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L'Afrique aime la famille

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966815759.jpgEntretien de Mgr Pascal N’Koué, archevêque de Parakou (Bénin) avec  Christophe Geffroy, directeur de la revue mensuelle « La Nef » (Source : La Nef N°275 de novembre 2015):

"Mgr Pascal N’Koué a été nommé évêque de Natitingou, au Bénin, en 1997, puis archevêque de Parakou en 2011. Il évoque pour nous l’importance de la famille en Afrique.

La Nef – Pourquoi la famille est-elle un sujet si important pour l’Église ?

Mgr Pascal N’Koué – La famille, c’est important pour toute l’humanité. Ce n’est pas seulement pour l’Église. Mais si l’Église s’intéresse tant à la famille, c’est parce que Dieu lui-même est famille. Il est paternel, il est maternel. Il est un (uni), il est trine (diversité). Il a créé Adam et Ève pour vivre en famille avec lui et pour fonder une famille. Dans les deux cas, on parle d’alliance. L’esprit de famille est quelque chose de constitutif pour l’humanité et pas seulement pour l’Église. La famille est un patrimoine indispensable de l’humanité. C’est le lieu privilégié où toute personne apprend à vivre en société. C’est le lieu privilégié d’éveil à la foi, à l’amour, au partage, à l’attention réciproque. La transmission des valeurs humaines, morales et spirituelles se fait d’abord en famille.

Les Évêques africains se sont organisés au synode en présentant une approche commune cohérente pour défendre la famille : pourquoi ce front commun ?

Longtemps l’Afrique s’est tue. Il est temps qu’on parle d’une seule et même voix, surtout sur ce thème si cher à notre Créateur qui ne veut que notre bonheur. Ce front commun est un genre d’intifada. Notre intifada est un non à la culture de la mort et un oui à la culture de la vie. On dit non à tout ce qui défigure, avilit, et détruit la famille. Ce n’est pas parce que l’Afrique est faible économiquement, militairement, politiquement que les puissances d’argent, dans un mépris souverain de Dieu et des pauvres, ont le droit de nous imposer des idéologies suicidaires contre nature, et cela, moyennant quelques aides internationales. Nos hommes politiques ont souvent peur des représailles. Ils n’osent pas toujours dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Tous ces nouveaux droits de l’homme, c’est du poison. Dans beaucoup de domaines en Afrique, il n’y a que l’Église pour éclairer, dénoncer, instruire, former les consciences, accompagner les jeunes, et aguerrir les populations blessées et abandonnées à elles-mêmes. L’Église joue souvent le rôle du bon samaritain. L’Afrique n’a plus rien en propre. Nos terres sont vendues à vil prix, notre sous-sol appartient aux multinationales, nos jeunes sont tournés vers l’Occident à cause des médias qui sèment et entretiennent des illusions dans les esprits… Ce qu’il nous reste encore à défendre, c’est la famille.

Tous ceux qui défendent une évolution des normes morales de l’Église sont des Occidentaux : que vous inspire cette situation et pourquoi la pression vient-elle principalement de ces pays développés ?

C’est à moi de vous poser cette question. Et je serais heureux que vous me donniez une réponse claire, précise et convaincante. Pourquoi cette pression vient-elle principalement des pays développés ? Sincèrement, je ne comprends pas pourquoi en Occident, on s’acharne avec une cruauté rare à vouloir déconstruire ce que Dieu a fait. On a l’impression qu’ils veulent bâtir de toutes pièces un homme nouveau sans Dieu. Les puissances d’argent sont rassasiées et repues. Dieu est absent de leur vie, alors ils peuvent tout se permettre. Et elles nous embarquent dans leurs crises. Nous sommes en crise profonde et terrible. Non, l’Afrique a d’autres problèmes. L’apôtre saint Paul a raison de dire que « là où le péché a abondé la grâce a surabondé ». Nous autres, nous pouvons ajouter que là où les racines chrétiennes ont porté beaucoup de fruits, Satan, le père du mensonge, s’acharne pour tout déconstruire. En effet, l’Occident a été fortement christianisé, il a donné de grands saints, beaucoup de martyrs, d’illustres fondateurs et fondatrices de congrégations, un nombre important de missionnaires pour faire connaître et aimer l’unique Sauveur. Face à ce succès de l’Évangile, Satan se venge. Mais il n’aura pas le dernier mot. En Occident, les parents et les responsables de la cité ont perdu de leur autorité morale. Tout cela nous influence. Celui qui a de la valeur aujourd’hui, c’est celui qui a beaucoup d’argent. Si on sort Dieu de la vie des hommes, on construit des monstres qui tôt ou tard nous abattront. Dieu merci, en Afrique, il y a encore la crainte de Dieu.

L’Afrique sera-t-elle, ainsi que l’avait pressenti Benoît XVI, le grand défenseur de la famille ?
L’Afrique, c’est « la nouvelle patrie du Christ » a dit le bienheureux Paul VI. Jésus est venu en refugié chez nous. Et nous l’avons protégé. Notre pauvreté nous rend compatissants envers d’autres pauvres. C’est une chance. Et puis, malgré tout, on aime la vie, l’enfant est encore considéré comme un trésor. L’instinct maternel est très fort chez la femme africaine. Les familles sont nombreuses. Je ne crois pas que l’Afrique ait la velléité de se poser en donneuse de leçon. Pour moi, le plus important n’est pas d’être le grand défenseur de la famille dans les débats internationaux, dans les conférences et les écrits, il en faut ; mais il nous faut plutôt être bons et fidèles serviteurs du Seigneur, ne pas perdre notre identité et rester attaché aux valeurs familiales qui nous relient à Dieu. Écouter la Parole de Dieu et la mettre en pratique, tout est là. La grâce divine, le secours de Dieu nous rassure. La religiosité populaire est très ancrée en nous.

