Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Des hérésies made in USA ?

IMPRIMER

Comment les hérésies modernes nous ont isolés et nous laissent inassouvis

Par: Mgr. Charles Pope (sur le site de l'archevêché de New-York)

J'ai mentionné ici un livre remarquable de Ross Douthat que je recommande comme lecture obligée pour quiconque veut saisir ce qui s'est passé dans le domaine de la foi durant la deuxième moitié du 20ème siècle et jusqu'à aujourd'hui. Il est intitulé "Bad Religion - Comment nous sommes devenus une nation d'hérétiques'. Dans ce livre, Douthat expose comment les Eglises (l'Église catholique et les Églises protestantes) ont augmenté de façon spectaculaire dans les années qui ont suivi la guerre, puis, tout à coup, se sont effondrées, et il décrit avec une grande précision comment elles ont été submergées par des vagues successives d'hérésies.

Il utilise le mot hérésie tout à fait correctement pour désigner une version de la foi chrétienne qui détient une version incomplète de la pleine vérité. Ce que fait celui qui choisit certains points mais en en rejetant d'autres qui assurent l'équilibre et  complètent le tableau. Bien sûr, il y a souvent des tensions lorsqu'on veut garder ensemble toutes les vérités.

Par exemple , comment pouvons-nous concilier la souveraineté de Dieu avec la puissance de notre liberté et notre capacité de dire non? Ou comment peut-on concilier la miséricorde d'un Dieu d'amour avec l'existence de l'enfer? L'approche orthodoxe consiste à maintenir les deux termes, et à laisser les tensions rester largement sans réponse, ou du moins à trouver un équilibre qui les respecte en même temps. L'approche hérétique est d'en choisir un, et de rejeter ou de minimiser l'autre afin d'échapper à la tension.

L'hérésie est devenue comme «l'art» des Américains modernes
qui sont souvent des «génies» dans l'élaboration de variétés infinies de "do-it-yourself" de la foi: un élément de la colonne A, deux de la colonne B. Pour la plupart des Américains, l'Eglise est largement hors de propos, et tend à être considérée comme une nuisance, avec toutes ses règles et ses traditions. 

 

Dieu, tel qu'Il se révèle dans l'Écriture est assez facilement mis de côté par les modernes, et un dieu relooké plus acceptable est conçu, celui qui propose plus qu'il ne demande, qui console plutôt qu'il ne met en garde.

Nous désignons cela comme une idolâtrie (l'élaboration de son propre dieu que l'on adore ensuite). Mais la plupart des modernes préfèrent des termes plus doux tels que «trouver son dieu intérieur» ou de découvrir le "dieu de mon entendement" La vérité est jetée à la mer, ou mise totalement en doute, avec l'émergence d'une pensée qui se réfère à elle-même (solipsiste) et qui s'autorise elle-même. Ce magistère privé s'accompagne une «tolérance» qui s'auto-régule et qui est vantée comme la plus haute vertu. S'il n'y a plus aucune référence à la révélation qui est l'Écriture, ou aux dogmes de la foi, la plupart des modernes les interprétant de façon très sélective (c.-à-d hérétique), et sous réserve de les soumettre à des interprétations qui sont souvent tellement tordues qu'elles sont presque impossible à suivre.

Ce qui rend l'hérésie si dangereuse, c'est qu'elle contient le plus souvent des éléments qui sont vrais. À ce titre, de nombreux croyants peuvent facilement être dupés par un évangile partiel. Ce sont des enseignements plausibles, qui utilisent des mots lisses, et qui semblent être une part de vérité confirmant la foi chrétienne. Mais, ils se démarquent de l'Evangile intégral. Par exemple, les promoteurs d'un "Evangile de la prospérité" (courant théologique privilégiant la santé et la richesse ndbelgicatho) exaltent la puissance de la prière et cette vérité que Dieu ne veut que nous bénir. Mais ils ont largement évincé la croix et l'appel du Christ à supporter les épreuves et même  la pauvreté pour le Royaume. Finie l'idée que nous avons été appelés à nous démarquer de ce monde et que nous sommes donc haïs par lui, ou que nous ne pouvons pas servir Dieu et l'argent. En douceur, ils ont également mis de côté les avertissements très insistants sur la richesse proclamés par le Seigneur Jésus.

Mais tout cela semble si bon et si droit: Prier, faire confiance à Dieu, recevoir ses bénédictions en abondance! Dieu ne veut-il pas que je sois heureux? Si, et donc l'hérésie répond à cet appel en pointant vers quelques vérités, mais ne tient pas compte d'autres élements à équilibrer, à distinguer et à contextualiser.

