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Eglise : de nouvelles tensions autour des formes des célébrations liturgiques ?

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C'est ce que l'on peut conclure à la lecture de ce qui suit et a été publié sur chiesa.espresso par le vaticaniste Sandro Magister :

TROIS RAISONS POUR UNE INQUIÉTUDE

Dans le domaine de la liturgie, le pape Bergoglio a pris jusqu’à maintenant deux décisions publiques.

La première est celle qui a fait le plus de bruit : l’interdiction faite à la congrégation des religieux franciscains de l'Immaculée de célébrer la messe selon le rite ancien :

Pour la première fois François contredit Benoît

Cette interdiction a été perçue comme une limitation apportée à la liberté de célébrer la messe selon le rite ancien que le pape Benoît a donnée à tout le monde par le motu proprio "Summorum pontificum" de 2007.

L'intention du pape Ratzinger – exprimée dans une lettre adressée aux évêques du monde entier – était de rendre à la liturgie catholique la "splendeur de vérité" masquée par de très nombreuses innovations postconciliaires, grâce à un enrichissement réciproque des deux formes du rite romain, l’ancienne et la moderne.

En revanche l'opinion du pape François à ce sujet est plus restrictive. Dans l’interview qu’il a accordée à "La Civiltà Cattolica", il a déclaré que la possibilité de célébrer la messe selon le rite ancien est une simple concession à la nostalgie de "personnes qui ont cette sensibilité".

Bergoglio n’est pas tendre avec les traditionalistes. Dans la même interview, il a jugé "préoccupant le risque d’idéologisation du 'vetus ordo', son instrumentalisation". Et, en deux autres occasions, il les a qualifiés de partisans d’une "restauration d’attitudes et de formes dépassées qui, même au point de vue culturel, ne peuvent pas être significatives".

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La seconde décision qui a été prise par le pape François dans le domaine de la liturgie a été de remplacer en bloc les cinq consulteurs du service des célébrations pontificales.

Alors que les consulteurs précédents étaient en harmonie avec la manière de célébrer de Benoît XVI, on voit au contraire réapparaître, parmi les nouveaux, quelques-uns des plus ardents partisans des innovations introduites pendant le pontificat de Jean-Paul II sous la direction de Piero Marini, qui était alors maître des cérémonies pontificales.

Le bruit court au Vatican – au grand effroi des partisans de la tradition – que Bergoglio pourrait carrément nommer Piero Marini préfet de la congrégation pour le culte divin. Mais même si ces bruits s’avéraient infondés, il reste le fait que, actuellement, les liturgies pontificales sont spectaculairement différentes de celles de Benoît XVI.

Cette différence a atteint son point culminant lors de la messe célébrée par le pape François sur la plage de Copacabana, à la fin des Journées Mondiales de la Jeunesse qui ont eu lieu à Rio de Janeiro, avec le "musical" qui a été introduit au cœur même de la liturgie, comportant des solistes, des chœurs et des rythmes dignes d’un stade.

Mais, sans en arriver à ces excès, il y a, dans la manière de célébrer du pape actuel, des éléments récurrents qui ont frappé de façon négative ces fidèles, dont la tristesse a été exprimée – au moyen d’une lettre ouverte, datée du 23 septembre, qui a fait le tour du monde – par une catholique mexicaine, Lucrecia Rego de Planas, mère de neuf enfants, professeur d’université et amie de longue date de ce même Bergoglio :

> "Muy querido Papa Francisco…"

Dans sa lettre, Lucrecia Rego de Planas dit, entre autres, qu’elle a "souffert" en voyant que Bergoglio, alors même qu’il est pape, "n’a pas fait de génuflexion devant le tabernacle pendant la consécration", comme c’était déjà le cas lorsqu’il était à Buenos Aires.

Et c’est la vérité. Pendant la messe, après la consécration du pain et du vin, le pape François ne fait jamais la génuflexion prescrite par la liturgie, mais il se contente de s’incliner. Et à Rio de Janeiro, pendant la veillée nocturne transmise en mondovision, il ne s’est pas mis à genoux lors de l'adoration du Saint Sacrement, mais il est resté debout ou assis.