Comment se vit la famille en Afrique, ne connaissez-vous pas aussi une pression pour la faire évoluer dans le sens occidental ?
En Afrique, on aime faire partie d’un groupe, même si la grande famille étendue, de type patriarcal, est en train de perdre sa force. On inclut dans la famille : père, mère, enfants, oncles, tantes, grands-parents, familles alliées, personnes âgées et même les amis et les voisins. L’autorité de l’ancien sur le groupe familial a diminué certes ; par contre, l’influence des oncles maternels résiste encore au relativisme moderne, parce que chez nous, c’est la forme matrilinéaire (les liens de sang par la mère) que nous adoptons. Et on appelle facilement frère le neveu, le cousin, l’oncle, l’habitant du même village, etc. La culture de la solidarité familiale n’est pas toujours facultative. C’est un devoir. Voilà pourquoi, l’hospitalité est toujours une fleur épanouie en Afrique. On partage. La joie de vivre est manifeste. On aime la fête, un peu trop. Face aux problèmes de société, on s’assoit pour chercher un consensus. On prend beaucoup de temps pour rechercher l’unanimité entre les vivants, avec les morts...
Mais évitons d’idéaliser la famille africaine. Les différentes ethnies se massacrent quand elles sont politisées. Le péché originel et ses conséquences nous ont atteints aussi. Les influences négatives de la pensée dominante ne nous laissent pas en repos. Les spots publicitaires sans censure des hommes sans foi ni loi nous agressent continuellement, abîment notre imaginaire et fragilisent nos familles.

Le mariage chrétien est source de bonheur, mais ses exigences sont-elles devenues trop grandes ?
Avant de parler des exigences du mariage, il faut d’abord regarder avec foi et confiance notre Créateur et notre Rédempteur. Qui regarde vers lui resplendira. Qui s’appuie sur lui ressemble au mont Sion, rien ne l’ébranle, il est stable pour toujours. Nous oublions souvent que c’est lui qui nous a faits et que nous sommes à lui. Quand il fit Adam et Ève, il vit que cela était très bon. « Sans lui, nous ne pouvons rien faire. » Ce sont là des phrases bibliques pour nourrir notre foi. Ce qui manque souvent dans la vie du couple c’est l’attention à l’autre, la communication sincère. « Amour et  Vérité s’embrassent », dit le psalmiste.
À vrai dire, les problèmes ne viennent pas du mariage en tant que tel, mais de nos cœurs ondoyants, endurcis, égoïstes, orgueilleux, compliqués et malades. Là où on perd de vue qu’on est aimé de Dieu, tout devient plus difficile. Aux couples chrétiens saint Paul dit : « Soyez assidus à la prière » (Col 4, 2). Une famille qui prie reste unie (Mère Teresa). Il ne s’agit pas de prier de temps en temps. La racine de nos crises est, d’ordinaire, dans nos relations spirituelles avec Dieu.

En Afrique, sur quoi insistez-vous dans la préparation au mariage ?
Dans mon accompagnement des couples, j’ai souvent constaté qu’ils ignoraient que la psychologie masculine est différente de la psychologie féminine. Beaucoup de malentendus viennent de là. L’homme a souvent du mal à comprendre la femme et vice versa. On raconte tellement dans les médias que nous sommes tous pareils qu’on a des difficultés à saisir la beauté des différences. En plus, les conjoints ou les futurs conjoints ont une conception erronée de l’amour. Très souvent ils confondent amour et sentiment ; on dit facilement que l’amour est aveugle, passionnel, romantique. Tout doux ! Et on élimine de l’amour la croix, les moments d’épreuve et de sacrifice. Erreur ! L’amour est d’abord renoncement à soi, détachement, pardon, puis volonté de se donner totalement à l’autre pour le bien de l’autre. Quand on met les sentiments devant ou au premier rang, le couple a du mal à tenir lorsque les crises arrivent. Car au bout de trois ans, les sentiments se calment et même disparaissent. Il n’y a plus à se découvrir sur le plan émotionnel. Il n’y a plus de secret à ce niveau. Toutes les zones de plaisir charnel ont été explorées dans tous les sens. Il ne reste que la volonté de continuer à vivre ensemble. Et « vouloir c’est pouvoir ». Et si la volonté fait défaut c’est l’ennui ou alors la guerre tous les jours ou alors carrément le divorce.
Je dis souvent aux couples : le verbe le plus important pour eux ce n’est pas « je t’aime » mais « je veux t’aimer tel que tu es, malgré tout ».

Votre dernier mot sur l’avenir de l’Afrique ?
Regardez une carte d’Afrique. Ce continent ressemble à un cœur. Ce n’est pas pour rien qu’on tombe facilement amoureux de l’Afrique. Et si on observe bien, ce continent, qui ressemble à un cœur, est au cœur du monde. Il a donc un rôle universel à jouer. N’en doutez nullement. Tout part du cœur et tout revient au cœur. Le cœur c’est le symbole de l’amour. Dieu est Amour. Et l’Église, Famille de Dieu, est une chance pour l’Afrique. Quand l’Afrique décollera, tout le monde accourra vers elle. Tous les peuples l’appelleront « Afrique ma mère », car effectivement en elle tout homme est né. N’est-ce pas le berceau de l’humanité ?

Ref. L'Afrique aime la famille

JPSC

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