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Entamer l'an neuf sous le signe de la bénédiction

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Solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence) (source)

SOUHAITS, VŒUX ET BENEDICTION

Frères et sœurs,

Pourquoi formulons-nous des souhaits ou des vœux au début de l’année ? C’est une coutume relativement récente, qui remonte à la fin du XIXème siècle environ. Mais pourquoi une telle démarche à la fois affective et/ou protocolaire ?

À mon avis, elle vient d’un sentiment fondamental qui hante le fond de notre cœur : au moment où une nouvelle tranche de temps s’ouvre à nous, nous sentons bien que nous n’en sommes pas les maîtres. L’homme a conscience du temps, mais n’en a pas la maîtrise. Et c’est d’ailleurs parce qu’il est livré à cette incapacité radicale qu’il passe son temps à chercher à le reconquérir, à le maîtriser, à se le réapproprier et à l’orienter selon ses prévisions et qu’il n’y arrive heureusement jamais… Le pire des totalitarismes et sa pire forme, c’est précisément la planification, la gestion du temps à venir pour ne laisser aucune place à l’imprévisible. Nous avons vu ce que ça peut donner. Et même si le totalitarisme dans sa forme la plus radicale a pratiquement heureusement été extirpé de notre monde, (mais pas encore tout à fait), en réalité, il reste toujours un petit coin de totalitarisme au fond de notre être, qui à défaut de gérer la société, la vie culturelle et l’économie mondiale ou tout simplement le taux de son livret A, voudrait au moins maîtriser totalement notre temps.

Or, nous ne le pouvons pas. Par conséquent, il ne nous reste qu’une chose à faire : c’est de nous dire les uns aux autres qu’on espère, qu’on voudrait, qu’on va tout faire pour que ça se passe le mieux possible. Voilà donc ça le sens de ces vœux que nous formulons. En fait, ils traduisent au moins autant nos limites, notre finitude, et notre incapacité que notre bonne volonté et notre bienveillance. Ou plus exactement, notre bonne volonté et nos bonnes intentions sont mises en œuvre pour rappeler mutuellement : « Courage, on espère que ça ira mieux en 2017 qu’en 2016 », vœux qui sont la plupart du temps hélas déçus, mais nous n’y pouvons rien puisque précisément nous ne pouvons pas maîtriser l’avenir et le temps.

Vous devez penser que je commence l’année par des réflexions bien pessimistes et bien sombres. Non, je crois qu’elles sont simplement réalistes. Il est impossible de nous cacher que même si nous pensons profondément ce que nous disons, par exemple : « Je te souhaite vraiment une année où tout se passe le mieux possible pour toi, que tu sois éclatant de santé, de réussite, de sécurité et de bonheur », malgré tout, nous savons qu’il peut toujours nous arriver quelque chose qui bouleversera notre vie. C’est inévitable. Et on a beau, à un plan plus global se souhaiter que ce monde retrouve la paix, on sait bien que ce n’est pas tout à fait pour demain. On le souhaite quand même, mais sans illusion.

 

Tout ce que je viens de dire représente notre point de vue humain : on appelle cela des vœux ou des souhaits. Il y a même des langues qui avaient inventé une conjugaison spéciale, un mode verbal spécial pour exprimer les souhaits. Je veux parler d’une langue d’une rare finesse et d’une grande intelligence que l’on veut effacer de la culture française : le grec. C’est dommage de supprimer le grec parce qu’on supprimerait ce qu’on appelait l’optatif, c’est-à-dire le temps des souhaits. Et Dieu sait que les Grecs qui étaient des pessimistes invétérés, gardaient quand même au cœur au moins l’espoir et le mode verbal de l’optatif qui le disait avec clarté et élégance. Essayons de retrouver, non pas simplement dans la grammaire mais d’abord dans la vie, l’espérance du souhait ou des vœux ! C’est déjà quelque chose. Mais si nous en restions là, nous en serions réduits à ce constat désolé du monde tel qu’il va et auquel on ne peut pas changer grand chose.

Pourtant, si nous sommes ici ce matin, ce n’est pas à cause des vœux – ou des souhaits –, c’est à cause de la bénédiction. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les textes de cette messe et la fête que nous fêtons aujourd’hui, la maternité de la Vierge Marie, nous mettent non pas dans l’optique des bons vœux ou des vœux pieux, elle se situe dans une optique différente, qui se concentre sur un thème : la bénédiction. La bénédiction, c’est un retournement de situation. Sachant nos limites, notre finitude et notre incapacité à gérer le temps à venir, nous proclamons et nous croyons que ce temps peut être béni, c’est-à-dire chargé de la bénédiction de Dieu. Quand nous disons la plupart du temps machinalement « le Dieu qui est, qui était et qui vient », ou « le Seigneur des siècles » ou « le Dieu du monde à venir », nous disons précisément que Dieu est celui qui bénit le temps.