Cependant il est vrai aussi que, à la fin de la journée de prière et de jeûne pour la paix qu’il avait organisée le 7 septembre, il est resté longtemps agenouillé lors de l'adoration eucharistique sur la place Saint-Pierre.

Et il faut également rappeler que, au cours du voyage aérien qui le ramenait de Rio de Janeiro, le pape François a exprimé son admiration pour les liturgies orientales, pleines de sacralité et de mystère et très fidèles à la tradition. Voici ce qu’il a déclaré :

"Les Églises orthodoxes ont conservé cette liturgie originelle, qui est tellement belle. Nous avons un peu perdu le sens de l'adoration. Elles l’ont conservé, elles louent Dieu, elles adorent Dieu. Nous avons besoin de ce renouvellement, de cette lumière venue d’Orient".

Et en effet le pape François a nommé, parmi les cinq nouveaux consulteurs du service des célébrations pontificales, un moine de rite oriental, Manuel Nin, recteur du Collège Pontifical Grec de Rome. À côté de consulteurs d’orientation toute différente, comme le servite Silvano Maggiani et le montfortain Corrado Maggioni, l’un et l’autre de l’équipe de Piero Marini.

Il y a donc chez Bergoglio une oscillation dans les nominations, dans les gestes et dans les mots qui fait qu’il est difficile d’interpréter ses décisions et plus encore de prévoir ce qu’il va faire à l’avenir.

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Mais, en plus des deux décisions que l’on vient d’évoquer, le pape François en a pris, de manière discrète, une troisième : il a bloqué l'examen des messes des communautés néocatéchuménales qu’avait entrepris la congrégation pour la doctrine de la foi.

L'ordre de vérifier si ces messes comportent des abus liturgiques, et lesquels, avait été donné personnellement par Benoît XVI, au mois de février 2012 :

> Cette messe étrange dont le pape ne veut pas

Le début de cet examen avait été nettement défavorable au "Chemin" fondé et dirigé par Francisco "Kiko" Argüello et Carmen Hernández, qui ont toujours fait preuve d’une grande désinvolture quand il s’agissait de modeler les liturgies selon leurs critères.

Mais maintenant ils se sentent en sécurité. Ils ont eu la confirmation que le danger était éloigné, de la bouche même du pape François, lors d’une audience qu’il leur a accordée le 5 septembre.

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Ce qui est certain, c’est que le pape actuel, dans l’interview accordée à "La Civiltà Cattolica" qui constitue le manifeste de son début de pontificat, montre, quand il décrit la réforme liturgique postconciliaire, qu’il la conçoit en termes purement fonctionnels :

"Le travail de la réforme liturgique a été un service au peuple en tant que relecture de l’Évangile à partir d’une situation historique concrète".

Si Bergoglio avait été un élève du professeur Ratzinger – universitaire de très haut niveau et très attaché à cette liturgie que le concile Vatican II a désignée comme "sommet et source" de la vie de l’Église – il aurait vu cette phrase soulignée à l’encre rouge.

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La note ci-dessous a pour auteur l’un de ces consulteurs du service des célébrations pontificales qui ont été congédiés par le pape François, le liturgiste "ratzingerien" Nicola Bux.

Et elle a été écrite comme "une invitation à la réflexion pour tous ceux qui font courir le bruit selon lequel le pape François va 'changer' la liturgie".

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"CHANGER" LA LITURGIE ?

par Nicola Bux

Actuellement le désaccord concernant la nature de la liturgie est plus que manifeste. Est-elle l’œuvre de Dieu, dans laquelle il a une compétence et des droits ? Ou bien est-elle une activité humaine dans laquelle nous pouvons faire ce que nous voulons ?

Les ombres, les abus et les déformations – des termes utilisés par Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI et qui montrent les effets de la soif d’innovation – ont mis dans un coin la tradition selon laquelle “ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église et de leur donner leur juste place” (Benoît XVI, dans la lettre aux évêques qui accompagnait le motu proprio "Summorum pontificum").

Sans "traditio" – la transmission de ce que nous avons reçu, comme l’écrit l'Apôtre – ce qui est nouveau ne se développe pas de manière organique. Le désaccord ne peut se résoudre que si l’on comprend que la liturgie est sacrée, c’est-à-dire qu’elle appartient à Dieu et que celui-ci y est présent et agissant.