Prenons un autre grande tendance à l'époque moderne qui a cruellement affecté la foi, la montée de la culture thérapeutique ("therapeutic culture"). Douthat passe une bonne quantité de temps à décrire et il la critique, dans la moitié du livre. Citant Philip Rieff, il commence,

« l'homme religieux est né pour être sauvé, [mais] "l'homme psychologique est né pour être heureux". [Philip Rieff, Le Triomphe de la thérapeutique, Wilmington, DE: Livres ISI, 2006, 19].

Douthat continue,

Dieu est quelque chose comme une combinaison d'homme-à-tout-faire divin et de thérapeute cosmique: il est toujours aux ordres, prend soin de tout problème qui se pose, aide en professionnel son peuple à se sentir mieux "... [Il] n'est pas exigeant, il ne peut pas réellement l'être, parce que son travail consiste à résoudre nos problèmes et faire en sorte que les gens se sentent bien.

La religion thérapeutique est extrêmement tolérante: depuis  que le seul vrai Dieu est celui que vous trouverez à l'intérieur de vous-mêmes, il n'y a aucune raison d'imposer votre foi à quelqu'un d'autre. Mais une société tolérante n'est pas nécessairement juste. Les hommes peuvent sourire à leurs voisins sans les aimer, et refuser de juger les croyances de leurs concitoyens peut déboucher sur une plus large indifférence à leur sort. [La tolérance peut] facilement s'avérer procéder d'un ego qui n'apprend jamais la sympathie, ni la compassion, ni encore la vraie sagesse .

Soucieux de prodiguer des soins à son cœur, il insiste sur ce qu'il convient de faire, et se montre impatient à l'égard des structures institutionnelles de toutes sortes [Kindle Edition Loc:4676-95] 

Cela fonctionne-t-il? Mis à part le fonctionnement de troubles notions hérétiques, (encore une fois, l'hérésie compris en termes de sa définition classique, comme une compréhension incomplète et déséquilibrée de la vraie foi), la religion thérapeutique a-t-elle, même dans son objectif de base, réussi à faire en sorte que "nous nous sentons mieux dans notre peau?" Douthat observe,

Nous sommes plus libres que nous avions l'habitude de l''être [car tout le monde peut penser et être ce qu'il veut, et de construire son propre petit monde en grande partie libéré de la critique par une "tolérance" culturelle], mais [nous sommes] aussi plus isolés, plus seuls, et plus déprimés .... La thérapeutique théologique suscite des attentes, et stimule le regard sur soi. Il n'est pas surprenant que les gens apprennent à être constamment épris de leurs propres qualités divines [car ils sont formés pour découvrir le "dieu-au sein de"] et auraient des difficultés à se forger des liens avec des êtres humains ordinaires. Deux "Soi" suprêmes ne sont pas nécessairement faits pour un mariage heureux.

Les Américains sont moins heureux dans leur mariage qu'ils ne l'étaient il y a trente ans; le nombre de femmes qui se déclarent heureuses a plongé globalement à la baisse. Nos milieux sociaux ont rétréci: la baisse des taux de pratique religieuse a été accompagnée par la baisse des taux de toutes sortes de  formes de lien social, et les Américains semblent avoir des amis moins nombreux, et moins à l'égard desquels ils ont réellement confiance. Nos réseaux familiaux ont dépéri tout autant. Plus les enfants sont élevés par un seul parent, moins de gens se marient ou ont des enfants dans un premier temps; et les gens sont de plus en plus nombreux à vivre vieux et à mourir seuls .

Notre société possède 77.000 psychologues cliniciens, 192.000 travailleurs sociaux en clinique, 105.000 conseillers en santé mentale, 50.000 conseillers conjugaux et thérapeutes familiaux, 17.000 infirmières psychothérapeutes, 30.000 assistants en "coaching de vie", ainsi que des centaines de milliers de travailleurs sociaux en clinique et de conseillers de toxicomanie. La plupart de ces professionnels passent leurs journées à aider les gens à faire face aux problèmes de la vie quotidienne ... pas à de vraies maladies mentales. Cela signifie que sous nos yeux une révolution s'est produite dans la dimension personnelle de la vie, telle que des millions d'Américains doivent maintenant payer des professionnels à l'écoute de leurs problèmes de vie quotidienne .... Gourous et thérapeutes remplissent des rôles autrefois occupés par les conjoints et les amis. [Kindle version de loc :4819-38].

