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Le totalitarisme du politiquement correct

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Lu sur la Libre cette opinion d'un franc tireur :

OPINIONS Est-il encore permis d’exprimer librement un avis ou sommes-nous contraints de suivre aveuglément le courant dominant sous peine d’être cloués au pilori ? Les dernières semaines ont été riches en enseignements sur le sujet.

Une opinion de Jean-François Nandrin, criminologue et enseignant.

La victoire du FN à Brignoles affole peut-être, mais doit-elle étonner ? L’habitude de mettre le couvercle sur ce qu’on n’a pas envie d’entendre ou de dire ne peut qu’aboutir à un retour de flamme de discours simplistes se donnant comme "enfin véridiques", de telle sorte que les efforts d’idéologie par ailleurs appréciables, parce que maladroits, aboutissent à leur inverse. Parce que les idéologues ne tiennent pas compte du réel.

Le passé tout récent est riche en exemples de réactions outrancièrement vertueuses : "cachez ce sein que je ne saurais voir" (1) mais sur lequel je lorgne. La RTBF a suspendu monsieur Vande Walle pour des propos racistes. Il avait évoqué, en termes peu subtils il est vrai, mais nos footballeurs ne nous ont pas habitués à du Bossuet, les différences d’origine des joueurs. Interventions en sa faveur du MRAX - nous ne sommes pas le pays du surréalisme pour rien ! - et de joueurs d’origine - osera-t-on le dire ? - étrangère, rien n’y fait. Au même moment, monsieur Wilshere précisait : "Tu n’es pas anglais après 5 ans", tandis que Femen et entarteurs attaquaient courageusement monseigneur Léonard et madame Christine Boutin, au cours d’un débat sur l’homosexualité, descendant le niveau - je reprends le mot d’une Femen - à "caca boudin".

Ainsi, la liberté de parole, qui constitue un des Droits de l’Homme, reste un droit absolu, à la seule condition d’être en accord avec le courant dominant. Evoquer le métissage des équipes dû non au métissage national, mais à l’achat de joueurs : interdit ! Dire qu’il ne suffit pas d’habiter cinq ans un pays pour en devenir un parfait autochtone (qui l’eût cru ?) : interdit ! Affirmer que l’homosexualité n’est pas pour tous un modèle : interdit ! Etc. Il ne s’agit pas seulement de transformer en secret d’Etat ce que tout le monde sait, mais d’interdire toute pensée contraire au dogme. Le dogme peut bien être bon, que dire de cette méthode ? On pense à 1984 d’Orwell; à l’URSS, où les opposants étaient considérés comme fous et dûment enfermés. Car n’est-ce pas fou d’être en désaccord avec le courant dominant, avec "ce que tout le monde pense" ?

Chomsky et la propagande

Chomsky, philosophe qu’on ne peut soupçonner de ne pas être à gauche, rappelle que "la propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire" (2). Le bien commun serait une notion échappant complètement à la masse et le devoir des élites est dès lors de "dompter le troupeau par la fabrication du consentement" (3). A tout prix, Big Brother doit nous abreuver d’idées justes et aseptisées. N’est-ce pas ce qui est en train de se passer avec des débats régis par le seul devoir de fabriquer de la pensée correcte ?

"Les gens doivent rester assis devant le téléviseur, isolés des autres, et se mettre dans le crâne le message qui leur dit que la seule ambition respectable dans la vie est d’acquérir davantage de biens matériels. Seul devant son téléviseur, que peut-on conclure, sinon qu’il faut être fou pour penser autrement, puisque la télévision ne montre rien d’autre et qu’il est impossible, isolé, de savoir ce que pensent les autres. Le troupeau doit être distrait par des championnats de football, des sitcoms ou des films violents"(4). Eclairant.

