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Liberté d'expression, oui. Liberté d'insulter, non.

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Lu sur EuropInfos (COMECE) : 

Liberté d'expression, oui. Liberté d'insulter, non.

 

Quand on discute de religion dans l'arène publique, le débat ne peut que gagner à prendre constamment pour guide une vertu dont Thomas d'Aquin indique qu'elle est le pivot de tout le tissu moral : la prudence.

Les assassinats tragiques et choquants dans les bureaux de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo et au supermarché casher ont fait des 7 et 9 janvier 2015 des journées noires pour Paris et pour le monde. Les membres de l'équipe de rédaction de Charlie Hebdo étaient spécifiquement visés parce que dans l'exercice de leur profession, ils étaient considérés comme ayant blasphémé contre le prophète Mahomet ; il n'est donc pas surprenant que les journalistes et les chroniqueurs du monde entier aient abreuvé de papier les grands journaux, les tabloïdes et les hebdomadaires. Certains se sont précipités pour publier, faisant fi de toute prudence et laissant l'émotion à l'état brut dicter leur texte, d'autres ont livré à la discussion des réflexions plus élaborées. Tous ont paru du même avis que les leaders mondiaux et les multitudes qui se sont rendues à Paris et qui ont manifesté le dimanche après les événements, estimant que la liberté d'expression subissait une attaque frontale. 

Une autre liberté fondamentale dans une société ouverte a réuni beaucoup moins de soutien ces dernières années de la part des mêmes journalistes indignés qui ont tous proclamé sans exception - et c'est bien naturel - leur soutien à leurs collègues français, à savoir la liberté de religion. Tout d'un coup, les politiciens, les dirigeants religieux et même l'intelligentsia se rendent maintenant compte du lien qui existe entre ces deux libertés. 

Il est ironique de constater que ceux qui proclament fièrement "Je suis Charlie" sont confrontés du même coup à une question dérangeante qui concerne leur attachement à la liberté de religion. La COMECE a non seulement étudié cette dernière de façon approfondie au cours des cinq dernières années mais elle a aussi œuvré, en soulevant la question auprès des décideurs en coopération avec nos partenaires œcuméniques, pour que la liberté de religion et la protection de cette liberté, au sein de l'Union européenne et au-delà, fassent aujourd'hui l'objet d'un engagement ferme de la part de la Commission européenne. Le respect de l'une ne doit diminuer en aucune façon le respect de l'autre. Quand on discute de religion dans l'arène publique, le débat ne peut que bénéficier de prendre constamment pour guide une vertu dont Thomas d'Aquin indique qu'elle est le pivot de tout le tissu moral : la prudence. 

La liberté d'exprimer des idées religieuses ou de discuter de questions de croyance religieuse dans l'arène publique fait de nouveau l'objet d'un débat intense et passionné, en raison de ce qui s'est passé à Paris au cours de la première semaine complète de l'année nouvelle. Comme la COMECE et nos amis jésuites ne peuvent entrer en lice qu'un mois après les événements, on peut nous accorder la permission d'enraciner nos réflexions dans le passé chrétien. En fait, nous sommes convaincus que la leçon la plus importante de toutes peut être tirée d'un événement qui s'est produit moins d'une génération après la mort de Jésus de Nazareth et de la façon dont il a été raconté. Le journaliste sur le terrain s'appelle Luc. 

Quand Paul de Tarse, un juif pieux de citoyenneté romaine, se rend à Athènes en l'an 46 de notre ère, il a des discussions sur Dieu et sur sa foi en Jésus Christ dans les synagogues et sur l'agora. Il s'entretient avec des philosophes épicuriens et stoïciens mais il est ouvertement repoussé et qualifié de "perroquet", de "discoureur" et de "propagandiste", "prêcheur de divinités étrangères". Luc nous raconte que pour les Athéniens, discuter des dernières nouveautés était un "passe-temps", mais ce qui est plutôt surprenant, c'est que même s'ils ridiculisent Paul, ils l'invitent quand même à venir s'expliquer (sur Dieu et sur Jésus) devant le forum de discussion le plus sophistiqué de la ville, le Conseil de l'Aréopage. Les auditeurs de Paul l'écoutent poliment, même si "certains se moquent" lorsqu'il mentionne la résurrection des corps. Luc, tel un jeune reporter ou un correspondant pour Reuters avant la lettre, nous en donne un compte-rendu de première main très complet, que l'on peut lire dans les Actes des Apôtres 17, 16–34. L'altercation dans l'Athènes du premier siècle, le conflit entre le judaïsme classique et la nouvelle interprétation que donne Paul de la doctrine traditionnelle dans les synagogues de la diaspora, les échanges vigoureux entre la chrétienté naissante et le paganisme bien établi restent civilisés, tempérés par la bonne humeur et facilités par une certaine ouverture d'esprit. 

Comme le pape François le faisait remarquer aux Philippines, les croyances et les convictions religieuses de quelqu'un sont comme des liens de famille, qui font appel à des loyautés viscérales. Il ne faut pas les mépriser ni les ridiculiser. Mais comme l'ont fait les Athéniens il y a près de deux mille ans, même s'ils n'étaient pas d'accord avec Paul et qu'ils l'ont renvoyé en se moquant de lui, ils n'ont pas fermé les écoutilles et lui ont laissé la possibilité de poursuivre librement le débat : "Nous t'entendrons là-dessus une autre fois" (Actes 17, 33). La liberté d'expression et la liberté de religion ne s'excluent pas mutuellement.

 

Fr. Patrick H. Daly

Secrétaire Général de la COMECE

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