Mais à qui incombe la sauvegarde des droits de Dieu sur la liturgie sacrée ? C’est au Siège Apostolique et, selon le droit, à l’évêque ainsi que, dans certaines limites, aux conférences épiscopales, qu’il revient de “moderare” la liturgie : c’est ce que dit le texte latin de la constitution liturgique du concile Vatican II (n° 22, § 1-2).

Que signifie “moderare”? Si l’on se réfère à d’autres actes de Vatican II, cela signifie sauvegarder la légitime diversité des traditions dans les domaines liturgique, spirituel, canonique et théologique : pensons aux liturgies occidentales que sont la romaine et l'ambrosienne et aux nombreuses liturgies orientales qui sont conservées au sein de la seule Église catholique.

Le mot “moderare” peut également être traduit par “organiser”, ce qui suppose que l'opération se fasse "sous la direction" d’une autorité suprême. Un autre document de Vatican II, le décret relatif à l'œcuménisme (Unitatis redintegratio n° 14), nous apprend que les rédacteurs du texte comprenaient "moderante" comme signifiant "sous la présidence", ou en français : "intervenant d’un commun accord" (la traduction française a été faite par les rédacteurs du décret). La formule limite les interventions romaines "ad extra", à l’apparition d’un désaccord grave à propos de la foi ou de la discipline.

La sacralité de la liturgie conduit donc la constitution liturgique conciliaire à tirer les conséquences : “C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie” (n° 22 § 3).

Le Catéchisme de l’Église catholique a de plus précisé que “même l’autorité suprême dans l’Église [autrement dit le pape - ndr] ne peut changer la liturgie à son gré, mais seulement dans l’obéissance de la foi et dans le respect religieux du mystère de la liturgie” (n° 1125).

Voici ce que Joseph Ratzinger a écrit dans la préface au livre d’Alcuin Reid "Lo sviluppo organico della liturgia" [Le développement organique de la liturgie], éditions Cantagalli, Sienne, 2013 :

“Il me semble très important que le Catéchisme, lorsqu’il mentionne les limites du pouvoir de l’autorité suprême dans l’Église en ce qui concerne la réforme, rappelle quelle est l'essence de la primauté, comme cela est souligné par les conciles Vatican I et II : le pape n’est pas un monarque absolu dont la volonté a force de loi, il est plutôt le gardien de l’ancienne Tradition [l’une des deux sources de la révélation divine – ndr) et le premier garant de l'obéissance. Il ne peut pas faire ce qu’il veut et précisément pour cette raison il peut s’opposer à ceux qui entendent faire ce qu’ils veulent. La loi à laquelle il doit s’astreindre est non pas l’action 'ad libitum', mais l’obéissance de la foi. C’est pourquoi, en ce qui concerne la liturgie, il fait le travail d’un jardinier et non pas celui d’un technicien qui construit des machines neuves et jette les vieilles. Le 'rite', c’est-à-dire la forme de célébration et de prière qui se développe dans la foi et dans la vie de l’Église, est une forme condensée de la Tradition vivante, dans laquelle la sphère du rite exprime l'ensemble de sa foi et de sa prière, ce qui permet d’expérimenter, en même temps, la communion entre les générations, la communion entre ceux qui prient avant nous et ceux qui prient après nous. Par conséquent le rite est comme un don fait à l’Église, une forme vivante de 'paradosis'".

Voilà une invitation à la réflexion pour tous ceux qui font courir le bruit selon lequel le pape François va “changer” la liturgie.

Au siècle dernier, en Russie, la tentative du patriarche Nikon de changer les livres liturgiques orthodoxes a eu comme résultat un schisme. De même, chez les catholiques, le schisme de Mgr Lefebvre a été dû, pour une bonne part, au fait que l’on avait touché à la liturgie et nous en subissons encore aujourd’hui les conséquences.

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En plus de Nicola Bux, les consulteurs du service des célébrations liturgiques pontificales qui ont été congédiés par le pape François sont Mauro Gagliardi, Juan José Silvestre Valor, Michael Uwe Lang et Paul Gunter.

Le pape a nommé à leur place, le 26 septembre, Silvano Maggiani, Corrado Maggioni, Giuseppe Midili, Angelo Lameri et Manuel Nin.

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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

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