Donc, non, cela n'a pas fonctionné. Mais les fournisseurs ne cessent d'affluer avec le dernier tome publié par le dernier gourou. Pour être juste, comme le note Douthat, il existe de nombreuses causes aux maux sociaux décrits ci-dessus. Mais la culture thérapeutique et ses expressions spirituelles ne manquent pas de susciter des attentes pour un grand remède. Le catholicisme orthodoxe, quant à lui, a traditionnellement parlé de ce monde comme d'une vallée de larmes et d'exil à endurer avant l'aube durable d'un bonheur véritable. La satisfaction ne peut être trouvée ici-bas, et la vraie foi est essentielle pour cela. Un bonheur durable ne peut être trouvé que dans le Seigneur, et, en plénitude, seulement dans le ciel. Pour l'instant nous devons rassembler comme l'Église et consoler chacun avec les consolations que nous avons reçues, et continuer à raconter l'histoire d'une victoire totale qui nous est promise dans le Seigneur, quand le vendredi saint de cette vie cèdera la place à l'éternelle fête de Pâques du ciel.

Mais une autre raison pour laquelle le modèle de la foi intérieure et hautement personnalisée de la culture thérapeutique ne fonctionne pas , c'est qu'il rejette la communion pour laquelle nous avons été finalement faits.

Saint Augustin a résumé notre problème le plus fondamental comme étant d'être "lové en soi ". A cause du péché originel, la personne humaine a tendance à être tournée sur elle-même. Bien sûr, cela est exactement ce que beaucoup de versions modernes de la religion hérétique colportent : une recherche très personnalisée, ciblée sur elle-même pour y trouver Dieu. Une recherche en dehors de la communauté de l'Eglise, et de la communauté élargie de la tradition consacrée. Chesterton a appelé la tradition «démocratie des morts», car elle leur donne un siège à la table et une voix. Grâce à la Tradition et à la doctrine, nous sommes en communion, non seulement les uns avec les autres, mais aussi avec les chrétiens des âges précédents.

Mais l'hérésie moderne nous tourne vers l'intérieur dans un espace très solitaire et assez sombre. Elle rejette la nécessité d'une Eglise ou de doctrines en général. Or, seuls, et tournés vers l'intérieur, nous ne pouvons pas être comblés. Ce n'est pas par hasard que la "la foi thérapeutique" émane d'une culture thérapeutique qui n'est pas satisfaisante.

La vérité est que nous avons ont été faits pour les autres et pour Dieu. La communion avec Dieu, et avec l'autre en Dieu, est LE but de la vie. Le Christ a fondé une Eglise, et nous a invités dans une relation avec la Sainte Trinité. Mais c'est la Trinité telle qu'Il l'a révélée, non pas celle retravaillée par nous.

Le "dieu-dedans" de l'hérésie moderne, est plus souvent une simple émanation de nous-mêmes très, un solipsisme (du latin solus - seul, et ipse - auto). Et la «tolérance» dont on parle souvent aujourd'hui (ce n'est pas vraie tolérance, pour en savoir plus là-dessus :  voir ICI ), ne consiste pas à nous rejoindre ensemble dans l'harmonie comme on le proclame, elle nous sépare les uns des autres dans nos petits mondes individuels où "ce qui est vrai pour moi ne pas avoir pour être vrai pour vous." Nous vivons de plus en plus dans le petit monde de notre propre esprit où nous sommes occupés à tirer vers le haut les racines de n'importe quelle réalité vécue. Dieu, au sens où l'entendent ces hérésies modernes, est une divinité très locale, qui n'existe que dans l'esprit d'une personne et fait l'objet d'une redéfinition a posteriori. Il (ou Elle? Ou?) est une divinité petite et très contingente qui n'a guère d'autre rôle que ce que Douthot observe avec acuité, celle d'être notre homme-à-tout-faire (butler).

Un des grands défis pour nous aujourd'hui est donc de proposer de nouveau la nécessité d'une Église fondée par le Christ. Il n'a pas écrit un livre pour nous envoyer l'étudier. Il a fondé une communauté, une Eglise, et nous a dit que nous allions le retrouver là-bas, là où deux ou trois sont réunis en son nom. Là où ses mots réels et véridiques sont lus et entendus, là où son vrai Corps et son Sang sont offerts et reçus. Beaucoup sont scandalisés de se retrouver parmi les pécheurs, les commères, les hypocrites et les autres (et les saints aussi!). C'est pourtant là qu'il se trouve. En effet, une image de l'Eglise est le Christ, crucifié entre deux voleurs (dont un repenti!). Oui, c'est là qu'il se trouve, dans l'Eglise. Et c'est seulement au sein de l'Église avec ses doctrines minutieuses et réfléchies, et sa sagesse accumulée durant des siècles, c'est là que s'effectue le voyage pour trouver Dieu en nous, avec suffisamment de sécurité pour  Le prendre en considération. Car, oui, il demeure en nous aussi. Mais ne faites pas ce voyage seul. Non, jamais seul.

Les commentaires sont fermés.