Quel est ce "courant dominant" ? L’analyse de notre société par le psychiatre J.P. Lebrun en dévoile la nature : toujours plus de jouissance individuelle. Est désormais discrédité d’office quiconque s’oppose à "moi-je-veux" (5). Il y a l’obligation d’être le plus libre possible et d’offrir à tous un maximum de libertés. Dès qu’on n’est pas pleinement pour la suppression de toute limite, on est ringard. Et une lecture simpliste de la démocratie, qu’il appelle le "démocratisme", la résumant en "chacun fait ce qu’il veut, pour autant que cela ne dérange pas l’autre" (6), fait glisser le ringard à facho. Et de facho à interdit de parole, il n’y a qu’un pas, allègrement franchi par ceux qui se disent tenants de la liberté. Mais ainsi, paradoxalement pour des discours de gauche, "c’est à une véritable intériorisation du modèle de marché que nous sommes en train d’assister" (7). Limites de l’idéologie aveugle !

Du pain et des jeux

Ce "tout doit être permis" a pourtant des limites, que ressent le "troupeau". Ne vivant pas nécessairement dans les conditions socio-économiques confortables de l’élite pensante de gauche, il conteste de plus en plus les lénifiants "tout va très bien Madame la marquise" qui ne trompent plus personne. Cela explique le succès des discours "karcher", offrant aux problèmes brûlants des solutions certes simplistes, mais qui ont l’avantage de sembler dire à haute voix ce que plus d’un penserait - à tort ou à raison - tout bas. Sans doute ces problèmes sont-ils pris en considération par nos "élites" - enfin, on l’espère ! - mais leur négation outrancière exaspère. Que le peuple continue à regarder "des championnats de football et des sitcoms" : panem et circenses ! Est-ce cela, la démocratie ?

Qu’il soit donc permis de dire qu’il y a des problèmes, des questions, des tensions, des avis différents, des désaccords ! Strict adhérent à la démocratie et au refus de tout racisme et sexisme, je ne peux que regretter le retour en force d’attitudes inacceptables. Cependant, quand ce n’est plus le droit à la libre expression qui régit le débat, mais l’imposition du dogme, cela provoque une profonde méfiance qui court-circuite la résolution des problèmes et permet de facilement vendre un ordre nouveau. Empêcher les avis de s’exprimer n’aboutit pas à les effacer mais à les exaspérer, voire à créer du complotisme, tout comme le silence imposé aux partis extrémistes ne les fit pas disparaître, que du contraire, puisque aucun débat ne permit de leur répondre sauf d’inutiles anathèmes.

C’est très intelligemment que le MRAX invita - en vain - la RTBF à "pacifier le climat" autour de l’affaire Vande Walle, pensant sans doute aux effets contre-productifs de ce type de réaction. Effets qu’il sera bien placé pour constater. "Qui fait l’ange fait la bête", disait Pascal. C’est dangereux. Ce n’est pas pour rien qu’en France, un électorat ouvrier habituellement de gauche a voté FN. Que souhaitons-nous chez nous ?

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1 Molière, "Tartuffe", acte trois, scène deux.

2 Chomsky, Noam, "Propaganda", Paris : Le félin/Danger public, 2002, p. 21.

3 Idem, p. 17.

4 Idem, pp. 29-30.

5 Cf. son incontournable essai "La perversion ordinaire. Vivre ensemble sans autrui". Denoël, 2007.

6 Lebrun, p. 122.

7 Gauchet, M., "La religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité", Gallimard, 2003, p. 86.

Commentaires

  • On peut encore citer le "Gleichschaltung" que les Nazis ont introduit dès leur arrivée au pouvoir. Tous ceux qui ne voulaient pas se "synchroniser" avec le dogme ont été exilés, enfermés, élimininés. Au point que pendant un certain temps, "Allemand" fut synonyme de "Nazi", et "Russe" de "Soviétique". Pour avoir un bon travail, il fallait avoir sa carte du parti. Combien de gens chez nous n'ont pas pris une carte du PS, non pas par conviction, mais par intérêt ??

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