route qui inclu les aspects économiques et de croissance.

Les marchés attendaient du sommet des avancées techniques crédibles sur la dette grecque et la participation des banques, sur le FESF et sur la recapitalisation des banques.

Clairement les avancées sur la gouvernance européenne sont nécessaires, la désignation d’un responsable de la gouvernance économique, des règles du jeu plus claires

Mais pour une solution durable il faut aller au-delà. La question du niveau d’intégration de l’Europe est clairement posée par la crise, et il faudra avancer sur le terrain fiscal et budgétaire avec les pays qui le souhaitent.

Mais attention, la route est étroite. Les citoyens ne sont pas nécessairement prêts pour un saut fédéral si l’on en juge les replis nationalistes. Même en France, il avait été répondu non au projet de constitution, et ce n’est pas si vieux.

En revanche, la confiance reviendra si l’Europe peut se mobiliser autour d’un programme économique crédible, qui aille au-delà de l’austérité réclamée par les organisations internationales ou les marchés, qui permettent d’entrevoir une sortie de crise. En la matière l’Europe doit utiliser l’ensemble des instruments dont elle dispose.

*****

En conclusion permettez moi de souligner trois points :

Premièrement, nous venons de gagner une bataille, pas la guerre, et l’Europe et les gouvernements doivent rester mobililsés

Deuxièmement, il ne faut pas face à la lenteur des réformes, aux caractère hésitant de la progression oublier le travail considérable qui a été fait. L’Europe reste une construction unique, qui fonctionne, et même face à cette crise, elle a su prendre des décisions structurelles.

Enfin troisièmement, Si nous voulons que les autres aient confiance dans l’Europe, si nous voulons que les citoyens aient confiance, il faut que l’Europe et l’Euro aient confiance en eux même.

L’enjeu est grand, au-delà d’un enjeu économique, l’Europe est un enjeu de civilisation. Pour reprendre un auteur français qui m’est cher, Bernanos, je dirais : « La civilisation européenne n’est pas une civilisation de masse. La civilisation existe précisément pour qu’il n’y ait pas de masse, mais des hommes assez conscient pour ne jamais constituer des masses même s’ils sont entre eux rassemblés »

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