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Rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba : le rôle discret joué par l'Église

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De Pierre Jova sur le site « Figaro-Vox » :

« L'embargo américain sur Cuba n'a pas été levé, mais cela y ressemble. Barack Obama et Raul Castro ont annoncé conjointement un rapprochement historique entre Washington et La Havane: les relations diplomatiques, aériennes et commerciales sont rétablies, des prisonniers sont échangés. Les États-Unis admettent officiellement l'échec du blocus contre Cuba, instauré entre 1960 et 1962, destiné à abattre le régime communiste de l'île.

Tiré du mot espagnol « embargar » qui signifie «embarrasser», l'embargo a connu son heure de gloire dans les années 1990, lors des grands moments du «droit d ‘ingérence», et des «États voyous». Systématiquement détournés, pénalisant les populations mais échouant à renverser les régimes, les embargos semblent avoir prouvé leur inefficacité. Barack Obama serait bien inspiré de tirer les mêmes conclusions concernant la Russie, mais ni la Maison-Blanche, ni le Congrès à majorité républicaine, dont la dureté en politique étrangère confine à l'aveuglement, ne semblent prêts à cette lucidité.

Si l'embargo s'avère inefficace, la diplomatie vaticane, en revanche, brille une nouvelle fois par son succès. L'Église catholique a eu un rôle discret mais décisif dans la détente entre Washington et La Havane. Le Pape François a accueilli au Vatican les délégations américaine et cubaine, et a appuyé les négociations. L'Église a également permis un assouplissement du régime castriste, par un patient travail de sape.

Après l'épisode de la Baie des cochons en 1961, Fidel Castro, arrivé au pouvoir à Cuba en 1959, se tourne vers l'URSS et adopte le marxisme-léninisme. Il fait expulser et emprisonner le clergé catholique, ainsi que les pasteurs protestants et les sorciers vaudous, et proclame l'île officiellement athée. Mais un substrat chrétien demeure dans la population. En 1992, l'irréligion d'État s'adoucit en laïcité, et Jean-Paul II est reçu à Cuba en 1998.

Le Pape, complice des communistes ? Contrairement à la Pologne, le Vatican ne cherche pas à faire tomber le régime cubain.

Cette visite papale est lourde de symboles. Auréolé de son statut de «vainqueur du communisme», Jean-Paul II arrive à Cuba le 21 janvier 1998, date anniversaire de la mort de Lénine. Lors de la messe finale, Place de la Révolution, à La Havane, le pape déclare en présence de Fidel Castro qu'un État «ne peut pas faire de l'athéisme (…) un de ses fondements politiques», et doit adopter «une législation appropriée qui permette à chaque personne et à chaque confession religieuse de vivre librement sa foi». Dans la même homélie, le Pape dénonce également le «néo-libéralisme capitaliste», qui «asservit la personne humaine et conditionne le développement des peuples aux forces aveugles du marché». Défense de la liberté de conscience et rejet du matérialisme, communiste comme capitaliste: la doctrine sociale de l'Église est résumée en peu de mots. Jean-Paul II qualifie également l'embargo sur Cuba de «moralement inacceptable».

En 2012, Benoît XVI visite à son tour Cuba. Il plaide pour un changement politique, et dénonce le blocus américain qui «pèse injustement sur le peuple». Les deux papes, dans le cadre de leurs visites, obtiennent des États-Unis des levées partielles de l'embargo: octroi de permis d'exportation de médicaments, reprises de certains vols, autorisation aux Cubains réfugiés en Floride d'envoyer des fonds à leurs familles restées sur l'île. Le Pape François n'a fait que poursuivre les efforts de ses prédécesseurs en faveur d'une remise en cause du blocus de Cuba.

Le Pape, complice des communistes? Contrairement à la Pologne, le Vatican ne cherche pas à faire tomber le régime cubain. Ce dernier, agonisant, est prêt à accorder une place dans la société à l'Église. Celle-ci se place à la fois comme force d'opposition et appui pour la transition. Grâce à cette nouvelle donne, les évêques cubains obtiennent chaque année davantage de libérations de prisonniers politiques, et l'Église redevient une force morale dans le pays.

Mais cette situation sert également le régime cubain. Tout comme le dernier leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 1980 avec l'Église orthodoxe russe, la dictature castriste souhaite se servir du catholicisme pour pallier à la démoralisation générale, tout en continuant à la contrôler. Le péril majeur pour l'Église cubaine n'est plus la persécution, mais la récupération politique.

Malgré les manœuvres de Raul Castro pour assurer la transition du communisme vers les modèles chinois et vietnamien, le régime ne semble pas prêt à une Perestroïka, et l'avenir de la société cubaine reste incertain. Les Cubains sont usés par la dictature. Nombre de pères de famille partent faire fortune aux États-Unis, et ne reviennent pas, laissant des foyers éclatés. Par ailleurs, si le rétablissement des relations économiques avec Washington soulagera la population cubaine, le risque est grand qu'elle soit bouleversée par l'irruption trop violente du libéralisme américain.

Dans l'immédiat, cet événement historique fait beaucoup d'heureux, et quelques mécontents, que l'on peut deviner sans peine. Les républicains américains, cramponnés sur leur dénonciation du régime cubain vieille de la Guerre froide. Jean-Luc Mélenchon, avocat de Cuba, et persuadé que le Pape n'a aucun rôle à jouer sur la scène politique. Et les organisateurs de la Fête de l'Humanité, qui devront trouver un autre fond de commerce pour leurs stands pro-cubains que l'injustice impérialiste américaine dont est victime la fière île socialiste. »

Ref. Rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba : le rôle discret joué par l'Église. Pierre Jova est journaliste. Il écrit notamment pour Causeur et Cahiers libres.

JPSC

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