Nous, nous nous souhaitons un temps heureux et paisible ; Dieu le veut et le réalisera coûte que coûte comme un temps béni, chargé de sa présence, de son amour et de son Salut. Voilà ce que disaient les prêtres et surtout le grand prêtre et que nous avons entendu dans la première lecture, cette première grande formule rituelle de bénédiction dans l’histoire biblique. Notez que c’est par une bénédiction analogue que nous terminons chaque célébration eucharistique ; si Dieu a donné son corps et son sang, c’est par ce bienfait et cette bénédiction que sera rythmé le temps que nous allons vivre ensuite. Tel est le sens de la bénédiction.

Et d’une certaine manière, voilà qui éclaire pour nous le sens de ce premier jour de l’année. L’Église, il y a déjà très longtemps de cela, avec un sens très affiné de ce que peut être la bénédiction, avait fait du premier janvier la fête de la Vierge Marie dans son rôle de Mère de Dieu. Puis cette fête a été oubliée ; avec le concile Vatican II, on l’a rétablie. Pourquoi l’honorer plus spécialement sous le vocable de Mère de Dieu ? Parce qu’elle a été comblée de cette bénédiction divine : « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce ». Cette bénédiction divine ne veut pas dire que sa vie a été rose tous les jours, mais qu’elle s’est déroulée sous la puissance de l’amour de Dieu qui voulait se communiquer par elle, en s’implantant jusque dans sa chair de femme à travers l’enfantement.

Voilà donc ce qui est offert à notre prière et à notre méditation aujourd’hui. Non pas simplement le constat lucide et nécessaire des limites de notre emprise sur le temps et sur l’avenir, mais surtout la confiance qui, au cœur même de notre radicale incapacité à gérer l’avenir, nous assure qu’il existe une providence capable d’ouvrir notre histoire collective et personnelle vers le Royaume : cet acte de confiance nous dit que Dieu peut de cette année, de ce temps qui nous paraît si incertain, faire surgir une source de bienfaits, de bénédiction et de sagesse. Du coup, le fait de présenter des vœux et de croire à la bénédiction de Dieu sur la création constitue une des choses les plus nécessaires et les plus précieuses aujourd’hui. Quand vous regardez la manière dont on parle de « notre » temps, de l’année qui vient de s’écouler, de celle qui s’ouvre aujourd’hui, on a l’impression vraiment que ce discours est vraiment standardisé, qu’il est dépourvu d’imagination, et qu’il constitue un aveu d’incapacité. Que cela vienne des hommes politiques (et parfois même des ecclésiastiques de tous poils qui ne font pas beaucoup mieux), on sait bien que ces vœux sont formulés par des hommes qui ne savent pas ce que va devenir notre monde et qui cherchent pourtant à nous dire qu’ils sont capables de le changer ! On a posé en 2016 un certain nombre de gestes, on a supporté un certain nombre d’événements qui posent infiniment plus de questions sur l’avenir qu’ils n’en résolvent. No comment ! Et effectivement, faire des vœux, ce peut être d’une certaine manière, un regard païen, sans foi ni espérance. Un regard qui semble suggérer : « Ah, vous êtes dans une situation difficile, mais moi je vais vous protéger »… Bien sûr, vos actes sont tellement convaincant en ce domaine ! Je ne connais pas de moyen plus facile pour convertir l’espérance en cette morosité qui est en train de miner notre société occidentale.

Et c’est pourquoi nous avons, comme chrétiens, une responsabilité supplémentaire. Le monde n’est pas ce que notre regard humain en voit, veut en voir ou espère en voir. Heureusement que non ! Notre monde est sous la bénédiction de Dieu, envers et contre tout. Et c’est pourquoi il attend de nous une autre lucidité qui s’appelle la foi : une telle lucidité consiste à croire que, quoi qu’il arrive, Dieu est capable de faire surgir dans n’importe quelle situation la puissance de sa bénédiction et de son salut. Cela ne va pas de soi quand il faut tenir jour après jour ; mais s’il n’y avait pas cela, comme disait saint Paul, « nous serions alors les plus malheureux de tous les hommes » et c’est précisément ce qu’aucun homme n’a envie de se souhaiter ni à lui-même ni aux autres. Amen !

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