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"Veilleur, où en est la nuit ?"

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9782204109109-56d0724c7bb6f.jpgVeilleur, où en est la nuit ? by Koz

Rien n’est moins chrétien que de serrer sans fin dans ses bras le cadavre de la vieille chrétienté : il faut laisser les morts enterrer leurs morts, et regarder le monde en face. Jérusalem est tombée, et ses murailles ne seront pas reconstruites.

C'est dire s'il ne faut pas lire ce livre  en quête d'un édredon ouaté, d'un propos rassurant à bon compte sur l'avenir du pays et des chrétiens. Nous ne manquons pas de trouver les moyens d'écarter la froide réalité statistique qui, pourtant, nous éclate au visage. Nous invoquons, et cela recèle, je le crois, tout de même, une part de vérité, la qualité des vocations, l'authenticité de la pratique dans un monde où elle ne saurait apporter un quelconque surcroît de rayonnement social. Mais la réalité, nous la connaissons tous, nous la vivons, est bien celle d'un pays déchristianisé. Étonnamment, ou non, Veilleur, où en est la nuit ?, du Frère Adrien Candiard (op)  fait écho à un autre ouvrage paru ces derniers jours aux éditions du Cerf, Etrangers dans la Cité, première édition en langue française d'un livre paru il y a vingt-cinq ans aux Etats-Unis. Pour leur part, les auteurs ont localisé et daté précisément la fin de la chrétienté : c'était en 1963 un dimanche soir, à Greenville en Caroline du Sud. "Ce jour-là, à Greenville en Caroline du Sud, au mépris des vénérables Blue Laws, le cinéma de la Fox ouvrit un dimanche (...) La Fox défia frontalement l'Eglise pour décider de qui offrirait une vision du monde aux jeunes. Cette nuit de 1963, la Fox remporta la bataille." Ne laissez pas filer votre imagination et n'allez pas faire de Stanley Hauerwas, de William Willimon, du Frère Adrien Candiard, de sombres millénaristes, comme nous en comptons bien trop. Ils n'annoncent pas la fin du monde. Ils constatent la fin d'un monde, bien décidés à regarder suffisamment dans les yeux celui qui vient pour nous proposer une voie, un chemin.

 

Fr. Adrien Candiard ne se berce donc pas d'illusion. Il perçoit et décrit le désespoir actuel du monde, la morosité généralisée du pays, cette conviction incomparablement stérilisante que "nous avons un grand avenir derrière nous ». Et pour couronner le tout, pour les chrétiens, ce sentiment qu'au désormais fameux "suicide français" s'ajoute l'agonie de l'Eglise. Face à cette situation, certains proposent la riposte, permanente. Elle a toutefois le défaut de n'être que réactive et défensive. Pour n'évoquer qu'un exemple récent, Fr. Adrien Candiard souligne, ce qui ne fera plaisir à personne, comme l'épisode des crèches est la marque d'une défaite déjà actée : "le combat est évidemment perdu d’avance : à partir du moment où la question se pose, c’est qu’elle est déjà réglée. Les crèches ne sont plus cet objet culturel consensuel, réunissant sans polémique, dans un « esprit de Noël » pacifié et joyeux, croyants et non-croyants ». Ne vous leurrez pas : il ne propose pas pour autant, puisque c'est comme ça, de tout laisser tomber, et puis merde. Il va chercher plus loin, plus loin que la riposte, plus loin que la réponse politique, au fond de nous.

En guise de cinéma à Greenville, Adrien Candiard nous rappelle la chute de Jérusalem en 587 et les prophéties de Jérémie.

C'est dans ces ruines de notre Jérusalem que nous avons besoin de la leçon de Jérémie. Aujourd'hui, nous sommes mûrs pour l’espérance. Car, pour parler de l'espérance, il faut commencer par regarder le désespoir en face. Notre premier devoir de veilleur, c'est de regarder la nuit comme elle est.

Et l'histoire de Jérémie, pour qui prend au sérieux son christianisme et continue de penser que la Bible puisse dire quelque chose, est un exemple. Jérémie est écarté par la noblesse du temps, qui ne supporte plus ses mises en garde, elle qui veut prendre les armes pour renverser le joug babylonien, certaine que Dieu, qui a autrefois écarté les eaux pour laisser passer son peuple, lui viendra en aide. Jérémie, lui, voit le désastre annoncé et, comme nous le rappelle l'auteur, c'est pourtant au cours du siège atroce qui fait suite à la révolte, et emprisonné par les siens, que "Jérémie se met à écrire des folies. Lui qui était si réaliste sur les impasses de la révolte, il annonce que Dieu recréer partir de rien". Dieu sera là. Il y aura un matin.

L'auteur explore alors l'espérance chrétienne, qui n'est pas croyance que cela ira mieux demain ((d'ailleurs, j'aurais deux mots à lui dire à ce sujet... Plus sérieusement, mon "ça ira mieux demain" était aussi un refus du refuge dans le passé comme d'un optimisme qui se définirait par un "tout va bien aujourd'hui, et tout ira mécaniquement pour le mieux demain")), qui n'est pas davantage un renvoi à plus tard, bien tard, après la mort, la promesse d'un bonheur. Face à un avenir incertain, qui ne sera pas à l'image d'hier, c'est à nous de poser des actes d'éternité. Car, nous dit Adrien Candiard, la "vie éternelle", si précisément elle est éternelle, a commencé maintenant et c'est au regard de cette éternité que nous devons poser nos actes. Il nous suggère de faire de chacun de nos actes des actes d'amour, parce que seuls ces actes sont éternels.

Quand le monde qui nous entoure nous fait peur, l’espérance chrétienne ne nous dit pas de rester là à pleurnicher parce que tout va mal, ni de sourire bêtement parce que tout irait bien ; elle ne nous invite pas à attendre que Dieu détruise ce monde-là pour en construire un autre ; elle nous pose une question très simple : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ?

Je ne peux pas m'empêcher de penser à une femme en lisant cela. Plongée dans l'angoisse d'un avenir incertain, ou trop certain, sombre et désespéré, annonce de fin d'une civilisation et d'anéantissement de son peuple. Sa situation achève de ridiculiser nos angoisses et nos victimologies. Elle est à Westerbork, dans le Nord-Est des Pays-Bas en 1943, camp de regroupement des Juifs au départ pour Auschwitz. Comme elle l'écrit, elle a "rompu son corps", donné en partage aux siens, posant d'incomparables actes éternels. Elle a aidé des Juifs à monter dans les trains, rassuré des petits enfants qui y prenaient place. Et pourtant, ce dimanche matin là, Etty Hillesum écrit ces mots pour toujours :

Prière du dimanche matin. Ce sont des temps d'effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m'inspire l'avenir; mais cela demande un certain entraînement. Pour l'instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t'aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque et c'est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres.

Ce n'est peut-être pas grand-chose en apparence que nous propose Adrien Candiard. Ce n'est pas une feuille de route, pas une checklist pour les jours prochains, il ne dit rien d'un quelconque choix d'action politique. Mais je suis convaincu, avec lui je crois, qu'il n'y a de chrétienté à sauver qu'en nous-mêmes, qu'elle ne perdurera pas par la sauvegarde de quelques symboles mais parce que nous nous serons appliqués à sauver en cette époque la seule chose qui compte : un peu de Lui en nous. Alors, oui, elle subsistera, et vivante par-dessus le marché !

"Jérusalem est tombée, et ce n'est pas la première fois en Occident". Car Rome est tombée aussi et, avec elle une certaine conception de Jérusalem et un bel avenir enfin promis aux chrétiens. Dans ce nouveau monde, des moines ont essaimé. "Ils ne cherchent pas, au milieu des décombres à bâtir de nouveaux fortins, ni des îlots d'Empire". Ils cherchent l'éternel. Et ces mots d'Adrien Candiard, qui sont pour nous comme un viatique pour demain, font pleinement écho à ceux d'Etty Hillesum, cités plus haut :

Sans doute se répétaient-ils l'un à l'autre, ces moines gardiens de l'espérance du monde, la question inquiète qu'on posait ai prophète Isaïe : "Veilleur, où en est la nuit ?". Conscients d'être des sentinelles, ils pouvaient regarder la nuit sans effroi, parce qu'ils avaient au fond d'eux-mêmes assez de lumière pour ne pas douter de l'existence du matin.

Commentaires

  • La foi chimiquement pure n’existe pas. Elle vit en relation avec une société ou une culture qui la transforme et qu’elle transforme. Nous savons que c’est le christianisme qui a finalement absorbé les valeurs du monde antique pour donner naissance au monde chrétien et non l’inverse. Depuis les Lumières du XVIIIe siècle, un monde nouveau, celui de l’humanisme athée, est en route avec les mêmes prétentions universalistes et selon un processus qui semble comparable. L’enjeu est de savoir ce qu’il restera en fin de compte de la foi au Christ lorsque ce processus viendra à son terme. Jésus a promis certes la vie éternelle à l’Eglise mais il a ouvertement posé la question de savoir si, à son retour, il trouverait la foi sur la terre.

  • Pour nous, Chrétiens, la nuit est aussi belle, sinon plus que le jour .Prier, écrire, parler avec Dieu ,aimer en silence, bercer dans son coeur, confier l'indicible ......sont des choses du soir et de la nuit .

  • Merci JPSC.
    Oui, ce qu'il est convenu d'appeler « humanisme athée » a des prétentions universelles. Mais comme il a été plusieurs fois écrit sur ce blog (et sur d'autre) cette prétention ne tient que tant que l'on ne prend pas conscience de la vanité de cette prétention qui repose sur des incohérences internes et des contradictions. Une liberté revendiquée d'une manière totalitaire et liberticide, car ce qui fonde tout homme est la loi. Une confusion systématique du sexe et de l'amour, la recherche obsessionnelle de la jouissance qui tient lieu de religion et de raison de vivre. Prétention mensongère d'un égalitarisme fondé sur un élitisme. Ce sont bien là quelques une des absurdes contradictions intrinsèques de ce matérialisme hédoniste. 

    Permettez-moi, cher JPSC, d'avoir la certitude que à la nuit qui vient succédera une aurore d'autant plus brillante que la nuit aura été profonde. La lumière c'est le Christ et lui seul, le reste est obscurité. Il est l'alpha et l'oméga. Il est , Il était et Il vient. Maranatha !

    1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.
    2 Il était au commencement en Dieu.
    3 Tout par lui a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe.
    4 En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes,
    5 Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue.
      
    9 La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde.
    10 Il était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l'a pas connu.

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